30 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
22/02732
N° RG 22/02732 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JE3O
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITE
ARRET DU 30 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/02132
Jugement du President du Tribunal Judiciaire de ROUEN du 08 Juillet 2022
APPELANT :
Monsieur [D] [E]
né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 8] (LAOS)
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté et assisté par Me Claude AUNAY de la SCP AUNAY, avocat au barreau du HAVRE
INTIMEE :
Madame [X] [V]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 7] (MADAGASCAR)
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Béatrice MABIRE MORIVAL de la SCP MORIVAL AMISSE MABIRE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Angélique THILLARD, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 02 Mars 2023 sans opposition des avocats devant Madame GOUARIN, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame GOUARIN, Présidente
Madame TILLIEZ, Conseillère
Madame GERMAIN, Conseillère
DEBATS :
Madame DUPONT greffière
A l’audience publique du 02 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Mars 2023
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 30 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame GOUARIN, Présidente et par Madame DUPONT, Greffière lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
Suivant acte sous seing privé du 19 décembre 2016, Mme [X] [U] épouse [V] a consenti à M. [D] [E] la cession de l’intégralité des parts sociales de la SARLU Auto-école [J] [X] pour un prix de 60 000 euros.
Suivant acte sous seing privé établi le 26 décembre 2016, M. [E] a signé une reconnaissance de dette d’un montant de 40 000 euros au profit de Mme [J].
Par lettre recommandée du 12 janvier 2018, Mme [J] a mis en demeure M. [E] de lui régler la somme de 40 000 euros.
Par acte d’huissier du 31 mai 2019, Mme [J] a fait assigner M. [E] en paiement de la somme de 40 000 euros.
Par jugement contradictoire du 8 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Rouen a :
– condamné M. [E] à payer à Mme [V] la somme de 40 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2018 ;
– condamné M. [E] à payer à Mme [V] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– condamné M. [E] aux dépens.
Par déclaration du 8 août 2022, M. [E] a relevé appel de cette décision, critiquant l’ensemble de ses dispositions.
Une médiation a été proposée aux parties, qui a été refusée par Mme [J].
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023.
Exposé des prétentions des parties
Par dernières conclusions reçues le 14 février 2023, M. [E] demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris ;
– ‘dire et juger nulle la reconnaissance de dette ou si mieux préfère Mme [U] prononcer la nullité de la reconnaissance de dette du 26 décembre 2016″ ;
– débouter en conséquence Mme [J] de ses demandes ;
– prononcer la nullité de l’acte de cession de parts sociales du 19 décembre 2016 ;
– condamner Mme [J] à lui rembourser la somme de 60 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2016 ;
– condamner Mme [J] à l’indemniser de ses préjudices et ordonner avant dire droit une expertise pour les évaluer ;
– condamner Mme [J] à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur ses préjudices ;
– la condamner au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par dernières conclusions reçues le 24 janvier 2023, Mme [J] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [E] au paiement de la somme de 40 000 euros en principal, de la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
– l’infirmer en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’irrecevabilité des demandes reconventionnelles ;
– condamner M. [E] à lui verser la somme de 40 000 euros en principal outre les intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2018 et en conséquence débouter M. [E] de sa demande de nullité de reconnaissance de dette ;
– déclarer irrecevables les demandes reconventionnelles de M. [E] ;
– à titre subsidiaire, débouter M. [E] de ses demandes reconventionnelles;
– à titre infiniment subsidiaire, condamner M. [E] à lui verser la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– débouter M. [E] de ses demandes ;
– le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour l’exposé des moyens développés par celles-ci.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’étendue de la saisine de la cour
Selon l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Aux termes de l’article 910-4 du même code, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond.
En l’espèce, par conclusions remises au greffe dans le délai de l’article 908, l’appelant demande à la cour de ‘dire et juger nulle la reconnaissance de dette du 26 décembre 2016 (…) et débouter en conséquence Mme [J] de ses demandes’.
C’est à tort que l’intimée fait valoir que la demande de dire et juger ne constitue pas une prétention en ce qu’elle ne confère pas de droit à la partie qui les requiert alors que la prétention figurant au dispositif des conclusions de l’appelant tend à voir annuler la reconnaissance de dette, laquelle est de nature à conférer un droit à celui qui la requiert dès lors qu’il en est tiré la conséquence juridique consistant à voir rejeter la demande en paiement formée sur le fondement de l’acte dont l’annulation est poursuivie.
Il en résulte que la demande tendant à voir ‘dire et juger nulle la reconnaissance de dette’ doit être analysée comme une prétention tendant à voir prononcer la nullité de l’acte.
Dès lors que la demande d’annulation constitue une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, la contestation élevée au titre de l’absence de saisine de la cour doit être écartée.
Sur la demande d’annulation de la reconnaissance de dette
L’appelant fait grief au premier juge de l’avoir débouté de sa demande de nullité au motif qu’il ne rapportait pas la preuve du défaut ou de l’illicéité du contenu de l’obligation alors que la reconnaissance de dette est nulle en ce qu’elle est dépourvue de cause, que la contre-lettre destinée à occulter une partie du prix de vente des parts sociales est nulle, que l’acte est nul au regard des dispositions de l’article 1375 du code civil et qu’il a été victime d’un dol.
L’intimée fait valoir que M. [E] ne rapporte pas la preuve du défaut ou de l’illicéité du contenu de la reconnaissance de dette, que le motif de la reconnaissance de dette n’est pas une condition de sa validité et qu’elle justifie qu’elle était propriétaire d’un ensemble de pierres précieuses d’une valeur de 46 248 euros qu’elle a remis à M. [E] afin que ce dernier puisse les vendre au Vietnam. Elle soutient qu’il n’existe aucun lien entre la cession de parts sociales et la reconnaissance de dette, qu’il n’est pas démontré que la reconnaissance de dette serait une contre-lettre prohibée et que la preuve du dol n’est pas rapportée.
Aux termes de l’article 1372 du code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable en l’espèce, l’acte sous signature privée, reconnu par la partie à laquelle on l’oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi entre ceux qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause.
En l’espèce, la reconnaissance de dette établie le 26 décembre 2016 est ainsi rédigée :
‘ Je soussigné Monsieur [E] [D] déclare devoir à Madame [J] [X] la somme de 40 000 (quarante mille) euros, moins la somme déduite de 8 000 (huit mille) euros à compter du 1er janvier 2017 jusqu’au 1er avril 2018 (à la date d’obtention du prêt bancaire).
Je dépose en caution un chèque de 40 000 euros chez Madame [J] qui me restituera le chèque une fois le paiement au prorata restant’.
La reconnaissance de dette constituant un contrat unilatéral, c’est à tort que l’appelant soutient que l’acte doit être annulé pour n’avoir pas été établi en deux exemplaires, la formalité du double original prévu par l’article 1375 du code civil n’étant applicable qu’aux contrats synallagmatiques. Or, contrairement à ce que soutient M. [E] sur ce point, l’acte de reconnaissance de dette versé aux débats, en ce qu’il ne comporte aucun engagement du créancier, ne saurait être qualifié de contrat synallagmatique.
La régularité de l’acte au regard des exigences de l’article 1376 du même code n’est pas contestée.
L’écrit qui n’exprime pas la contrepartie de la convention n’en constitue pas moins un instrument de preuve valable et la preuve de l’inexistence ou de l’illicéité de la contrepartie est à la charge de celui qui l’invoque.
En l’espèce, c’est à juste titre que le premier juge a estimé que le caractère concomitant de l’acte de cession des parts sociales et de la reconnaissance de dette était insuffisant à lui-seul à démontrer que la somme de 40 000 euros dont M. [E] se reconnaissait débiteur constituait un complément de prix destiné à dissimuler une partie du prix de vente des parts sociales.
En effet, l’appelant ne rapporte la preuve par aucune analyse comptable que la valeur des parts sociales cédées était de 100 000 euros et non de 60 000 euros comme indiqué dans l’acte, lequel comporte une clause d’affirmation de sincérité du prix ainsi rédigée :
‘Les parties affirment, sous les peines édictées par l’article 1837 du code général des impôts, que le présent acte exprime l’intégralité du prix ; elles reconnaissent avoir été informées par le notaire soussigné des sanctions fiscales et des peines correctionnelles encourues en cas d’inexactitude de cette affirmation ainsi que des conséquences civiles édictées par l’article 1202 du code civil. Le notaire soussigné précise qu’à sa connaissance le présent acte n’est modifié, ni contredit par aucune contre lettre contenant augmentation du prix.’
Or cette clause, contenue dans l’acte de cession signé par Mme [J] et par M. [E] engage tant le cédant que le cessionnaire auquel il appartient de rapporter la preuve que ses propres déclarations sont inexactes.
En ce qu’elles émanent principalement des proches de l’appelant, ce qui est de nature à amoindrir leur force probante, les attestations produites, qui se bornent au demeurant à faire état des propos tenus par M. [E] et qui ne comportent aucune relation directe de faits auxquels leurs auteurs ont assisté ou qu’ils ont personnellement constatés, sont insuffisantes à établir que le prix de vente des parts sociales était d’un montant de 100 000 euros et que la reconnaissance de dette constitue une contre lettre illicite.
Il en résulte que M. [E] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère illicite de la contrepartie de l’engagement de régler la somme de 40 000 euros.
M. [E] qui invoque également le dol dont il aurait été victime de la part de Mme [J] échoue à démontrer l’existence de manoeuvres dolosives de la part de cette dernière déterminantes de son consentement dès lors qu’à supposer exactes ses affirmations relatives à la nature de contre-lettre de la reconnaissance de dette, il a signé cet acte en toute connaissance de son caractère illicite et qu’il ne peut en conséquence se prévaloir pour en solliciter l’annulation de la dissimulation par Mme [J] de l’exacte nature dudit acte.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé dans ses dispositions ayant débouté M. [E] de sa demande d’annulation de la reconnaissance de dette et condamné M. [E] à verser à Mme [J] la somme de
40 000 euros conformément à l’engagement souscrit le 26 décembre 2016.
Sur la demande d’annulation de l’acte de cession de parts sociales
Mme [J] soutient que cette demande est irrecevable au motif qu’elle ne se rattache pas par un lien suffisant à la demande initiale.
M. [E] fait valoir que Mme [J] lui a cédé les parts sociales du fonds de commerce d’auto-école pour un prix déclaré de 60 000 euros moyennant le versement d’une somme complémentaire de 40 000 euros.
Aux termes de l’article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l’espèce, il n’existe aucun lien prouvé entre la demande de remboursement de la somme de 40 000 euros objet de la reconnaissance de dette et la demande d’annulation de l’acte de cession des parts sociales du 19 décembre 2016.
Il convient en conséquence de déclarer irrecevables la demande d’annulation de l’acte de cession et les demandes y afférentes.
Sur les frais et dépens
Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront confirmées.
M. [E] devra supporter la charge des dépens d’appel et sera condamné à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes d’annulation de l’acte de cession de parts sociales et les demandes y afférentes ;
Condamne M. [D] [E] aux dépens d’appel ;
Condamne M. [D] [E] à verser à Mme [X] [U] épouse [V] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [E] de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
La greffière La présidente