Dépendance économique : 11 mai 2018 Cour d’appel de Lyon RG n° 16/07570

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Dépendance économique : 11 mai 2018 Cour d’appel de Lyon RG n° 16/07570

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 16/07570

[N]

C/

SAS PJM

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 02 Décembre 2014

RG : F 13/03869

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 11 MAI 2018

APPELANT :

[Q] [N]

né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

Comparant en personne, assisté de Me François DUMOULIN de la SELARL FRANCOIS DUMOULIN, avocat au barreau de LYON substitué par Me Ariane LOUDE, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

SAS PJM

[Adresse 3]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

Représentée par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE ALPES, avocat au barreau de LYON substitué par Me Jean-yves SAGNARD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Mars 2018

Présidée par Sophie NOIR, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Michel SORNAY, président

– Natacha LAVILLE, conseiller

– Sophie NOIR, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 11 Mai 2018 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Sophie NOIR, conseiller par empêchement du Président et Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

[Q] [N] a été embauché à compter du 29 mars 2005 par la société RHONE POSE en qualité de chef poseur, catégorie ouvrier dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein de 35 heures hebdomadaires au salaire mensuel brut de 1850 €.

Le contrat de travail a été repris à compter du 1er mai 2006 par la S.A.S PJM spécialisée dans la fabrication et l’installation de structures métalliques et de menuiseries.

La relation de travail était soumise à la convention collective nationale du bâtiment.

À la fin du mois d’octobre 2010 [Q] [N] à été promu au poste de chef d’équipe, catégorie employé, niveau D, rémunéré 3235,77 € pour 35 heures de travail hebdomadaire au moyen d’un ‘contrat de travail à durée indéterminée’ l’embauchant à compter du 1er novembre 2010. A ce titre il était en charge, en sus de ses deux fonctions antérieures (réalisation de pose de serrurerie aluminium et de dépannage) d’assurer la liaison entre le personnel et la direction et la responsabilité de l’hygiène et de la sécurité de son équipe.

Ce ‘contrat de travail’ n’a jamais été signé mais les fiches de paye mentionnent le nouveau salaire de base à compter du mois de novembre 2010.

Au dernier état de la relation contractuelle le salaire brut mensuel de [Q] [N] s’élevait à la somme de 3235,77 €.

Le 16 mars 2012 ce dernier a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire fixé au 23 mars 2012 et, le 2 avril 2012, l’employeur lui a notifié une mise à pied disciplinaire de deux jours en raison de faits survenus le 9 mars 2012 à savoir une pause déjeuner de 11h à 17h durant laquelle [Q] [N] aurait consommé de l’alcool, puis travaillé et conduit le véhicule de l’entreprise en état ‘d’ébriété avancée’ et aurait déclaré avoir travaillé 8 heures au lieu de 6 heures effectivement réalisées.

Le 3 avril 2013, [Q] [N] a été convoqué à un entretien fixé au 12 avril 2013, préalable un éventuel licenciement pour faute grave, et mis à pied à titre conservatoire.

Il a été licencié pour faute grave par courrier recommandé avec accusé réception du 6 mai 2013 dans les termes suivants :

‘Pour faire suite à l’entretien que nous avons eu le 2 avril 2013, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave pour les raisons qui vous ont été exposées à savoir :

Nous avons reçu le 2 avril 2013 un courrier de la société PROSOL GESTION qui nous informait qu’elle ne travaillerait plus désormais avec notre société en raison de l’attitude inadmissible, du manque de professionnalisme et de sérieux dont vous avez fait preuve sur le chantier SCI CHAPOFRAIS . La société PROSOL GESTION est l’un de nos plus importants apporteurs d’affaire pour l’ensemble du groupe ‘GRAND FRAIS’.

Nous avions en effet enregistré à l’occasion de ce chantier un retard excessif qui vous est imputable de par vos fonctions, cette situation ne nous avait contraint à faire appel à un sous-traitant, la société VMC afin de respecter les délais contractuels de réception des travaux et pour éviter le versement de pénalités de retard dès le débuts du mois de mars.

Le 29 mars 2013, le chargé d’affaires de la société PROSOL GESTION, Monsieur [B] a constaté en fin de matinée avec stupeur que vous aviez quitté le chantier sans avoir posé la porte, les protections et l’étanchéité de l’entrepôt. Vous n’aviez informé personne du caractère anormal de la situation notamment en termes de sécurité. En réalité, il s’est avéré que votre travail au cours de la matinée avait consisté à poser 3 tôles, soit l’équivalent de 30 minutes de travail au maximum.

Le responsable du chantier a découvert que vous aviez abandonné les lieux sans vous assurer que l’entrepôt était sécurisé pour le week-end. Dans une telle hypothèse, notre société est responsable en cas de dommage et elle se trouve dans l’obligation d’assurer la sécurité du site en ayant recours si nécessaire et à ses frais à une société de gardiennage.

Dans ces circonstances, la société VMC qui intervenait uniquement en sous-traitance sur ce chantier a été dans l’obligation de vous suppléer pour remédier à cette situation inadmissible. Ainsi, nous avons été contraints d’avoir recours durant l’après-midi au service de ce sous-traitant pour assurer à nos frais la fin des travaux.

Monsieur [I], de la société VMC, nous a écrit pour nous faire part de son fort mécontentement face à votre attitude inqualifiable. De surcroît, ce dernier nous indiquait que vous lui aviez déclaré que vous ‘foutiez’ du chantier au motif que nous vous n’aviez pas obtenu une augmentation de salaire.

Vous avez également tenu le même genre de discours à Monsieur [K].

Un tel comportement parfaitement inadmissible et irresponsable révèle une volonté de porter préjudice à l’entreprise et à son image vis-à-vis de sa clientèle, ce qui est absolument incompatible avec la poursuite de votre contrat de travail. (…)’.

Le 29 juillet 2013, [Q] [N] a saisi le conseil des prud’hommes de Lyon pour contester le bien-fondé du licenciement et obtenir le paiement d’heures supplémentaires.

Par jugement du 2 décembre 2014, le conseil des prud’hommes de Lyon a :

– constaté que le licenciement repose sur une faute grave,

– constaté que la demande de rappels d’heures supplémentaires n’est pas établie,

– débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– débouté chaque partie de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

[Q] [N] a interjeté appel de ce jugement le 23 décembre 2014.

L’affaire a fait l’objet d’une ordonnance de radiation le 26 novembre 2015, avant d’être rétablie au rôle.

*

Dans ses dernières conclusions, [Q] [N] demande à la cour :

– d’infirmer le jugement du 2 décembre 2014

– de dire que le licenciement ne repose sur aucune faute grave ni aucune cause réelle et sérieuse et de condamner en conséquence la S.A.S PJM à lui payer les sommes suivantes :

– 38 829,24 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 3 775,07 € brut à titre de rappels de salaires sur mise à pied du 3 avril au 6 mai 2013 et 377,50 € bruts au titre des congés payés afférents

– 6 471,54 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 647,15 € bruts au titre des congés payés afférents

– 6 471,54 € nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

– de condamner la S.A.S PJM à lui payer la somme de 47 219,29 € bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires pour la période du mois de novembre 2010 au 30 mars 2013 et 4 721,92 € bruts au titre des congés payés afférents;

– de condamner la S.A.S PJM à lui payer la somme de 19 414,62 € nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé;

– de débouter la S.A.S PJM de l’ensemble de ses demandes

– de la condamner au paiement de la somme de 1 800 € en indemnisation des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions, la S.A.S PJM demande pour sa part à la cour :

– de confirmer le jugement du 2 décembre 2014 en toutes ses dispositions

– de constater que le licenciement de [Q] [N] reposait sur une faute grave

– de débouter [Q] [N] de sa demande de rappels d’heures supplémentaires

– de débouter [Q] [N] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé

– de débouter [Q] [N] de l’ensemble de ses demandes

– de le condamner au paiement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’audience, la S.A.S PJM a demandé que la pièce n°26 communiquée le jour de l’audience soit écartée des débats.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées, qu’elles ont fait viser par le greffier lors de l’audience de plaidoiries et qu’elles ont à cette occasion expressément maintenues et soutenues oralement en indiquant n’avoir rien à y ajouter ou retrancher.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la demande de la S.A.S PJM tendant à ce que la pièce n°26 communiquée par l’appelant le 8 mars 2018 soit écartée des débats:

Par application de l’article 15 du code de procédure civile selon lequel : ‘Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense’, la pièce numéro 26 communiquée le jour de l’audience par [Q] [N] sera écarté des débats, la S.A.S PJM n’ayant pas disposé du temps nécessaire pour en apprécier la portée et produire d’éventuels éléments contraires.

2- Sur le bien fondé du licenciement et les demandes indemnitaires consécutives:

Par application de l’article L. 1232’1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve qui doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

Au soutien de sa demande, [Q] [N] fait tout d’abord valoir que le licenciement est en réalité motivé par sa demande de paiement des heures supplémentaires.

Il ajoute que le grief tiré du retard pris sur le chantier SCI CHAPOFRAIS et de l’absence de pose de la porte, des protections et de l’étanchéité de l’entrepôt le 29 mars 2013 n’ont pas été évoqués lors de l’entretien préalable à licenciement au cours duquel aucune faute précise ne lui a été reprochée, l’employeur ayant reconnu devant le conseiller du salarié qu’il n’existait pas de réels griefs et lui ayant même proposé un nouveau contrat de travail destiné à éviter le paiement des heures supplémentaires.

Il fait remarquer qu’il n’était pas le seul employé de la S.A.S PJM sur le chantier et qu’il n’est aucunement responsable du retard de livraison, ayant commencé à y travailler à compter du 7 mars 2013 seulement, qu’il terminait régulièrement ses journées de travail les vendredis en fin d’après-midi, qu’il ne ressort aucunement du courrier de la société PROSOL GESTION qu’il est responsable de l’absence de pose d’une porte sur le chantier et qu’il n’avait reçu aucune instruction de la part de son employeur à ce sujet, que le 29 mars 2013 il était uniquement en charge de la pose des plinthes destinées à protéger les cloisons d’une salle frigorifique contre les chariots élévateurs avec un autre salarié Monsieur [L] qui atteste également que le chantier PROSOL GESTION était fermé car toute les porte étaient posées.

Il conteste avoir consacré la matinée du 29 mars 2013 à la pose de trois tôles représentant 30 minutes de travail au maximum, fait dont il souligne que la preuve n’est pas rapportée et indique avoir quitté le chantier en fin de matinée une fois sa mission réalisée.

Il conteste également avoir indiqué à Monsieur [I] et à Monsieur [K] qu’il se ‘foutait’ du chantier de son employeur et considère qu’à le supposer avéré, cet élément n’est pas constitutif d’une faute grave au regard de son ancienneté de 8 ans dans l’entreprise. Il précise que le courrier de Monsieur [K] est entaché de subjectivité dans la mesure où ce dernier se trouve être l’associé du gérant de la S.A.S PJM au sein d’une société MGH, tout comme celui de Monsieur [I] qui se trouve placé dans un lien de dépendance économique avec la S.A.S PJM en sa qualité de sous-traitant. Il ajoute que ces deux courriers ne revêtent pas les formes légales des attestations, qu’ils sont adressés en lettre simple à la S.A.S PJM et n’ont donc pas date certaine et souligne que l’employeur, qui était censé les avoir reçu 2 avril 2013, n’en a pas fait état lors de l’entretien préalable du 12 avril 2013.

Il indique qu’aucun élément ne permet de lui imputer la responsabilité de la perte du client PROSOL GESTION et avec lui du groupe ‘GRAND FRAIS’ et indique que les relations d’affaires entre les deux sociétés n’ont en réalité jamais cessées, y compris après son licenciement.

De son côté, la S.A.S PJM soutient que [Q] [N] s’était déjà vu notifier une mise à pied disciplinaire non contestée de deux jours le 2 avril 2012 pour avoir consommé durant deux heures de l’alcool sur le parking d’un chantier le 9 mars 2012, puis être allé au restaurant jusqu’à 17 heures, avoir pris l’initiative de faire terminer le chantier (remplacement d’une porte) par des personnes de sa connaissance et être rentré au siège de l’entreprise en conduisant le véhicule de la société en état d’ébriété, ce qui avait entraîné son retrait de la liste des fournisseurs du groupe BOWLING STAR.

Elle indique que [Q] [N] ne rapporte pas la preuve de ce que le licenciement est lié à sa demande de paiement d’heures supplémentaires et allègue que ce salarié revendiquait une augmentation de salaire depuis la fin de l’année 2012, revendication qui n’a pas été satisfaite et qui l’avait conduit à se désintéresser de son travail et à adopter une attitude défiante vis-à-vis de son employeur. Elle ajoute que le gérant de la société VSM, son sous-traitant, l’avait alertée le 18 mars 2013 sur la dégradation de la qualité du travail de [Q] [N], de même que Monsieur [K] de la société GRJ qui, le 20 mars 2013, avait déclaré ne plus vouloir travailler avec [Q] [N] après que ce dernier lui ait déclaré qu’il se ‘foutait’ des chantiers comme des clients tant qu’il ne percevrait pas un salaire de 3000 € nets par mois.

Elle estime rapporter suffisamment la preuve des comportements dénigrants de [Q] [N] auprès des clients par les deux courriers de Messieurs [I] et [K], corroborés par ceux de Monsieur [B] et de la société PROSOL GESTION, sans nécessité de les confirmer par des attestations établies dans les formes prescrites par le code de procédure civile en raison du principe de liberté de preuve. Elle souligne que le salarié n’a pas contesté la matérialité des faits à la suite de la notification de son licenciement pour faute grave et il n’en rapporte pas la preuve contraire.

Concernant les fautes reprochées à [Q] [N], elle précise que, le 29 mars 2013, ce dernier travaillait sur un important chantier situé à ALBON pour le compte de la société PROSOL GESTION appartenant au groupe GRAND FRAIS, que le chantier avait pris du retard et que la pose de la porte confiée à [Q] [N], lequel supervisait également les travaux de deux ouvriers des sous-traitants (MGH et VMS) , était indispensable pour sécuriser l’entrepôt de 3000 m² dont la livraison était prévue dans l’après-midi et qui avait reçu dans la journée l’équivalent de 20 camions semi-remorques de fruits et légumes ainsi que tout le matériel de bureau et les ordinateurs qui avaient été livrés dans la matinée. Elle conteste la crédibilité de l’attestation de Monsieur [L] qui est par la suite revenu sur ses déclarations.

Elle indique que Monsieur [B], chargé de projet de PROSOL GESTION, arrivé sur le chantier vers 11 heures à constaté que le travail n’était pas achevé et que [Q] [N] était parti en week-end, laissant le chantier sans protection contre le vol.

Elle ajoute qu’en raison de ce grave incident ce client très important (524 K€ de chiffre d’affaires en 2011, 117K€ en 2012 et 228 K€ en 2013) lui a signifié par courrier du 29 mars 2013 la rupture de leurs relations commerciales et ne lui a d’ailleurs plus jamais confié de chantier depuis lors. Elle met en cause la véracité des déclarations de Monsieur [T], ancien salarié de MGH, société dont son gérant est également actionnaire à 49 %, en raison de la plainte pour des faits de vol de marchandises dont ce dernier a fait l’objet. Elle précise que les chantiers visés dans l’attestation de Monsieur [T] concernent l’enseigne GRAND FRAIS et non la société PROSOL GESTION.

Elle soutient que le compte rendu d’entretien rédigé par le conseiller du salarié l’ayant assisté est dénué de force probante dans la mesure où il n’est pas signé par l’employeur.

Il résulte des termes de la lettre du 6 mai 2013 que [Q] [N] a été licencié pour plusieurs motifs:

– être à l’origine d’un retard dans la réalisation du chantier SCI CHAPOFRAIS;

– avoir quitté ce chantier en avance le vendredi 29 mars 2013 après avoir posé trois tôles représentant 30 minutes de travail, sans prévenir de son départ et sans terminer les travaux qui comportaient notamment la pose de la porte destinée à sécuriser le chantier durant le week-end, contraignant le sous-traitant de l’employeur qui intervenait à ses cotés, la société VMC, à travailler l’après-midi pour terminer les travaux;

– avoir voulu porter préjudice à son employeur et à son image auprès de ses clients en déclarant à Monsieur [I] et à Monsieur [K], sous-traitant, qu’il se ‘foutait’ de ce chantier car il n’avait pas obtenu l’augmentation de salaire réclamée.

Parmi ces motifs de licenciement, l’entière responsabilité du retard de chantier imputée à [Q] [N] n’est pas établie au vu des pièces du dossier, pas plus que le fait que le salarié se soit contenté de la pose de 3 tôles durant toute la matinée.

En revanche, les courriers précis et concordants de Monsieur [I], sous-traitant qui intervenait avec [Q] [N] sur le chantier et de [I] [B] directeur travaux de la société PROSOL GESTION dont rien ne permet d’établir qu’ils n’ont pas été rédigés le 29 mars 2013, le listing des chantiers du chiffre d’affaire 2011 à 2013 de la S.A.S PJM, la facture de la société VMS adressée à la société PJM en date du 22 avril 2013 et l’attestation d'[I] [B] du 3 mars 2018 établissent avec suffisamment de certitude que:

– [Q] [N] était bien le chef d’équipe sur le chantier le 29 mars 2013

– que le montant de ce chantier s’élevait à 200 298,18 € HT

– que les travaux s’achevaient le soir même

– que [Q] [N] a quitté le chantier à 11H sans prévenir ni donner de consignes ‘comme un voleur’, laissant le sous-traitant seul face au client et à l’architecte

– que le sous-traitant a dû effectuer tout seul la pose de la porte qui était destinée à fermer le chantier, de même que celle des tôles d’étanchéité

– que [Q] [N] a expliqué au sous-traitant qu’il ‘se foutait du chantier’ car son employeur avait refusé d’augmenter son salaire

– que la société PROSOL GESTION a immédiatement dénoncé l’inconséquence du chef d’équipe au regard du risque pris de laisser le chantier ouvert tout le week-end et a notifié à la S.A.S PJM la fin de leurs relations d’affaire après la fin du chantier

– que suite à cet incident, la société PROSOL GESTION n’a plus confié aucun chantier à la S.A.S PJM.

Contrairement à ce qu’allègue [Q] [N], ces griefs figurent bien dans le compte rendu de l’entretien préalable du 12 avril 2013 rédigé par [M] [A], conseiller du salarié qui indique, parmi les faits évoqués, la ‘perte d’un client: Chapeau frais’ et mentionne que la durée de la mise à pied était justifiée par ‘la perte du client’.

D’autre part, le fait que Monsieur [K] soit également associé du gérant de la S.A.S PJM dans une autre société et que Monsieur [I] soit sous-traitant de la S.A.S PJM ne permet pas de mettre en cause a priori l’objectivité de leurs déclarations, les termes de leurs courriers révélant au contraire leurs volontés de préserver leurs propres intérêts commerciaux face au comportement de [Q] [N].

L’attestation datée du 11 juin 2015 de [R] [L] produite par [Q] [N] pour établir que le chantier était fermé, que toutes les portes étaient posées et que leur travail consistait uniquement en la pose des plinthes et des protections des panneaux des chambres est dénuée de toute force probante, [R] [L] ayant reconnu dans une attestation du 3 avril 2017 la fausseté de ses affirmations, qui lui avaient été dictées par [Q] [N].

De même, l’attestation de [P] [T] du 8 octobre 2015 destinée à prouver que la S.A.S PJM a réalisé des chantiers pour ‘Grand Frais’ en 2013 et en 2014 ne contredit pas les éléments de preuve de l’employeur qui attestent de la rupture des relations avec la seule société PROSOL GESTION étant en outre relevé que cette attestation, de même que le compte rendu de chantier ‘grand Frais LAVAL’ du 24 septembre 2013, ne permet pas de déterminer à quelle date les marchés ont été signés.

Par ailleurs, aucun élément n’établit que le véritable motif de licenciement est la demande de paiement d’heures supplémentaires.

Si la responsabilité de [Q] [N] dans le retard du chantier SCI CHAPOFRAIS n’est pas démontrée et que l’intention malveillante de [Q] [N] à l’égard de l’employeur n’est pas caractérisée dans la mesure où ses propos relatifs à son désintérêt du chantier s’adressaient aux autres entrepreneurs et non pas au client, le seul fait d’avoir abandonné cet important chantier, sans terminer la pose de la porte destinée à en sécuriser l’accès avant le week-end, sans prévenir de son départ, sans expliquer son comportement, de même que les conséquences importantes de ce comportement qui en ont découlé pour l’employeur lequel a perdu le jour même un important apporteur d’affaire, constituaient une accumulation de fautes de telle importance qu’elles rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis, ce d’autant que [Q] [N] avait déjà fait l’objet d’une mise à pied un an auparavant pour des faits particulièrement graves qui témoignaient déjà des libertés prises avec le respect des règles de l’entreprise, règles qu’il était censé faire respecter en sa qualité de chef d’équipe .

C’est donc à juste titre que le jugement déféré a considéré que le licenciement de [Q] [N] était fondé sur une faute grave et à rejeté l’ensemble des demandes d’indemnités formées à ce titre par [Q] [N].

Le jugement sera donc confirmé.

3- Sur les heures supplémentaires et le travail dissimulé:

A- Sur la demande de rappels d’heures supplémentaires:

La durée légale du travail effectif de 35 h par semaine prévue à l’article L.3121-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l’article L 3121-22 du même code, dans sa rédaction applicable au litige.

En application de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

[Q] [N] expose:

– que la durée du travail était fixée à 151,67 heures par mois;

– que l’employeur a cessé de lui régler ces heures supplémentaires à compter du mois de novembre 2010 alors qu’il était fréquemment contraint de travailler à sa demande au-delà de 35 heures;

– que les bulletins de paie ne portent pas mention de l’intégralité des heures supplémentaires effectuées;

– qu’il produit un récapitulatif hebdomadaire des heures supplémentaires effectuées ainsi que l’outil de décompte du temps de travail mis en place par l’employeur lui-même dans le cadre de l’article D 3171-8 du code du travail à savoir les feuilles de pointage hebdomadaire qui ont été remplies dans les formes prescrites par l’employeur, n’ont jamais été contestées par ce dernier et qui intègrent les temps de déplacement à partir des locaux jusqu’au chantier, le temps de travail effectif après déduction des temps de pause déjeuner et le trajet de retour entre le chantier et les locaux de l’entreprise;

– que, lors de l’entretien préalable à licenciement, l’employeur n’a pas contesté qu’il ne rémunérait plus les heures supplémentaires effectuées depuis octobre 2010.

Il ajoute qu’il appartient à ce dernier, qui conteste ses propres éléments de décompte du temps de travail, de fournir les justificatifs des horaires de travail réellement effectué par les salariés et que ce dernier ne peut valablement critiquer le système de décompte dont il a lui-même fait le choix.

Il invoque les dispositions de l’article L 3171-8 du code du travail, ajoute que l’horaire collectif dans se prévaut l’employeur concernait le personnel d’atelier et non le personnel intervenant sur les chantiers, qui commence sa journée de travail beaucoup plus tôt.

Toutefois, [Q] [N] ne rapporte pas la preuve de ce que les horaires collectifs versés aux débats par l’employeur n’étaient pas applicables aux salariés travaillant sur les chantiers.

Il souligne la contradiction existant entre les prétendus horaires collectifs et la mise en place par l’employeur d’un système de décompte individuel du temps de travail hebdomadaire, ce qui n’est cependant pas exclusif l’un de l’autre.

Il indique que le temps de trajet accompli entre le siège de l’entreprise et les chantiers – deux heures par jour – constitue du temps de travail effectif dans la mesure ou il était tenu chaque matin et chaque soir de se rendre dans les locaux de l’employeur pour y prendre et déposer du petit matériel et prendre en charge les collègues de travail avec le véhicule de l’entreprise

Pour étayer ses dires, [Q] [N] produit notamment :

– ses fiches de paye des années 2010 à 2013 mentionnant la réalisation d’heures supplémentaires jusqu’en octobre 2010

– récapitulatif hebdomadaire des heures supplémentaires effectuées sous la forme de tableaux ‘excell’ sur la base des feuilles de pointage remises à l’employeur

– les feuilles de pointage hebdomadaires remplies à la demande de l’employeur et signées par des soins qui servaient également à déclarer le montant des frais de déplacement

– deux attestations de Messieurs [L] et [T], salariés de la S.A.S PJM et de la société MGH ayant travaillé sur les mêmes chantiers.

La cour constate que tous ces éléments produits par [Q] [N] constituent des éléments préalables, susceptibles d’être discutés par l’employeur, de nature à étayer sa demande.

L’employeur expose quant à lui que la réclamation relative aux heures supplémentaires est postérieure au licenciement, que les états récapitulatifs hebdomadaires versés aux débats par le salarié ne comportent aucun détail sur les heures de début et de fin de journée de travail, intègrent sans distinction le temps de travail effectif et les temps de déplacement pour se rendre sur le chantier, que [Q] [N], en sa qualité de personnel travaillant sur les chantiers, était soumis aux horaires collectifs affichés dans l’entreprise ( 7h30 à 12 heures et 13h30 à 16h30 du lundi au jeudi et 7h30 à 12h30 le vendredi), qu’il n’existe aucune incompatibilité de principe entre l’application d’un horaire collectif de travail et la réalisation d’heures supplémentaires.

La S.A.S PJM soutient que [Q] [N] n’avait aucune obligation de passer dans l’entreprise le matin et le soir avant de se rendre sur le chantier de sorte que son temps de trajet de 80 minutes aller-retour ne peut être considéré comme du temps de travail effectif.

Elle ajoute que [Q] [N] a été sanctionné le 2 avril 2012 pour avoir déclaré un temps de travail de six heures au lieu de huit heures la journée du 9 mars 2012, que les relevés des heures de passage de son véhicule au péage, les notes de restaurant et l’attestation de Monsieur [I] sur la durée des pauses déjeuner révèlent des incohérences avec les décomptes du salarié du mois de mars 2013.

Cependant, pour contester la réalité des heures de travail effectif récapitulées dans les feuilles de pointage hebdomadaire de [Q] [N], la S.A.S PJM ne produit aucun élément autre que des relevés de badges d’autoroute de 2013, des factures de restaurant non nominatives du mois de mars 2013 et des attestations de salariés ou de [O] [I] indiquant que les salariés de la S.A.S PJM n’étaient pas obligés de se rendre au siège de l’entreprise avant d’aller sur les chantier et prenaient des pauses déjeuners de 1H30 ou 2H00.

Or ces éléments n’établissent pas les horaires effectivement réalisés par le salarié susceptibles de contredire ceux qui résultent des feuilles de pointage hebdomadaires que la S.A.S PJM faisait remplir à [Q] [N] chaque semaine, sous une forme qu’elle a élaborée elle-même et à laquelle elle ne peut aujourd’hui reprocher de ne comporter qu’une durée de temps de travail globale jour par jour (colonne ‘durée’), et une durée globale hebdomadaire (‘total des heures’), étant observé que l’employeur n’a jamais contesté le volume important des heures ainsi déclarées pendant plusieurs années et que ces feuilles étaient bien contrôlées puisque la déclaration de 8h de travail au lieu de 6h la journée du 9 mars 2012 avait justifié la mise à pied du 2 avril 2012.

Il en résulte que [Q] [N] rapporte la preuve de l’existence et du nombre d’heures de travail effectuées et que la S.A.S PJM doit être condamnée à lui payer les sommes de 47 219,29 € bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires sur la période du mois de novembre 2010 au 30 mars 2013 et 4721,92 € bruts au titre des congés payés afférents.

B- sur la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé:

L’ article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l’article L. 8221-5, 2° du même code dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Aux termes de l’ article L.8223-1 du code du travail , le salarié auquel l’employeur a recours en commettant les faits prévus à l’article L.8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, [Q] [N] estime que l’employeur a sciemment contourné les règles de la durée du travail, tandis que la S.A.S PJM fait valoir qu’elle n’a jamais eu l’intention de dissimuler l’existence d’heures supplémentaires qu’elle conteste par ailleurs et indique qu’à compter du mois de novembre 2010 le salarié relevait de dispositions conventionnelles différentes en raison de son changement de classification, sans développer plus avant ce moyen.

En l’espèce, le caractère volontaire de cette dissimulation d’emploi salarié s’évince du volume d’heures supplémentaires et de la durée de la période concernée.

En conséquence, la S.A.S PJM sera condamnée à payer à [Q] [N] la somme forfaitaire de 19 414,62 € en réparation du préjudice subi.

4- Sur les demandes accessoires:

Partie perdante, la S.A.S PJM supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.

[Q] [N] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu’en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

La S.A.S PJM sera donc condamnée à lui payer la somme de 1800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

ECARTE des débats la pièces n°26 produite en cause d’appel par [Q] [N];

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a:

– Déclaré le licenciement de [Q] [N] fondé sur une cause réelle et sérieuse;

– Rejetté les demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaires pour mise à pied et de congés payés afférents, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement;

INFIRME cette décision pour le surplus de ses dispositions et, STATUANT de nouveau:

CONDAMNE la S.A.S PJM à payer à [Q] [N] la somme de 47 219,29 € bruts (quarante sept mille deux cent dix neuf euros et vingt neuf centimes bruts) à titre de rappels de salaires sur la période du mois de novembre 2010 au 30 mars 2013 et 4 721,92 € bruts (quatre mille sept cent vingt et un euros et quatre vingt douze centimes bruts) au titre des congés payés afférents;

CONDAMNE la S.A.S PJM à payer à [Q] [N] la somme de 19 414,62 € (Dix neuf mille quatre cent quatorze euros et soixante deux centimes) à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé;

CONDAMNE la S.A.S PJM aux dépens de première instance et d’appel;

CONDAMNE la S.A.S PJM à payer à [Q] [N] la somme de 1 800 € (Mille huit cents euros) sur le fondement de l’article 700 au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le GreffierLe Président

Gaétan PILLIESophie NOIR

 


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