Prêt entre particuliers : 29 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/01990

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Prêt entre particuliers : 29 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/01990

29 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG
22/01990

N° RG 22/01990 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JDI6

COUR D’APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 29 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2021000687

Tribunal de commerce de Dieppe du 22 avril 2022

APPELANTE :

Caisse CREDIT MUTUEL DE [Localité 4]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Marion FAMERY de l’AARPI LHJ AVOCATS AARPI, avocat au barreau du HAVRE

INTIME :

Monsieur [Y] [I]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté et assisté par Me Virginie LE BIHAN de la SELARL NOMOS AVOCATS, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 05 avril 2023 sans opposition des avocats devant M. URBANO, conseiller, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 5 avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 juin 2023 puis prorogée à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Madame FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 25 avril 2018, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a consenti à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines l’ouverture d’un compte courant en ses livres.

Le 10 août 2018, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a accordé un prêt de

15 000 euros au taux effectif global de 10,30% l’an (taux révisable de 8,60% au 10 août 2018) à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines utilisable en découvert sur le compte ouvert en ses livres.

Le même jour, M. [I], gérant de la société concernée, s’est porté caution solidaire de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines à l’égard de la banque dans la limite de 18 000 euros couvrant le montant du principal des intérêts, des pénalités ou intérêts de retard, et ce, sur une durée de 5 ans.

La Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines a été placée en liquidation judiciaire le 20 décembre 2019, la banque a déclaré sa créance le 10 janvier 2020 et la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif le 27 novembre 2020.

Le 5 février 2020, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a mis M. [I] en demeure de régler la somme de 15 027,29 euros au titre du solde débiteur du compte bancaire de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines.

Faute de paiement, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a fait assigner M. [I] devant le tribunal de commerce de Dieppe par acte d’huissier du 10 mai 2021.

Par jugement en date du 22 avril 2022, le tribunal de commerce de Dieppe a :

– jugé que Monsieur [I] n’avait ni la formation nécessaire pour gérer une entreprise, ni la connaissance financière relative aux conséquences de l’engagement d’une caution et désigné Monsieur [I] comme « profane » dans ce domaine,

– jugé que le Crédit Mutuel de [Localité 4], a soutenu abusivement la SAS [K],

– condamné le Crédit Mutuel de [Localité 4] à verser à Monsieur [I] la somme de

1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamné le Crédit Mutuel de [Localité 4] à verser à Monsieur [I] la somme de

1 200 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– jugé que le Crédit Mutuel de [Localité 4] est mal fondé en ses demandes,

– débouté le Crédit Mutuel de [Localité 4] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamné le Crédit Mutuel de [Localité 4] au paiement des frais et dépens de l’instance liquidés à la somme de 60,22 euros conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 14 juin 2022.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS

Vu les conclusions du 13 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] qui demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Dieppe le 22 avril 2018 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– condamner Monsieur [Y] [I] à lui verser la somme de 15 027,29 euros en exécution de son engagement de caution solidaire de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines, avec intérêts au taux contractuel à compter du 5 février 2020 et jusqu’à parfait paiement,

– ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

– condamner Monsieur [Y] [I] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] soutient que :

– les premiers juges ont écarté la demande en paiement formée par la banque alors qu’ils n’avaient été saisis d’aucune demande de nullité du cautionnement ou de disproportion ;

– M. [I] avait une connaissance précise de l’entreprise du fait qu’il y exerçait en tant que commercial depuis 2011 et qu’il était le gendre des cessionnaires de sorte que le rachat de l’entreprise par lui pour 1 euro s’explique par les liens familiaux qu’il entretenait avec eux et qu’il ne peut être considéré comme une personne non avertie ;

– ne pouvait constituer un soutien abusif le crédit consenti par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines alors que cette dernière avait près de 30 ans d’ancienneté et dès lors que les dispositions de l’article L650-1 du code de commerce limitent la mise en cause de la responsabilité des banques ;

– elle conteste toute faute commise à l’égard de M. [I] ;

– dès lors que les premiers juges ont rejeté la demande en paiement formée par la banque et qu’ils ont condamné cette dernière à payer des dommages et intérêts à M. [I] qui n’avait subi qu’une perte de chance de ne pas contracter, ce dernier a bénéficié d’un avantage plus important que la perte de chance qu’il avait subie ;

– la demande en paiement de la banque a été rejetée sans motivation.

Vu les conclusions du 7 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [Y] [I] qui demande à la cour de :

– déclarer la Société coopérative de Crédit Mutuel recevable mais mal fondée en son appel,

– en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de [Localité 4] le 22 avril 2022,

– à titre subsidiaire accorder à Monsieur [I] la somme de 15 047,29 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi consécutivement à la perte de chance de ne pas avoir souscrit avec la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4],

– condamner la Société coopérative de Crédit Mutuel de [Localité 4] à régler à Monsieur [I] la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens exposés en 1ère instance et en cause d’appel selon le terme de l’article 699 du code de procédure civile.

M. [I] soutient que :

– la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] était tenue d’un devoir de mise en garde à son égard alors qu’il était une caution non avertie qui n’avait aucune compétence en matière de gestion ou en matière financière ; il a repris la société le 1er juillet 2018 de M. et Mme [K], ses beaux-parents qui souhaitaient partir à la retraite alors qu’il en était salarié depuis 2011 en qualité de commercial pour la vente de cuisines, salle de bains et dressing et qu’il a racheté leurs parts pour un euro symbolique ; il n’avait qu’une formation de mécanicien agricole auto/poids lourds ;

– la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] n’ignorait pas son parcours professionnel et lui a fait signer en qualité de dirigeant de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines un crédit tout en exigeant sa caution à hauteur de 18 000 euros alors que ses revenus annuels étaient inférieurs à cette somme, le tout étant signé alors que M. [I] n’était dirigeant que depuis un mois ;

– au jour de l’engagement de M. [I], il existait un risque majeur d’endettement né de l’octroi du prêt à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines ;

– la situation financière de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines au jour de l’octroi du crédit était caractérisée par une concurrence accrue, des capitaux propres inférieurs de moitié au capital social, des bilans nets comptables déficitaires depuis 2017 et une position du solde de son compte bancaire qui était débitrice, qui l’est demeurée systématiquement par la suite et qui a dépassé le montant du découvert contractuellement prévu ; sa situation était irrémédiablement compromise ;

– la banque avait déjà consenti un crédit à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines destiné à apurer le montant du découvert antérieur accordé par un autre établissement bancaire ; dès lors, la banque savait que la situation de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines était obérée et elle a commis une faute ;

– subsidiairement, la faute de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a entraîné une perte de chance de ne pas contracter pour M. [I] ;

– la banque a exigé le cautionnement de M. [I] alors que ce dernier lui a indiqué devoir faire face à des mensualités de 900 euros au titre du remboursement d’un prêt personnel outre le remboursement d’un prêt servant à financer son automobile, la banque doit être « déchue à se prévaloir de l’acte de cautionnement ».

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en paiement formée par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] contre M. [I] :

Aux termes de l’article 2288 dans sa version applicable au 10 août 2018, « Celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même. »

Les dispositions de l’article 2299 du code civil dans sa version résultant de l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 qui prévoient que « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier.

A défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci » ne sont applicables qu’aux engagements de caution souscrits à compter du 1er janvier 2022 et non aux engagements antérieurs qui demeurent soumis à la loi ancienne laquelle ne prévoit aucune déchéance.

Par acte sous seing privé du 10 août 2018, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a accordé un prêt de 15 000 euros au taux effectif global de 10,30% l’an à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines utilisable en découvert sur le compte ouvert en ses livres au nom de cette société et le même jour, M. [I], gérant de la société concernée, s’est porté caution solidaire à l’égard de la banque pour un montant de 18 000 euros sur une durée de 5 ans.

Selon les relevés bancaires produits par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4], le solde du compte de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines était débiteur de 15 186,88 euros au 2 janvier 2021.

Il est constant que la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines a été placée en liquidation judiciaire le 20 décembre 2019, que la banque a déclaré sa créance le 10 janvier 2020 à hauteur de 15 027,29 euros et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif le 27 novembre 2020.

Les dispositions de l’article 2299 du code civil n’étant pas applicables au contrat litigieux, M. [I] ne peut soutenir utilement que la faute de la banque « par manquement à son obligation et son devoir de conseil et de mise en garde » justifie qu’elle soit déchue à se prévaloir de l’acte de cautionnement.

M. [I] ne justifiant d’aucune circonstance devant entraîner le rejet de la demande en paiement formée par la banque, et celle- ci justifiant d’une créance de 15 027,29 euros à l’égard de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines et, par voie de conséquence, d’une créance de 15 027,29 euros à l’égard de M. [I], le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté la société Crédit Mutuel de [Localité 4] de toutes ses demandes. M. [I] sera condamné à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de 15 027,29 euros.

Cette somme portera intérêt au taux contractuel à compter du 5 février 2020, date de la mise en demeure. Ces intérêts seront capitalisés dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter du 10 mai 2021, date de l’acte introductif d’instance, dans la limite maximale de l’engagement qui est de 18 000 euros.

Sur le soutien abusif de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] :

L’article L650-1 du code de commerce dispose que « Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Pour le cas où la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge. »

Les dispositions de l’article L. 650-1 du code de commerce régissent, dans le cas où le débiteur fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, les conditions dans lesquelles peut être recherchée la responsabilité d’un créancier en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis du fait des concours consentis. Elles ne s’appliquent pas à l’action en responsabilité engagée contre une banque par une caution non avertie qui lui reproche de ne pas l’avoir mise en garde contre les risques de l’endettement né de l’octroi du prêt qu’elle cautionne, cette action tendant à obtenir, non la réparation d’un préjudice subi du fait du prêt consenti, lequel n’est pas nécessairement fautif, mais celle d’un préjudice de perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a jugé que le Crédit Mutuel de [Localité 4] a soutenu abusivement la SAS [K] et ce moyen sera rejeté.

Sur le devoir de mise en garde de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à l’égard de M. [I] :

Une banque est tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie, c’est à dire de celle qui est dépourvue d’expérience ou de compétence juridique et financière lui permettant de saisir l’étendue de sa garantie, sa nature et l’ampleur des engagements souscrits par le débiteur principal.

Pour invoquer le manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers elle, une caution non avertie doit rapporter la preuve que son engagement n’est pas adapté à ses capacités financières personnelles ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur débiteur principal.

Cette preuve étant rapportée, le prêteur doit démontrer qu’il a satisfait à son devoir de mise en garde. Ce devoir inclut l’obligation de vérifier la solvabilité du candidat au cautionnement afin de s’assurer que le financement de l’opération garantie ne présente pas pour le garant néophyte un risque démesuré au regard du montage financier opéré et des perspectives prévisibles offertes au débiteur principal. Dans l’hypothèse où il le serait, la banque a le devoir de refuser à celui qui consent néanmoins à se porter caution la garantie qu’elle se propose d’apporter. A défaut, elle engage sa responsabilité pour lui avoir fait perdre une chance de ne pas contracter et elle sera tenue d’indemniser la caution par l’octroi de dommages et intérêts.

Pour soutenir que M. [I] était une caution avertie, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] affirme qu’il avait une connaissance précise de l’entreprise en qualité de commercial bénéficiaire d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis l’année 2011, soit sept ans avant qu’il ne reprenne la direction de cette société et qu’il était également le gendre des dirigeants initiaux, ce qui « lui assurait une assise et un soutien de tous les instants dans le cadre de la reprise de l’entreprise ».

Toutefois, pas davantage que la qualité de caution avertie peut être déduite du seul fait que la caution est le dirigeant de la société garantie, la double circonstance que la caution était salariée de la société garantie depuis plusieurs années et liée par alliance aux dirigeants initiaux qui lui ont cédé leurs parts sociales n’est pas suffisante à la qualifier de caution avertie.

En outre, M. [I] allègue que sa formation initiale est celle de mécanicien agricole auto/poids lourds et, à cet égard, il justifie avoir été embauché par contrat de travail du 4 décembre 2020 en qualité de mécanicien pour une société Teragri, spécialisée en matériels agricole ; il justifie également avoir été embauché en qualité de concepteur vendeur de cuisines par la SAS Mobalpa par contrat de travail du 21 janvier 2011 à effet du 1er février 2011 et il verse aux débats des bulletins de paie émis par la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines en qualité d’adjoint au responsable (non cadre) avec une ancienneté remontant du 1er février 2011 ; il justifie enfin qu’il est devenu le seul associé de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines lors d’une assemblée générale ordinaire et extraordinaire du 30 juin 2018 et qu’il est devenu son gérant le même jour.

Il résulte de ces éléments que M. [I], eu égard à sa formation et à son emploi, ne disposait d’aucune compétence ni expérience particulières en matière de gestion d’une entreprise et qu’au jour de la signature du prêt qui a été consenti par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines et de son engagement en qualité de caution, il n’était dirigeant de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines que depuis un mois et dix jours, ce qui était insuffisant pour constituer cette expérience.

Il s’ensuit que M. [I] était une caution non avertie au jour de son engagement.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a jugé que Monsieur [I] n’avait ni la formation nécessaire pour gérer une entreprise, ni la connaissance financière relative aux conséquences de l’engagement d’une caution et désigne Monsieur [I] comme

« profane » dans ce domaine.

M. [I] verse aux débats des relevés bancaires de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines dont il ressort que le dernier solde créditeur du compte de cette dernière a été établi le 15 juin 2018 à hauteur de 67,87 euros puis que ce solde est devenu débiteur à compter du 18 juin 2018, antérieurement à la désignation de M. [I] en qualité de gérant.

De ces mêmes relevés, il ressort qu’au 10 août 2018, jour de l’octroi du prêt et de l’engagement de M. [I], le solde du compte de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines était débiteur de 16 145,57 euros, qu’il n’a plus jamais été créditeur et qu’il a dépassé le plafond de découvert de 15 000 euros à compter du 31 août 2018, soit 21 jours après l’octroi du prêt.

M. [I] verse aux débats un tableau d’amortissement établi par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] le 9 juin 2018 s’agissant d’une offre de prêt de 7 000 euros faite à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines (pièce n° 43) duquel il ressort que la banque avait déjà consenti un prêt bancaire pour permettre à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines de rembourser le montant d’un découvert bancaire auprès d’un précédent établissement bancaire, la Société Générale.

Par ailleurs, il produit le bilan de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines pour l’exercice 2018 dont il ressort une perte de 7 666 euros et que dès l’exercice précédent, la société avait subi une perte de 40 249 euros.

Ces éléments démontrent que la situation financière de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines était déjà obérée depuis plus d’un exercice lors de l’octroi du crédit de 15 000 euros.

En outre, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] produit l’acte de caution rédigé manuscritement par M. [I] auquel est annexé une fiche patrimoniale au nom de ce dernier qui mentionne que :

– il est gérant de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines, que sa rémunération est de 1 700 euros par mois,

– il vit en concubinage,

– il bénéficie, avec sa compagne d’une résidence principale d’une valeur de 180 000 euros pour le financement de laquelle il règle des mensualités de remboursement d’un prêt de 1000 euros dont le capital restant dû s’élevait à 70 000 euros sur huit années.

Les revenus de sa compagne et les droits sur l’immeuble ne sont pas mentionnés sur cette fiche patrimoniale.

Il se déduit de cette fiche de renseignements sur le fondement de laquelle la banque a sollicité la garantie de M. [I] que le ménage qu’il formait avec sa compagne ne disposait, pour faire face à ses dépenses courantes, que d’un solde de 700 euros par mois.

Il s’ensuit qu’au 10 août 2018, tant l’octroi du crédit à la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines que l’engagement de caution de M. [I] n’étaient pas adaptés aux capacités financières de l’emprunteur principal ni à celles de la caution et qu’il existait un risque manifeste d’endettement né de l’octroi du prêt garanti résultant de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines.

Il appartenait dès lors à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] de satisfaire à son obligation de mise en garde, ce dont elle ne justifie pas. En omettant cette obligation, elle a engagé sa responsabilité à l’égard de M. [I] qui a été privé d’une chance de ne pas contracter et celle-ci est d’autant plus sérieuse qu’il ne disposait d’aucune expérience de direction ni de gestion lui permettant d’appréhender que la société, dont il venait de devenir l’associé unique pour un euro symbolique, se trouvait dans une situation de déficit depuis plus d’un exercice ; que le prêt qui avait déjà été consenti à la société pour apurer une précédente dette bancaire n’avait pas permis de la rétablir financièrement dans la durée et, au contraire, avait aggravé son passif qui allait être encore accru par le nouveau prêt de 15 000 euros.

L’indemnisation de la perte de chance ne peut être équivalente à l’avantage qui aurait été tiré si l’événement s’était réalisé.

Au regard des éléments rappelés ci-dessus, la perte de chance de M. [I] sera justement indemnisée à hauteur de 99% de la créance déclarée par la banque. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné le Crédit Mutuel de [Localité 4] à verser à Monsieur [I] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] ayant déclaré une créance de 15 027,29 euros, l’indemnité qu’elle doit à M. [I] est de 14 877,01 euros. Elle sera condamnée à ce paiement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dieppe en ce qu’il a jugé que le Crédit Mutuel de [Localité 4] a soutenu abusivement la SAS [K], a condamné le Crédit Mutuel de [Localité 4] à verser à Monsieur [I] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, a jugé que le Crédit Mutuel de [Localité 4] est mal fondé en ses demandes et a débouté le Crédit Mutuel de [Localité 4] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Statuant à nouveau :

Condamne M. [I] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] la somme de

15 027,29 euros au taux contractuel à compter du 5 février 2020 ;

Dit que les intérêts seront capitalisés dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter du 10 mai 2021 ; le tout dans la limite maximale de 18 000 euros ;

Rejette le moyen de M. [I] tendant à ce qu’il soit jugé que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] a abusivement soutenu la Société d’Agencement et de Services [K] Cuisines ;

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 4] à payer à M. [I] la somme de

14 877,01 euros de dommages et intérêts ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [I] aux dépens de la procédure d’appel ;

Déboute les parties de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,

 


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