7 juillet 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
21/02272
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 07 JUILLET 2023
N° RG 21/02272 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MB7P
Monsieur [Y] [S] [E]
c/
S.A. SOCIETE GENERALE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 mars 2021 (R.G. 2019.6667) par le Tribunal de Commerce de PERIGUEUX suivant déclaration d’appel du 16 avril 2021
APPELANT :
Monsieur [Y] [S] [E] né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 4] (33)de nationalité Française Profession : Responsable administratif (ve), demeurant [Adresse 3]
représentée par Maître Victor DOTAL de la SELARL SELARL PIPAT – DE MENDITTE – DELAIRE – DOTAL, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
S.A. SOCIETE GENERALE venant aux droits de la BANQUE TARNEAUD aux termes de la fusion absorption intervenue le 1er janvier 2023 entre la Société Générale et le groupe Crédit du Nord dont la Banque Tarneaud est une filiale [Adresse 2]
représentée par Maître Karine PERRET de la SELAS PERRET & ASSOCIES, avocat au barreau de BERGERAC
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 22 mai 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
La société [E] Confort Bien Etre Logement a ouvert un compte professionnel auprès de la société Banque Tarneaud le 10 mars 2009.
Le 31 mars 2009, elle a acquis un fonds de commerce d’électroménager pour un montant de 150 000 euros au moyen de trois prêts souscrits auprès de la banque Tarneaud à hauteur de 100 000 euros, de 50 000 euros et de 60 000 euros dont M. [Y] [E], gérant de la société, s’est porté caution à hauteur de 65 000 euros, 32 500 euros et 39 000 euros.
Le 8 février 2011, M. [Y] [E] s’est porté caution solidaire des engagements de la société [E] Confort Bien Etre Logement dans la limite de 26 000 euros au titre du compte courant.
Le 14 juin 2012, la banque Tarnaud a consenti un nouveau prêt Modulinvest de 50 000 euros au bénéfice de la société [E] Confort Bien Etre Logement dont M. [E] s’est porté caution par acte du 14 juin 2012 à hauteur de 50 000 euros.
La société [E] Confort Bien Etre Logement a été placée en sauvegarde par décision du tribunal de commerce de Périgueux du 24 septembre 2013. Un plan de sauvegarde a été adopté le 24 juin 2014. Par décision du 19 février 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire.
Le 18 mars 2019, la société Banque Tarneaud a déclaré ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société [E] Confort Bien Etre Logement.
Par courriers du 13 août 2019, la société Banque Tarneaud a mis en demeure M. [E] de lui régler diverses sommes au titre de ses engagements de caution.
Par acte d’huissier de justice du 13 novembre 2019, la société Banque Tarneaud a assigné M. [E] devant le tribunal de commerce de Périgueux aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 13 281,28 euros et de 39 541,34 euros en sa qualité de caution de la société [E] Confort Bien Etre Logement.
Par jugement contradictoire du 1er mars 2021, le tribunal de commerce de Périgueux a :
– reçu la société Banque Tarneaud en ses demandes, les déclare régulières en la forme et fondées,
– débouté M. [E] de toutes ses demandes comme mal fondées,
– condamné M. [E] à verser à la société Banque Tarneaud :
– au titre du compte courant numéro 10558 2462 17128000200 : la somme de 13 281,28 euros majorée des intérêts postérieurs au taux contractuel TBB +4 % jusqu’à complet paiement,
– au titre du prêt Modulinvest : la somme de 39 541,34 euros outre les intérêts postérieurs au taux de 7,75 % jusqu’à complet paiement,
– ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamné M. [E] à payer à la société Banque Tarneaud la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution,
– condamné M. [E] aux entiers dépens.
Par déclaration du 16 avril 2021, M. [Y] [E] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société Banque Tarneaud.
Par ordonnance du 1er juillet 2021, la première présidente de la cour d’appel de Bordeaux a ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire résultant du jugement du tribunal de commerce de Périgueux en date du 1er mars 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 06 mai 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [E], demande à la cour de :
– vu l’article L. 341-4 du code de la consommation,
– vu l’article L. 650-1 du code de commerce,
– vu les articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil,
– vu l’article 700 du code de procédure civile,
– vu la jurisprudence,
– vu les pièces versées au débat,
– le déclarer recevable en son appel et bien fondé en ses demandes,
– réformer la décision dont appel en ce qu’elle a :
– l’a condamné à verser à la société Banque Tarneaud :
– au titre du compte courant numéro 10558 2462 17128000200 : la somme de 13 281,28 euros majorée des intérêts postérieurs au taux contractuel TBB + 4 % jusqu’à complet paiement,
– au titre du prêt Modulinvest : la somme de 39 541,34 euros outre les intérêts postérieurs au taux de 7,75 % jusqu’à complet paiement,
– ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– l’a condamné à payer à la société Banque Tarneaud la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamné aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 euros.
– à titre principal,
– dire que son engagement de caution était disproportionné au regard de ses revenus,
– dire que la Société Générale a engagé sa responsabilité en raison d’un soutien abusif à la société [E] Confort Bien Etre Logement,
– dire que la Société Générale ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement conclu par lui,
– débouter la Société Générale de l’ensemble de ses demandes,
– à titre subsidiaire,
– juger que la Société Générale a engagé sa responsabilité envers lui pour manquement à son devoir de mise en garde,
– condamner la Société Générale à lui régler la somme de 52 822 euros au titre du préjudice subi qui résulte de la perte de chance de ne pas contracter son engagement de caution,
– à titre infiniment subsidiaire,
– déclarer que l’exigibilité de la créance de la Société Générale est reportée à 24 mois et que les sommes correspondantes aux échéances reportées porteront uniquement intérêts à un taux légal,
– en tout état de cause,
– condamner la Société Générale au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Société Générale aux entiers dépens.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 02 mai 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la SA Société Générale, venant aux droits de la société Banque Tarneaud, demande à la cour de :
– vu les articles 1103, 1104, 1193, 1905 et 2288 et suivants du code civil,
– vu les articles L. 622-28 et L. 631-20 du code de commerce,
– vu la liquidation judiciaire de la société [E] Confort Bien Etre Logement,
– vu le traité de fusion intervenu entre la Société Générale et le Crédit du Nord et le traité de fusion intervenu entre le Crédit du Nord et la société Banque Tarneaud,
– lui donner acte de son intervention volontaire aux lieu et place de la société Banque Tarneaud dans le cadre de la procédure pendante devant la cour d’appel de bordeaux enrôlée sous le n°21/02272,
– déclarer M. [E] recevable mais mal fondé en son appel,
– l’en débouter,
– juger que M. [E] doit être considéré comme une caution avertie et qu’il n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la société Banque Tarneaud pour disproportion de son engagement de caution et manquement à son devoir de mise en garde,
– juger que les engagements de caution signés par M. [E] n’étaient pas disproportionnés lors de leur conclusion, au patrimoine et revenus déclarés de M. [E],
– juger que la situation financière et patrimoniale actuelle de M. [E] lui permet de faire face à ses engagements de caution,
– juger que la société Banque Tarneaud n’a pas manqué à son devoir d’information et de mise en garde à l’égard de M. [E],
– juger que la caution ne peut pas réclamer une indemnisation d’un montant équivalent à celui de sa dette vis-à-vis de la banque au titre du manquement au devoir de mise en garde,
– juger que l’action pour manquement au devoir de mise en garde invoquée par M. [E] est prescrite,
– juger que la société Banque Tarneaud s’est enquise de la situation financière de M. [E] lors de chaque engagement de caution,
– vu l’article L. 650-1 du code de commerce,
– juger que M. [E] n’a pas qualité à agir dans l’intérêt collectif des créanciers de la sarl PCBL et engager la responsabilité de la société Banque Tarneaud pour soutien abusif,
– juger que M. [E] ne rapporte pas la preuve d’une fraude, d’une immixtion de la banque dans la gestion de l’entreprise ou d’une disproportion des garanties prises,
– juger que M. [E] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice subi,
– juger que M. [E] a d’ores et déjà bénéficié d’importants délais de paiement sans bourse déliée,
– en conséquence,
– débouter M. [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, ainsi que de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts et délais de paiement,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Périgueux le 1er mars 2021,
– à titre subsidiaire, pour le cas où la cour estimerait que la société Banque Tarneaud a manqué à son devoir de mise en garde à l’égard de M. [E],
– juger que la caution ne peut pas réclamer une indemnisation d’un montant équivalent à celui de sa dette vis-à-vis de la banque,
– en conséquence,
– débouter M. [E] de sa demande de dommages et intérêts qui est non seulement injustifiée mais totalement excessive,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Périgueux le 1er mars 2021,
– en tout état de cause, y ajoutant,
– condamner M. [E] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens, de première instance en ce compris les frais de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire et d’appel, dont distraction au profit de Maître Karine Perret, avocat aux offres de droit.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 09 mai 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 22 mai 2023, date à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré au 3 juillet 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Il convient de déclarer recevable l’intervention volontaire de la Société Générale en lieu et place de la banque Tarneaud suite à la fusion absorption intervenue le 1er janvier 2023 entre la Société Générale et le groupe Crédit du Nord dont la société Banque Tarneaud est une filiale.
* sur le caractère manifestement disproportionné des engagements de caution du 8 février 2011 et du 20 juin 2012 :
2-Aux termes des dispositions de l’article L.341-4 ancien du code de la consommation, en vigueur à la date de l’engagement et devenu l’article L.343-4 à compter du 1er juillet 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
3- Ce texte est applicable à toute caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion n’est pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
4- Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie avec les biens et revenus de la caution tels que déclarés par elle, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude. Il appartient à l’inverse à la banque d’établir que le patrimoine de la caution, lui permet à la date à laquelle elle est appelée de faire face à son obligation.
* sur le cautionnement souscrit le 8 février 2011 à hauteur de 26 000 euros :
5- La banque produit une fiche de renseignements établie par M. [E] en 2008 qui ne peut être lui opposée par la banque compte tenu de son ancienneté.
6-M. [E] ne conteste cependant pas qu’il était toujours propriétaire le 8 février 2011, indivisément avec son épouse avec qui il est marié sous le régime de la séparation des biens, de la maison d’habitation déclarée pour une valeur de 350 000 euros dans cette fiche de renseignement datée de 2008 et pour une valeur de 300 000 euros dans une seconde fiche renseignée en 2012. Il soutient cependant que ce bien immobilier a en réalité une valeur nettement moindre, mais ne justifie pas de la valeur de celui-ci en 2011 (ni d’ailleurs à aucune autre date). Celle-ci ne peut être déduite du seul coût des travaux de construction et d’acquisition du terrain réglé par les époux [E] . Il sera, retenu la valeur de 300 000 euros déclarée en 2012 (et non celle de 350 000 déclarée en 2008), de laquelle il conviendra de déduire la somme de 69 891 euros au titre du solde du prêt immobilier selon le tableau d’amortissement produit aux débats.
7- M. [E], qui a trois enfants à charge, justifie en outre avoir perçu des revenus annuels de 36 000 euros en 2010 ( et 33 000 euros en 2011). Il s’est engagé en 2009 aux termes de l’acte d’acquisition du fonds de commerce de sa société à bloquer la somme de 47 500 euros en compte courant d’associé. Ce montant ressort sur le bilan 2011- 2012 de la sa société ( mention ‘C/C [E] Ch bloqué : 47 500 euros au 31 mars 2011 et 47500 euros au 31 mars 2012″). Il a d’ailleurs déclaré avec son épouse en 2010 au titre des réductions d’impôts un ‘capital des PME’ de 12740 euros, outre la somme de 18 000 euros de capitaux mobiliers . Il détient 175 des 250 parts de sa société dont la valeur nominale de chacune était de 100 euros en 2009. Il ne fournit aucune indication sur la valeur de ses parts sociales en 2011 mais il justifie, par la production du bilan, que le capital social était toujours de 25 000 euros.
8- A la date de souscription du cautionnement, il s’était porté caution de plusieurs prêts à hauteur de la somme totale de 136 500 euros et non de 162 500 euros comme il le soutient.
9- Compte tenu de ces éléments, il n’est pas démontré que le cautionnement donné à hauteur de 26 000 euros est manifestement disproportionné aux biens et revenus de M. [E] à la date de cet engagement.
* sur le cautionnement souscrit le 20 juin 2012 à hauteur de 50 000 euros :
10- La banque a fait renseigner par la caution le 6 juin 2012 une fiche de renseignements de solvabilité aux termes de laquelle M. [E] indique :
– percevoir des revenus de 36 000 euros par an,
– être propriétaire indivise avec son épouse d’un bien immobilier d’une valeur de 300 000 euros sur laquelle il reste dû un capital de 59 543 euros, soit une valeur de l’actif de M. [E] de 120 228,50 euros
11- Il ressort en outre de son avis d’imposition qu’il a perçu 9000 euros de capitaux mobiliers. A défaut de preuve contraire, il sera retenu qu’il détient toujours 175 des 250 parts de sa société. Il est toujours créancier de la somme de 47 500 euros au titre de son compte courant d’associé.
12- Il n’est pas fait état d’autres charges. Contrairement à ce qui est soutenu, la fiche de renseignements ne présente pas d’anomalies apparentes. Il sera cependant tenu compte d’un prêt non déclaré dans la fiche de renseignement conclu auprès de la Banque Tarneaud le 4 juin 2012, dont celle-ci ne pouvait ignorer l’existence, de 20 000 euros remboursable par mensualités de 411 euros qu’il a conclu avec son épouse.
13- Le prêt de 60 000 euros d’une durée de 3 ans à compter du 31 mars 2009 au titre duquel M. [E] s’était porté caution à hauteur de 39 000 euros était intégralement remboursé à la date de souscription de ce cautionnement.
14- M. [E] était dès lors tenu :
– d’un engagement de caution à hauteur de 65 000 euros au titre du prêt de 100 000 euros,
– d’un engagement de caution à hauteur de 32500 euros au titre du prêt de 50 000 euros,
– de l’engagement de caution susvisé à hauteur de 26 000 euros,
soit un total de 123 500 euros.
15- Compte tenu de ces éléments, M. [E] ne démontre pas que son engagement de caution était manifestement disproportionné.
16. M. [E] sera donc débouté de sa demande visant à se voir déclarer inopposables ses engagements de caution. La décision de première instance sera confirmée.
* sur le soutien abusif de la banque Tarneaud à la société [E] Confort Bien Etre Logement et le manquement de celle-ci à son obligation de mise en garde de la caution :
17- M. [E], visant les dispositions de l’article L 650-1 du code de commerce et 1103, 1104 et 1231-1 du code civil, soutient que la banque Tarneaud a abusivement soutenu la société [E] Confort Bien Etre Logement dont il était le dirigeant alors qu’elle était informée de la situation irrémédiablement compromise de celle-ci. Ces éléments caractérisent manifestement selon elle un manquement de la banque à son obligation de conseil et de mise en garde à son égard. Ce dernier sollicite ainsi la condamnation de la banque à lui verser la somme de 52 822 euros en réparation de sa perte de chance de ne pas contracter en tant que caution.
18- La banque soutient que seul le mandataire judiciaire pouvait exercer une action sur le fondement du soutien abusif. L’appelant ne rapporte pas la preuve d’une fraude, d’une immixtion de la banque dans la gestion de l’entreprise ni une disproportion des garanties prises. Sur le manquement à l’obligation de mise en garde, la Société Générale affirme que M. [E] est prescrit à agir. Elle affirme ensuite que M. [E] est une caution avertie et qu’il ne démontre pas qu’elle détenait des informations sur sa société que lui-même ignorait. Enfin, elle fait valoir que les prêts étaient adaptés à la situation de la débitrice.
19- Le conseil de l’appelant dans le cadre du paragraphe de ses conclusions intitulées ‘ sur le soutien abusif de la banque Tarneaud au regard de la situation irrévocablement obérée de la SARL PCBL dès juin 2012″ fait appel à deux notions bien distinctes, le soutien abusif à une entreprise d’une part, et le manquement à l’obligation de mise en garde de la caution d’autre part, qu’il conviendra d’étudier successivement.
* sur l’application des dispositions de l’article L 650-1 du code de commerce :
20- Aux termes de l’article L 650-1 du code de commerce, lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte,les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
21- Contrairement à ce que soutient la banque, la caution est recevable à agir sur le fondement de cet article, à charge pour elle d’établir soit un cas de fraude ou d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, soit que les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
22- L’appelant reproche à la banque de lui avoir octroyé ainsi qu’à son épouse un prêt personnel de 20 000 euros le 4 juin 2012 qui était en réalité destiné à renflouer les comptes de la société, avant d’accorder à celle-ci, la même semaine un prêt de 50 000 euros à la société. Il soutient que cette opération a eu lieu dans le but de scinder en deux le prêt accordé à la banque et d’éviter de passer en commission d’attribution des prêts.
23- M. [E] n’apporte pas la preuve de la fraude qu’il allègue. Il n’est pas plus établi l’existence d’une immixtion de la banque dans la gestion de la société dont il était le gérant ni le caractère manifestement disproportionné des cautionnements sollicités.
24- M. [E] sera débouté de cette demande.
* sur le devoir de mise en garde de la caution
25- Les établissements de crédit qui réclament un cautionnement ont l’obligation de mettre en garde la caution si l’engagement de celle-ci est, lors de sa conclusion, inadapté à ses capacités financières et s’il existe un risque d’endettement né de l’opération garantie, risque qui résulte de l’inadaptation du contrat aux capacités financières de l’emprunteur ou du crédit-preneur (Cass. com. 9-10-2019 n° 18-12.813, Cass. com. 5-5-2021 n° 19-21.468). L’établissement est tenu d’une telle obligation envers la caution profane et, exceptionnellement, envers une caution avertie si l’établissement détient des informations que la caution ignorait sur les revenus de l’emprunteur garanti, son patrimoine et ses facultés de remboursement prévisibles en l’état du succès escompté de l’opération.
26- Le créancier qui manque à son devoir de mise en garde engage sa responsabilité contractuelle à l’égard de la caution pour lui avoir fait perdre la chance de ne pas s’engager et, le cas échéant, pour lui avoir causé un préjudice moral. La caution peut alors demander la compensation entre les sommes qu’elle doit au créancier et les dommages-intérêts auxquels il est condamné.
Sur la prescription :
27- La banque soutient que la caution est forclose à agir sur ce fondement, un délai supérieur à cinq ans s’étant écoulé depuis la signature de l’acte de cautionnement.
28- Or, le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par la caution contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal (Com. 2 mai 2017, no 15-22.830, P). Dès lors, l’action de l’appelante sur le montant du manquement au devoir de mise en garde est recevable, la première mise en demeure étant du 13 août 2019.
Sur le fond :
29- Il n’est nullement établi, contrairement à ce que soutient la banque, que M. [E] était aguerri au monde des affaires. Par ailleurs il n’est pas apporté la preuve qu’il maîtrisait le fonctionnement des mécanismes de crédit et de cautionnement de par ses études, sa formation ou son parcours professionnel antérieur. Le caractère averti de l’appelant ne peut enfin être déduit du seul fait qu’il était le dirigeant de la société cautionnée, spécialisée dans la vente d’électroménager. Il sera dès lors jugé que l’appelant est une caution non avertie.
30- En l’espèce, il a été jugé que les deux cautionnements litigieux n’étaient pas manifestement disproportionnés aux biens et revenus de la caution.
31- S’agissant de l’inadaptation des prêts garantis aux capacités financières de la caution, la cour relève que si la société [E] Confort Bien Etre Logement a effectivement rencontré des difficultés financières l’ayant conduite 15 mois après l’obtention du dernier prêt à solliciter l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, celle-ci n’a été placée en liquidation judiciaire qu’en 2019 après avoir respecté les premières annuités du plan. Il n’est pas par ailleurs établi que M. [E] ait communiqué à la banque le dernier bilan de sa société qui venait juste d’être établi à la date d’obtention du prêt et qui fait effectivement mention d’un recul du chiffre d’affaires.
32- Compte tenu de ces éléments, il sera jugé que l’appelant n’établit pas que la banque était tenue d’une obligation de mise en garde à son encontre et que les premiers juges l’ont à juste titre débouté de sa demande sur ce fondement.
* sur la demande de report de paiement :
33- L’appelant demande à la cour de reporter de deux ans l’exigibilité des sommes dues et de dire que les sommes reportées porteront intérêts au taux légal. Il argue du fait qu’il vient de perdre son emploi et qu’il règle 600 euros par mois en exécution du prêt de 100 000 euros.
34- La banque s’oppose à cette demande, l’appelant ne justifiant pas qu’il sera en mesure de s’acquitter des sommes dues à l’issue de la période de report.
35- M. [E] a déjà bénéficié de délais de paiement du fait de la durée de cette procédure. Il n’est pas en mesure d’établir qu’il pourra régler sa dette dans le délai légal. Sa demande de délais de paiement sera rejetée.
* sur les demandes accessoires :
36- M. [E] qui succombe sera condamné aux dépens d’appel, en ce compris les frais d’hypothèque provisoire , dont distraction au profit de Maître Perret.
37- L’équité commande de ne pas faire application au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort
Déclare recevable l’intervention volontaire de la Société Générale qui vient aux droits de la société Banque Tarneaud,
Confirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Périgueux le 1er mars 2021,
y ajoutant
Déboute [Y] [E] de sa demande de report de paiement,
Condamne [Y] [E] aux dépens d’appel, en ce compris les frais d’hypothèque provisoire , dont distraction au profit de Maître Perret,
Déboute la Société Générale de sa demande d’indemnité de procédure.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.