Virement bancaire frauduleux : le piège des conventions dérogatoires
Virement bancaire frauduleux : le piège des conventions dérogatoires
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L’option d’un professionnel pour un service optionnel « Remise virements internationaux » l’expose à plus de risques en matière de virements frauduleux.  Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement.

 

Ordres de paiement internationaux 

En l’occurrence, les deux virement litigieux n’ont pas été réalisés en suivant la procédure de passation en ligne de virements unitaires, mais ont été transmis sous forme de fichiers informatiques respectant la norme EBICS.

Conformément à l’article L. 133-2 du code monétaire et financier, lequel permet aux parties à un contrat de prestation de service de payement, qui ne sont pas des personnes physiques agissant pour des besoins non professionnels, comme c’est le cas en l’espèce de la société Château Calon Ségur, de déroger notamment à l’article L. 133-23 du même code, l’article 12.2 Validation des ordres des conditions générales du contrat BNP Net Évolution dispose que :

« toute consultation ou instruction émise dans le cadre des solutions de sécurité de l’alinéa précédent [avec une carte Transfert sécurisé] est réputée de façon irréfragable émaner du client lui-même où l’un de ses mandataires. Le client est donc seul responsable des éventuelles consultations ou manipulations frauduleuses réalisées à l’aide du service » (pièce no 17 de l’intimée).

De même, les conditions générales du contrat EBICS T prévoient à l’annexe Validation des fichiers que :

§ 1.1. « La carte Transfert sécurisé permet l’identification et l’authentification de son détenteur et, dans la limite des autorisations qui lui été conférées par le client et des fonctionnalités souscrites par ce dernier, la validation dématérialisée des services bancaires énumérés au(x) bordereau(x) de souscription.

« La validation effectuée en ligne par carte Transfert sécurisé est réalisée, remise par remise par la saisie du code confidentiel qui lui est associé. »

§ 2.2. « Au titre de l’utilisation de ces moyens, le client est seul responsable de la conservation, de l’utilisation et de la sécurité des cartes Transfert sécurisé et des certificats électroniques ;

« Le client est également responsable des conséquences de la divulgation ou de l’utilisation des codes confidentiels qui y sont attachés par des tiers non autorisés et en conséquence dégage la banque de toute responsabilité en cas d’utilisation non autorisée ou frauduleuse des cartes Transfert sécurisé et/ou des certificats électroniques ».

En l’espèce, les ordres de paiement litigieux ont été réalisés par la société Château Calon Ségur, via sa carte Transfert sécurisé, sur la base d’un relevé d’identité bancaire qui lui avait été fourni, dans une lettre précisant que les règlements devaient être faits directement à une société d’affacturage roumaine dénommée RCS International S. R. L.

L’article L. 133-21, alinéas 1 et 2, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l’espèce, dispose :

« Un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique.

« Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement. »

Responsabilité du client

En l’occurrence, les ordres de payement litigieux au format EBICS ont été adressés et validés par le client à l’aide de sa carte Transfert sécurisé, conformément au contrat EBICS et aux conditions particulières du bordereau de souscription aux contrat BNP Paribas Net Évolution et EBICS T, aux termes desquelles le client (la société Château Calon Ségur) avait souscrit le service optionnel « Remise virements internationaux ».

Nonobstant l’indication dans les ordres de virement de la SERAP comme bénéficiaire, il n’est pas soutenu que lesdits ordres n’aient pas été exécutés conformément à la référence bancaire indiquée.

Le plafond applicable aux remises de virements réalisées par fichiers informatiques à la norme EBICS a été respecté.

Dans ces circonstances, la société BNP Paribas a honoré ses obligation de conservation des fonds et de restitution, sans que la société déposante soit fondée en sa demande indemnitaire de ce chef.

L’obligation de conservation des fonds

Pour rappel, aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.

Aux termes de l’article 1937 du même code, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 17 MAI 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/13416 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCL65

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2020 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 18/23826

APPELANTE

S.C.A. SCEA DE CHATEAU CALON SEGUR

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant Me François HONNORAT de la SELARL MONTPENSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0084 substitué par Me Sarah FEBRINON-PIGUET de la SELARL MONTPENSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0084

INTIMEE

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dominique PENIN du LLP KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J008, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Marc BAILLY, Président de chambre et M. Vincent BRAUD, Président de chambre, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M.Marc BAILLY, Président de chambre

M.Vincent BRAUD, Président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Yulia TREFILOVA

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par M.Marc BAILLY, Président de chambre, et par Anaïs DECEBAL,Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

La société civile d’exploitation agricole Château Calon Ségur est détenue par la société Suravenir et par le groupe Videlot. Créée le 25 octobre 1988, elle a une activité de viticulture et exploite un domaine du Médoc, le château Calon Ségur. Les prestataires et les fournisseurs du Château Calon Ségur sont essentiellement français, leurs factures sont payées principalement par virements bancaires. La comptabilité de la société Château Calon Ségur est assurée par la société Videlot Support Service (V. S. S.), filiale du groupe Videlot.

Le 25 octobre 1988, la société Château Calon Ségur a ouvert un compte bancaire auprès de la BNP Paribas.

Le 27 juin 2016 et le 28 juin 2016, la société Château Calon Ségur a effectué deux virements à l’étranger d’un montant respectivement de 400 000 euros et de 425 054,07 euros.

Ces deux virements venaient en règlement d’une commande signée le 29 avril 2014 par la société Château Calon Ségur auprès de la société SERAP Industries (ci-après SERAP), sise à [Localité 5], dans la Mayenne, relative à la livraison de cuves en acier inoxydable pour un montant total de 1 232 264,09 euros.

Les conditions de règlement étaient les suivantes : 70 %, soit 825 054,07 euros à échéance du 30 juin 2016, et le solde de 407 210,02 euros à échéance du 15 septembre 2016.

Le 14 juin 2016, la SERAP adressait sa première facture à la société Château Calon Ségur pour un règlement au 30 juin 2016.

Le 16 juin 2016, un dénommé [I] [U] prétendant être attaché au service du recouvrement de la SERAP a appelé la société Château Calon Ségur par téléphone, pour informer le service comptable que le règlement de la facture SERAP devait se faire par l’intermédiaire d’une société d’affacturage et être adressé à RCS International S. R. L. ‘ Unicrédit Bank S. A. situé en Roumanie. C’est dans ce contexte que les deux virements des 27 et 28 juin 2016 ont été effectués.

Le 12 juillet 2016, la SERAP a relancé la société Château Calon Ségur pour le règlement de la facture, lequel devait intervenir le 30 juin 2016.

Le service comptable de la société Château Calon Ségur a compris qu’il avait été victime d’une escroquerie. Estimant chacune avoir été manipulée, la société Château Calon Ségur et SERAP ont déposé une plainte.

Malgré les demandes répétées de la société Château Calon Ségur, BNP Paribas n’a pas restitué les fonds transmis à une société de droit roumain au préjudice de la société Château Calon Ségur.

Par exploit en date du 18 avril 2018, la société Château Calon Ségur a assigné BNP Paribas devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement contradictoire en date du 10 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

‘ Rejeté la demande en remboursement de la somme de 825 054,07 euros de la société Château Calon Ségur ;

‘ Condamné la société Château Calon Ségur à payer à BNP Paribas la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,59 euros dont 16,55 euros de taxe sur la valeur ajoutée ;

‘ Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 24 septembre 2020, la société de Château Calon Ségur a interjeté appel du jugement.

Entre-temps, le tribunal correctionnel de Bordeaux, par jugement en date du 10 décembre 2021, a déclaré plusieurs personnes coupables des faits d’escroquerie en bande organisée commis au préjudice de la société Calon Ségur et condamné solidairement celles-ci à lui régler la somme de 825 054,07 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 23 janvier 2023, la société civile d’exploitation agricole Calon Ségur demande à la cour de :

– DECLARER LA SCEA CALON SEGUR recevable en son appel et l’y déclarer bien fondée,

– INFIRMER LE JUGEMENT prononcé le 10 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– CONDAMNER LA BNP PARIBAS à payer à la SCEA CALON SEGUR la somme de 825.054,07 euros (huit-cent-vingt-cinq-mille-cinquante-quatre euros et zéro sept centimes) à titre de garantie de la condamnation prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables d’escroquerie en bande organisée au préjudice de la SCEA CALON SEGUR et condamnées solidairement à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts selon jugement du Tribunal correctionnel de Bordeaux en date du 10 décembre 2021,

– DEBOUTER LA BNP PARIBAS de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– CONDAMNER LA BNP PARIBAS à payer à la SCEA CALON SEGUR une somme de 15.000 euros (quinze-mille euros) sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER LA BNP PARIBAS aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 février 2023, la BNP Paribas demande à la cour de :

A titre liminaire :

Déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d’appel, la demande de condamnation formée par CALON SEGUR en cours d’appel à l’encontre de BNP PARIBAS au paiement de la somme de 825.054,07 € « à titre de garantie du règlement de la condamnation prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables d’escroquerie en bande organisée au préjudice de la SCEA CALON SEGUR et condamnées solidairement à lui payer cette somme à titre de dommages-intérêts selon jugement du Tribunal correctionnel de Bordeaux en date du 10 décembre 2021 » ;

Débouter en conséquence la société CALON SEGUR de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°2018023826) ;

A titre principal :

Déclarer CALON SEGUR irrecevable en sa demande à défaut d’avoir qualité à agir en garantie à l’encontre de BNP PARIBAS ;

Débouter en conséquence la société CALON SEGUR de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°2018023826) ;

A titre subsidiaire :

Juger la société CALON SEGUR mal fondée en son appel,

Débouter en conséquence la société CALON SEGUR de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent ;

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris (RG n°2018023826) ;

En tout état de cause :

Condamner la société CALON SEGUR à payer à BNP PARIBAS une indemnité de 20.000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

La condamner aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023 et l’audience fixée au 20 mars 2023.

CELA EXPOSÉ,

Sur la recevabilité de la demande de l’appelante :

Sur la recevabilité de la demande en cause d’appel :

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’intimée conteste la recevabilité de la demande de garantie formée par l’appelante, comme étant une prétention nouvelle en cause d’appel.

L’appelante se prévaut des dispositions de l’article 565 du même code aux termes desquelles les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

La demande de condamnation de la BNP Paribas à payer la somme de 825 054,07 euros à titre de garantie de la condamnation prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables d’escroquerie en bande organisée au préjudice de la société Calon Ségur, tend en effet aux mêmes fins que la demande en remboursement de la somme de 825 054,07 euros formée contre la banque devant le premier juge. Elle est recevable en cause d’appel.

Sur le défaut de qualité :

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L’intimée conteste sur ce fondement la recevabilité de la demande de garantie formée par l’appelante, aux motifs que :

‘ en application de l’article 334 du même code, le demandeur en garantie ne peut être que celui qui est lui-même poursuivi comme personnellement obligé, les auteurs de l’escroquerie en l’occurrence ;

‘ en application de l’article 331 du même code, l’appel en garantie doit être formé dans la même instance que celle qui est relative à la condamnation du défendeur principal ;

‘ il en va de même s’agissant de la demande de condamnation solidaire, puisque les différents défendeurs doivent être mis en mesure de faire valoir leur défense simultanément.

L’appelante réplique que sa demande de condamnation de la BNP Paribas à garantir les condamnations prononcées à l’encontre des personnes condamnées à réparer ce dommage devant le tribunal correctionnel de Bordeaux est légitime et justifiée parce qu’il est interdit à la société Château Calon Ségur d’obtenir deux fois la réparation du même dommage.

La demande de condamnation de la BNP Paribas « à payer la somme de 825 054,07 euros à titre de garantie de la condamnation prononcée à l’encontre des personnes reconnues coupables d’escroquerie en bande organisée au préjudice de la société Calon Ségur et condamnées solidairement à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts selon jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux en date du 10 décembre 2021 », n’est ni une demande de condamnation solidaire de la BNP Paribas avec les auteurs de l’infraction par ailleurs condamnés solidairement entre eux, ni un appel en garantie formé par une partie elle-même poursuivie, mais une demande de condamnation dirigée contre le coresponsable désigné d’un même dommage. Par cette demande, l’appelante ne prétend pas que la BNP Paribas la garantisse de la condamnation prononcée, mais que, en répondant du même dommage, elle « garantisse la condamnation » que la société Château Calon Ségur n’a pu mettre à exécution contre les premiers auteurs. La société Château Calon Ségur a ainsi qualité et intérêt à agir.

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas prise en sa qualité de dépositaire :

Aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.

Aux termes de l’article 1937 du même code, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.

Sur ce fondement, la société Château Calon Ségur soutient que la BNP Paribas n’est pas libérée de son obligation de restitution par un payement effectué par erreur entre les mains d’un escroc ; que, dans ce cas, la banque ne peut être déchargée de son obligation de restitution qu’en rapportant la preuve que la faute de son client constitue la seule cause de la perte des fonds ; que tel n’est pas le cas en l’espèce au regard des fautes commises par la BNP Paribas qui :

‘ a exécuté des ordres de virement unitaires transmis pour des montants dépassant la limite de plafond de signature par carte Transfert sécurisé fixé contractuellement à 150 000 euros par jour ;

‘ n’a pas exercé les vérifications élémentaires qu’appelait l’exécution de virements internationaux opérés pour des montants importants et inhabituels en faveur d’un compte qui n’était pas précédemment enregistré comme un compte de fournisseur de la société Château Calon Ségur ;

‘ a exécuté des virements à destination d’un compte dont le titulaire n’était pas « SERAP ».

[K] [R], directrice administrative et financière adjointe de la société V. S. S., a reçu procuration spéciale de [L] [X], gérant de la société Château Calon Ségur, pour réaliser tous ordres de virement au profit de toutes personnes (pièce no 6 de l’appelante), et a été désignée contractuellement comme mandataire de cette société pour détenir la carte Transfert sécurisé lui permettant, soit de valider la réalisation de virements unitaires sécurisés en ligne sur le site Internet de la société BNP Paribas, soit d’enregistrer et de valider les ordres de payement contenus dans les remises de virements transmises sous forme de fichiers informatiques répondant à la norme EBICS (Electronic banking Internet communication standard), procédure plus couramment utilisée pour les remises de virements multiples (pièces nos 7 de l’appelante et 14 de l’intimée). Les conditions particulières associées à l’utilisation de ces moyens prévoyaient des plafonds de signature fixés à 150 000 euros par compte et par jour pour chaque type de virement unitaire et à 750 000 euros par compte et par jour pour chaque type de remise de virements (pièce no 7 de l’appelante).

En l’occurrence, les deux virement litigieux n’ont pas été réalisés en suivant la procédure de passation en ligne de virements unitaires, mais ont été transmis sous forme de fichiers informatiques respectant la norme EBICS (pièce no 10 de l’intimée : ordres de virement des 27 juin et 28 juin 2016).

Conformément à l’article L. 133-2 du code monétaire et financier, lequel permet aux parties à un contrat de prestation de service de payement, qui ne sont pas des personnes physiques agissant pour des besoins non professionnels, comme c’est le cas en l’espèce de la société Château Calon Ségur, de déroger notamment à l’article L. 133-23 du même code, l’article 12.2 Validation des ordres des conditions générales du contrat BNP Net Évolution dispose que :

« toute consultation ou instruction émise dans le cadre des solutions de sécurité de l’alinéa précédent [avec une carte Transfert sécurisé] est réputée de façon irréfragable émaner du client lui-même où l’un de ses mandataires. Le client est donc seul responsable des éventuelles consultations ou manipulations frauduleuses réalisées à l’aide du service » (pièce no 17 de l’intimée).

De même, les conditions générales du contrat EBICS T prévoient à l’annexe Validation des fichiers que :

§ 1.1. « La carte Transfert sécurisé permet l’identification et l’authentification de son détenteur et, dans la limite des autorisations qui lui été conférées par le client et des fonctionnalités souscrites par ce dernier, la validation dématérialisée des services bancaires énumérés au(x) bordereau(x) de souscription.

« La validation effectuée en ligne par carte Transfert sécurisé est réalisée, remise par remise par la saisie du code confidentiel qui lui est associé. »

§ 2.2. « Au titre de l’utilisation de ces moyens, le client est seul responsable de la conservation, de l’utilisation et de la sécurité des cartes Transfert sécurisé et des certificats électroniques ;

« Le client est également responsable des conséquences de la divulgation ou de l’utilisation des codes confidentiels qui y sont attachés par des tiers non autorisés et en conséquence dégage la banque de toute responsabilité en cas d’utilisation non autorisée ou frauduleuse des cartes Transfert sécurisé et/ou des certificats électroniques » (pièce no 14 de l’intimée).

En l’espèce, les ordres de paiement litigieux ont été réalisés par la société Château Calon Ségur, via sa carte Transfert sécurisé, sur la base d’un relevé d’identité bancaire qui lui avait été fourni par [I] [U], dans une lettre précisant que les règlements devaient être faits directement à une société d’affacturage roumaine dénommée RCS International S. R. L. (pièces nos 7 et 9 de l’intimée).

Or, l’article L. 133-21, alinéas 1 et 2, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l’espèce, dispose :

« Un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique.

« Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement. »

Ainsi, les ordres de payement litigieux au format EBICS ont été adressés et validés par [K] [R] à l’aide de sa carte Transfert sécurisé, conformément au contrat EBICS et aux conditions particulières du bordereau de souscription aux contrat BNP Paribas Net Évolution et EBICS T, aux termes desquelles la société Château Calon Ségur avait souscrit le service optionnel « Remise virements internationaux ». Nonobstant l’indication dans les ordres de virement de la SERAP comme bénéficiaire, il n’est pas soutenu que lesdits ordres n’aient pas été exécutés conformément à la référence bancaire indiquée. Le plafond applicable aux remises de virements réalisées par fichiers informatiques à la norme EBICS a été respecté. Dans ces circonstances, la cour ne peut que constater que la société BNP Paribas a honoré ses obligation de conservation des fonds et de restitution, sans que la société déposante soit fondée en sa demande indemnitaire de ce chef.

Sur la responsabilité de la société BNP Paribas prise en sa qualité de teneur de compte :

Au visa de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier, la société Château Calon Ségur invoque un manquement de la société BNP Paribas à son obligation de vigilance en ce que la banque ne prouve pas qu’elle ait procédé aux vérifications élémentaires qu’appelait l’exécution de virements internationaux réalisés pour des montants importants et inhabituels en faveur d’un compte étranger qui n’était pas précédemment enregistré comme un compte de fournisseur de la société Château Calon Ségur.

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers, en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Or, il résulte de l’article L. 561-19 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-1635 du 1er décembre 2016, que la déclaration de soupçon mentionnée à l’article L. 561-15 est confidentielle et qu’il est interdit de divulguer l’existence et le contenu d’une déclaration faite auprès du service mentionné à l’article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l’auteur de l’une des opérations mentionnées à l’article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l’article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l’article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l’application de l’article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l’article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d’autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

Il s’en déduit que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier (Com., 28 avr. 2004, no 02-15.054 ; 21 sept. 2022, no 21-12.335).

Le jugement querellé sera confirmé en ce qu’il déboute la société Château Calon Ségur de ses demandes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelante en supportera donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, la société Château Calon Ségur sera condamnée à payer à la société BNP Paribas la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

LA COUR,

PAR CES MOTIFS,

DÉCLARE la société Château Calon Ségur recevable en sa demande ;

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement en ce qu’il condamne la société Château Calon Ségur à payer à la société BNP Paribas la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la société Château Calon Ségur à payer à la société BNP Paribas la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONFIRME toutes les autres dispositions non contraires ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Château Calon Ségur aux dépens d’appel ;

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER


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