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8 décembre 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
20/00095
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 DECEMBRE 2022
N° RG 20/00095
N° Portalis DBV3-V-B7E-TV4J
AFFAIRE :
SAS TALLIS CONSULTING
C/
[E] [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 décembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F 17/03262
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe DEBRAY
Me Delphine RICARD
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SAS TALLIS CONSULTING
N° SIRET : 433 581 550
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Ariane SCHUMAN-DREYFUS de la SELARL BUREAU D’ETUDES JURIDIQUES PEYRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS et Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
APPELANTE
****************
Monsieur [E], [G] [V]
né le 18 février 1976 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Delphine RICARD de l’AARPI VATIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R280
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier placé lors des débats : Madame Virginie BARCZUK
Rappel des faits constants
La société Tallis Consulting, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le conseil pour les affaires et la gestion. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.
M. [E] [V], né le 18 février 1976, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 9 mars 2010, en qualité de senior manager.
En dernier lieu, M. [V] occupait les fonctions de « principal » et dirigeait une équipe de dix consultants moyennant une rémunération comprenant une partie fixe et une partie variable, cette dernière composée notamment d’une prime annuelle.
En janvier 2015, la société Tallis Consulting a présenté à ses salariés un plan d’évolution de leur organisation, impliquant que la part variable de leur rémunération serait désormais assise sur la marge générée et non plus sur le chiffre d’affaires.
M. [V] a démissionné par courrier du 30 janvier 2017.
Estimant que son contrat de travail n’avait pas été respecté, tant en ce qui concerne le versement de ses primes annuelles, que la mise en ‘uvre de sa clause de non-concurrence, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre, par requête reçue au greffe le 30 octobre 2017.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 2 décembre 2019, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– condamné la société Tallis Consulting à verser au titre de la rémunération variable pour 2015 et 2016 incluant les congés payés pour ladite période les montants indiqués conformément au relevé de décision en annexe (sic),
– débouté M. [V] de sa demande concernant le dossier Banque Postale,
– condamné la société Tallis Consulting au paiement de la clause de non-concurrence pour un montant de 19 000 euros,
– débouté M. [V] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamné la société Tallis Consulting aux entiers dépens,
– condamné la société Tallis Consulting au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 1 200 euros,
– débouté les parties de leurs autres demandes.
M. [V] avait présenté les demandes suivantes :
– ordonner à la société Tallis Consulting la communication des éléments permettant le calcul de la prime de démarrage sur le projet de la Banque Postale,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser :
à titre principal,
. 18 837 euros à titre de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2015,
. 1 883,70 euros au titre des congés payés afférents,
. 19 054 euros à titre de rappel de salaires au titre de la prime pour l’année 2016,
. 1 905,40 euros au titre des congés payés afférents,
à titre subsidiaire,
. 15 208 euros de rappel de salaires au titre de la prime pour l’année 2015,
. 1 520 euros au titre des congés payés afférents,
. 15 113 euros de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2016,
. 1 511,30 euros au titre des congés payés afférents,
. 13 500 euros de rappel de salaires au titre de la prime de démarrage sur le projet de la Banque Postale,
. 1 350 euros au titre des congés payés afférents,
. 19 000 euros de rappel de salaires au titre de l’indemnité de non-concurrence,
. 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile,
– assortir le paiement de ces sommes de l’intérêt légal commençant à courir à compter de la saisine s’agissant des rappels de salaires et à compter du prononcé du jugement s’agissant des dommages-intérêts,
– entiers dépens.
La société Tallis Consulting avait quant à elle conclu au débouté de M. [V] et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure d’appel
La société Tallis Consulting a interjeté appel du jugement par déclaration du 9 janvier 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/00095.
Par ordonnance rendue le 12 octobre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 20 octobre 2022.
Prétentions de la société Tallis Consulting, appelante
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Tallis Consulting demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande de rappel de primes concernant le dossier Banque Postale et de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,
et statuant à nouveau,
– débouter M. [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire, sur le rappel de primes annuelles uniquement,
– porter le rappel de primes à la somme de 4 000 euros en application des modalités de calcul de l’avenant de 2014 et des données de la cause.
La société appelante sollicite en outre à titre accessoire une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de M. [V], intimé
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 11 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [V] demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
. condamné la société Tallis Consulting sur le principe à lui verser un rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour les années 2015 et 2016 ainsi que les congés payés afférents,
. condamné la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 19 000 euros de rappel de salaires au titre de l’indemnité de non-concurrence,
. condamné la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement en ce qu’il :
. a omis de statuer sur le quantum du rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2015 et 2016 ainsi que les congés payés afférents,
. l’a débouté de sa demande de rappel de salaires pour le projet de la Banque Postale,
. l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
en conséquence,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser :
. à titre principal, la somme de 18 837 euros de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2015 ainsi que 1 883,70 euros au titre des congés payés afférents, et la somme de 19 054 euros de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2016 ainsi que 1 905,40 euros au titre des congés payés afférents,
. à titre subsidiaire, la somme de 15 208 euros de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2015, ainsi que 1 520 euros au titre des congés payés afférents, et la somme de 15 113 euros de rappel de salaires au titre de la prime annuelle pour l’année 2016 ainsi que 1 511,30 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 13 500 euros à titre de rappel de salaires au titre de la prime de démarrage sur le projet de la Banque Postale ainsi que 1 350 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 19 000 euros de rappel de salaires au titre de l’indemnité de non-concurrence,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
y ajoutant,
– condamner la société Tallis Consulting à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
– assortir le paiement de ces sommes de l’intérêt légal commençant à courir à compter de la saisine s’agissant des rappels de salaires, ou à défaut du 16 octobre 2017, date à laquelle la société a été mise en demeure de régler ces sommes, et à compter du prononcé du jugement s’agissant des dommages-intérêts,
– condamner la société Tallis Consulting aux entiers dépens.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur la rémunération variable
M. [V] considère que sa prime annuelle ne lui a pas été intégralement versée pour les années 2015 et 2016. Il soutient qu’aucun avenant n’a été régularisé pour entériner le changement de système de rémunération variable intervenu au sein de la société en 2015, que ce nouveau système lui est défavorable et qu’il ne dépendait plus de la performance des salariés mais reposait sur des éléments dépendants de la volonté de la société, de sorte que seul l’ancien système doit lui être appliqué.
Il sollicite que le jugement soit confirmé en ce qu’il a condamné la société Tallis Consulting à lui verser cette rémunération variable, néanmoins, il demande à la cour de statuer sur le quantum de la condamnation, ce que le conseil de prud’hommes de Nanterre a omis de faire, selon lui, par suite d’une erreur matérielle.
La société Tallis Consulting considère la demande de rappel de primes infondée et soutient que seuls les objectifs ont été révisés dans le respect des prévisions contractuelles de l’avenant de 2014, que M. [V] a accepté ses objectifs 2015, que le fait que M. [V] continue à nier qu’il ne s’agissait que d’appliquer l’avenant de 2014 revient à refuser d’appliquer l’avenant de 2014 et donc à se contredire puisqu’il conclut par ailleurs que les dispositions de cet avenant sont les seules applicables au litige.
Elle soutient encore qu’elle pouvait modifier le système de rémunération variable prévu par l’avenant de 2014 sans l’accord de M. [V] au regard des stipulations de l’avenant, que le nouveau système de prime variable ne repose pas sur des éléments dépendant de sa volonté mais des objectifs contrôlables et contrôlés par le salarié.
Sur ce, il est rappelé que la rémunération contractuelle, qu’elle soit fixe ou variable, est un élément essentiel du contrat qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié.
Le contrat de travail de M. [V] précise, concernant sa rémunération :
« Article 3 ‘ Rémunération
Le salarié perçoit une rémunération composée d’une partie fixe et d’une partie variable, qui fait l’objet d’un avenant « contrat de rémunération » qui complète ce contrat »
(pièce 1 du salarié).
Plusieurs avenants sur la rémunération variable de M. [V] ont été conclus en application de son contrat de travail en 2009, 2012 et 2014.
Les parties s’accordent sur le fait que le dernier avenant sur la rémunération variable a été conclu le 4 avril 2014 à effet au 1er janvier 2014 et prévoyait une rémunération variable sur objectifs en fonction du chiffre d’affaires généré par les ventes de projets (pièce 4 du salarié).
La société Tallis Consulting explique qu’en janvier 2015, elle a présenté à M. [V] et à ses collègues « principal » une évolution de leur organisation en business units induisant une modification de la part variable de leur rémunération, assise sur des objectifs 2015 désormais exprimés en marge générée sur le chiffre d’affaires réalisé, en remplacement d’objectifs 2014 exprimés en chiffre d’affaires généré par les ventes de projets (CAV).
Compte tenu des explications données par les parties, il sera retenu que ce nouveau système de bonus annuel adossé à un objectif de marge dégagée à partir des comptes d’exploitation de chaque salarié exerçant les fonctions de « principal », appelés comptes de résultats opérationnels (CRO), et non de leur chiffre d’affaires, constitue une modification du système de rémunération variable du salarié qui nécessitait son accord.
En effet, ce nouveau mode de rémunération était assis sur la marge brute générée, soit un objectif qualitatif, et non plus sur le chiffre d’affaires, correspondant à un objectif quantitatif, ce qui constitue un changement d’assiette et donc de mode de rémunération variable.
Si, comme le soutient l’employeur, celui-ci peut, sous certaines conditions, réviser les objectifs du salarié, quand bien même cette modification aurait une incidence sur sa rémunération variable, telle n’est pas la situation de l’espèce puisque la modification porte ici sur l’assiette de la rémunération variable et non uniquement sur les objectifs assignés.
Par ailleurs, l’acceptation de la modification du contrat de travail ne peut se déduire de la seule mise en ‘uvre du nouveau système par l’employeur sans protestation du salarié et doit en principe être matérialisée par la signature d’un avenant au contrat de travail, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
Enfin, le fait que l’employeur prétende que cette modification avantage le salarié, à supposer ce fait établi, ce qui n’est pas le cas ici, n’est pas de nature à le dispenser de recueillir son accord exprès.
Dans ces conditions, le nouveau système de rémunération variable n’était pas opposable au salarié.
Il est constant que lorsqu’il existe un litige entre l’employeur et le salarié sur la rémunération variable, le juge peut en déterminer le montant en fonction des stipulations d’avenants conclus les années précédentes, de l’application qui en a été faite antérieurement, à défaut, des données de la cause.
Conformément à la demande de M. [V], il convient de déterminer le montant de ses primes annuelles 2015 et 2016 sur la base des stipulations de l’avenant du 4 avril 2014 et de l’application qui en a été faite.
L’avenant conclu le 4 avril 2014 prévoyait une rémunération variable sur objectifs en fonction du chiffre d’affaires généré par les ventes de projets, dans les termes suivants :
« b) une prime annuelle
La prime annuelle récompense l’atteinte de l’objectif de chiffre d’affaire vendu (CAV) individuel affecté au salarié.
Elle sera versée après l’évaluation annuelle du salarié, qui aura lieu début 2015.
1. Règles d’attribution du CAV
A chaque participation à une vente, le salarié se verra affecter un pourcentage du CA généré par le projet vendu. Ce pourcentage sera déterminé par le rôle qu’a joué le salarié lors de la vente de la mission.
Le cumul de ce CAV sera calculé sur l’année civile, de janvier à décembre.
Règles de calcul du CAV :
– le CAP (chiffre d’affaires produit par le salarié) ne peut être considéré comme entrant dans le calcul du CAV.
– Pour être comptabilisé comme CAV, le projet devra générer une marge commerciale brute supérieure à 30%.
– Le CAV généré par la vente d’un projet pour le compte d’un autre cabinet sera intégré à hauteur du CA facturé par la société au titre de l’apport d’affaire.
Le calcul de la marge commerciale brute est effectué comme suit :
((CA – (( salaires fixes mensuels + primes) *2) + frais)/ CA
2. Objectifs de CAV
L’objectif de CAV du salarié pour l’année 2014 est de 1 200 000 euros (un million deux cent mille euros).
3. Montant de la prime
L’enveloppe de cette prime se monte à 35 000 euros pour l’année 2014.
Cette enveloppe pourra être augmentée ou diminuée en fonction des critères suivants :
– objectif de CAV partiellement atteint
– objectif de CAV dépassé
– chiffre d’affaires annuel de la société en dessous ou au-dessus des objectifs annoncés
– note qualité non atteinte (selon le référentiel qualité défini dans le document de support aux évaluations annuelles)
Le salarié ne devra pas être en préavis au moment de l’évaluation annuelle. »
(pièce 4 du salarié).
La société Tallis Consulting a produit les CRO de M. [V] pour les années 2015 et 2016 (ses pièces 11 et 12), lesquels font apparaître :
– pour l’année 2015, un dépassement de l’objectif de 1 200 000 euros de + 474 400 euros,
– pour l’année 2016, un dépassement de l’objectif de 1 200 000 euros de + 619 000 euros.
M. [V] ayant dépassé l’objectif fixé de 1 200 000 euros, il est en droit de percevoir l’intégralité de l’enveloppe de 35 000 euros prévue par l’avenant. Cependant, au vu de ses bulletins de salaires pour les années 2015 et 2016, il a déjà perçu 30 000 euros de prime annuelle au titre de l’année 2015 et 34 000 euros au titre de l’année 2016, ce qu’il convient de prendre en compte dans le calcul des sommes restant à lui revenir.
L’avenant prévoit en outre une augmentation de la prime ainsi qu’il résulte des règles d’attribution rappelées précédemment.
Au regard des éléments en présence, il sera retenu que le chiffre d’affaires figurant dans les CRO est bien le chiffre d’affaires du périmètre du salarié, constituant l’assiette de sa rémunération variable. En toute hypothèse, la société ne produit aucun autre document utile permettant de déterminer l’assiette de cette majoration, étant rappelé qu’en cas de litige sur le paiement de la partie variable de la rémunération, lorsque son calcul dépend d’éléments détenus par l’employeur, c’est à celui-ci qu’il appartient de les produire en vue d’une discussion contradictoire.
Compte tenu des paramètres à prendre en compte tels qu’ils sont définis par l’avenant de 2014, du taux de 2,92% correspondant au rapport entre l’objectif (1 200 000 euros) et la prime (35 000 euros) proposé par M. [V] et conforme aux pratiques de la société, dès lors qu’il est démontré que l’employeur corrélait le montant du bonus principalement au niveau du CAV et des CAV réalisés tels qu’ils ont été indiqués par la société elle-même, il convient de retenir une différence entre les sommes versées et les sommes dues à M. [V] de 18 837 euros pour l’année 2015 et de 19 054 euros pour l’année 2016, selon le tableau établi par le salarié, page 29 de ses conclusions, que la cour adopte.
Pour contester ce résultat, la société Tallis Consulting fait d’abord valoir que M. [V] a modifié le système de rémunération défini en 2014 qu’il prétend appliquer ou transposer au soutien de ses demandes, qu’il comptabilise abusivement dans son CAV un fantaisiste « chiffre d’affaires vendu groupe » qui n’entre pas dans la définition du CAV, ainsi qu’un « CA groupe » issu de ses CRO, qu’il échoue donc dans sa démonstration de calcul du CAV.
La cour observe cependant à ce sujet que l’employeur se limite à remettre en cause le calcul proposé par le salarié, sans proposer son propre calcul et sans expliciter en quoi le calcul du salarié serait inexact, celui-ci apparaissant au contraire cohérent au regard des données de la cause. Il ne démontre notamment pas la prise en compte abusive d’un chiffre d’affaires vendu groupe ou d’un CA groupe.
La société Tallis Consulting soutient également que M. [V] ne pouvait prétendre à une quelconque prime en raison de sa décroissance en 2015 et 2016, ce que le salarié dément fermement, prétendant au contraire avoir montré des performances excellentes.
La cour retient ici qu’en toute hypothèse, ce critère est inopérant comme n’ayant pas été prévu par l’avenant de 2014, ni mis en ‘uvre antérieurement.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a « condamné la société Tallis Consulting à verser au titre de la rémunération variable pour 2015 et 2016 incluant les congés payés pour ladite période les montants indiqués conformément au relevé de décision en annexe », fixer les montants des condamnations.
Statuant à nouveau sur ces demandes, la société Tallis Consulting sera condamnée à verser à M. [V] au titre des primes annuelles les sommes suivantes :
– 18 837 euros pour l’année 2015,
– 1 883,70 euros au titre des congés payés afférents,
– 19 054 euros pour l’année 2016
– 1 905,40 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la prime au titre du projet pour la Banque Postale
M. [V] revendique le bénéfice d’un complément de prime d’accroissement (appelée par les parties prime de démarrage) pour le projet NEO de la Banque Postale, qui, selon lui, ne lui a été versée que partiellement, sur la base d’un seul consultant au lieu de dix, tandis que la société Tallis Consulting s’oppose à cette demande.
L’avenant de 2014 énonce à ce titre : « Prime d’accroissement
Cette prime d’un montant de 1 500 euros (mille cinq cents euros) peut être versée dans le cadre de l’accroissement du nombre de consultants facturés dans le périmètre du salarié pour le compte de la société.
L’accroissement est calculé en delta par rapport au nombre de consultants facturés le plus élevé de l’année civile en cours (de janvier à décembre).
Conditions de versement :
– le projet devra générer une marge commerciale brute supérieure à 30%
– le consultant devra être facturé sur le projet durant trois mois consécutifs.
Le calcul de la marge commerciale brute est effectué comme suit :
((CA – (( salaires fixes + primes) *2) + frais)/ CA »
Concernant le projet NEO de la Banque Postale, les parties expliquent qu’au mois de septembre 2016, M. [W], business manager et responsable du compte de la Banque Postale chez Tallis a répondu à un appel d’offre sur un projet de création de banque en ligne, le programme NEO, que pour proposer un accompagnement global du projet, M. [W] a positionné le cabinet sur les 5 lots du programme et composé une équipe d’experts pour rédiger les propositions, que M. [V] a été chargé de coordonner le projet et de rédiger la proposition pour le lot 3, qui a été en définitive perdu.
La société Tallis Consulting précise que, compte tenu du travail de coordination que M. [V] avait fourni en octobre, elle a décidé de lui accorder une prime exceptionnelle de 1 500 euros (correspondant à un consultant facturé, à savoir M. [K] [I]). Elle s’oppose à l’attribution d’une prime d’un montant supérieur, soutenant que M. [W] était le gestionnaire principal de la réponse à appel d’offre tandis que M. [V] en assurait uniquement la coordination, ce rôle ne permettant pas d’être éligible à une prime d’accroissement.
Les courriels échangés en vue de la mise en place du projet, produits tant pas le salarié que par l’employeur, lesquels s’accordent sur les circonstances de traitement du dossier, montrent que M. [W] était en effet le gestionnaire principal du projet, que M. [Z] était l’un des deux associés superviseur de ce projet et que M. [V] en était le coordonnateur.
La société Tallis Consulting verse aux débats le tableau de suivi de la mission NEO pour le Banque Postale, lequel n’est pas utilement remis en cause par M. [V] (sa pièce 82).
Ce tableau permet d’identifier les consultants affectés à chaque lot et fait apparaître que M. [V] a perdu le lot 3 et n’est donc pas « contributeur » c’est-à-dire susceptible de percevoir la prime revendiquée.
Au vu des éléments en présence, il sera retenu que M. [V] ne remplissait pas les conditions pour être éligible à cette prime.
Il sera dès lors débouté de sa demande par confirmation du jugement entrepris.
Sur la clause de non-concurrence
Le contrat de travail liant les parties contient une clause de non-concurrence rédigée dans les termes suivants :
« ARTICLE 16 – Clause de non-concurrence
Compte tenu de la spécificité du poste occupé par le salarié, pendant les douze (12) mois qui suivent la date de cessation du présent contrat, quel que soit le motif de cette cessation, le salarié s’interdit, sauf accord préalable entre les parties, de s’intéresser, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit (salarié, non salarié, entreprise personnelle, associé, mandataire social, etc, voire commanditaire) à toute affaire créée ou en voie de création susceptible de faire concurrence à la société.
Cette interdiction s’applique au territoire sur lequel le salarié a exercé ses fonctions.
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, le salarié percevra pendant les douze mois (12) suivant son départ, une indemnité mensuelle forfaitaire égale à 20% de la moyenne du salaire fixe brut perçu par lui au cours des trois derniers mois de présence dans la société. Cette contrepartie, soumise à cotisations sociales, sera versée mensuellement durant toute la durée d’application de la clause.
En cas de violation de la clause, la société sera libérée du versement de cette contrepartie et le salarié sera redevable au titre de la présente clause pénale envers la société du versement de ce qu’il aurait pu percevoir au titre de la contrepartie financière.
Au moment de la résiliation du présent contrat, la société se réserve la faculté de renoncer à l’application de cette clause de non-concurrence, formulée par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard dans les quinze jours de la notification de la rupture. »
M. [V] prétend que la société Tallis Consulting a levé tardivement la clause de non-concurrence, de sorte que cette renonciation lui est inopposable.
La société Tallis Consulting conteste la tardiveté de sa renonciation et soutient que la demande de M. [V] ne peut, en tout état de cause, prospérer dès lors qu’il n’a pas respecté son obligation de non-concurrence.
Sur la renonciation à la clause de non-concurrence
Selon les dispositions contractuelles rappelées ci-dessus, l’employeur devait exercer son droit à renonciation dans les conditions suivantes : « Au moment de la résiliation du présent contrat, la société se réserve la faculté de renoncer à l’application de cette clause de non-concurrence, formulée par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard dans les quinze jours de la notification de la rupture ».
Or, en l’espèce, M. [V] a démissionné le 30 janvier 2017 (sa pièce 5) et l’employeur a fait connaître qu’il entendait lever la clause, par courrier du 4 avril 2017 (pièce 6 du salarié).
Dans ces conditions, la levée étant intervenue plus de quinze jours après la notification de la rupture du contrat de travail, celle-ci doit être considérée comme tardive et donc inopposable au salarié.
La circonstance invoquée par l’employeur, selon laquelle la levée est intervenue avant que le salarié ne quitte ses fonctions le 28 avril 2017, est en effet inopérante au regard des stipulations contractuelles.
Sur le respect de l’obligation de non-concurrence
Il est constant qu’un salarié ne peut prétendre au paiement de l’indemnité de non-concurrence que pour la période pendant laquelle il a respecté son obligation de non-concurrence.
Il est rappelé que la clause de non-concurrence liant M. [V] lui interdisait « de s’intéresser, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit (salarié, non salarié, entreprise personnelle, associé, mandataire social, etc, voire commanditaire) à toute affaire créée ou en voie de création susceptible de faire concurrence à la société. »
Au regard du profil Linkedin du salarié (pièce 17 de l’employeur), il est établi, et au demeurant non contesté par M. [V], que celui-ci a rejoint le cabinet KPMG en mai 2017, soit dès son départ de la société Tallis Consulting intervenu le 28 avril 2017.
La société KPMG se présente comme le « leader de l’audit et du conseil en France » (pièce 42 de l’employeur) et M. [V] exerce, au sein de cette entreprise, les fonctions de directeur conseil en charge d’études et de projets de transformation digitale, des projets d’amélioration de la performance et du potentiel, avec un focus sur le secteur financier, selon ce qu’il indique sur son profil Linkedin (pièce 17 de l’employeur).
Ces nouvelles fonctions apparaissent similaires aux anciennes fonctions exercées chez Tallis Consulting, de sorte qu’elle doivent être considérées comme relevant d’une activité concurrente.
L’argument de M. [V], selon lequel il n’a jamais participé à aucune mission susceptible de faire concurrence à la société, ni n’est jamais entré en contact avec les clients qui faisaient partie de son périmètre après son départ de Tallis est inopérant dès lors qu’il n’est pas nécessaire qu’un contrat ait été conclu pour caractériser la violation de la clause.
De surcroît, l’employeur rapporte la preuve qu’un ancien client de M. [V], Arval Service, l’a contacté afin de poursuivre avec KPMG, la mission qui lui avait été confiée et qui était suivie par M. [V], laissant présumer une intervention de l’ancien salarié. Il produit à ce titre un courriel de M. [Z], directeur associé de la société Tallis Consulting adressé le 19 mai 2017 à Mme [C] de la société Arval, en ces termes : « Chère Mme [C], je fais suite à notre échange téléphonique mardi dernier, au cours duquel vous m’exposiez la demande de notre cliente de contractualiser avec KPMG, afin de faire intervenir [E] [V] sur la suite de l’intervention qu’il menait pour notre cabinet. Après échange avec [F] [Y], je vous confirme qu’il est difficile pour nous d’autoriser ce type de pratiques, en créant notamment un précédent. D’autre part, [E] [V], comme tous nos salariés, a signé dans son contrat de travail une clause lui interdisant expressément de collaborer avec un client sur lequel il avait été affecté durant les six derniers mois précédant la rupture de son contrat de travail. ». Il sera retenu que ce courriel révèle, à tout le moins, que le salarié pouvait travailler pour le même client au titre de la même mission dans les deux sociétés, ce qui accrédite le fait que les activités étaient concurrentes.
De même, l’argument de M. [V] selon lequel il a quitté un cabinet d’audit dont la convention collective est celle des experts-comptables, et non la Syntec comme chez KPMG, ce qui implique un positionnement différent des deux entreprises, n’est pas de nature à démontrer qu’il a respecté son obligation de non-concurrence.
Ainsi, il se déduit de ces éléments que M. [V] n’a pas respecté son obligation de non-concurrence.
M. [V] a d’ailleurs écrit à d’anciens collègues et supérieurs de la société Tallis Consulting à l’occasion de son départ, un courriel daté du 28 avril 2017, dans les termes suivants : « Chers tous, c’est mon dernier jour chez Square et je tenais à tous vous remercier pour ces sept années riches et animées ! J’ai eu le plaisir de travailler sur plusieurs projets & business avec chacun d’entre vous et j’ai toujours apprécié le professionnalisme et l’efficacité de l’équipe de direction Square. Je pars pour de nouvelles aventures, pas très loin, et nous aurons l’occasion de nous recroiser dans ce « petit monde » qu’est le conseil… Merci à tous et une très bonne continuation. » (pièce 15 de l’employeur).
Le salarié intimé sera débouté de cette demande, par infirmation du jugement dont appel.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
M. [V] fait valoir, à l’appui de sa demande tendant à l’allocation d’une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts sur ce fondement, qu’il s’est investi dans les missions qui lui étaient confiées, comme le démontre le dépassement de ses objectifs, que pourtant, la société ne lui a jamais rémunéré cet investissement comme elle s’y était engagée contractuellement. Il ajoute que la société a fait application d’une clause de non-concurrence sans la lui rémunérer, et l’a délibérément entravé dans son activité professionnelle à l’issue du contrat de travail sans le moindre dédommagement. Il allègue qu’il a été contraint de recourir à un prêt personnel de 10 000 euros remboursable sur 4 ans pour changer la chaudière de son domicile, ce qu’il aurait pu éviter si sa rémunération variable lui avait été versée.
I l est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
M. [V] ne démontre toutefois par aucune pièce utile que la société aurait fait application d’une clause de non-concurrence sans la lui rémunérer, en l’entravant dans son activité professionnelle à l’issue du contrat de travail sans le moindre dédommagement, la version contraire ayant été retenue précédemment.
Par ailleurs, pour justifier du prêt allégué, il ne produit qu’un contrat de crédit non signé émanant de la société Franfinance ne mentionnant pas l’objet financé et un courriel de l’organisme de crédit annonçant un déblocage de fonds sur son compte bancaire sans indication du montant, ces documents imprécis étant insusceptible de justifier du préjudice allégué (sa pièce 16).
Dès lors, M. [V] ne démontre pas avoir subi, du fait du non-paiement dans son intégralité de sa rémunération variable, un préjudice distinct de celui déjà réparé par les intérêts moratoires alloués.
Ainsi que le soutient la société Tallis Consulting, le salarié ne justifie donc ni d’un comportement fautif de l’employeur, ni d’un préjudice distinct susceptible de commander l’octroi de dommages-intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail.
M. [V] doit dès lors être débouté de sa demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les intérêts moratoires
Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur.
Les condamnations prononcées à titre de rappels de primes annuelles 2015 et 2016, de nature salariale, produisent intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2017, date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
La société Tallis Consulting, tenue à paiement, supportera les dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à M. [V] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 800 euros.
La société Tallis Consulting sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 2 décembre 2019, excepté en ce qu’il a :
– débouté M. [V] de sa demande concernant le dossier Banque Postale,
– débouté M. [V] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– condamné la société Tallis Consulting aux entiers dépens,
– condamné la société Tallis Consulting au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 1 200 euros,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS Tallis Consulting à payer à M. [E] [V] à titre de rappels de primes annuelles les sommes suivantes :
– 18 837 euros pour l’année 2015,
– 1 883,70 euros au titre des congés payés afférents,
– 19 054 euros pour l’année 2016,
– 1 905,40 euros au titre des congés payés afférents,
DÉBOUTE M. [E] [V] de sa demande présentée au titre du paiement de la contrepartie de la clause de non-concurrence,
CONDAMNE la SAS Tallis Consulting à payer à M. [E] [V] les intérêts de retard au taux légal sur les sommes dues au titre des rappels de primes annuelles 2015 et 2016, de nature salariale, à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation soit le 22 décembre 2017,
CONDAMNE la SAS Tallis Consulting au paiement des entiers dépens,
CONDAMNE la SAS Tallis Consulting à payer à M. [E] [V] une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS Tallis Consulting de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine BOLTEAU-SERRE, président, et par Mme Virginie BARCZUK, greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER placé, LE PRÉSIDENT,