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16 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/04440
2ème Chambre
ARRÊT N°302
N° RG 20/04440
N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5TX
(3)
M. [G] [O]
C/
Mme [Y] [P]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me KONG
– Me FILLION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 Mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Juin 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats et signé par Monsieur David JOBARD, Président de Chambre, ayant participé au délibéré collégial, pour le Président empêché,
****
APPELANT :
Monsieur [G] [O]
né le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 8]
Centre Pénitentiaire
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Elodie KONG, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 352380022020009820 du 16/10/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉE :
Madame [Y] [P]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Thierry FILLION de la SCP THIERRY FILLION, SCP D’AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSE DU LITIGE :
Le 6 mars 2014, Mme [Y] [P] a prêté par chèque la somme de 15 000 euros à son ex-compagnon M. [G] [O]. Une reconnaissance de dette a été rédigée lors de la remise du chèque.
Le 22 mars 2014, M. [O] s’est introduit au domicile de Mme [P] pour subtiliser cette reconnaissance de dette. Celle-ci a alors tenté de récupérer la somme prêtée en profitant de la procuration dont elle disposait encore sur les comptes de M. [O] pour effectuer deux virements à son profit mais M. [O] a annulé le premier d’entre eux d’un montant de 11 990 euros.
Le 27 mars 2014, M. [O] s’est à nouveau introduit au domicile de son ex-compagne et a tenté de la tuer en lui assénant plusieurs coups de couteau. Il a également mis le feu à son domicile alors que celle-ci avait réussi à se réfugier chez une voisine. Par arrêt de la cour d’assises du Morbihan du 11 mars 2016, M. [O] a été condamné à douze ans de réclusion criminelle.
Mme [P] a saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions de l’indemnisation de son préjudice. Elle doit la saisir à nouveau en liquidation de son préjudice définitif.
Par acte d’huissier en date du 1er mars 2017, elle a fait assigner M. [O] devant le tribunal de grande instance de Vannes en remboursement du solde du prêt qu’elle lui avait consenti.
Par jugement en date du 11 février 2020, le tribunal judiciaire a :
– fixé au 2 mars 2017 le terme de l’engagement souscrit par M. [G] [O] en vertu de sa reconnaissance de dette du 6 mars 2014,
– condamné en conséquence M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 13 490 euros au titre du solde du prêt consenti le 6 mars 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2017,
– condamné M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 498,99 euros au titre des frais de gaz, de 21,36 euros au titre de l’établissement d’une nouvelle attestation de propriété, de 33 euros au titre de la location d’une shampouineuse et de 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de l’instruction de la cour d’assises,
– débouté Mme [Y] [P] de sa demande au titre de la surfacturation d’eau, de la destruction de nid de frelons et de la taxe foncière,
– sursis à statuer sur les demandes présentées au titre des remboursements des frais médicaux par la mutuelle, de la cotisation à l’association Art des mains détente-relaxation, de la perte de prime de fin d’année et des frais de déplacement, dans l’attente de la décision de la Civi,
– dit qu’il appartiendra à la partie la plus diligente de ressaisir la juridiction,
– condamne M. [O] à régler à Mme [P] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne M. [O] aux entiers dépens,
– déboute les parties du surplus de leurs demandes,
– ordonne l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration en date du 18 septembre 2019, M. [O] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er février 2023, il demande à la cour de :
Vu les articles 1899 et suivants du code civil,
Vu l’article 32 du code de procédure civile,
Vu l’article 375 du code de procédure pénale,
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
fixé au 2 mars 2017 le terme de l’engagement souscrit par M. [G] [O] en vertu de sa reconnaissance de dette du 6 mars 2014,
condamné en conséquence M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 13 490 euros au titre du solde du prêt consenti le 6 mars 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2017,
condamné M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de l’instruction de la cour d’assises,
Statuant à nouveau :
– fixer le terme du prêt douze mois après la sortie de sa nouvelle détention de M. [G] [O],
– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes au titre du prêt,
– déclarer irrecevable la demande de Mme [P] au titre des frais d’avocat exposés au cours de l’instruction criminelle et l’audience devant la cour d’assises du Morbihan en raison de son désistement d’instance et d’action,
– confirmer le jugement pour le surplus,
– débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
– limiter à de plus justes proportions les demandes formées au titre des frais d’avocat exposés lors de l’instance pénale,
– condamner Mme [P] à verser à M. [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions des articles 35 et 37 de la loi sur l’aide juridictionnelle,
– condamner la même aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions signifiées le 8 février 2023, Mme [P] demande à la cour de :
Vu notamment les articles 1326,1153,1240 et 1901 du code civil, 515 du code de procédure civile et L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution, l’article 426 du code de procédure pénale,
– confirmer la décision attaquée en ce qu’elle a :
fixé au 2 mars 2017 le terme de l’engagement souscrit par M. [G] [O] en vertu de sa reconnaissance de dette du 6 mars 2014,
condamné en conséquence M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 13 490 euros au titre du solde du prêt consenti le 6 mars 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2017,
condamné M. [O] à régler à Mme [P] les sommes de :
– 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts tant dans le cadre de l’instruction criminelle du dossier que devant la cour d’assises du Morbihan,
– 498,99 euros au titre des frais de gaz,
– 21,36 euros au titre de l’établissement d’une nouvelle attestation de propriété,
– 33 euros au titre de la location d’une shampouineuse,
– 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par Mme [P] dans le cadre de la première instance,
– réformer la décision pour le surplus,
– condamner M. [O] à régler à Mme [P] :
la somme de 100 euros au titre de la surfacturation d’eau,
la somme de 1099 euros au titre de la taxe foncière,
la somme de 95 euros au titre de la destruction du nid de frelons,
la somme de 349,51 euros au titre des remboursements de frais médicaux par la mutuelle,
la somme de 39 euros au titre de la cotisation annuelle à l’association Art des mains détente-relaxation,
la somme de 1 164,61 euros au titre de la perte de prime de fin d’année,
la somme de 2 202,24 euros au titre des frais de déplacement,
Très subsidiairement, confirmer la décision attaquée en ce qu’elle a sursis à statuer sur les demandes présentées par Mme [P] au titre des frais médicaux, de la cotisation ‘art de la main’, de la perte de la prime de fin d’année, des frais de déplacement dans l’attente que la Civi statue sur ces chefs de demande,
– condamner M. [O] à régler à Mme [P] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d’appel,
– condamner le même aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu’aux dernières conclusions déposées par les parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 février 2023.
EXPOSE DES MOTIFS :
Sur le prêt :
M. [O] ne remet en cause ni l’existence ni le montant de la reconnaissance de dette qu’il a signée le 6 mars 2014 en faveur de Mme [P] à la suite du prêt de 15 000 euros qu’elle lui a consenti. Mais il conteste le terme fixé par le premier juge au motif d’une part, que celui-ci ne pouvait être fixé à la date de la demande en justice et d’autre part, qu’étant à nouveau incarcéré, il ne pourra s’acquitter du paiement de sa dette qu’après sa sortie de détention. Il demande en conséquence à la cour de fixer le terme du prêt douze mois après la date de sortie de sa nouvelle détention, précisant que celle-ci pourrait durer jusqu’à trente-six mois.
Mme [P] fait valoir de son côté que l’article 1901 du code civil n’impose pas au juge de fixer le terme à une date postérieure à la demande en justice et que le terme de l’engagement pouvait parfaitement être fixé au lendemain de la délivrance de l’assignation, soit le 2 mars 2017. Elle soutient qu’il était entendu que le remboursement de la somme prêtée devait intervenir quelques mois après la disposition des fonds, sitôt la perception des héritages des biens provenant de la succession de la grand-mère et de la grand-tante de M. [O]. Mme [P] rappelle l’ancienneté de sa créance et les circonstances particulières qui ont prétendument retardé son remboursement à savoir les faits de tentative de meurtre dont s’est rendu coupable M. [O] sur sa personne et qui lui ont valu une incarcération pendant plusieurs années. Elle prétend que M [O] a perçu de l’argent en héritage, provenant de la vente de biens immobiliers et qu’il n’a pas cherché à s’acquitter de sa dette même partiellement.
Aux termes de l’article 1901 du code civil, s’il a été seulement convenu que l’emprunteur paierait quand il le pourrait ou quand il en aurait les moyens, le juge lui fixera un terme de paiement suivant les circonstances.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la reconnaissance de dette litigieuse prévoit que la somme de 15 000 euros prêtée par Mme [P], sera restituée par M. [O] ‘ dès que possible jusqu’à ‘épongement’ de la dette’. Il y est mentionné également ‘ je reconnais l’exactitude de ces sommes et m’engage à régulariser cette situation dès que possible.’
Il n’est pas davantage contesté qu’au moment du prêt le 6 mars 2014, M. [O] et Mme [P] étaient séparés et ne résidaient plus ensemble, que M. [O] avait repris son travail à sa sortie de prison en janvier 2014 sous le bénéfice d’une assignation à résidence avec surveillance électronique mais qu’il était en arrêt de travail à la suite d’une tendinite. Il résulte également, des pièces versées aux débats par Mme [P], que M. [O] avait donné mandat à une agence immobilière le 15 février 2014 aux fins de vendre deux appartements situés sur la commune de [Localité 7] dont il était propriétaire pour la somme de 240 000 euros.
Il peut donc se déduire de ces éléments que le remboursement du prêt devait intervenir sitôt retour à meilleur fortune, soit à la vente des biens immobiliers ou par la perception de sommes devant lui revenir en héritage à la suite du décès de sa grand-mère et d’une grand-tante.
Pour fixer le terme du prêt consenti par Mme [P] au 2 mars 2017, le premier juge a relevé que M. [O], particulièrement taisant sur le sort des biens mis en vente et sur les partages successoraux dont il devait également bénéficier, ne démontrait pas les circonstances plaidant en faveur d’un terme éloigné ni même ne pas être en état de s’acquitter du paiement de la somme réclamée de 13 490 euros alors que les éléments produits laissaient supposer qu’il avait eu un patrimoine couvrant largement le montant de la créance.
Il sera d’abord constaté que l’assignation en justice date du 1er mars 2017 de sorte que le terme fixé par le premier juge est en tout état de cause, postérieur à la date de la demande en justice, nonobstant l’indication dans le corps du jugement que le terme du prêt sera fixé au jour de la délivrance de l’assignation.
Par ailleurs, les pièces produites par M. [O] tendant à établir qu’il aurait été spolié par l’un de ses frères des sommes lui revenant dans le cadre de l’héritage de sa grand-mère ne sont pas suffisamment probantes puisqu’elles se résument essentiellement à son dépôt de plainte en date du 20 mars 2021 et à une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction pour les mêmes faits, le 11 mai 2022. Le fait que le notaire ait versé à M. [I] [O] pendant l’incarcération de son frère les sommes lui revenant au titre de l’héritage de sa grand-mère ne démontrent pas que ces sommes ne lui ont finalement pas été reversées. De même le virement de la somme de 4 000 euros depuis le compte bancaire de M. [G] [O] à la Caisse d’épargne vers un autre compte interne ne suffit à établir que cette somme a été détournée au profit de son frère. Enfin, aucun élément n’est communiqué quant aux ventes des biens immobiliers sis à [Localité 7] dans le Morbihan, M. [O] se contentant de soutenir qu’il n’est propriétaire d’aucun bien immobilier.
Il ressort au contraire d’une attestation notariée versée aux débats par Mme [P] que M. [O] a vendu le 18 janvier 2023 un terrain viabilisé avec une construction en cours. L’appelant ne fournit aucun élément sur cette vente. Il s’en déduit qu’il était donc propriétaire d’au moins un bien immobilier au 2 mars 2017 et qu’il bénéficiait de circonstances lui permettant de faire face au remboursement du prêt.
En tout état de cause, la situation précaire dont se prévaut M. [O] du fait de sa nouvelle incarcération ne peut conduire à reporter le terme du prêt sauf à soumettre son exigibilité au bon vouloir de l’emprunteur. Les difficultés financières alléguées pourraient tout au plus servir de fondement à une demande en délai ou report de paiement qui n’est pas toutefois pas formulée, même à titre subsidiaire.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fixé le terme de l’engagement souscrit par M. [O] au 2 mars 2017 et l’a condamné à régler à Mme [Y] [P] la somme de 13 490 euros au titre du solde du prêt qu’elle lui a consenti le 6 mars 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2017.
Sur les autres demandes d’indemnisation :
M. [O] ne remet pas en cause les condamnations prononcées à son encontre quant au paiement de la somme de 498,99 euros au titre des frais de gaz, de la somme de 21,36 euros au titre d le’établissement d’une nouvelle attestation de propriété ni de la somme de 33 euros au titre de la location d’une shampouineuse. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
En revanche, il s’oppose aux demandes reprises en appel par Mme [P], dont le tribunal l’a déboutée, au titre de la surfacturation d’eau, de la destruction d’un nid de frelons et de la taxe foncière.
Mais, alors qu’il a été démontré en première instance par M. [O] que les pompiers n’ont pas fait usage du réseau privé pour éteindre l’incendie, l’imputation de la surfacturation d’eau aux faits de destruction par incendie commis en mars 2014, consécutive notamment à l’intervention des ouvriers pour remettre les lieux en l’état, n’est pas davantage établie par les relevés de consommation produits par Mme [P] à l’appui de sa demande, ceux-ci faisant apparaître une consommation plus élevée en 2012 et 2013.
S’agissant du paiement de la taxe foncière pour l’année 2014 alors qu’elle n’a pu occuper son logement de mars 2014 à mars 2015, il convient de rappeler que Mme [P] est propriétaire de son bien et qu’elle doit de ce fait s’acquitter du paiement de cette taxe locale, sans que soit pris en compte son occupation effective des lieux.
C’est donc à juste titre que le tribunal a débouté Mme [P] de ses demandes d’indemnisation au titre de ces deux postes de préjudice. La cour confirmera également le premier juge pour avoir rejeté la demande de remboursement à hauteur de 95 euros pour la destruction d’un nid de frelons dans le véhicule laissé par M. [O] sur le terrain de Mme [P] à la suite de son interpellation et de son incarcération, le lien de causalité directe entre le dépôt du véhicule et l’intervention d’une entreprise pour déloger les insectes n’étant effectivement pas suffisamment caractérisé.
Par ailleurs, Mme [P] reprend devant la cour les demandes d’indemnisation relatives au remboursement de mutuelles perçus par M. [O], de la cotisation associative, de la perte de salaire subie et des frais de déplacement occasionnés par la procédure criminelle et les soins médicaux. Le tribunal a ordonné le sursis à statuer sur ces demandes dans l’attente de la décision de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.
Cependant, comme elle le soutient à juste titre, Mme [P] est tout à fait recevable à former de telles demandes devant la juridiction civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil. L’article 706- 12 du code de procédure pénale lui fait seulement obligation de préciser à la juridiction saisie en indemnisation de son dommage si elle a saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions et le cas échéant si celle-ci lui a accordé une indemnité. A défaut, la nullité du jugement ou de l’arrêt peut être demandée par toute personne intéressée dans le délai de deux ans à compter de la date à partir de laquelle la décision est devenue définitive.
En l’espèce, Mme [P] a indiqué avoir saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales du Morbihan mais ne pas avoir encore déposé de requête pour la liquidation de son préjudice après expertise de sorte qu’elle n’a obtenu pour le moment aucune indemnisation. C’est donc à tort que le tribunal a ordonné le sursis à statuer sur ces demandes dans l’attente de la décision de la commission, étant observé que cette juridiction prendra en compte les sommes allouées et déjà obtenues par Mme [P] au titre de l’indemnisation de ses préjudices, conformément à l’article 706-9 du code de procédure pénale.
Mme [P] sollicite la somme de 349,51 euros au titre de soins médicaux qu’elle a payés mais dont le remboursement a été versé sur le compte bancaire de M. [O] alors qu’elle bénéficiait encore de la mutuelle professionnelle de ce dernier, précisant qu’elle a résilié ce contrat le 19 juin 2014. M. [O] se contente de solliciter la confirmation du tribunal à surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la commission. Toutefois, il ne conteste pas avoir perçu ces remboursements.
Au regard des pièces versées aux débats, il sera fait droit à la demande de Mme [P], de tels frais ne pouvant être pris en charge par le Fonds de Garantie puisqu’ils ont été remboursés par une complémentaire santé et ne sont en théorie pas restés à la charge de la victime.
S’agissant du remboursement de la cotisation de l’association ‘Art des mains détente-relaxation’ au motif qu’elle n’a pu, en raison des faits dont elle a été victime, suivre les trois derniers cours, il y a lieu de souligner que Mme [P] a réduit sa demande en appel à la somme de 39 euros au prorata des séances manquées. Il lui sera alloué en réparation de ce préjudice la somme demandée, les absences aux cours dispensés pour les mois d’avril, mai et juin 2014 étant confirmées par l’association.
Mme [P] sollicite le remboursement des frais de déplacements occasionnés par la procédure criminelle ( expertise, auditions et avocats), par les soins consécutifs aux blessures subies (consultations, rééducation) ainsi que les déplacements pour participer aux réunions de chantier de la restauration de sa maison. Cependant, le lieu de résidence de Mme [P] pendant un an, soit de la date des faits jusqu’au mois de mars 2015 où elle a pu réintégrer son domicile, n’est pas précisé de sorte que la cour ne peut apprécier le nombre de kilomètres de déplacement allégué ( 3 720 km). En outre, les pièces produites à l’appui de cette demande ne permettent pas de vérifier l’engagement de la totalité des frais sollicités. Ainsi, certains frais comme notamment les frais de déplacements relatifs aux séances de kinésithérapie, aux réunions de chantier, à la vidange du déshumidificateur des murs de la maison pendant un mois ne sont pas suffisamment justifiés. En conséquence, Mme [P] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Enfin, Mme [P] réclame la somme de 1 164,61 euros correspondant à une perte de salaire. Elle fait valoir que sa prime de fin d’année s’est trouvée diminuée du fait de ses absences. Alors qu’elle aurait dû s’élever à la somme de 1 314,61 euros, elle n’a perçu que la somme de 150 euros. Les pièces produites attestent effectivement du manque à gagner. Il convient donc de condamner M. [O] à payer à Mme [P] la somme de 1 164,61 euros.
Sur le remboursement des frais d’avocats dans le cadre de la procédure criminelle :
Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, Mme [P] sollicite la somme de 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts tant dans le cadre de l’information criminelle qu’à l’occasion de l’audience devant le cour d’assises du Morbihan.
Faisant valoir que l’équité commande incontestablement d’y faire droit, elle soutient qu’il s’agit d’un préjudice matériel qu’elle subit en conséquence directe du crime commis par M. [O]. Elle précise avoir souscrit un prêt de 5 000 euros pour payer en partie ces frais.
En réponse à l’appelant qui fait valoir qu’elle s’est désistée devant la cour d’assises de cette demande qu’elle avait présentée sur le fondement de l’article 375 du code de procédure pénale ainsi que de ses demandes en expertise et provision et que dès lors elle a renoncé à son droit de réclamer la prise en charge de ces frais, Mme [P] invoque l’article 426 du code de procédure pénale lui permettant, selon elle, porter son action devant la juridiction civile après s’être désistée de ses demandes dans le cadre de la juridiction pénale.
Il ressort en effet, de l’arrêt civil de la cour d’assises du Morbihan en date du 11 mars 2016 que Mme [P] a formé une demande en paiement d’une indemnité de 17 400 euros devant la cour d’assises sur le fondement de l’article 375 du code de procédure pénale, lequel précise notamment dans son dernier alinéa, que ‘lorsqu’il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposés par elle et non comprises dans les frais et dépens, le juge peut condamner l’auteur de l’infraction à lui payer le montant qu’il détermine’. Elle s’est cependant désistée de sa demande indiquant intenter une action au civil.
Si effectivement, l’article 426 du code de procédure pénale, lui permet de reprendre son action devant une juridiction civile et de formuler les demandes qu’elle entendait soumettre dans un premier temps à la juridiction pénale en sa qualité de partie civile, le caractère particulier des frais d’avocats exposés dans le cadre de sa défense ne peut conduire à accueillir favorablement sa demande.
En effet, les frais d’avocat exposés dans le cadre d’une défense font partie des frais irrépétibles c’est à dire des frais qui ne sont pas remboursés par la partie perdante au titre des dépens limitativement énumérés par l’article 695 du code de procédure civile. Ils découlent de l’ouverture d’une instruction criminelle et du procès et non directement des actes commis par l’auteur des faits. Ils ne peuvent être considérés comme un préjudice matériel subi par Mme [P] en lien direct avec la faute de M. [O]. Leur indemnisation repose sur l’équité, comme d’ailleurs le fait valoir l’intimée.
Il est en outre de principe que de tels frais ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés dans une instance civile que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. De surcroît, il est constant qu’une indemnité au titre de ces frais ne peut être allouée pour compenser des sommes exposées à l’occasion d’une instance antérieure.
C’est donc à tort que le tribunal a condamné M. [O] à payer Mme [P] la somme de 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts dans la cadre de l’instruction et la cour d’assises. Le jugement sera infirmé sur ce point et Mme [P] déboutée de cette demande.
Sur les demandes accessoires :
Le présent arrêt confirmant le jugement dans ses dispositions principales, les dépens et frais irrépétibles seront également confirmés.
M. [O] qui succombe en partie sur son appel, supportera les dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [P] les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de l’appel,. Aussi, M. [O] sera condamné à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 11 février 2020 par le tribunal judiciaire de Vannes sauf en ce qu’il a :
– condamné M. [G] [O] à régler à Mme [Y] [P] la somme de 17 400 euros au titre des frais exposés pour assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de l’instruction et la cour d’assises,
– sursis à statuer sur les demandes présentées au titre des remboursements des frais médicaux par la mutuelle, de la cotisation à l’association Art des mains détente-relaxation, de la perte de prime de fin d’année et des frais de déplacement, dans l’attente de la décision de la Civi,
Déboute Mme [Y] [P] de sa demande au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre de l’instruction criminelle et de l’audience devant la cour d’assises,
Déboute Mme [Y] [P] de sa demande au titre des frais de déplacement,
Condamne M. [G] [O] à payer à Mme [Y] [P] les sommes suivantes :
– 349,51 euros au titre des remboursements de la mutuelle pour les frais médicaux avancés,
– 39 euros au titre de sa cotisation à l’association Art des mains détente-relaxation,
– 1 164,61 euros au titre d’une perte de gains sur la prime de fin d’année 2014,
Condamne M. [G] [O] à payer à Mme [Y] [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [O] aux dépens d’appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT