24 avril 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/03170
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 24 AVRIL 2023
N° RG 20/03170 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVKY
[R] [C]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/21519 du 17/12/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[L] [Y]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/015379 du 15/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 09 juin 2020 par le Tribunal judiciaire de BERGERAC (RG : 19/00821) suivant déclaration d’appel du 27 août 2020
APPELANTE :
[R] [C]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 4]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
représentée par Maître Michel PUYBARAUD de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Nicolas MORAND-MONTEIL, avocat plaidant au barreau de BERGERAC
INTIMÉE :
[L] [G]
née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 6] (24)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
représentée par Maître Michel CHEVALIER, avocat au barreau de BERGERAC
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 février 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Mme [L] [Y] et Mme [R] [C] ont vécu en colocation dans un appartement à [Localité 4] pendant plusieurs années.
Le 22 décembre 2006, Mme [Y] a donné procuration à Mme [C] sur ses comptes bancaires.
Cette dernière aurait réalisé plusieurs opérations à partir du compte bancaire de Mme [Y].
Le 23 juin 2016, Mme [C] a quitté le domicile en laissant une lettre accompagnée de la carte bancaire de Mme [Y].
Par acte d’huissier du 16 août 2019, Mme [Y] a assigné Mme [C] devant le tribunal judiciaire de Bergerac aux fins d’obtenir la restitution de la somme de 20 000 euros qu’elle affirme lui avoir prêtée, ainsi que la condamnation de Mme [C] au paiement de diverses sommes au titre des préjudices subis.
Par jugement du 9 juin 2020, le tribunal judiciaire de Bergerac a :
– déclaré l’exception de nullité de l’assignation tirée de la prescription irrecevable,
– rejeté toutes les demandes présentées par Mme [C],
– condamné Mme [C] à restituer la somme de 18 610 euros à Mme [Y], avec intérêts au taux légal,
– dit que Mme [C] pourra se libérer de ladite somme par mensualités de 200 euros payables le 5 de chaque mois à compter du mois suivant la signification de la décision,
– dit qu’à défaut de paiement d’une seule échéance à sa date et quinze jours après mise en demeure restée infructueuse, la totalité de la somme restant due sera immédiatement exigible,
– rappelé qu’aux termes de l’article 1343-5 alinéa 4 du code civil ces délais suspendent les voies d’exécution,
– condamné Mme [C] à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice moral,
– condamné Mme [C] à payer à Mme [Y] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [C] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [C] aux entiers dépens,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Mme [C] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 27 août 2020 et par conclusions déposées le 12 avril 2021, elle demande à la cour de :
– Réformer le jugement du 9 juin 2020 en toutes ses dispositions ;
– Débouter Mme [Y] de ses demandes à titre principal sur le fondement quasi-délictuel et à titre subsidiaire sur le fondement contractuel ;
– Dire que Mme [C] n’a pas consenti en toute connaissance de cause à la rédaction et à la signature de la reconnaissance de dette litigieuse qui s’en trouve nulle et de nul effet ;
– Dire Mme [C] bien fondée en son action reconventionnelle de in rem verso et condamner Mme [Y] à lui rembourser la somme de 35.000 € ;
– La condamner également à lui payer 2.000 € à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondues, 2.400 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d’appel, et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, la SCP Michel Puybaraud (Maître Michel Puybaraud) pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu provision.
Par conclusions déposées le 3 juin 2021, Mme [Y] demande à la cour de :
– confirmant le jugement, débouter l’appelante de ses demandes,
– condamner Mme [C] à restituer à Mme [Y] la somme de 20 000 euros frauduleusement détournée à son préjudice outre les intérêts au taux légal,
– la condamner en outre à payer à Mme [Y] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– et celle de 3 000 euros au titre de son préjudice financier,
Subsidiairement,
– condamner Mme [C] à payer à Mme [Y] la somme de 20 000 euros outre 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et 3 000 euros au titre de son préjudice financier,
– condamner la même à payer 1 500 euros en application de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile,
– ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 20 février 2023.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 6 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I Sur la demande en paiement à titre principal de 20.000 € et la demande reconventionnelle du paiement de la somme de 35.000 €.
En vertu de l’article 1382 du code civil applicable, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’article 1326 du code civil application prévoit que ‘L’acte juridique par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres’.
Mme [C] conteste tout détournement de sa part sur le compte de Mme [Y], disant ces faits non établis.
S’agissant de la reconnaissance de dette, elle reproche au premier juge de ne pas avoir répondu à son argument selon lequel elle n’a pas rédigé ce document en toute connaissance de cause. Elle expose que lors de l’établissement de cet écrit, elle sortait du centre hospitalier psychiatrique de [Localité 4], n’était pas consolidée, disant verser divers éléments en ce sens, y compris médicaux, et que son adversaire est à l’origine de cet état qu’elle ne pouvait ignorer. Elle en tire comme conséquence une absence de consentement de sa part.
A titre subsidiaire, elle estime que la reconnaissance de dette du 13 septembre 2016 est sans cause, dénonçant des incohérences quant aux versements allégués par son adversaire au vu des relevés de compte versés aux débats.
Elle avance avoir à l’inverse crédité le compte de la partie adverse d’un montant total de 15.000 € en 2013 et 2014 et supporté des montants supérieurs à sa participation aux frais de la vie quotidienne, outre différentes dépenses personnelles de Mme [Y], au vu des relevés de ses propres comptes qu’elle verse aux débats. Elle dit justifier ainsi le montant de 35.000 € réclamé à titre reconventionnel.
Elle s’oppose à ce que les versements s’élevant au total à la somme de 1.380 € constituent un commencement d’exécution du paiement de la reconnaissance de dette, disant que les montants remis à ce titre l’ont été pour régler une dette locative liée aux défauts de paiement de son adversaire.
***
Mme [Y] soutient que Mme [C] a, entre 2012 et 2016, détourné un montant de plus de 20.000 € au vu de ses relevés de comptes, des virements effectués sur les comptes de l’intéressée, des retraits en liquide opérés grâce au détournement de sa carte bleue.
Elle argue de ce l’appelante a agi de manière cohérente et organisée pendant toutes ces années, que les éléments communiqués par celle-ci n’établissent pas d’autres relations qu’une colocation, que ses relevés de comptes ne comportant pas les destinataires des fonds versés, ils n’établissent pas ses affirmations. Mieux, elle souligne que ceux-ci sont parcellaires, ne sont précisés que par des annotations manuscrites de la partie adverse et ne sauraient refléter la totalité des opérations réalisées par cette dernière, qui au surplus aurait été titulaire d’autres comptes.
Surtout, elle relève que les pièces relatives à l’état de santé de Mme [C] ne prouvent pas qu’elle aurait été dans l’incapacité de s’engager valablement le 13 septembre 2016, engagement confirmé au surplus par l’exécution spontanée d’une partie des paiements prévus par l’appelante.
***
La cour constate en premier lieu que l’ensemble des relevés de comptes et pièces bancaires versées aux débats par les deux parties, si elles montrent de manière incontestable l’existence de flux monétaires entre elles, notamment du fait de l’existence de virements de la part de Mme [Y] au profit de Mme [C] et du fait du règlement par le compte de cette dernière de factures communes, n’établissent pas en revanche les modalités d’un accord de la prise en charge des frais de vie en colocation conclu entre les parties.
Si cet accord n’est pas remis en cause en son principe, aucun élément de preuve quant aux montants à supporter par chacune des parties n’est établi. De même, il ne ressort d’aucun élément suffisant, les annotations manuscrites réalisées sur ses relevés de compte par Mme [C] ne pouvant suffire à ce titre, quant à la réalité des dépenses effectuées par les parties à la présente instance. De surcroît, il n’est justifié par aucun élément de ce que les retraits en liquide ou certains virements vers des destinataires non identifiés effectués sur le compte de Mme [Y] aient profité à l’appelante.
Il s’ensuit que tant la demande en paiement faite à titre principal sur le fondement de l’article 1382 du code civil par l’intimée que celle faite à titre reconventionnel par Mme [C] ne sont pas établies et seront rejetées.
En ce qui concerne la demande faite à titre subsidiaire par Mme [Y] au titre de la reconnaissance de dette signée le 13 septembre 2016, il doit être constaté dans un premier temps que ce document est régulier en la forme, respectant les dispositions de l’article 1326 du code civil précité.
S’agissant de la question du consentement par Mme [C] à cet engagement, celle-ci verse en particulier aux débats un certificat médical émanant du docteur [U] [V] et un compte rendu de son hospitalisation au sein de l’unité de psychiatrie de l’hôpital de [Localité 4] entre le 24 juin et le 31 août 2016.
Il ne ressort cependant pas de ces pièces que cette appelante, quand bien même elle a bénéficié d’un suivi à l’issue de cette période, ait été privée de sa lucidité ou atteinte d’une altération de ses facultés l’empêchant de souscrire la reconnaissance de dette du 13 septembre suivant.
Il s’ensuit que ce moyen sera rejeté.
A propos de l’argument tiré de l’absence de cause de la reconnaissance de dette objet du présent litige, il sera rappelé qu’il appartient à Mme [C] d’établir cet élément.
Or, s’il est exact que le document manuscrit ne précise pas les causes de l’engagement pris, les relevés de comptes versés aux débats ne rapportent pas la preuve de l’absence de cause de l’obligation de l’appelante, du fait des éléments relatifs à ces écrits rappelés ci-avant.
De surcroît, il sera remarqué que si le montant des remboursements dont se prévaut Mme [Y] entre le 8 février 2017 et le 13 février 2018 ne sont pas ceux prévus par la reconnaissance de dette, hormis ceux des 8 février et 8 août 2017, ces deux derniers versements n’en constituent pas moins une indication quant à l’existence de l’engagement et à son bien-fondé.
Par conséquent, la décision attaquée sera totalement confirmée sur ce point.
II Sur les demandes en dommages et intérêts.
Mme [C] s’oppose à toute condamnation à son encontre à ce titre, faute de preuve du moindre préjudice, les seuls éléments au soutien de cette prétention émanant de la main de son adversaire ou étant une attestation de Mme [J] [D], qui ne ferait que reprendre les déclarations de cette dernière.
Elle entend en outre qu’il lui soit alloué une somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts du fait des montants dont a profité l’intimée à son détriment.
Mme [Y] sollicite quant à elle non seulement 3.000 € au titre de son préjudice financier, mais également 10.000 € pour son préjudice moral.
Toutefois, il sera une nouvelle fois constaté que les parties n’établissent pas le moindre dommage financier au vu des éléments retenus ci-avant.
Mieux, s’il existe sans conteste un préjudice moral au détriment de Mme [Y], celui-ci ne résulte, du fait de ce qui précède, que de l’absence de remboursement pendant plus de 4 ans des échéances prévues à la reconnaissance de dette en date du 13 septembre 2006 et de l’opposition de son adversaire à tout paiement.
Dès lors, il convient de retenir que le premier juge a fait une exacte évaluation du dommage moral de l’intimée en le fixant à un montant de 2.000 €.
La condamnation prononcée de ce chef sera donc confirmée et les demandes contraires ou supplémentaires seront rejetées.
III Sur les demandes annexes.
Aux termes de l’article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, Mme [C], qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande que Mme [C] soit condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bergerac le 9 juin 2020 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [C] à verser à Mme [Y] la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [C] aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,