Prêt entre particuliers : 30 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02444

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Prêt entre particuliers : 30 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02444
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30 mai 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/02444

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 30 MAI 2023

N° RG 20/02444 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LTLA

[Z] [M]

c/

[S] [I] [A]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 juin 2020 par Tribunal de Judiciaire de Bordeaux (RG n° 18/04594) suivant déclaration d’appel du 15 juillet 2020

APPELANTE :

[Z] [M]

née le 24 Avril 1956 à [Localité 5] (ANGLETERRE)

de nationalité Française

demeurant [Localité 3]

Représentée par Me Jean GONTHIER, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant, et par Me Ludovic VALAY de la SELARL VALAY-BELACEL-DELBREL-CERDAN, avocat au barreau d’AGEN, plaidant

INTIMÉ :

[S] [I] [A]

né le 25 Juin 1954 à [Localité 2] (GRANDE BRETAGNE)

de nationalité Britannique

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Johanne AYMARD-CEZAC, avocat au barreau de BORDEAUX, postutlant, et par Me Stéphane BONIFASSI, avocat au barreau de PARIS, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du cpc, l’affaire a été débattue le 04 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Hélène MORNET, présidente et Isabelle DELAQUYS, conseillère, chargées du rapport

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 mars 1993, M. [P] [O] [M], au nom d’usage [M], ressortissant britannique, a acquis en nom propre un bien immobilier lieu dit “[Localité 3]” sur la commune de [Localité 4], en Gironde, financé au moyen d’un apport personnel de 160 000 francs (24 391 euros) et d’un emprunt de 700 000 francs (106 700 euros) souscrit auprès de la Banque Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Haute Normandie, bénéficiaire initialement d’un privilège de prêteur de deniers de premier rang et d’une hypothèque conventionnelle.

En 1998, M. [M] a contracté un nouveau prêt de 765 000 francs (110 000 euros) auprès de son ami, M. [A], et l’épouse de ce dernier, Mme [G] [D], pour permettre le refinancement des engagements bancaires qu’il ne parvenait plus à honorer.

Le 26 juin 2012, M. [P] [M] s’est marié avec Mme [Z] [X], également ressortissante britannique. M. [P] [M] est décédé le 17 mars 2016 en France sur la commune de [Localité 4] (33).

Aux termes de son testament établi le 29 mars 2014, M. [P] [M] a, entre autres dispositions, choisi la loi du Royaume Uni (plus particulièrement la loi de l’Angleterre et du Pays de Galles) pour régir sa succession dans son ensemble, et a désigné son épouse Mme [Z] [M] et son ami M. [S] [A], également ressortissant britannique, en qualité d’exécuteurs testamentaires et trustees (administrateurs) du patrimoine successoral.

Se prévalant de la qualité de créancier de la succession de M. [P] [M], au titre du prêt consenti le 28 avril 1998 et de plusieurs avances de fonds entre 2004 et 2013, M. [S] [A] s’est retiré de l’administration de la succession et de sa fonction d’exécuteur testamentaire le 24 septembre 2017.

Aucune suite favorable n’a été donnée par Mme [Z] [M], désormais seule exécuteur testamentaire, aux demandes amiables de remboursement des créances revendiquées par M. [S] [A].

Par acte d’huissier du 9 mai 2018, M. [S] [A] a assigné Mme [Z] [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M], devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de dire et juger que le droit anglais est applicable tant aux opérations de succession qu’aux relations contractuelles des parties au litige et de la condamner à lui payer diverses sommes.

Par jugement du 9 juin 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– déclaré recevables l’ensemble des pièces communiquées par M. [S] [A],

– dit n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces n° 6 et n° 7 communiquées par Mme [Z] [M],

– écarté des débats la pièce n° 4 communiquée par Mme [Z] [M],

– déclaré le droit anglais applicable aux opérations de succession de feu [P] [M], ainsi qu’aux contrats de prêt objet du litige et aux règles de prescription de l’action,

– déclaré irrecevable car prescrite l’action de M. [S] [A] en paiement des intérêts contractuels antérieurs au 9 mai 2012,

– débouté Mme [Z] [M] de sa fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action de M. [S] [A] au titre de ses autres demandes,

– condamné Mme [Z] [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] à payer à M. [S] [A] la somme de 512.140,91 euros correspondant au capital restant du, au titre du prêt du 28 avril 1998 et des prêts postérieurs,

– condamné Mme [Z] [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] à payer à M. [S] [A] sur la somme de 116.623,50 € les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3% en sus du taux de base de la banque HSBC (Anciennement Midlands Bank) à compter du 9 mai 2012 et jusqu’à complet paiement,

– débouté M. [S] [A] du surplus de ses demandes en paiement au titre des intérêts contractuels,

– débouté Mme [Z] [M] de ses demandes de compensation, d’organisation d’une expertise financière et délais de paiement,

– condamné Mme [Z] [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] aux entiers dépens de l’instance,

– condamné Mme [Z] [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] à payer à M. [S] [A] la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Procédure d’appel :

Par déclaration du 15 juillet 2020, Mme [Z] [M] a relevé appel de l’ensemble des dispositions du jugement sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces n° 6 et n° 7 communiquées par Mme [Z] [M] et débouté M. [S] [A] du surplus de ses demandes en paiement au titre des intérêts contractuels.

M. [A] a formé appel incident.

Selon dernières conclusions du 9 février 2023, Mme [Z] [M] demande à la cour de :

– réformer et annuler en ses dispositions frappées d’appel le jugement,

– débouter l’intimé de son appel reconventionnel,

Juger à nouveau et :

In limine litis,

– écarter la pièce 32, soit le certificat de coutume,

– faire application des dispositions du code civil et écarter l’application du droit Anglais,

– juger l’action prescrite en application de l’article 2224 du code civil,

– juger, si la cour retenait l’application du droit anglais que la prescription de l’action est tout aussi justifiée sur le fondement des articles 5 et 6 de la loi anglaise, soit la Limitation Act 1980,

– juger l’action éteinte par l’effet de la prescription,

A titre principal sur le fond,

– dire et juger irrecevables et mal fondées l’ensemble des demandes de M. [A],

– débouter M. [A] de l’ensemble de ses demandes,

– juger en tout état de cause que M. [A] n’établit pas l’existence d’un contrat de prêt au soutien de ses demandes de remboursement,

– juger l’absence d’existence réelle et sérieuse des sommes de 140.000 £ et de 354.390,65 € réclamées au titre du contrat de prêt du 28 avril 1998 outre des sommes portées en condamnation du premier juge soit 512.140,91 euros et 116.623,50 euros,

– juger l’absence d’existence réelle et sérieuse des sommes de 89.902,54 £ et de 366.848 € réclamées au titre des intérêts contractuels, arrêtés au 27 décembre 2017 et calculés au taux de la Banque d’Angleterre majorés d’une prime de 3 %,

– juger l’absence de décompte et d’imputabilité à titre personnel à M. [M] des sommes revendiquées, en dehors de l’opération de rénovation de l’immeuble de [Localité 4] appartenant à M. [A],

A titre subsidiaire,

– condamner M. [A] à payer tant à Mme [M] es qualité qu’à titre personnel la somme de 426.270 euros,

– ordonner la compensation des créances réciproques des parties si la créance de M. [A] est établie après décompte et vérification,

– juger la prescription des intérêts des sommes éventuellement retenues par la cour à l’encontre Mme [M].

A titre infiniment subsidiaire,

– Accorder à Mme [M] un délai de paiement de deux ans à compter de l’arrêt,

A titre très infiniment subsidiaire et avant dire droit,

– ordonner une expertise afin de déterminer les créances respectives,

En toute hypothèse,

– condamner M. [A] à lui verser la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel au bénéfice de Me Jean Gonthier.

Selon dernières conclusions du 9 août 2022, M. [S] [A] demande à la cour de :

In limine litis,

– déclarer irrecevable la demande de Mme [Z] [M] de le condamner à lui payer à titre personnel la somme de 426.270 euros en ce que cette demande est nouvelle,

– écarter des débats les pièces n° 4, 6, 7, 16, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 versées par Mme [M] faute de traduction assermentée de ces pièces en langue anglaise,

– déclarer recevable la pièce n° 32 versée par M. [A] (certificat de coutume),

Au fond,

– déclarer recevable mais mal fondé l’appel principal formé par Mme [M] à l’encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 juin 2020,

– confirmer ce jugement en ce qu’il a :

* jugé recevables l’intégralité des pièces communiquées par M. [A] ;

* écarté des débats la pièce n° 4 communiquée par Mme [M] ;

* jugé le droit anglais applicable aux opérations de succession de M. [M], aux contrats de prêt objet du présent litige et aux règles de prescription de l’action ;

* débouté Mme [M] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de M. [A] et jugé que l’action de M. [A] n’était pas prescrite s’agissant du capital et des intérêts contractuels à compter du 9 mai 2012 ;

* condamné Mme [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [P] [M] à payer à M. [A] la somme de 512.140,91 euros correspondant au capital restant dû, au titre du prêt du 28 avril 1998 et des prêts postérieurs et sur la somme de 116.623,50 € les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3 % en sus du taux de base de la banque HSBC (Anciennement Midlands Bank) à compter du 9 mai 2012 et jusqu’à complet paiement ;

* débouté Mme [M] dans ses demandes de compensation, d’organisation d’une expertise financière et délais de paiement ;

* condamné Madame [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] les entiers dépens de l’instance et la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclarer M. [A] recevable et bien fondé en son appel incident,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces n° 6 et n° 7 communiquées par Mme [Z] [M],

– statuant à nouveau, écarter des débats les pièces n° 6 et 7 communiquées par Mme [M],

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que l’action de M. [A] était prescrite, s’agissant du recouvrement des intérêts dus au titre du contrat de prêt conclu le 28 avril 1998 entre M. [A] et M. [M], pour la période comprise entre le 28 avril 1998 et le 9 mai 2012,

Statuant à nouveau à titre principal :

– juger l’action de M. [A] recevable et non prescrite s’agissant du recouvrement des intérêts dus au titre du contrat de prêt conclu le 28 avril 1998 entre M. [A] et M. [M], pour la période comprise entre le 28 avril 1998 et le 9 mai 2012,

– condamner Mme [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] sur la somme de 116.623,50 euros les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3% en sus du taux de base de la banque HSBC (anciennement Midlands Bank) pour la période comprise entre le 28 avril 1998 et jusqu’au 9 mai 2012,

A titre subsidiaire :

– juger l’action de M. [A] recevable et non prescrite s’agissant des intérêts contractuels dûs au titre dudit prêt pour la période comprise entre le 2 octobre 2009 et le 9 mai 2012,

– condamner Mme [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] sur la somme de 116.623,50 euros les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3% en sus du taux de base de la banque HSBC (anciennement Midlands Bank) pour la période comprise entre le 2 octobre 2009 et jusqu’au 9 mai 2012,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 juin 2020 en ce qu’il a débouté M. [A] du surplus de ses demandes en paiement au titre des intérêts contractuels dus en contrepartie des prêts postérieurs conclus dans le prolongement du prêt du 28 avril 1998,

Statuant à nouveau à titre principal :

– juger que les prêts postérieurs produisent le même taux d’intérêt que celui prévu dans le contrat de prêt initial du 28 avril 1998,

– par conséquent, condamner Mme [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] sur la somme de 395.517,41 euros, les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3 % en sus du taux de base de la banque HSBC (anciennement Midlands Bank) à compter du 28 avril 1998 et jusqu’à complet paiement,

A titre subsidiaire et si par extraordinaire, la cour de céans estimait que les prêts postérieus n’étaient pas soumis aux mêmes conditions contractuelles que le prêt du 28 avril 1998 :

– juger que les prêts postérieurs sont soumis à un taux d’intérêts légal («statutory interests») simple de 8 %, ou au taux que la cour jugera approprié, en application du droit anglais,

– par conséquent, condamner Mme [M] ès qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] sur la somme de 395.517,41 euros les intérêts au taux légal de 8 % ou au taux que la cour jugera approprié, en application du droit anglais,

à compter du 28 avril 1998 et jusqu’à complet paiement,

En tout état de cause,

– débouter Mme [M] de l’intégralité de ses demandes, moyens et prétentions,

– la condamner es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [M] à payer à M. [A] la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIVATION

Sur la demande de rejets de pièces

Le tribunal a à bon droit rappelé que selon l’ordonnance de Villers Cotterêts du 25 avril 1539 et l’article 23 du code de procédure civile, le juge a la faculté de retenir une pièce communiquée en langue étrangère sans recourir à une traduction s’il connaît la langue dans laquelle s’expriment les parties et sous réserve de pouvoir en préciser la signification.

Sur les pièces communiquées par Mme [M]

Le tribunal a écarté la pièce n°4 au motif qu’il n’était pas en mesure de traduire sans erreur cette pièce qui semble être un titre de propriété concernant un bien à Longfield. Ce rejet n’est pas critiqué.

En revanche il a déclaré recevables les pièces 6 et 7 au motif qu’elles sont aisément compréhensibles sans avoir besoin d’être traduites. Il s’agit en effet d’un courrier adressé par Mme [M] à l’avocat de M. [A] aux termes duquel elle indique son désaccord pour payer les sommes réclamées ; et d’un décompte de jours de travail sur les propriétés de ‘Niks’ ([S] [A]). Le même constat est fait par la cour. C’est donc vainement que M. [A] en réclame le rejet.

C’est tout aussi vainement qu’il demande à voir écarter les pièces 16, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 pour défaut de traduction en français, les pièces visées ne nécessitant pas de traduction eu égard à leur matérialisation et à leur compréhension simple, celles portant entre autres sur des décomptes aisément compréhensibles.

Sur la pièce n° 32 communiquée par M. [A]

M. [A] produit une pièce n° 32 consistant en une attestation établie par M. [N] [Y], avocat inscrit au Barreau de l’Angleterre et du Pays de Galles, qui se veut être un certificat de coutume sur le droit anglais pouvant être appliqué au contrat liant les parties.

L’appelante demande d’écarter cette pièce aux motifs qu’elle n’a pas force probante et qu’elle est contraire au principe de loyauté et d’impartialité pour avoir été établie par le neveu de M. [A].

Mais c’est par de justes motifs qu’il convient d’adopter que les premiers juges ont déclaré recevable cette pièce au motif que d’une part elle a été traduite en langue française par un traducteur expert assermenté près la cour d’appel de Montpellier et se trouve être donc parfaitement recevable en la forme et qu’au fond en tant que simple attestation sa valeur probante reste soumise à l’appréciation du juge sans qu’il n’y ait lieu à la rejeter in limine itis.

Le jugement est confirmé de ces chefs.

Sur la loi applicable

M. [P] [M] était de nationalité britannique tout comme son épouse Mme [Z] [X]. Ils se sont mariés au Royaume Uni. M. [M] est décédé en France. Mme [X] veuve [M] réside en France.

M. [A] est également de nationalité britannique et se domicilie en Afrique du Sud.

Le juge français doit en présence d’éléments d’extranéité, mettre d’office en oeuvre les règles du droit international privé pour déterminer, pour chaque chef de demande, sa compétence et la loi applicable.

Les parties ne remettent pas en cause la compétence du juge français.

S’agissant de la loi applicable, l’appelante soutient que la loi française doit être retenue en ce que :

– le prêt prévoit l’application du droit anglais mais la procuration notariée aux fins de prise d’hypothèque précise qu’il convient d’appliquer les règles de droit français relatifs à cette garantie par hypothèque d’un bien en France, pour un prêt accordé en France,

– il existe un lien de rattachement exclusif de l’opération avec la France,

– la loi anglaise porte atteinte à la règle du droit français selon laquelle une dette ne saurait demeurer indéfiniment exigible en raison du caractère impératif des règles de prescription.

L’intimé demande confirmation du jugement en ce que :

– le droit anglais a été choisi par les parties au contrat (article 3 convention de Rome du 19 juin 1980),

– même à défaut de choix de loi, la loi anglaise reste quand même applicable conformément à l’article 4 de la Convention de Rome de 1980,

– les règles françaises en matière de prescription ne sont pas des lois de police et ne peuvent donc justifier que la loi du for prime sur la loi choisie par les parties au contrat.

C’est par une exacte application des articles 22-1, 22-2 et 83-2 du Règlement UE n° 650/2012 du 4 juillet 2012, que les premiers juges ont affirmé que le droit anglais est applicable à la succession de M. [M] dès lors que celui-ci a expressément exprimé dans son testament son choix de soumettre sa succession dans son ensemble à la loi du Royaume-Uni. Le règlement européen visé prévoit en effet la possibilité de choix de loi à sa succession pour toute personne, et plus particulièrement la possibilité pour celle-ci de choisir la loi de l’Etat dont elle possède la nationalité. M. [M] était de nationalité britannique. Bien que résidant depuis de nombreuses années en France il a entendu, par testament établi le 29 mars 2014, choisir la loi de l’Angleterre et du Pays de Galles.

C’est également à bon droit que les juges de première instance ont retenu l’application du droit anglais au contrat de prêt du 28 avril 1998 et aux règles de prescription extinctive sur le fondement des articles 3-1 et 10 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.

Il est constant en effet que le contrat de prêt en litige a été établi le 28 avril 1998 en France, à [Localité 4], entre deux ressortissants anglais, M. [A], le prêteur et M. [M], l’emprunteur, domiciliés respectiverment à la date de signature du contrat, le premier au Royaume Uni et le second en France. L’objet du contrat est un prêt relais à court terme a’n d’obtenir la mainlevée de l’hypothèque prise par le Crédit Agricole sur Le Moulin de Saint Batz et permettre à M. [M] de financer à nouveau l’acquisition de ce bien immobilier

Ainsi que l’a affirmé le jugement, le contrat de prêt litigieux ayant été conclu le 28 avril 1998, la loi applicable est régie par les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 et non par celles du reglement CE 11° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, venue la remplacer, qui ne s’applique qu’aux contrats conclus a compter du 17 décembre 2009 comme rappelé à 1’article 28 du règlement Rome 1.

L’article 3-1 de la Convention de Rome applicable dispose que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou une partie seulement du contrat. Lorsque la loi applicable n’a pas été choisie conformément aux dispositions précitées l’article 4-1 de la même Convention précise que le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente des liens les plus étroits.

Il est constant que le prêt signé le 28 avril 1998 par M. [M] et M. [A] (Pièce 9 de l’intimé) comporte in fine la mention que le contrat est soumis au droit anglais. Mme [M] ne le conteste pas. Les deux co contractants étaient par ailleurs de nationalité anglaise et l’un d’eux résidait en Grande Bretagne. C’est donc vainement que l’intimée entend voir dire que la loi française devrait trouver application en raison des liens étroits de l’accord passé avec la France pour y avoir été conclu alors qu’il concernait deux ressortissants britanniques.

C’est tout aussi vainement qu’elle entend soutenir que la loi anglaise ne pourrait s’appliquer au litige car elle est contraire aux règles de prescription du droit français qui sont impératives. Ces règles ne sont en effet pas de police et ne peuvent donc justifier d’écarter la loi étrangère au profit de la ‘Lex Fori’. Par ailleurs l’article 10 §l-d) de la convention de Rome du 19 juin 1980 dispose que la loi applicable au contrat en vertu des articles 3 à 6 et de l’article 12 de convention régit notamment les divers modes d’extinction des obligations, ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l’expiration d ‘un délai. Il ne peut donc être appliqué à la prescription extinctive une loi différente de celle régissant le contrat.

C’est par suite à bon droit que le jugement entrepris a affirmé qu’il convient d’appliquer tant aux opérations de succession, qu’au contrat de prêt et à la prescription de l’action, la loi anglaise désignée par le conflit de loi.

Sur la fin de non-recevoir au titre de la prescription opposée aux demandes de remboursement des divers prêts et leurs intérêts

M. [A] réclame des sommes au titre du prêt initial de 1998 mais également au titre d’avances de fonds réalisées entre le 28 avril 2004 et le 31 octobre 2013.

A défaut de voir appliquer la loi française, l’appelante considère prescrites ces demandes en paiement au visa de l’article 5 de la loi anglaise.

Elle soutient que la créance de M. [A] au titre du prêt de 1998 est prescrite en ce que la date de remboursement était déterminée par le contrat au 1er janvier 2001 et à défaut déterminable à la date d’obtention d’un financement alternatif. Rappelant que le point de départ du délai de prescription est selon l’article 5 de la loi ‘Limitation Act 1980″ la date à partir de laquelle la cause de l’action est née, elle affirme que le délai de six ans pour demander le remboursement des sommes dues a donc commencé à courir au plus tard le 31 janvier 2001 concernant le capital et le 30 septembre 1998 pour les intérêts de sorte que l’action en remboursement engagée par M. [A] est prescrite pour l’avoir été le 9 mai 2018.

M. [A] sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré son action recevable et non prescrite s’agissant du capital dû au titre du prêt, soutenant que le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à compter du 27 mars 2018, soit à la date du courrier demandant le remboursement des sommes prêtées.

En revanche, il sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré son action prescrite s’agissant des intérêts antérieurs au 9 mai 2012 alors que les intérêts se prescrivent à compter de la demande en justice. A titre subsidiaire, il prétend que les intérêts du prêt initial exigibles à compter du 2 octobre 2009 ne sont pas prescrits en raison d’une reconnaissance de dette établie par M. [M] le 2 octobre 2015.

S’agissant de la loi anglaise, dont la teneur doit être recherchée par le juge français qui l’applique, il résulte des déclarations sous serment de M. [N] [Y] et M. [H], avocats anglais, (Pièces n° 32, 33 et n° 48), que celle applicable au litige est la ‘Limitation Act 1980 ‘du 13 novembre 1980 qui prévoit à la fois les conditions de validation d’un contrat (une offre, l’acceptation de l’offre, la contrepartie et l’intention de créer des relations juridiques) et celles de son exigibilité. S’agissant de son caractère exigible, l’article 5 de cette loi dispose qu’une procédure ne peut pas être engagée sur un contrat après l’expiration d’un délai de six ans à partir de la date à laquelle la cause de l’action est née. L’article 6 précise cependant que lorsque le contrat de prêt ne prévoit pas de remboursement au plus tard à une date déterminée ou déterminable et qu’il ne subordonne pas l’obligation de remboursement à une demande de remboursement, la prescription prévue à l’article 5 ne commence pas à courir tant qu’une demande en paiement n’a pas été présentée.

La teneur de la loi anglaise telle qu’indiquée par ces certificats de coutume n’est pas valablement remise en cause par l’appelante qui ne fournit aucune autre interprétation de la loi étrangère de sorte que c’est à l’aune de celle-ci que doit être appréciée la fin de non recevoir qu’elle entend opposer à l’intimé.

– Sur la prescription de la créance au titre du capital

De la traduction de [B]. [K] [V], expert près la Cour d’Appel de Montpellier, il ressort que la clause relative aux modalités de remboursement du prêt accordé par contrat du 28 avril 1998 est ainsi rédigée :

‘Madame [G] et moi avancerons l’équivalent en livre sterling de 765.000 Francs sous forme de ‘nancement relais à court terme pour vous permettre de rembourser le Crédit agricole et obtenir la mainlevée de l’hypothèque sur le bien immobilier du Crédit Agricole et ainsi refinancer l’acquisition du bien immobilier sur le long terme. Vous-vous efforcerez de re’nancer l’acquisition du bien immobilier le plus rapidement possible et en tout état de cause le 1er janvier 2001 au plus tard. Cependant il est convenu que cette avance de fonds restera en place tant que vous n ‘aurez pas signé un contrat de financement alternatif, elle sera remboursable sur demande.’

C’est à bon droit que le tribunal a déclaré recevable l’action en paiement de M. [A] portant sur le capital du prêt pour être non prescrite aux motifs que :

– le contrat de prêt stipule que le remboursement des fonds est subordonné à une demande de remboursement mais la date de remboursement n’a pas été déterminée et n’était pas déterminable en l’état des connaissances des parties lors de la signature du contrat puisqu’elle dépendait de l’obtention par M. [M] d’un contrat de financement alternatif, qu’il n’a en réalité jamais eu,

– la demande de remboursement n’a été formalisée que par courrier recommandé expédié par M. [A] le 27 mars 2018 et l’action introduite le 9 mai 2018,moins de deux mois après et par suite dans le délai de six années prévu par la loi anglaise.

– Sur la demande en remboursement des intérêts

Aux termes du contrat de prêt du 28 avril 1998 les parties ont convenu que : ‘les intérêts seront payés en livre sterling mensuellement, à terme échu. Toutefois pendant la période initiale du contrat de prêt, l’exigibilité’ des intérêts sera suspendue et les intérêts dus entre la date de déblocage des fonds par Midland Bank (banque des époux [A]), jusqu’au 30 septembre 1998, seront remboursés en totalité au plus tard le 30 septembre 1998 tout comme les intérêts dus normalement en septembre 1998.’

Il ressort d’un courrier en date du 21 juillet 1998 que M. [A] a rappelé à M. [M] que la date du 30 septembre 1998 concernant les intérêts, constituait une date butoir (‘pour donner une certaine marge’), mais que conformément à leur entente, il était en fait convenu que les intéréts accumulés depuis le 28 avril 1998 seraient réglés en août 1998 et que par suite le service des intérêts se ferait sur une base mensuelle le premier jour du mois suivant par virement.

C’est donc par une parfaite analyse du contrat et des échanges ultérieurs, que les premiers juges ont affirmé que la date de paiement des intérêts sur la somme prêtée le 28 avril 1998, a été fixée par les parties qui se sont ainsi obligées : les intérêts antérieurs au 31 août 1998 étaient payables au plus tard le 30 septembre 1998 de même que les intérêts du mois de septembre 1998, tandis que les intérêts postérieurs devaient être payés mensuellement au terme échu le premier jour du mois suivant.

Par suite, c’est à bon droit que le jugement a considéré qu’en application de l’article 5 du ‘Limitation Act de 1980″, l’action en paiement des intérêts contractuels échus tant sur le prêt initial de 1998 que sur les prêts postérieurs, plus de 6 ans avant l’assignation, soit les intérêts échus avant le 9 mai 2012, sont prescrits.

La décision est confirmée de ce chef.

Sur le bien-fondé des créances invoquées par M. [A]

Le tribunal a condamné Mme [M] à verser à M. [A] la somme de 512.140,91 euros portant sur le capital restant dû au titre du prêt consenti le 28 avril 1998 et au titre de sommes prêtées postérieurement, aux motifs que M. [M] n’a remboursé aucune somme au titre de ces prêts successifs accordés par M. [A]. Il a relevé que cette défaillance dans le remboursement a été reconnue par M. [M] pour partie par une reconnaissance de dette notariée du 13 mars 2007 pour une somme de 450.000 euros.

Le tribunal a en outre condamné Mme [M] à verser à M. [A] les intérêts au taux contractuel capitalisé de 3 % en sus du taux de base de la banque HSBC sur la somme de 116.623,50 euros, correspondant aux sommes prêtées en 1998 et non remboursées, les intérêts ne courant qu’à compter du 9 mai 2012. Il a débouté M. [A] de sa demande en condamnation des intérêts sur les avances additionnelles postérieures.

Mme [M] soutient que les sommes réclamées en principal ne sont pas fondées en ce que :

– M. [A] ne produit que la copie d’une lettre d’intention de prêt,

– la reconnaissance de dette du 13 mars 2007 ne correspond qu’à une garantie au titre du prêt de 1998 sans dette supplémentaire,

– les relevés de compte de M. [A] n’établissent pas que M. [M] ait été destinataire de virements au titre des prêts successifs,

– les sommes qualifiées de prêts additionnels par M. [A] correspondent en réalité à la rétribution de M. [M] dans sa mission d’architecte.

Mme [M] sollicite à titre subsidiaire que soit ordonnée une expertise financière permettant d’établir les créances de chacune des parties.

M. [A] prétend que les sommes réclamées sont fondées tant sur le prêt initial de 1998, que sur des avances additionnelles faites entre le 28 avril 2004 et le 31 octobre 2013 pour un montant total de 512.140,91 euros.

S’agissant du taux d’intérêt, M. [A] soutient que les prêts postérieurs au prêt initial sont soumis au même taux d’intérêt que ceux prévus par le contrat de prêt initial de 1998 aux motifs que les avances de sommes additionnelles ne sont qu’une extension et une modification du contrat de prêt de 1998 et non une novation.

A titre subsidiaire, il fait valoir que les prêts postérieurs sont soumis à des intérêts légaux (statutory interests) de 8 % en application du droit anglais.

Il convient en premier lieu d’affirmer que si le juge peut ordonner des mesures d’expertise de telles mesures ne sauraient se justifier dans le seul but de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve ou de faire retarder une décision judiciaire ou encore de réclamer l’avis d’un tiers sur le litige qui oppose les parties. La cour dispose suite aux écritures des parties et des pièces produites, des éléments suffisants pour statuer sur les droits de chacune des parties sans, au préalable, ordonner une mesure d’expertise.

La demande de l’appelante à cet égard est en conséquence rejetée.

Sur le fond, les conditions de validité d’un contrat suppose en application de la loi anglaise applicable (Limitation Act de 1980) que soit rapportée l’existence d’une offre, de l’acceptation de l’offre, d’une contrepartie et de l’intention de créer des relations juridiques.

Il résulte de la lecture du document signé le 28 avril 1998 entre d’une part M. [A] et son épouse de l’époque, Mme [G] [F] [D], et d’autre part M. [M] (Pièce n° 9 de l’intimé) :

– qu’il y a eu une véritable offre de prêt d’argent pour une somme de 765.000 francs, provenant d’un prêt effectué par les époux [A] auprès de leur propre banque, la Midland Bank,

– que cette offre avait pour objet de permettre à M. [M] de pouvoir disposer rapidement de fonds et sauver sa résidence principale d’une saisie immobilière,

– que sa contrepartie était pour M. [A] de soumettre l’octroi des fonds au versement d’intérêts fixés par le taux de base Midland Bank majoré de 3 %,

– qu’enfin les parties avaient l’intention de créer une véritable relation juridique habituelle en la matière, à savoir la mise en place d’un contrat de prêt rémunéré pour le prêteur et remboursable à une échéance suffisamment lointaine par l’emprunteur afin de lui permettre de faire face à ses difficultés et besoins de financement, mais également la constitution d’une hypothèque légale par M. [M] sur le bien immobilier de [Localité 4] au profit des époux [A].

Ce contrat synallagmatique a été rédigé par écrit, signé et daté par les deux parties en présence au litige, ce qui fait que l’appelante ne peut valablement soutenir que ce document ne serait qu’une lettre d’intention ne les ayant pas engagées. Elle ne peut d’autant pas le soutenir que M. [A] justifie avoir sollicité et obtenu de sa banque le même 28 avril 1998 que soit effectué le virement des fonds au profit de M. [M] de la somme de 765.000 francs (116.623,50 euros) en exécution de ce contrat (pièce 10). Le prêt accordé a été immédiatement exécuté.

Il est constant que M. [M] n’a jamais remboursé une quelconque somme sur les fonds prêtés et qu’aucune hypothèque n’a été inscrite sur le bien immobilier financé malgré l’engagement de l’emprunteur.

Il est également constant que M. [A] et Mme [D] ont divorcé en 2001, M. [A] reprenant d’un commun accord l’intégralité de la créance des époux sur M. [M]. (Pièces n° 11 et 12 de l’intimé).

M. [A] est par conséquent devenu le seul créancier de M. [M] au titre du contrat de prêt du 28 avril 1998, et désormais le seul créancier de sa succession.

Outre les fonds prêtés le 28 avril 1998 (soit 765.000 francs), M. [A] démontre avoir avancé à diverses reprises, entre 2004 et 2007, des fonds supplémentaires à M. [M] pour un montant global de 332 776,50 euros. (Pièces n° 14, 15 16 et 22 de l’intimé)

Il en fait la preuve par la communication de relevés bancaires portant des mouvements de fonds de son compte bancaire à celui de M. [M] mais également par la production d’une reconnaissance de dette établie le 13 mars 2007 par devant notaire par laquelle M. [M] reconnaît lui devoir la somme globale de 450.000 euros tant au titre du prêt initial que des sommes avancées par la suite (Pièce n° 23 de l’intimé).

Par cette reconnaissance notariée l’emprunteur s’oblige à rembourser cette somme, sans intérêt, et il est précisé comme condition essentielle que le remboursement aura lieu en une seule fois au domicile du préteur.

C’est vainement que l’appelante soutient que les mouvements de fonds entre les comptes bancaires des parties correspondraient à la rémunération de ‘contrats tacites’ entre elles sur la rénovation et la gestion des biens de M. [A] par feu M. [M] et elle même, dès lors qu’elle ne produit aucun élément probant à cet égard. C’est tout aussi vainement qu’elle soutient que la somme de 450 000 euros ne correspondrait pas à des prêts dès lors qu’il ressort de la rédaction de cette reconnaissance de dette que sa cause est bien un ensemble de prêts successifs consentis par M. [A] à M. [M].

M. [A] est donc bien fondé à faire valoir à l’encontre de la succession cette première créance en principal de 450.000 euros qui n’a là encore fait l’objet d’aucun commencement de remboursement.

S’agissant des autres avances additionnelles postérieures au mois de mars 2007, réclamées pour la somme de 62.140, 91 euros, une liste manuscrite des sommes versées par M. [A] à M. [M] établie par Mme [M] elle même et envoyée par email à M. [A] à deux reprises, le 27 mars 2012 et le 19 août 2013 (Pièces n° 14, 15 et 17), vient établir la réalité de cette créance.

Mme [M] échoue là encore à démontrer que ces sommes correspondraient à la rémunération des missions d’architectes qu’a pu accomplir son époux pour les divers biens que M. [A] possédait en France, aucune pièce contractuelle probante n’étant fournie. Celle-ci se contente de produire des décomptes manuscrits, établis à une date inconnue et qui ne constituent que des preuves faites à elle même qui ne sont pas recevables.

Par suite c’est par une parfaite analyse que la cour adopte, que les premiers juges ont considéré que ces sommes avancées l’avaient été dans le cadre de nouveaux prêts successifs ouvrant droit à remboursement.

C’est donc à bon droit que M. [A] en application de la Commun Law et de la Law Reform (Miscellaneous Provisiosn Act) de 1934 sur lequel il fonde ses demandes, peut se prévaloir d’une créance en principal de 512.140,91 euros à l’encontre de la succession de M. [M] et solliciter la condamnation de Mme [M] es qualité d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de son époux à s’acquitter de cette somme.

S’agissant des intérêts, en vertu de la Common Law, applicable en l’espèce et telle que communiquée par l’intimé dans sa version traduite en français (pièce 48), des intérêts peuvent être appliqués à un prêt s’ils font l’objet d’un accord exprès, d’une pratique habituelle ou d’un usage et en 1’absence de convention expresse il est possible de déduire l’existence d’une pratique habituelle lorsque les interêts sont généralement appliqués sans objection dans des situations de prêts similaires entre les parties, ou encore lorsqu’une obligation fondée sur les usages découle d’ opérations ou d’activités particulières. Les intérêts capitalisés ne sont en revanche exigibles qu’en vertu d’un accord ou d’un usage.

Le prêt initial de 28 avril 1998 a expressément prévu l’application d’un taux contractuel capitalisé de 3 % en sus du taux de base de la banque (Midlands Bank), selon les modalités portées à la connaissance de M. [M] par courrier du 21 juillet 1998.

Au titre des intérêts qu’il réclame, l’intimé produit l’attestation d’un cabinet d’experts comptables CHURCHGATES du 27 février 2018, qui calcule les intérêts conformément au taux de base de la Bank of England majoré d’une prime de 3 %, faute d’avoir pu avoir connaissance des taux de base de la HSBC (anciennement Midlands Bank).

Ainsi que l’a souligné le jugement dont appel, le décompte des intérêts objet de son annexe B relative aux sommes prêtées par M. [A] en euros, ne permet pas à compter du 28 avril 2004 de différencier les intérêts dus au titre du prêt du 28 avril 1998 de ceux calculés sur les prêts postérieurs.

Si M. [A] est donc bien fondé à se prévaloir d’une créance d’intérêts au titre du prêt du 28 avril 1998, à compter du 9 mai 2012 seulement du fait de la prescription retenue, il convient, faute de pouvoir en déterminer le montant exact et conforme au taux contractuel initial, de dire que sa créance d’intérêts correspond aux intérêts contractuels calculés à compter du 9 mai 2012 sur la somme de 116 623,50 € au taux de la HSBC/Midelands majoré d’une prime de 3 % jusqu’au complet règlement.

S’agissant des avances postérieures, c’est par des motifs pertinents qu’il convient d’adopter que les premiers juges ont considéré que contrairement à ce que soutient l’intimé, il n’est en rien démontré que ces avances de fonds consenties par M. [A] à M. [M] à partir de 2004 ont servi à financer le projet immobilier objet du prêt du 28 avril 1998. L’intention des parties de considérer ces avances comme une simple extension du prêt initial n’est pas établie.

Il s’ensuit qu’en application de la loi anglaise rappelée, les avances postérieures au contrat de prêt ne sauraient être soumises au même taux d’intérêt que ceux prévus dans le contrat de prêt initial du 28 avril 1998.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que M. [A] ne justifiant pas que le taux des intérêts contractuels sollicités étaient conformes à un accord ou à un usage il doit être débouté de ses demandes en paiement d’intérêts contractuels au titre des avances.

En revanche, comme l’indiquent les certificats de coutume communiquées (pièces 40 et 48 de l’intimé), en droit anglais, le demandeur en justice au recouvrement d’une dette a le droit de réclamer des intérêts avant jugement sur le montant réclamé en justice. S’il est constaté qu’un taux d’intérêt existe dans le contrat entre les parties, ce taux prévaudra. Si aucune clause d’intérêt n’est prévue entre les parties, alors des intérêts pourront être réclamés lesquels sont cependant laissés à l’appréciation discrétionnaire de la juridiction en considération notamment de la perte d’utilisation de l’argent prêté.

En l’espèce, il n’y a pas lieu d’appliquer un taux d’intérêt sur ces sommes avancées.

Mme [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de son époux devra donc s’acquitter des seuls intérêts dus sur les sommes prêtées au titre du prêt initial de 1998, et calculées à compter du 9 mai 2012.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande en paiement de la somme de 426.270 euros de Mme [M] tant es qualité qu’à titre personnel et la demande de compensation des créances

L’appelante prétend que son époux était le créancier de M. [A] à plusieurs titres :

– pour avoir réalisé des missions en tant qu’architecte, au sein des propriétés de M. [A], et avoir réalisé des travaux de rénovation au sein de propriétés possédées par M. [A] en Gironde, créance qu’elle chiffre à 345.250 euros,

– pour une dette contractée par M. [A] au cours de ses différents séjours au Moulin de Saint-Batz, propriété dans laquelle elle exploitait avec son défunt époux une activité de chambre d’hôtes, et ce pour un montant de 12.000 euros.

Elle affirme être elle même créancière pour des travaux qu’elle a réalisés dans les propriétés de M. [A] et qu’elle chiffre à 69.020 euros.

Elle entend donc obtenir la compensation entre les créances respectives.

M. [A] s’oppose à cette demande de compensation aux motifs que :

– les prétendues créances de Mme [M] à l’égard de M. [A] ne sont pas démontrées,

– la créance de M. [M] à l’égard de M. [A] au titre des heures de travail est dépourvue de caractère certain,

– les sommes avancées par M. [M] au titre des travaux de rénovation ont été remboursées,

– la prétendue créance au titre des séjours de M. [A] au [Localité 3] n’a pas lieu d’être car il s’agissait d’un accord entre les époux [M] et M. [A] à titre gracieux.

En première instance, Mme [M], es qualité, n’avait demandé compensation des créances de M. [A] qu’avec des sommes dues par celui-ci pour des missions d’architectes qu’aurait effectuées son époux.

La demande liée à des créances d’autre nature, d’une part celles au titre de travaux de rénovation de ces biens qu’aurait réalisé M. [M] lui même, et le coût de séjours passés par M. [A] et son entourage au sein de la propriété du défunt, au Moulin de Batz de [Localité 4], sont nouvelles en cause d’appel et doivent donc être déclarées irrecevables en application de l’article 564 du code de procédure civile. En tout état de cause elles ne reposent sur aucun élément probant, Mme [M] produisant au soutien de cette créance qu’un décompte de ‘temps de travail’ fourni par son époux et elle de 1998 à 2014, à partir de pièces qu’elle a elle-même rédigées, pour un paiement de sommes qui n’avaient jamais été réclamées avant les conclusions d’appel du 12 octobre 2020. La preuve par soi même étant prohibée, et ces décomptes et factures établies unilatéralement n’étant corroborées par aucun un autre écrit, le caractère certain de la créance réclamée n’est pas établi.

S’agissant de la créance qu’elle revendique à hauteur de 69.020 euros au titre de son industrie personnelle au sein des propriétés de M. [A], Mme [M] doit être déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir dès lors que dans le présent litige celle-ci est attraite es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] et non à titre personnel. En tout état de cause cette demande est également nouvelle et tombe sous la sanction de l’article 564 rappelé.

L’article 1289 du code civil, dans sa version applicable au litige soit celle antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats à effet au 1er octobre 2016, dispose en effet que : «Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, il s’opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés».

L’article 1291 ajoute que «La compensation n’a lieu qu’entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d’argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles».

C’est par de justes motifs que les débats devant la cour ne sont pas venus remettre en cause, que les premiers juges ont débouté Mme [M] de sa demande de compensation aux motifs que s’il n’est pas contesté par M. [A] que M. [M] a effectué des missions d’architectes sur des biens immobiliers lui appartenant, aucune pièce ne vient justifier le montant des créances revendiquées qui pourraient venir en compensation des dettes réclamées ni même établir un quelconque accord entre M. [A] et M. [M] pour imputer la rémunération de ce dernier au titre de ses missions d’architectes sur les sommes dues par lui au titre du prêt.

La décision est donc confirmée en ce qu’elle a rejeté cette demande de compensation.

Sur la demande en délai de paiement

Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

L’appelante sollicite à titre infiniment subsidiaire un délai de deux ans pour rembourser les sommes aux motifs que :

– elle ne vit que de la location du Moulin de Saint Bartz durant l’été,

– elle est étrangère au litige dès lors que les sommes réclamées par M. [A] ressortent de rapports amicaux qu’il a eu avec son défunt mari,

– la succession comprenait un terrain de grande valeur en Grande Bretagne à Hartley, que M. [A] aurait réussi à faire écarter de la succession.

M. [A] s’oppose à la demande de délai en ce que :

– Mme [M] intervient en qualité d’exécuteur testamentaire et non à titre personnel,

– elle n’a aucun droit sur les revenus engendrés par la location du Moulin de Saint Batz,

– elle n’a fait aucune démarche pour vendre le bien dépendant de la succession,

– il conteste avoir évincé de la succession le terrain d’Hartley, faisant seulement le constat qu’à ce jour ce bien ne fait pas partie de la succession et n’intéresse donc pas le litige.

C’est par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont rejeté la demande de délais en paiement en relevant que l’actif de la succession de M. [M] est composé a minima du bien de [Localité 4] lequel a une valeur estimée entre 725.000 et 988.000 euros selon les évaluations fournies, qui est de nature à éteindre la dette.

La cour relève par ailleurs que si l’appelante affirme ne s’être jamais opposée à la vente du bien, soulignant avoir elle même sollicité des professionnels pour son évaluation, elle ne démontre pas avoir effectué une quelconque démarche depuis le jugement rendu pour procéder à la vente du bien ni même régler les dettes du défunt, alors que cela découle de ses obligations d’exécuteur testamentaire selon le droit anglais.

Face à la résistance de Mme [M] de régler la dette de M. [M], M. [A] justifie avoir saisi, le 9 avril 2018, le Juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Bordeaux, par la voie de la requête, aux fins de solliciter une autorisation à prendre une hypothèque provisoire sur «le Moulin de Saint Batz» à hauteur de l’intégralité de sa créance provisoire, soit la somme de 984.867,10 euros. Suivant ordonnance du 12 avril 2018, le Juge de l’exécution a fait droit à sa demande. (Pièce n° 29)

Mme [M] n’a par ailleurs effectué aucune démarche pour s’acquitter des sommes auxquelles elle a été condamnée es qualité et ce alors même que le jugement bénéficie de l’exécution provisoire.

La décision est donc confirmée de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Echouant pour l’essentiel dans son recours, Mme [Z] [M] es-qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de [P] [M] sera condamnée aux entiers dépens de l’instance.

Elle sera également condamnée en cette même qualité à payer à M. [S] [A] la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 9 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes en paiement faites par Mme [Z] [M] à titre personnel, ainsi que celles faites es qualités au titre de travaux de rénovation réalisés par M. [P] [M] au bénéfice de M. [S] [A] ;

Condamne Mme [Z] [M] es qualités d’exécuteur testamentaire et trustee de la succession de M. [P] [M] à payer à M. [S] [A] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

La condamne es qualité aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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