6 avril 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/03324
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 06 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/03324 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OU3T
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 25 JUIN 2020 Tribunal Judiciaire de Montpellier
N° RG 11-19-001853
APPELANT :
Monsieur [F] [Y]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 8] (78)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me François LAFONT substituant Me Nathalie PINHEIRO de la SCP LAFONT ET ASSOCIES, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIMEE :
Madame [S] [G]
née le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me François-Xavier PIERRONNET substituant Me Déborah MARTOS, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/009012 du 26/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 février 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE :
Par acte en date du 15 mai 2017, Mme [S] [G] (l’emprunteur) a reconnu devoir à M. [F] [Y] (le prêteur) la somme de 8.500 euros qu’elle s’engageait à rembourser en 23 mensualités de 300 euros et une mensualité de 1.600 euros à compter du 5 juin 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 février 2018, le prêteur a mis en demeure l’emprunteur de reprendre le paiement des mensualités interrompu.
L’emprunteur soutient avoir déposé plainte le 08 mars 2017 pour abus de confiance et harcèlement, puis le 03 novembre 2017 pour violences.
Par acte d’huissier en date du 29 juillet 2019, le prêteur a assigné l’emprunteur devant le tribunal d’instance de Montpellier, aux fins de le condamner en remboursement de la dette.
Par jugement du 25 juin 2020, le tribunal judiciaire de Montpellier a :
Déclaré nulle la reconnaissance de dette établie le 15 mai 2017 par Mme [G] en faveur de M. [Y] ;
Rejeté toutes les demandes de M. [Y] ;
Condamné M. [Y] à verser à Madame [G] la somme totale de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Rejeté la demande de dommage et intérêts pour procédure abusive ;
Condamné M. [Y] à verser à Mme [G] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné M. [Y] aux entiers dépens ;
Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
M. [F] [Y] a relevé appel de ce jugement par une déclaration en date du 05 août 2020.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 octobre 2020, au terme desquelles M. [Y] demande, au visa des articles 1353 du Code civil, 9 du Code de procédure civile, 1376 du Code civil, 1231-6, 1344-1, 1343-2 du Code civil, 700 et 699 du Code de procédure civile, d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
Rejeter l’exception de nullité de la reconnaissance de dette;
Condamner Mme [G] [S] à lui payer les sommes de 6.700 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 29 juillet 2019 et capitalisés tous les ans et 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner Mme [G] [S] aux entiers dépens avec en application de l’article 699 du Code de procédure civile, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Lafont & Associés, Avocat près la Cour d’appel de Montpellier.
Vu ses dernières conclusions transmises par voie électronique 10 janvier 2021, au terme desquelles Mme [G] demande, de confirmer le jugement et de :
Condamner M. [Y] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner M. [Y] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 17 janvier 2023.
MOTIFS
M. [Y] fait valoir pour l’essentiel que Mme [G] a rédigé, écrit et signé la reconnaissance de dette en vue de l’apurement des comptes décidé d’un commun accord entre les parties et qu’elle n’a pas été établie sous la contrainte de violence.
Il fait également valoir que l’emprunteur ne produit aucune expertise médicale ou certificat médical faisant état de violence. De plus, aucune déficience de l’état de santé mentale de l’emprunteur n’est établie à la date de rédaction de la reconnaissance de dette.
Aussi, la reconnaissance de dette est entièrement écrite de la main de l’emprunteur et ce dernier a procédé au paiement régulier des échéances jusqu’au mois de décembre 2017. Dès lors, la demande de nullité doit être écartée.
Mme [G] réplique qu’elle a déposé plainte à l’encontre du prêteur le 08 mars 2017 pour des faits d’abus de confiance et de harcèlement et le 03 novembre 2017 suite à une agression physique. Entre les mois de mars et de novembre 2017, elle s’est vu prescrire des antidépresseurs et a dû être hospitalisée. Dès lors, la signature de la reconnaissance de dette dans cet intervalle établit qu’elle n’a pu l’être que sous la contrainte de ce climat de pression et de violence exercée par M. [Y] à son encontre.
De plus, la reconnaissance de dette ne correspond pas aux sommes réellement dues et la rédaction manuscrite est impuissante à établir la liberté du consentement.
Aussi, il convient de prendre en compte le sexe et la condition de la personne qui est victime. En l’espèce, l’emprunteur était au moment de la signature de la reconnaissance de dette, la compagne du prêteur, sous sa dépendance effective et matérielle et se trouvait dans un état de vulnérabilité.
Enfin, la juridiction doit tenir compte des éléments antérieurs et postérieurs à la signature de ladite reconnaissance de dette. La violence étant une cause de nullité, la reconnaissance de dette est entachée de nullité.
Mme [G] poursuit la nullité de la reconnaissance de dette, suivie dans le détail de son argumentation par le premier juge, au visa des articles 1140 et 1143 du code civil.
Selon le premier de ces textes, il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte que lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.
Selon le second, dans sa rédaction applicable à l’espèce, il y a également violence lorsque une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.
En l’état des pièces des dossiers respectifs des parties, si la cour veut bien retenir comme le premier juge l’existence d’une relation tumultueuse où se succèdent les phases de tension, de crise, de justification puis de lune de miel, la violence telle que définie aux articles précités n’apparaît pas pour autant caractérisée.
La reconnaissance de dette est rédigée de la main de Mme [G], l’écriture étant particulièrement posée et lisible, exclusive de toute rédaction sous le coup de l’émotion ou de la contrainte. Mme [G] ne dément pas avoir rédigé ce document à son domicile pour le remettre dans la boîte aux lettres de M. [Y] et a pris le temps d’en mesurer les termes et la portée puisqu’elle avait rédigé un premier projet, soumis à M. [Y] qui en avait refusé les termes incomplets, les points de vue ayant été confrontés sans que soit à cette occasion rapportée la moindre scène houleuse.
La reconnaissance de dette est datée du 15 mai 2017, à une époque où les concubins étaient séparés depuis le mois de mars, suite à la scène amplement décrite par Mme [G], reprise par le premier juge par reproduction fidèle et quasi intégrale des termes de la plainte déposée le 08 mars 2017 pour abus de confiance et harcèlement, relatant le comportement de M. [Y] à l’égard des biens de Mme [G] et de menaces qu’il aurait pu exercer, effectivement de nature à provoquer une certaine émotion chez la personne qui les reçoit. Rien ne démontre toutefois que la situation n’était pas apaisée plusieurs mois après ni que les menaces imputées aient été réitérées, sans même parler d’être effectives.
Le couple s’est brièvement reformé en août 2017 puis Mme [G] portait plainte à nouveau le 3 novembre 2017, relatant une scène d’appréhension physique par laquelle M. [Y] s’emparait de son téléphone. Mme [G] terminait sa narration en évoquant leurs relations financières, M. [Y] lui reprochant des dettes relatives à des loyers, des prêts et intéressant la voiture, invoquant avoir fait une reconnaissance de dette au mois de mai car elle voulait tellement en finir avec ses reproches concernant les dettes, ce que le premier juge a estimé être la manifestation de la volonté d’acheter sa tranquillité et de calmer M. [Y].
Toutefois, outre les caractéristiques intrinsèques de la reconnaissance de dette évoquées ci-dessus, exclusives de toute manifestation de pression, Mme [G] en a partiellement exécuté les termes à plusieurs reprises en procédant à des virements de la somme de 300 € les 06 juin 2017, 03 juillet 2017, 02 août 2017, 01 septembre 2017 et 04 octobre 2017. Elle confirmait ainsi la valeur qu’elle attachait à la reconnaissance de dette du 15 mai 2017, de telle sorte que le comportement de Mme [G] excluait toute contrainte puisque les paiements étaient réalisés tant avant qu’après que les concubins ont repris la vie commune.
Il n’est en définitive nullement établi que la reconnaissance de dette a été rédigée sous l’effet d’une contrainte (les attestations qualifiables de moralité produites de part et d’autres n’apportant rien à la caractérisation de violence au sens des textes précités pas plus que la prise médicamenteuse par Mme [G] pendant le temps suivant les deux épisodes paroxystiques de mars et de novembre 2017) alors que Mme [G] ne craignait aucun mal considérable et n’était pas dans un état de dépendance envers M.[Y] autre qu’affective manifestée par des troubles cyclothymiques qui n’existaient pas lors de la rédaction et l’exécution partielle de la reconnaissance de dette. Aucune dépendance économique ne résulte du dossier, Mme [G], aide soignante, disposant de revenus et d’un logement propre. Quant à la prise en compte du sexe de la victime, il nécessite de prendre pour postulat la faiblesse de la femme, en toutes circonstances, ce que la cour ne peut envisager.
Les violences dans les termes des articles 1140 et 1143 du code civil n’étant pas constituées, le consentement à la reconnaissance de dette étant plein et entier, le jugement sera réformé et Mme [G] sera condamnée à payer à M. [Y] la somme de 6700 € restant due sur les causes de la reconnaissance de dette, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 29 juillet 2019 et capitalisation des intérêts dans les termes légaux, la somme ne faisant l’objet d’aucune contestation.
Mme [G], partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions
Condamne Mme [S] [G] à payer à M. [F] [Y] la somme de 6700 € avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2019.
Prononce la capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.
Condamne Mme [S] [G] aux dépens de première instance et d’appel, avec pour ces derniers, distraction au profit de l’avocat qui affirme son droit au recouvrement direct.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président