20 avril 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/06728
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59B
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 AVRIL 2023
N° RG 21/06728
N° Portalis DBV3-V-B7F-U2Q3
AFFAIRE :
[O] [X] [T] [E]
C/
[U] [B] divorcée [R]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Septembre 2021 par le TJ de VERSAILLES
N° Chambre : 2
N° RG : 20/02807
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Benjamin LEMOINE de la SELARL RIQUIER – LEMOINE
Me Martina BOUCHE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [O] [X] [T] [E]
né le 07 Mars 1942 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Benjamin LEMOINE de la SELARL RIQUIER – LEMOINE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 179 – N° du dossier 191103
APPELANT
****************
Madame [U] [B] divorcée [R]
née le 04 Septembre 1934 à [Localité 7] (92)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Martina BOUCHE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 266
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence PERRET, Président,,
Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,
FAITS ET PROCEDURE :
Mme [U] [B] divorcée [R] et M. [O] [E] ont entretenu une relation sentimentale de 1983 à 2014.
Par lettre recommandée du 24 avril 2018, M. [E] a, par la voie de son conseil, mis en demeure Mme [R] d’avoir à lui verser le tiers du prix de vente de son appartement situé [Adresse 2] à [Localité 4], se prévalant d’un » protocole d’accord » signé entre les parties le 13 février 2015.
Par acte du 10 juin 2020, M. [E] a fait assigner Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Versailles en paiement de la somme de 96 666, 66 euros, représentant le tiers du prix de vente de l’appartement de cette dernière, en application de l’accord du 13 février 2015 destiné à compenser les travaux qu’il a effectués et financés au cours de leur vie commune.
Par jugement du 28 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Versailles a :
– déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par Mme [R],
– débouté M. [E] de ses demandes,
– condamné M. [E] à payer à Mme [R] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamné M. [E] aux entiers dépens,
– condamné M. [E] à payer Mme [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le tribunal a retenu, au visa de l’article 789 du code de procédure civile, que l’exception tirée de l’incompétence matérielle du tribunal judiciaire soulevée par Mme [R], ne procédant pas d’une cause révélée postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état, était irrecevable devant la formation de jugement.
Le tribunal a jugé que, faute de préciser le montant de l’engagement, le protocole d’accord par lequel Mme [R] s’engageait à verser à M. [E] » une somme équivalente au tiers de la vente de [son] appartement » n’avait pas la valeur d’une reconnaissance de dette au sens de l’article 1326 du code civil et ne pouvait donc valoir que commencement de preuve par écrit. Le tribunal a par ailleurs retenu l’existence d’une contrainte morale à l’origine de la signature du protocole d’accord litigieux, de nature à avoir vicié le consentement de Mme [R] par violence, dès lors que, en première part, les pièces produites aux débats étaient de nature à établir un climat de tension et de pression fait de harcèlement pour obtenir son consentement à une reconnaissance de dette ainsi que le sentiment de crainte inspiré par le comportement de l’intéressé, et qu’en deuxième part, aux termes du protocole litigieux, M. [E] s’engageait, à titre de concession réciproque à une reconnaissance de dette, à cesser toutes relations avec Mme [R], formule ne pouvant s’entendre que de relations imposées par l’intéressé et subies par Mme [R].
Le tribunal a jugé enfin, que les pièces versées par M. [E] étaient impropres à écarter les man’uvres de pression alléguées.
Le tribunal en a déduit que l’acte était nul et que M. [E] devait être débouté de sa demande en paiement.
Le tribunal a jugé qu’en exerçant des pressions et des faits de contrainte sur son ancienne compagne afin de se faire consentir un avantage financier, M. [E] avait commis une faute au sens de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, cette faute ayant causé à Mme [R] un préjudice moral, évalué à 2 000 euros.
Par acte du 10 novembre 2021, M. [E] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 6 décembre 2022, de :
– dire Mme [R] forclose à invoquer la nullité de son consentement à la signature du protocole du 13 février 2015, par application de l’article 1144 du code civil,
– pour ce motif, infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et condamner Mme [R] au paiement de la somme de 96 666, 66 euros avec intérêts de droit ainsi qu’aux demandes ci-après exprimées,
Subsidiairement,
– juger que Mme [R] ne rapporte pas la preuve que son consentement à la signature de la convention a été faussé par la contrainte morale exercée à son encontre par M. [E],
– juger en conséquence qu’il doit être déclaré valide et condamner Mme [R] au paiement de la somme 96 666,66 euros au profit de M. [E] avec intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 24 avril 2018, et subsidiairement de l’assignation délivrée le 10 juin 2020,
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [E] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
– infirmer la décision en ce qu’elle a condamné M. [E] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné M. [E] aux dépens de l’instance et condamner Mme [R] en tous les dépens d’instance et d’appel, avec recouvrement direct.
M. [E] expose qu’ayant réalisé et financé d’importants travaux dans la propriété de Mme [R], avec laquelle il a entretenu une liaison, cette dernière s’est engagée à lui rembourser les dépenses effectuées par un protocole d’accord du 13 février 2015. Il précise que, lors de leur cohabitation, il avait conservé son studio qu’il continuait d’occuper et versait à Mme [R] la somme mensuelle de 152 euros. Il soutient que Mme [R] ayant vendu son bien le 29 septembre 2017 pour la somme de 282 000 euros , il est bien fondé à solliciter sa condamnation à lui payer la somme de 96 666, 66 euros, dans la mesure où l’engagement pris par cette dernière de lui octroyer une somme équivalente au tiers de la vente de son appartement s’impose à elle, en application de l’article 1322 devenu 1372 du code civil.
En réplique à la nullité de l’acte pour vice du consentement soulevée par l’intimée, l’appelant oppose, la prescription de la demande en nullité pour vice du consentement, sur le fondement de l’article 1144 du code civil, au motif que Mme [R] n’a invoqué des faits de violence que le 10 juin 2020, alors que la demande en nullité aurait dû être formée au plus tard en mars 2020, dès lors, d’une part, que le point de départ de la prescription est situé au lendemain de la signature de l’acte, les violences invoquées étant antérieures à celle-ci et, d’autre part, que le délai de prescription a été suspendu depuis la saisine du conciliateur jusqu’à la régularisation du constat de non-conciliation, soit du 9 au 27 février 2018, pour courir à nouveau à compter du 28 février 2018.
Subsidiairement, l’appelant soutient qu’il n’est pas démontré que le consentement de Mme [R] aurait été vicié et conteste la pertinence des pièces produites par cette dernière. Il fait valoir, d’abord, que l’attestation de Mme [K] ne décrit aucun comportement blâmable de sa part, ensuite, que Mme [V] ne relate aucun fait dont elle a été témoin et que son témoignage est contredit par une autre attestation, enfin, que le mail de Mme [R] adressé à Mme [V] ne révèle aucune altération de sa faculté de contracter.
Il fait grief au jugement de l’avoir condamné à indemniser le préjudice de Mme [R], alors que le tribunal n’a identifié aucun agissement blâmable qui lui soit imputable.
Par dernières écritures du 13 janvier 2023, Mme [R] prie la cour de :
– la recevoir en ses demandes et l’y déclarer bien fondée,
En conséquence,
– confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
– débouter M. [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [E] à lui payer une somme de 4 000 euros supplémentaires sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [E] en tous les dépens.
L’intimée sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et réplique à la prescription soulevée que l’article 1144 du code civil ne s’applique qu’à la nullité invoquée par voie d’action, alors qu’un moyen de défense au fond au sens de l’article 71 du code de procédure civile échappe à la prescription.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2023.
MOTIFS
Sur la demande en nullité de la reconnaissance de dette.
Sur la prescription de la demande en nullité.
L’appelant soulève l’irrecevabilité de cette prétention pour cause de prescription.
La demande en nullité de Mme [R] tend au rejet de la demande en paiement de M. [E], de sorte qu’elle consiste en une défense au fond.
L’article 1185 du code civil prévoyant que l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution, ce qui est le cas de l’espèce, le moyen d’irrecevabilité doit être rejeté.
Sur le vice du consentement
Selon l’article 1109 du code civil dans sa version applicable au litige, il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol.
A l’appui de sa demande en nullité du protocole d’accord, l’intimée produit aux débats plusieurs attestations :
– Mme [K] amie de Mme [R] atteste en ces termes : » Amie du couple et particulièrement de Mme [U] [R], j’ai connu de nombreux épisodes, dramatiques de désespoir, de fâcheries, de séparations, mon amie supportant mal, la domination autoritaire, qu’a toujours exercée M. [E] dans leur relation et qui rendait mon ami craintive et anxieuse. Ce qui s’est aggravé dans les dernières années de leur vie commune, faite de harcèlements et de menaces, créant un constat état d’angoisse, ce qui a lourdement altéré sa santé et qui justifie certainement de leur séparation.(..) ».
-Mme [F], fille de Mme [R] témoigne en ces termes : » J’atteste que ma mère a subi des pressions à l’époque de sa séparation avec M. [O] [E]. Elle vivait dans la crainte et était physiquement et psychologiquement exténuée. (..) Lorsqu’il a menacé de tout casser dans la maison (..), si elle refusait de signer un protocole d’accord -menace- dont elle m’a fait part par téléphone, l’angoisse est encore montée d’un cran pour ma mère et la situation devenait ( illisible) (..).
-Mme [V], nièce de Mme [R], témoigne de la façon suivante : » (..) M. [E] a commencé à la harceler, constamment pour qu’elle signe une reconnaissance de dette, devenu protocole d’accord, ce qu’elle refusait catégoriquement. Elle m’a dit qu’il rentrait chez elle sans la prévenir pour venir, entre autres, réclamer cette signature et qu’il a menacé de tout casser chez elle, en cas de refus, elle était extrêmement apeurée. Elle ne dormait plus et vivait en permanence dans cette angoisse de le voir. Elle m’en parlait tout le temps. (..) J’étais vraiment inquiète pour elle. Je lui demandais le 14 janvier 2015 de prendre rendez-vous avec un serrurier. Ma tante avait alors à l’époque plus de 80 ans.(..) « .
-M. [X] [R], fils de Mme [R] atteste que : » Lors de la séparation entre ma mère et M. [O] [E], ce dernier exerçait de lourdes pressions pour obtenir un dédommagement financier correspondant selon lui aux travaux effectués durant leur vie commune passé. J’ai clairement ressenti que ma mère, vivant loin de nous, était au plus mal, et n’avait plus la force de lutter contre les pressions incessantes de M. [E], je lui ai alors conseillé de signer le protocole d’accord réclamée par M. [E]. « .
Mme [R] produit également aux débats :
-une déclaration de main courante du 15 janvier 2015 dans laquelle elle expose que M. [E] dont elle est séparée depuis six mois et qui réside dans un appartement voisin du sien, ne cesse de l’importuner en réclamant une reconnaissance de dette, évoquant des menaces et en précisant qu’elle a peur.
– un échange de mails entre Mme [V] et Mme [R], les 14 et 15 janvier 2015 aux termes desquels Mme [V] demande à sa tante, si elle a pris rendez-vous avec le serrurier et ajoute : » Appelle-moi s’il y a quoi que ce soit à n’importe quel moment, je serai toujours là pour toi (..) « .
– un courriel du 13 février 2015, selon lequel Mme [R] écrit à Mme [V] : » Comme j’ai eu des moments difficiles et que j’étais un peu paumée, j’ai demandé aux enfants de prendre les choses en main. [Y] a servi de médiateur. En conclusion, cela va s’arranger avec un protocole d’accord entre nous deux : octroi de ce qu’il voulait contre engagement de ne plus rien me prendre et me laisser en paix. « .
-plusieurs mails de M. [E] adressés à Mme [R] courant novembre 2017 et aux termes desquels il lui dit souhaiter qu’elle honore leur accord dans les meilleurs délais, ou encore qu’il souhaite connaître ses intentions afin de solder au plus tôt leur accord.
Ces éléments produits aux débats établissent l’existence d’un harcèlement moral exercé par M. [E] sur Mme [R] lequel a été déterminant pour obtenir de la part de cette dernière son consentement à un protocole d’accord en sa faveur.
En conséquence de ce qu’il suit, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu d’une part l’existence d’une contrainte morale à l’origine de la signature du protocole d’accord de nature à avoir vicié le consentement de Mme [R] par violence, d’autre part, que ce vice du consentement emportait la nullité de l’acte.
M. [E] sera donc débouté de sa demande en paiement par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur la demande de dommages intérêts.
Mme [R] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné M. [E] à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages intérêts.
M. [E] conteste tout agissement blâmable de son part.
Selon l’article 1382 du code civil, dans sa version applicable au litige, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le harcèlement moral subi par Mme [R] de la part de M. [E] est fautif.
Il résulte des différentes pièces produites aux débats que le préjudice moral de Mme [R] âgée de plus de 80 ans est caractérisé.
Il sera fait droit à la demande d’indemnisation de cette dernière par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur les autres demandes
Les condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et dépens de première instance seront confirmées.
M. [E] sera condamné à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [E] sera condamné aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 28 septembre 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette l’exception d’irrecevabilité formée par M. [E],
Condamne M. [E] à payer à Mme [R] la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [E] aux dépens d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Florence PERRET, Président, et par Madame FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,