Prêt entre particuliers : 20 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02210

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Prêt entre particuliers : 20 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02210

20 juin 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG
21/02210

N° RG 21/02210 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K37R

C1

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 20 JUIN 2023

Appel d’un Jugement (N° R.G. 17/00845)

rendu par le Tribunal judiciaire de Vienne

en date du 25 février 2021

suivant déclaration d’appel du 12 mai 2021

APPELANTS :

Mme [L] [K] épouse [I]

de nationalité Française

Chez Me Christophe NEYRET [Adresse 3]

[Localité 4]

M. [A] [I]

né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 10]

de nationalité Française

Chez Me Christophe NEYRET [Adresse 3]

[Localité 4]

S.C.I. DE ROMAIN prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 9]

représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et ayant pour avocat plaidant Me Christophe NEYRET de la SELARL CHRISTOPHE NEYRET AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

Me [X] [S]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 9]

représenté par Me Olivier DORNE de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE plaidant par Me Cyrielle DELBE, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Mme Catherine Clerc, présidente,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 2 mai 2023, Madame Lamoine, conseiller, a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

******

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur [A] [I] animait plusieurs structures spécialisées dans la fabrication et la commercialisation d’articles de santé dont une société HECOSTOP, pour lesquelles il a souhaité faire édifier un bâtiment industriel.

Il a ainsi créé, avec son épouse Mme [L] [K], la SCI DE ROMAIN à laquelle la SA FINAMUR a consenti, par acte du 24 octobre 2008, un crédit-bail immobilier pour une durée de 12 années, portant sur un tènement à usage industriel situé à [Localité 9].

La société HECOSTOP ayant connu des difficultés, elle n’a plus honoré ses loyers commerciaux et a été placée en liquidation judiciaire.

La SCI DE ROMAIN n’étant, dès lors, plus en mesure de faire face aux loyers du crédit-bail immobilier à compter du 2 ème semestre 2012, elle s’est vu délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire par la crédit-bailleresse.

Les parties au contrat de crédit-bail se sont alors rapprochées, et la SCI de ROMAIN a décidé de procéder à la levée d’option anticipée en s’engageant à acquérir le bien immobilier.

C’est dans ces conditions que, par deux actes notariés en date du 23 septembre 2014 reçus dans les locaux de la SCP de notaires [E] à [Localité 4] (69), la SCI ROMAIN a :

d’une part levé l’option en acquérant le bien immobilier pour le prix de 455’240,46 € TTC, par acte reçu par Me [X] [S], notaire à [Localité 9] (38), avec la participation de Me [G], notaire du cabinet [E],

d’autre part revendu celui-ci à une SCI JEFAN pour le prix de 732 000 € TTC, dont 122 000 € au titre de la TVA, par acte reçu par Me [W] [U], notaire associé à [Localité 7] (38), avec la participation de Me [X] [S], notaire assistant la venderesse.

Dans l’acte de vente par la SCI ROMAIN à la SCI JEFAN reçu par Me [U], il était mentionné, sous l’intitulé « Déclarations Fiscales Impôt sur la plus-value », que : « le représentant de la société venderesse déclare sous sa responsabilité que la présente mutation n’entre pas dans le champ d’application du CGI relative aux plus-values immobilières des particuliers. Le vendeur déclare en effet :

qu’il satisfait à l’engagement de revendre dans les 5 ans aux termes de l’acte de levée d’option de ce jour. Les bénéfices qu’il réalise par la présente constituent pour l’IR le caractère de BIC. (…) En conséquence aucune déclaration de plus-value ne devra être déposée lors de l’application du présent acte ».

Dans l’intervalle, Me [S] avait, par un courrier du 22 septembre 2014, informé la SCI ROMAIN que le montant de la plus-value immobilière pouvait être corrigé en tenant compte d’un montant de TVA résiduel, pour laquelle il avait réclamé une attestation à l’expert-comptable de la SCI, le cabinet FIDUCIAL, demande restée sans réponse.

Le 3 octobre 2014, Me [S] a écrit au cabinet FIDUCIAL en réclamant à nouveau les documents nécessaires, demande accompagnée d’un règlement des factures impayées de ce cabinet prélevé sur le prix de vente avec l’accord de sa cliente.

Le 7 octobre 2014, Me [S] a établi un acte rectificatif de vente mentionnant que la déclaration ci dessus rappelée de l’acte de vente du 23 septembre 2014 relative à l’absence d’imposition au titre de la plus-value était erronée, et qu’il convenait de la remplacer par une mention prévoyant une déclaration de plus-value dès lors que le montant net taxable de cette dernière dépassait 50 000 €.

Me [S] a donc établi et fait souscrire à la SCI ROMAIN, le 7 octobre 2014, une déclaration de plus-value des particuliers sur les cessions d’immeubles ou de droits immobiliers, et versé à ce titre à l’administration fiscale pour le compte de sa cliente une somme de 67 195 €.

Par un courrier postal recommandé en date du 28 novembre 2014 (pièce n° 9 de Me [S]) suivi d’échanges par voie postale puis électronique, Me [S] a, au nom de la SCI ROMAIN, a demandé à l’administration fiscale que soit revu le calcul figurant dans la déclaration de plus-value du 7 octobre susvisée, pour que soit pris en compte, au titre du prix d’acquisition, le prix de la levée d’option majorée des loyers de crédit-bail payés par cette dernière sans dépassement de la valeur du bien à la date de conclusion du contrat en application d’un rescrit fiscal du 6 septembre 2005, en faisant valoir :

que la SCI ROMAIN allait être doublement imposée en ce que, par le mode de financement initial de l’acquisition du bien, elle devait s’acquitter d’un impôt au titre des plus-values professionnelles lors de la levée d’option,

que, dès lors, cela revenait à inclure dans l’assiette de la taxe, la fraction de plus-value dégagée uniquement en raison du choix du mode de financement,

que par conséquent il convenait d’ajouter le montant des loyers acquittés au prix de la levée d’option au titre de la valeur du bien acquis dans la déclaration de plus-value.

L’administration fiscale a fait droit à la demande de restitution, après avoir procédé à un contrôle fiscal de la SCI ROMAIN à partir du 5 juin 2015, conduisant à une taxation sur la plus-value professionnelle, qui avait été déclarée par la SCI mais non taxée ; après de nombreux échanges de courriers par voie postale et électronique, la somme de 67 195 € réglée au titre de l’impôt sur les plus-values a été restituée par l’administration au contribuable au mois de février 2017.

Par acte du 1er juin 2017, la SCI ROMAIN, ainsi que les époux [I], ont assigné Me [S] devant le tribunal de grande instance de Vienne pour :

voir dire que la responsabilité professionnelle de Me [S] est engagée pour fautes commises dans le cadre de sa mission,

le voir condamner à régler, à titre de dommages-intérêts, avec exécution provisoire et capitalisation des intérêts :

1/ à la SCI ROMAIN les sommes de :

25 000 € pour perte de chance de ne pas disposer des fonds à temps,

6 000 € au titre de la taxe foncière, ainsi que les intérêts à hauteur de 6 281,81 € à titre de dommages-intérêts,

962 € correspondant aux majorations de TVA,

2 871 € correspondant aux pénalités supplémentaires,

2/ aux époux [I] les sommes de :

4 000 € en remboursement des majorations de retard,

200 000 € en réparation de leur préjudice moral,

3 000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

3/ à M. [I] la somme de :

3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 25 février 2021, le tribunal judiciaire de Vienne a :

débouté la SCI ROMAIN et les époux [I] de l’intégralité de leurs demandes,

dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Me [S],

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

condamné in solidum la SCI ROMAIN et les époux [I] aux dépens.

Par déclaration au greffe en date du 12 mai 2021, la SCI ROMAIN et les époux [I] ont interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions récapitulatives n° 2 notifiées le 27 mars 2023, ils demandent la réformation du jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté la demande de Me [S] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, et réitèrent leurs demandes principales formées en première instance sauf en ce qui concerne le montant réclamé au titre de la taxe foncière, à savoir :

la reconnaissance de la responsabilité de Me [S] pour fautes dans le cadre de sa mission,

sa condamnation à leur payer, à titre de dommages-intérêts et avec capitalisation des intérêts :

1/ à la SCI ROMAIN les sommes de :

25 000 € pour perte de chance de ne pas disposer des fonds à temps,

10 000 € au titre de la taxe foncière, ainsi que les intérêts à hauteur de 6 281,81 € à titre de dommages-intérêts,

962 € correspondant aux majorations de TVA,

2 871 € correspondant aux pénalités supplémentaires,

2/ aux époux [I] les sommes de :

4 000 € en remboursement des majorations de retard,

200 000 € en réparation de leur préjudice moral,

Ils portent néanmoins à 5 000 € leur demande de dommages-intérêts pour résistance abusive, et à 5 000 € celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir :

que l’obligation de conseil du notaire comporte les incidences fiscales des opérations auxquelles il a apporté son concours,

que le notaire est tenu d’informer son client sur les incidences fiscales des actes qu’il a reçus ainsi que de s’assurer de leur validité et leur efficacité, et que sa responsabilité est susceptible d’être retenue même en présence d’une incertitude juridique à propos de laquelle il n’a pas pris les précautions suffisantes,

qu’en tant que rédacteur d’un acte, il est censé apprécier les risques et les enjeux des problèmes fiscaux de chaque opération immobilière ce que Me [S] n’a pas fait en l’espèce,

qu’en effet, il est acquis que l’acte de vente rectificatif et la déclaration de plus-value établis par lui le 7 octobre 2014 étaient erronés, ce qui a conduit au paiement d’une imposition non due, la somme correspondante n’ayant été restituée au contribuable que près de deux ans et demi plus tard,

que la première lettre de réclamation de Me [S] du 28 novembre 2014 était erronée quant au régime fiscal applicable et ne pouvait donc aboutir,

que ce n’est, en effet, qu’à partir du 5 juin 2015 que l’administration fiscale, a, dans le cadre de la vérification de la comptabilité de la SCI ROMAIN pour les années 2013 et 2014, a constaté que la plus-value avait bien été déclarée par cette dernière à titre professionnel mais n’avais pas été taxée, ce qui excluait l’application d’une taxe sur la plus-value des particuliers,

qu’outre cette erreur, Me [S] a encore failli à sa mission en ne communiquant pas, malgré de nombreux rappels, les éléments réclamés par l’administration fiscale, ce qui a conduit au retard considérable qu’ils ont subi quant à la restitution des sommes indues,

que, s’agissant de la taxe foncière, Me [S] a encore manqué de diligence dans les réclamations nécessaires au compte de régularisation avec la société FINAMUR, et donc à la restitution du trop-perçu,

que les époux [I] ont, en tant que seuls associés de la SCI ROMAIN, subi un préjudice consécutif par le manque de la somme de 67 195 € dans le patrimoine de cette dernière pendant plus de deux années,

qu’ils ont ainsi subi une réclamation concernant leurs impôts sur le revenu qu’ils n’ont pas été capables de régler, avec une majoration totale de 4 000 €,

que, de même, ils ont été mis dans l’impossibilité de régler les mensualités de financement leur maison d’habitation, et ont fait l’objet d’un commandement de payer valant saisie immobilière est une assignation à une orientation d’orientation fixée le 5 septembre 2017.

Me [S], par conclusions récapitulatives d’intimé notifiées le 2 mars 2023, demande la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, et réclame à ce titre la condamnation in solidum de la SCI ROMAIN et des époux [I] à lui payer les sommes de :

3 000 € au titre de ses frais irrépétibles exposés en première instance,

5 000 € au titre de l’instance d’appel.

Il fait valoir :

que la responsabilité civile d’un notaire repose sur la preuve d’une faute, et qu’il n’est débiteur à cet égard, tant quant à son devoir de conseil que comme rédacteur d’un acte, que d’une obligation de moyens,

que la Cour de cassation a ainsi jugé (notamment Cass 3è civ., 2 oct 2002, n° 01.03-295) que cette obligation ne saurait excéder ce qui est raisonnable et suffisant compte-tenu des circonstances dans lesquelles l’officier public intervient, mais également des données de fait portées à sa connaissance,

qu’en l’espèce, deux régimes fiscaux avaient vocation à s’appliquer successivement s’agissant de la plus-value réalisée,

qu’en effet, lors de la levée d’option, l’activité de sous-location de la SCI, qui était jusqu’alors preneuse à bail des locaux auprès de la société FINAMUR, s’est transformée en une location directe, de sorte que les revenus de son activité de loueur quittent alors la catégorie des BNC pour entrer dans celle des revenus fonciers, devant donner lieu à la constatation d’une plus-value professionnelle,

mais que ce régime a cessé dès la revente du bien le même jour puisque la SCI, ne possédant plus l’immeuble, elle redevenait un particulier et non plus un professionnel,

qu’ainsi, c’est par une mauvaise appréciation des textes que tant le tribunal que l’administration fiscale ont considéré que l’acte rectificatif et la déclaration de plus-value des particuliers établis par son étude le 7 octobre 2014 étaient erronés,

qu’en toute hypothèse, il faut rappeler que son étude avait sollicité à plusieurs reprises le cabinet comptable de la SCI ROMAIN afin d’obtenir les renseignements nécessaires à la régularisation de la vente, mais que, dans la mesure où la SCI n’honorait plus ses facturations, le cabinet FIDUCIAL ne lui avait transmis aucune des informations demandées,

que ce n’est qu’après la vente et en prélevant le montant des honoraires en souffrance sur le prix de cette vente que le cabinet FIDUCIAL lui a fourni les renseignements nécessaires en lui indiquant que la vente relevait d’une déclaration de plus-value des particuliers,

qu’il n’est, par ailleurs, démontré aucun faute de sa part dans le délai qu’a nécessité la restitution de l’impôt indu,

qu’au contraire il s’est montré particulièrement diligent et a accompli les démarches utiles, en formant rapidement un recours amiable en vue de la restitution des sommes versées à tort,

qu’il a fourni toutes les informations et pièces dont il disposait quand elles lui étaient réclamées,

que ce n’est que le 8 juillet 2015 qu’après le contrôle engagé par elle, l’administration fiscale a établi et adressé à la SCI ROMAIN une proposition de rectification,

que suite à cela, son étude a, à plusieurs reprises, relancé l’administration afin que la somme soit restituée,

qu’il était informé par courriel du 23 novembre 2016 que la décision devait être prise par la Direction à [Localité 8], compte-tenu du montant de la réclamation.

S’agissant de la demande au titre de la taxe foncière, il soutient qu’il a fait, là encore, preuve de toutes les diligences nécessaires.

Il précise à ce titre :

que la SCI ROMAIN s’était engagée auprès de la société FINAMUR, dans le cadre de leurs discussions transactionnelles, à prendre en charge la totalité de la taxe foncière réglée par cette dernière pour l’année en cours,

qu’une régularisation devait intervenir en fonction d’une provision déjà versée,

qu’alors qu’il avait sollicité à plusieurs reprises le notaire de la société FINAMUR, en particulier en janvier puis février 2016 pour obtenir la copie du rôle de mise en recouvrement, en vain, il lui a été indiqué par courriel du 15 février 2016 qu’un règlement d’ajustement avait été effectué par la société FINAMUR dès le 2 mars 2015,

que, dès lors, tant les griefs que le préjudice invoqué à ce titre sont inexistants.

Enfin, il fait valoir qu’ainsi que l’a retenu le tribunal, aucun des préjudices invoqués n’est indemnisable, que les époux [I] ne sauraient se voir indemniser du retard dans le paiement de leurs impôts sur le revenu ; il en est de même du remboursement d’un prêt personnel pour leur maison d’habitation et a fortiori d’un prétendu préjudice moral, les appelants ne pouvant raisonnablement soutenir que le défaut de remboursement de ce prêt, qui leur était personnel, serait résulté de l’absence, dans le patrimoine de la SCI, de la somme de 67 195 € correspondant à l’imposition versée à tort, étant souligné que les difficultés de la SCI remontaient à plus de deux années lors de la passation des actes du 23 septembre 2014.

L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 4 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes principales

# sur les demandes relatives à la taxation de plus-value

Si l’obligation de conseil du notaire comporte certes les incidences fiscales des opérations auxquelles il a apporté son concours, et qu’en tant que rédacteur d’un acte il est censé en assurer la validité et l’efficacité, ces obligations doivent être appréciées au regard des éléments dont il dispose au moment de la rédaction de l’acte, ou qu’il était en mesure d’obtenir des parties à l’acte ou encore de tiers en temps utile pour en tenir compte dans la rédaction de l’acte litigieux.

Cette obligation est donc une obligation de moyens qui doit être appréciée au regard des circonstances de la cause.

En l’espèce, il ressort de la chronologie ci-dessus rappelée et des pièces produites par les parties que :

la SCI ROMAIN se trouvait dans une situation d’urgence, en l’état de la liquidation judiciaire de sa seule locataire la société HECOSTOP et du défaut de paiement des loyers corrélatifs, situation l’ayant conduite elle-même à suspendre le paiement des loyers de crédit-bail à partir du deuxième semestre 2012 selon ses propres écritures,

la solution trouvée avec sa bailleresse de levée anticipée de l’option d’achat supposait une revente concomitante du bien immobilier, sous peine, à défaut, de ne pouvoir s’acquitter du prix prévu pour cette levée d’option,

les termes des courriers de Me [S] d’une part à la SCI ROMAIN en date du 22 septembre 2014, d’autre part au cabinet comptable de cette dernière en date du 3 octobre 2014, dont le contenu n’est pas discuté par la partie adverse, montrent que le notaire assistant la SCI venderesse ne disposait, faute de règlement par cette dernière des honoraires dus à son expert-comptable, d’aucun document comptable efficient de nature à lui permettre d’apprécier pleinement la situation fiscale de sa cliente, devenue venderesse dès après avoir levé l’option du crédit-bail immobilier, ce qui constituait une situation complexe notamment quant aux règles relatives à la taxation sur les plus-values,

ainsi, ce n’est que le 3 octobre 2014 et donc après la conclusion de la vente litigieuse à la SCI JEFAN, et parce qu’il assortissait sa demande de renseignements du règlement des factures d’honoraires restés en souffrance par prélèvement sur le prix de vente, que Me [S] a pu réclamer utilement au cabinet FIDUCIAL, expert-comptable de sa cliente, diverses pièces comptables relatives notamment à la TVA,

ce n’est, en outre, que dans le cadre du contrôle mis en oeuvre par l’administration fiscale à partir du 5 juin 2015, qu’il est apparu que la SCI ROMAIN avait, ainsi qu’il ressort du mail adressé par Mme [Y] de l’Inspection des Finances Publiques à l’étude de Me [S] le 21 avril 2016, régulièrement déclaré la plus-value à titre professionnel mais que celle-ci n’avait, jusqu’à ce contrôle, pas été taxée,

c’est, toujours aux termes du mail de Mme [Y], cette dernière circonstance, et elle seule, qui a permis de conclure à une absence de taxation au titre de la plus-value des particuliers puisqu’une plus-value professionnelle avait été déclarée et était désormais taxée.

Il en résulte qu’en l’état des éléments dont il disposait alors, l’erreur commise par Me [S] en faisant souscrire à sa cliente une déclaration de plus-value des particuliers quelques jours après la vente et alors qu’il ne pouvait matériellement disposer d’aucun élément comptable pertinent ne peut être qualifiée de fautive, mais relève au contraire d’une attitude prudente compte-tenu de la différence très importante entre le prix de la levée d’option et celui de la revente à la SCI JEFAN, de nature à éviter à sa cliente l’éventuelle application de pénalités, sauf à exercer un recours postérieur ce qu’il a d’ailleurs fait.

Sur ce second point, il convient de relever qu’au vu des éléments dont il disposait, et sur les observations que la société FIDUCIAL expert comptable de la SCI ROMAIN venaient de lui transmettre le 21 octobre 2021, Me [S] a, dès le 28 novembre 2014, adressé une réclamation amiable à l’administration fiscale basée sur les éléments qu’il venait de recevoir, laquelle, si elle portait sur le mode de calcul du prix d’acquisition en tendant à y voir intégrer les loyers de crédit bail déjà réglés et non pas sur l’existence d’une imposition au titre de la plus-value professionnelle, a induit le contrôle fiscal opéré, lui-même mettant en évidence l’existence d’une déclaration de plus-value professionnelle finalement taxée, ce qui a permis de valider le principe de la restitution de l’imposition réglée à tort au titre de la plus-value des particuliers.

Sur le délai écoulé pour obtenir la restitution effective de l’indu, et les fautes imputées à Me [S] de ce chef, les pièces du dossier révèlent que :

ainsi qu’il a été rappelé plus haut, ce n’est que suite au contrôle de l’administration fiscale initié en juin 2015 qu’a été mise en évidence l’existence d’une déclaration de plus-value professionnelle finalement taxée,

après deux relances de l’étude de Me [S] des 15 février puis 30 mars 2016 ayant suivi des échanges téléphoniques dont il ressortait que l’imposition réglée au titre des particuliers n’était pas due, Mme [Y], inspectrice du centre des Finances publiques de [Localité 5] a adressé le 21 avril 2016 un courriel à Mme [P] collaboratrice de Me [S] en lui indiquant qu’après annulation de la réclamation initiale comme ne portant pas sur les bons arguments, il convenait d’en former une nouvelle en reprenant l’historique à savoir l’absence de déclaration de plus-value initiale, l’acte rectificatif avec dépôt d’une déclaration de plus-value des particuliers, enfin l’intervention du Pôle de Contrôle et d’expertise de son administration ayant révélé que la plus-value avait été déclarée à titre professionnel par la SCI et entraîné sa taxation à ce titre,

elle précisait aussi dans ce courriel que la réclamation, portant sur une somme supérieure à 60’000 €, allait être traitée par la Direction de son administration à [Localité 8],

certes l’étude de Me [S] n’a pas tout de suite répondu à ce courrier ; cependant sur relance de M. [I], une nouvelle réclamation reprenant les éléments historiques demandés par l’administration était formée par l’étude notariale par lettre du 13 septembre 2016, et sur la réponse de l’administration l’informant de l’absence de certains éléments, Me [S] y répondait en joignant le complément dès le 5 octobre 2016,

après une nouvelle relance de Me [S] du 21 novembre 2016, l’administration lui répondait le 23 novembre que le dossier avait été adressé à la Direction le 7 octobre pour prise de décision.

Il en ressort que, si la somme de 67 195 € indûment versée n’a finalement été restituée à la SCI ROMAIN que courant février 2017, il n’est pas démontré que la longueur de ce délai soit résultée d’une carence ou d’une négligence de Me [S], la SCI ROMAIN, qui réclame à ce titre la somme de 25 000 € au titre d’une perte de chance de ne pas disposer des fonds à temps, ne justifiant au demeurant pas la réalité d’un préjudice à ce titre alors même que, ne possédant plus l’immeuble qu’elle venait de revendre et sur le prix duquel elle disposait d’un reliquat puisque le prix versé par la SCI JEFAN était de 732 000 € tandis qu’elle-même avait dû débourser seulement 455’240,46 € au titre de la levée d’option, elle n’avait a priori plus de charges à supporter.

# sur les demandes relatives à la restitution de la quote-part de la taxe foncière

Il ressort de l’acte de levée anticipée de l’option passé le 23 septembre 2014 entre la société FINAMUR et la SCI ROMAIN, que cette dernière devait à la crédit-bailleresse une provision de 15 300 € sur la taxe foncière 2014.

Les appelants reprochent à Me [S] d’avoir tardé à réclamer à son confrère, notaire de la société FINAMUR, les pièces justificatives en particulier la copie du rôle de mise en recouvrement de cette taxe à partir du 1er janvier 2015, de manière à pouvoir établir le compte définitif du montant dû par elle à ce titre et récupérer le solde sur la provision versée.

Or, Me [S] verse aux débats un échange de courriels entre lui-même et son confrère Me [E] en date des 8 janvier et 15 février 2016 (ses pièces n° 12 et 13), aux termes desquels Me [E] indique à son confrère que sa cliente FINAMUR a régularisé la situation dès le 2 mars 2015 auprès de la SCI ROMAIN en lui adressant un chèque de 1 130,64 €.

La SCI ROMAIN, qui ne conteste pas expressément, dans ses conclusions la réalité de ce règlement ainsi que son objet, est donc mal fondée à reprocher à Me [S] un retard à réclamer une régularisation et un règlement dont elle avait bénéficié d’ores et déjà bénéficié dès le 3ème mois de l’année suivant la vente.

S’il ressort de courriels postérieurs échelonnés entre le 3 mars 2017 et le 4 avril 2017 que M. [I] réclamait aussi à la société FINAMUR la copie du rôle de mise en recouvrement de cette taxe afin d’en facturer le montant à la SCI JEFAN nouvelle propriétaire, aucun document n’est produit pour justifier que la SCI ROMAIN se soit adressée, à ce moment-là, à Me [S] pour lui demander d’intervenir en ce sens, les courriels ainsi échangés l’étant uniquement entre la SCI ROMAIN et le Crédit Agricole service ‘Leasing et Factoring’.

C’est donc à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de la SCI ROMAIN et des époux [I] reposant sur une faute de Me [S] à ce titre.

# sur les majorations et pénalités au titre de la TVA

La SCI ROMAIN réclame la condamnation de Me [S] à lui payer de dommages-intérêts à hauteur de 962 € correspondant aux majorations de retard et 2 871 € correspondant aux pénalités mises à sa charge au titre de la TVA, en faisant valoir que, si elle avait pu récupérer en temps utile les sommes qui lui revenaient, elle aurait réglé à temps les sommes dues et ne serait pas tenue à des majorations de retard.

Dès lors qu’il n’est établi aucune faute de Me [S] ni quant à la taxation de la plus-value et au délai pour la restitution de la somme indue à ce titre, ni s’agissant de la régularisation de la taxe foncière ainsi qu’il a été développé aux paragraphes précédents, la SCI ROMAIN ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’une faute de Me [S] directement à l’origine du préjudice qu’elle invoque.

En outre, il ressort des pièces produites, en particulier de la proposition de rectification de l’administration fiscale en date du 8 juillet 2015, que la réclamation au titre de la TVA à hauteur de 20 933€, sur laquelle ces majorations et pénalités sont assises, fait suite au contrôle opéré par le Pôle de contrôle et d’expertise de l’administration fiscale courant 2015, faisant apparaître un défaut de déclaration de TVA pour les mois de juillet 2013 à décembre 2014 soit sur une période en majeure partie antérieure à la passation des actes du 23 septembre 2014.

L’origine du paiement tardif des droits, et donc des pénalités subséquentes, réside donc dans un défaut de déclaration imputable à la personne morale, et non pas dans le paiement indû de la somme de 67 195 € au titre de la plus-value ni dans le délai écoulé pour sa restitution.

Le tribunal a donc justement rejeté cette demande.

# sur les demandes de dommages-intérêts formées par les époux [I]

Les époux [I] réclament tout d’abord condamnation de Me [S] à leur payer la somme de 4 000 € à titre de dommages-intérêts au titre de majorations de retard concernant leur impôt sur le revenu, consécutives selon eux au délai de trente mois écoulé entre le paiement de la somme de 67 195 € et la date de sa restitution, délai qu’ils imputent à Me [S].

Or, ainsi qu’il vient d’être développé, aucune faute n’est établie à l’encontre de Me [S] s’agissant du paiement indu de la somme de 67 195 € et du délai écoulé entre ce paiement et sa restitution, étant souligné qu’au vu des pièces produites, une partie des majorations réclamées repose sur des prélèvements sociaux impayés au titre de l’année 2012, donc bien antérieurs aux actes du 23 septembre 2014 et à la déclaration de plus-value litigieuse.

L’obligation de Me [S] au paiement de dommages-intérêts à ce titre n’est donc pas justifiée.

Il en est de même de la demande de dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral, motivée, selon les époux [I], par la procédure de saisie immobilière dont fait l’objet leur résidence familiale.

Le tribunal a, en effet, justement relevé sur ce point qu’en produisant uniquement les pièces relatives à cette saisie sans précisions sur l’évolution de leur situation financière personnelle, les époux [I] ne rapportaient pas la preuve du lien direct entre d’une part cette saisie, d’autre part le délai écoulé entre le paiement de la somme de 67’195 € à l’administration fiscale et sa restitution par cette dernière, délai au demeurant non imputable à Me [S] ainsi qu’il vient d’être développé, étant rappelé que les difficultés de la SCI ROMAIN préexistaient largement aux actes du 23 septembre 2014 et au paiement indu invoqué puisque selon ses propres écritures, face à la liquidation judiciaire de sa sous-locataire la société HECOSTOP, elle n’honorait plus ses propres loyers auprès de la société FINAMUR depuis le dernier semestre 2012 et s’était vu délivrer par cette dernière un commandement de payer visant la clause résolutoire dès le 30 juillet 2013.

C’est donc à bon droit que le tribunal a aussi rejeté les demandes de dommages-intérêts des époux [I].

Sur les demandes accessoires

La SCI ROMAIN et les époux [I], qui succombent en leur appel, devront supporter les dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en leur faveur.

Il est équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Me [S], seulement en ce qui concerne ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré.

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SCI ROMAIN, M. [A] [I] et Mme [L] [K] épouse [I] à payer à Me [X] [S] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Rejette toutes les autres demandes.

Condamne in solidum la SCI ROMAIN, M. [A] [I] et Mme [L] [K] épouse [I] aux dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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