19 janvier 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
19/10402
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 19 JANVIER 2023
N° 2023/10
Rôle N° RG 19/10402 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEQBU
[X] [O] [H] épouse [M]
C/
SA CARREFOUR BANQUE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pierre-Yves IMPERATORE
Me Daniel LAMBERT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 21 Mars 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 16/07697.
APPELANTE
Madame [X] [O] [H] épouse [M]
née le [Date naissance 3] 1941 à [Localité 5] (93),
demeurant [Adresse 4]. [Adresse 6]
représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SA CARREFOUR BANQUE, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Daniel LAMBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Pierre-Jean LAMBERT, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Françoise PETEL, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Françoise PETEL, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023
Signé par Madame Valérie GERARD, Première Présidente de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Selon offre préalable signée le 30 janvier 2009, la Société des Paiements Pass, aux droits de laquelle vient la SA Carrefour Banque, a consenti à M. [L] [M] et Mme [X] [H] un prêt personnel d’un montant de 30.000 euros, au taux de 7,62 % l’an, remboursable en 84 mensualités.
Les époux [T] ayant cessé tout règlement, l’établissement prêteur les a mis en demeure de régulariser la situation et, à défaut, a prononcé la déchéance du terme par courriers recommandés du 11 octobre 2013.
Suivant acte du 24 mars 2014, la SA Carrefour Banque a fait assigner M. [L] [M] et Mme [X] [H] en paiement devant le tribunal d’instance de Fréjus, lequel s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Draguignan.
Par jugement du 21 mars 2019, ce tribunal a :
‘ prononcé l’annulation du contrat de prêt souscrit par M. [L] [M] auprès de la société SPP le 30 janvier 2009,
‘ condamné M. [L] [M] à restituer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP la somme de 12.212,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 24 mars 2014,
‘ condamné Mme [X] [H] épouse [M] à payer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP in solidum avec M. [L] [M] à concurrence du montant de la condamnation prononcée contre ce dernier, la somme de 21.042,66 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 7,62 % l’an à compter des mises en demeure du 11 octobre 2013,
‘ déclaré irrecevable la demande à titre de dommages et intérêts des époux [M] pour manquement au devoir de conseil et de mise en garde de la banque,
‘ condamné M. [L] [M] et Mme [X] [H] épouse [M] in solidum à payer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ rejeté la demande des époux [M] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné M. [L] [M] et Mme [X] [H] épouse [M] in solidum aux dépens,
‘ ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Suivant déclaration du 27 juin 2019, M. [L] [M] et Mme [X] [H] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs conclusions notifiées et déposées le 27 septembre 2019, les appelants demandaient à la cour de :
‘ déclarer recevable et bien fondé l’appel formé par eux à l’encontre de la décision rendue par le tribunal de grande instance de Draguignan,
y faisant droit,
‘ infirmer la décision entreprise en toutes dispositions, à savoir en ce qu’elle :
‘ a rejeté la demande de nullité de Mme [X] [H] épouse [M],
‘ a condamné M. [L] [M] à restituer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP la somme de 12.212,74 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 24 mars 2014,
‘ a condamné Mme [X] [H] épouse [M] à payer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP in solidum avec M. [L] [M] à concurrence du montant de la condamnation prononcée contre ce dernier, la somme de 21.042,66 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 7,62 % l’an à compter des mises en demeure du 11 octobre 2013,
‘ a déclaré irrecevable leur demande à titre de dommages-intérêts pour manquement au devoir de conseil et de mise en garde de la banque,
‘ les a condamnés in solidum à payer à la SA Carrefour Banque venant aux droits de la société SPP la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ a rejeté leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
‘ les a condamnés in solidum aux dépens,
statuant à nouveau,
‘ prononcer la nullité du contrat de prêt du 30 janvier 2009 conclu entre eux et la SA Carrefour Banque,
‘ prononcer la nullité de la stipulation d’intérêts incluse dans ledit prêt ainsi que de toutes les autres stipulations contractuelles,
en conséquence,
‘ remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la souscription du crédit,
‘ constater le défaut de conseil et de mise en garde de la SA Carrefour Banque à leur égard,
‘ condamner la SA Carrefour Banque à leur payer la somme de 15.000 euros au titre de la perte de chance de ne pas avoir contracté,
‘ ordonner la compensation des éventuelles créances réciproques,
en tout état de cause,
‘ condamner la SA Carrefour Banque à leur payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel distraits au profit de la SELARL Lexavoue Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
Par conclusions notifiées et déposées le 27 novembre 2019, la SA Carrefour Banque demandait à la cour de :
‘ débouter les époux [M] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
‘ confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
y ajoutant,
‘ condamner les époux [M] à lui payer une indemnité de 1.000 euros en cause d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamner les époux [M] aux dépens.
M. [L] [M] est décédé le [Date décès 2] 2021.
Par une ordonnance du 28 avril 2022, le magistrat de la mise en état a, notamment, ordonné la disjonction de l’instance concernant les ayants-droits de M. [L] [M] de celle concernant Mme [X] [H], et rappelé que l’instance est interrompue en ce qui concerne les ayants-droits de M. [L] [M] jusqu’à leur mise en cause ou leur intervention volontaire.
Les parties n’ayant pas repris d’écritures, les conclusions, auxquelles il est expressément référé en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, sont celles précitées du 27 septembre 2019 en ce qui concerne Mme [X] [H] et du 27 novembre 2019 pour la SA Carrefour Banque.
MOTIFS
Sur la nullité du contrat de prêt :
L’appelante sollicite, au visa des articles 1108 et suivants anciens, 414-1 du code civil, la nullité du contrat souscrit le 30 janvier 2009, au motif qu’il n’a pu valablement se former en raison de l’absence de consentement, du fait de l’insanité d’esprit, retenue à juste titre par le tribunal, de M. [L] [M] qui n’était pas capable de discernement au moment de la conclusion du crédit litigieux.
Elle soutient qu’il s’agit évidemment d’une nullité d’ordre public de protection du patrimoine de l’insane d’esprit, que l’annulation frappe le prêt en son entier, en ce compris l’obligation souscrite par l’épouse de ce dernier, afin que celui-ci ne risque aucune poursuite sur ses biens, risque qu’il encourrait si l’engagement du conjoint co-emprunteur était maintenu.
La SA Carrefour Banque réplique que l’appelante est irrecevable en sa demande d’annulation du contrat souscrit le 30 janvier 2009, qu’en effet, ce n’est que le 14 mars 2017 qu’elle a présenté cette demande, que, si le délai de prescription n’a pas couru à l’égard de M. [L] [M] comme l’a jugé le tribunal, tel n’est pas le cas en ce qui concerne Mme [X] [H].
Elle fait valoir, au visa des articles 1304 ancien et 2224 du code civil, que cette dernière, alors même qu’elle signait le contrat de prêt, ne pouvait ignorer l’état d’insanité de son époux qu’elle invoque par ailleurs en soutenant que les troubles mentaux et l’absence de discernement de son conjoint auraient débuté dès l’année 2001, qu’en conséquence, le délai dont elle disposait pour agir a expiré le 30 janvier 2014, qu’en outre, l’exception de nullité ne peut jouer en l’espèce, le contrat ayant reçu un large commencement d’exécution puisque les quarante premières échéances ont été payées.
Sur ce, contrairement à ce que prétend l’appelante, la nullité fondée sur les dispositions de l’article 414-1 du code civil, par nature liée à la personnalité de l’intéressé, qui à défaut de faire l’objet d’une mesure de protection est d’ailleurs seul susceptible d’engager l’action aux termes de l’article 414-2, ne saurait s’étendre à son cocontractant, fut-il son épouse.
Cette nullité, soulevée par voie d’exception, est, s’agissant d’un contrat de prêt ayant partiellement reçu exécution, susceptible de prescription, le point de départ du délai de cinq ans se situant, en application des dispositions de l’article 2224 du code civil, à la date à laquelle le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettent de l’exercer.
Or, Mme [X] [H], qui ne soutient pas même que son propre consentement aurait été affecté d’un quelconque vice, se contente d’invoquer comme fondement de sa demande l’état de santé de son époux, cosignataire de l’acte, lors de la souscription du crédit du 30 janvier 2009, dont elle ne conteste nullement, mais au contraire revendique, avoir eu connaissance, en se prévalant d’ailleurs de documents médicaux dont il résulte que M. [L] [M] présentait, depuis septembre 2001, des troubles, correspondant à un processus dégénératif organique cérébral responsable d’une démence, qui ne lui permettaient pas de comprendre la portée de son engagement.
Ainsi, lorsqu’elle a, le 14 mars 2017, pris des écritures aux fins de nullité du contrat, la prescription quinquennale était acquise depuis le 30 janvier 2014.
Le jugement est donc confirmé en ce que, considérant que l’appelante était irrecevable à se prévaloir de la nullité de son engagement, il l’a condamnée à payer à la SA Carrefour Banque la somme en principal de 21.042,66 euros.
Sur la responsabilité de l’établissement prêteur :
Faisant valoir qu’elle a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, Mme [X] [H] sollicite la condamnation de l’intimée au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi consistant en la perte de chance de ne pas avoir contracté le prêt litigieux.
Elle expose que l’absence d’indication des charges pesant sur les emprunteurs dans la fiche de renseignements produite par le prêteur révèle la négligence de ce dernier.
La SA Carrefour Banque soulève l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts de l’appelante au motif qu’elle a été invoquée, pour la première fois, devant le tribunal par conclusions du 14 mars 2017, et qu’elle est prescrite depuis le 30 janvier 2014, conformément à l’article 2224 du code civil.
Sur le fond, l’intimée, indiquant rappeler à toutes fins utiles le devoir de loyauté auquel est astreint l’emprunteur, soutient qu’aucune faute ne peut en l’espèce lui être reprochée, que les époux [T] ont renseigné, lors de la souscription du contrat de prêt, une fiche intitulée « Point Budget », que, eu égard à ces informations dont l’exactitude a été certifiée sur l’honneur, la charge mensuelle de l’emprunt, soit 512,55 euros, n’était pas de nature à obérer leur situation financière.
Sur ce, en vertu des dispositions déjà évoquées de l’article 2224 du code civil, le point de départ du délai de cinq ans en ce qui concerne l’action en responsabilité à l’encontre du prêteur est, non pas la date du contrat de prêt, mais le jour où l’emprunteur a été en mesure d’appréhender son incapacité à faire face aux engagements en résultant.
Au vu des pièces versées aux débats, il apparaît que, si des échéances ont précédemment été réglées avec retard, le premier incident de paiement non régularisé se situe en juillet 2012.
Dès lors, le 14 mars 2017, la prescription quinquennale n’était pas acquise, et Mme [X] [H] n’a pas lieu d’être déclarée irrecevable en son action.
Ceci étant, il est d’abord rappelé que, en raison de son devoir de non-immixtion, l’établissement prêteur ne saurait être tenu d’une obligation de conseil, sauf le cas où il a un rôle actif dans l’élaboration de l’opération financée, ce qui n’est pas même allégué en l’espèce.
S’agissant du devoir de mise en garde, l’organisme dispensateur de crédit peut en être débiteur envers le souscripteur du prêt à la double condition que celui-ci soit un emprunteur non averti, et qu’il existe, au regard de ses capacités financières, un risque d’endettement né de l’octroi du crédit.
La qualité d’emprunteuse non avertie de l’appelante n’est pas contestée.
Mais, il ne peut qu’être constaté que cette dernière ne produit aucun élément de nature à justifier que le prêt accordé, pour des remboursements à hauteur de 512,55 euros par mois, était alors inadapté à ses capacités financières et susceptible de créer un risque d’endettement, quand il ressort en outre de la fiche annexée au contrat du 30 janvier 2009, versée aux débats par la SA Carrefour Banque, qu’elle et son époux percevaient des revenus mensuels de 6.700 euros et avaient une charge mensuelle de 1.122 euros au titre des impôts sur le revenu.
Dans ces conditions, l’intimée, qui était en droit de se fier aux déclarations des emprunteurs et à laquelle Mme [X] [H] ne saurait sérieusement reprocher de ne pas s’être interrogée sur d’éventuelles omissions de leur part et l’exactitude, alors certifiée, des renseignements donnés, n’était en l’espèce tenue d’aucune obligation de mise en garde.
L’appelante est donc déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme, en ce qui concerne Mme [X] [H], le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable sa demande à titre de dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil et de mise en garde de la banque,
L’infirme de ce chef, et statuant à nouveau,
Déclare Mme [X] [H] recevable en sa demande de dommages et intérêts,
L’en déboute,
Y ajoutant,
Condamne Mme [X] [H] à payer à la SA Carrefour Banque la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT