28 mars 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
22/03562
N° RG 22/03562 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LRCH
C1
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Charlotte ALLOUCHE
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 28 MARS 2023
Appel d’une ordonnance (N° RG 20/02066)
rendue par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Valence
en date du 22 septembre 2022
suivant déclaration d’appel du 03 Octobre 2022
APPELANT :
M. [G] [S]
né le 1er mars 1956 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Charlotte ALLOUCHE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Coralie VIGNAL de la SELARL BANCEL-GUILLON, avocat au barreau d’ARDECHE
INTIMES :
M. [P] [X]
né le 8 mars 1933 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Mme [M] [T] épouse [X]
née le 15 septembre 1945 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
tous deux représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Myriam BEN SALEM substituée à l’audience par Me Relouindé Béatrice SAWADOGO, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 février 2023 Mme Lamoine conseiller chargée du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu seule les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
*****
Exposé des faits
Par compromis sous seing privé signé en l’étude de Me [V] notaire le 21 octobre 2008, M. [S], exploitant agricole, a cédé à ses voisins les époux [P] [X] et [M] [T] diverses parcelles en nature de terres et de prés situées sur la commune de [Localité 13] (Drôme), lieux-dits ‘[Adresse 11]’ et ‘[Adresse 12]’ cadastrés section BH n° [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour une contenance totale de 13 ha, 32 a et 20 ca moyennant le prix de 65 000 €.
Le même jour et par devant le même notaire a été signé entre les mêmes parties un acte authentique de reconnaissance de dette portant sur la somme de 65 000 € prêtée par les époux [X] à M. [S], remboursable dans le délai de 18 mois au plus tard et productive d’intérêts avec, en garantie, une affectation hypothécaire des parcelles de terre objet du compromis.
Par acte du 10 août 2020, les époux [X] ont assigné M. [S] devant le tribunal judiciaire de Valence pour voir, au visa des articles 1113 et 1583 du code civil outre diverses réclamations indemnitaires :
dire que le compromis de vente signé entre les parties le 21 octobre 2008 de parcelles en nature de terres et prés situées sur la commune de [Adresse 14] (26) vaut vente et que cette vente est parfaite,
en conséquence ordonner la vente forcée des dites parcelles,
à titre subsidiaire constater que M. [S] a reçu d’eux, à la date du compromis, le prix convenu et qu’il ne peut se rétracter,
ordonner en conséquence que M. [S] leur délivre les parcelles en cause.
Les parties ont échangé des conclusions au fond et le juge de la mise en état a, par ordonnance du 11 février 2022, différé la clôture de l’instruction au 26 avril 2022 en maintenant la date de l’audience des plaidoiries au 10 mai 2022.
Par conclusions d’incident déposées et notifiées le 25 avril 2022, M. [S] a demandé au juge de la mise en état de juger que les demandes des époux [X] sont prescrites au visa de l’article 2224 du code civil.
Par conclusions en réponse sur incident, les époux [X] ont conclu au principal à l’incompétence du juge de la mise en état et à ce que l’affaire soit renvoyée devant la formation de jugement pour qu’elle statue sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir, et à titre subsidiaire au débouté de M. [S].
A l’audience du 10 mai 2022, la formation de jugement a ordonné le renvoi de l’incident devant le juge de la mise en état.
Par conclusions ultérieures notifiées le 21 juin 2022, M. [S] a demandé au juge de la mise en état de se déclarer compétent, et réitéré sa demande tendant à voir juger prescrites les demandes des époux [X] visant à voir dire que le compromis de vente en date du 21 octobre 2008 est une vente parfaite.
Les parties réclamaient en outre, chacune, la condamnation de la partie adverse aux dépens et à leur payer une indemnité de procédure, les époux [X] réclamant en outre des dommages-intérêts pour procédure abusive et la condamnation de M. [S] à une amende civile.
Par ordonnance du 22 septembre 2022, le juge de la mise en état :
s’est déclaré compétent pour connaître de la fin de non-recevoir,
a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action des demandeurs,
s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes en paiement d’une amende civile et de dommages-intérêts pour procédure abusive,
a condamné M. [S] à payer aux époux [X] la somme de 1 000 € au titre de leurs frais de défense sur incident en application de l’article 700 du code de procédure civile,
a réservé les dépens.
Par déclaration au greffe en date du 3 octobre 2022, M. [S] a interjeté appel de cette ordonnance, appel limité aux dispositions de cette décision par lesquelles le juge de la mise en état :
a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par lui,
l’a condamné à payer aux époux [X] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les 18 et 20 octobre 2022, les avocats des parties ont été avisés que l’affaire était fixée à plaider à l’audience du 28 février 2023 en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions n° 2 notifiées le 6 février 2023, M. [S] demande à la cour d’infirmer l’ordonnance déférée, et, au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile et de l’article 2224 du code civil, de :
juger que les demandes des époux [X] consistent en une action en exécution forcée de vente,
juger que cette action est prescrite,
débouter les époux [X] de l’intégralité de leurs demandes,
les condamner aux dépens de l’instance et à lui payer une somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir :
que le compromis de vente en date du 21 octobre 2008 n’a conféré aucun droit direct aux époux [X] sur les parcelles litigieuses en l’absence de réitération de la vente par acte authentique,
que les parties ont expressément convenu de conditionner le caractère parfait et définitif de la vente à la réitération de celle-ci par acte authentique,
que, d’ailleurs, les époux [X] ne se sont jamais considérés comme propriétaires des dites parcelles et lui-même n’a jamais renoncé à sa qualité de propriétaire,
que, pour preuve, un bail à ferme a été conclu entre lui-même et le fils des époux [X] à compter du 1er janvier 2010, et qu’il s’est toujours acquitté des taxes foncières,
que dès lors l’action des demandeurs ne peut s’analyser en une revendication de propriété, et elle n’est pas soumise aux dispositions de l’article 2227 du code civil, mais à celles de l’article 2224 du même code,
qu’ainsi, contrairement à ce qu’a considéré le juge de la mise en état, une action en exécution forcée d’un compromis de vente est soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil pour les actions personnelles ou mobilières,
que le compromis en date du 21 octobre 2008 prévoyait une date de réitération de l’acte au plus tard le 28 février 2012,
que les époux [X] ayant introduit leur action le 6 août 2020 soit largement plus de cinq années après cette date limite, leur action est irrecevable,
qu’en réalité, l’action a été introduite par les époux [X] suite à son propre refus de payer la somme de 65 000 € en raison de la prescription, et pour pallier l’extinction de leur action en paiement de cette somme,
que c’est encore en vain que les époux [X] prétendent, à titre subsidiaire, que le délai de la prescription quinquennale aurait été interrompu par la saisine par lui du tribunal paritaire des baux ruraux le 10 décembre 2019 en paiement des fermages du bail consenti.
Les époux [X], par dernières conclusions notifiées le 2 décembre 2022 demandent à la cour de confirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions et de :
dire qu’il revient au premier juge du fond de juger de leur demande tendant à la reconnaissance judiciaire du transfert de propriété des immeubles intervenu le 21 octobre 2008 en application de l’article 2227 du Code civil,
dire qu’il revient au premier juge du fond de juger de leur demande sur le caractère parfait de cette vente depuis le 21 octobre 2008, et que les parcelles objet de la vente sont leur propriété.
Ils demandent en tout état de cause la condamnation de M. [S] à leur payer une somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Ils reprennent, en les développant, les motifs de l’ordonnance déférée en ce qu’elle a retenu que l’action intentée par eux était imprescriptible comme étant une action en revendication de propriété, et qu’elle ne saurait en aucun cas être considérée comme une action personnelle ou mobilière.
Ils ajoutent que leur demande en remboursement de la somme de 65 000 € n’est que subsidiaire et ne saurait remettre en cause la recevabilité de leur action principale.
Il est renvoyé à leurs conclusions pour plus ample exposé.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 21 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
C’est à bon droit que le juge de la mise en état a considéré que l’action engagée par les époux [X], tendant à l’exécution forcée de la promesse synallagmatique de vente en date du 21 octobre 2008, était imprescriptible comme tendant à leur voir attribuer ou reconnaître la propriété des biens immobiliers objet de cette promesse.
En effet, l’article 2227 du code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile édicte que : ‘le droit de propriété est imprescriptible » ce que la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de cette loi affirmait déjà de manière constante, et dès lors, l’action en revendication de cette propriété par l’exécution forcée d’une promesse synallagmatique, tendant à la reconnaissance et au rétablissement de ce droit réel, n’est pas susceptible de prescription extinctive.
Par conséquent, il importe peu à ce stade que les parties au compromis du 21 octobre 2008 aient ou non entendu conditionner le caractère parfait et définitif de la vente à la réitération de celle-ci par acte authentique ainsi que le soutient M. [S], cette appréciation, relevant du seul juge du fond saisi par l’acte introductif d’instance, n’affectant pas la nature de l’action ainsi engagée par les époux [X], tendant à ce que leur soit reconnue la propriété des biens immobiliers en cause.
Sont tout aussi inopérants les moyens de l’appelant selon lesquels d’une part les époux [X] ne se seraient jamais considérés comme les propriétaires des parcelles objet de l’acte, d’autre part lui-même n’aurait jamais renoncé à sa qualité de propriétaire puisqu’il a consenti un bail à ferme sur les parcelles en cause postérieurement à l’acte, ces arguments en défense sur la réalité du transfert de propriété relevant du fond du litige que le tribunal saisi aura à trancher, mais ne modifiant pas l’objet de la demande des demandeurs telle qu’elle résulte de leur acte introductif d’instance et de leurs conclusions postérieures au sens de l’article 4 du code de procédure civile.
Enfin, la circonstance que les mentions du compromis du 21 octobre 2008 aient prévu sa réitération en la forme authentique au plus tard le 28 février 2012 est indifférente à la recevabilité de l’action en l’espèce, dès lors qu’aucun délai pour agir n’a pu commencer à courir à compter de cette dernière date en raison de l’imprescriptibilité de l’action ainsi qu’il vient d’être développé.
L’ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [S], tirée de la prescription de l’action des demandeurs.
Sur les autres demandes
Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de M. [S] tendant à voir juger que les demandes formées par les époux [X] consistent en une action en exécution forcée de vente, qui ne constitue pas une prétention au sens de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile.
Il ne sera pas davantage répondu aux paragraphes figurant au dispositif des conclusions des époux [X] commençant par : « Dire qu’il revient au premier juge du fond de juger des demandes des intimés… », cette cour n’étant saisie, par l’effet dévolutif de l’appel, que de la question de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action ainsi que des demandes accessoires, et le juge de la mise en état n’étant au demeurant pas compétent pour dire ce sur quoi la juridiction du fond doit statuer.
M. [S], qui succombe en son appel, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il est équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit des époux [X].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l’appel.
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée.
Y ajoutant,
Condamne M. [S] à payer à M. [P] [X] et Mme [M] [T] épouse [X] la somme complémentaire de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Condamne M. [S] aux dépens d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT