Droits des héritiers : 9 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/05363

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Droits des héritiers : 9 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/05363

9 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/05363

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 29Z

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 MARS 2023

N° RG 22/05363 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VMDU

AFFAIRE :

[O] [U] EPOUSE [G]

C/

[S] [D]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 08 Juillet 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PONTOISE

N° RG : 21/00591

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 09.03.2023

à :

Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Michel RONZEAU, avocat au barreau de VAL D’OISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [O] [U] EPOUSE [G]

née le 05 Janvier 1958 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 – N° du dossier 20220334

Ayant pour avocat plaidant Me Olivier WIELBALD, au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Maître [S] [D]

de nationalité Française

[Localité 3] NOTAIRES [Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Michel RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 9 – N° du dossier 2127899

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

Madame Marietta CHAUMET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

[I] [J] [U] est décédé le 23 novembre 2019, célibataire et sans enfant, et selon Mme [O] [U] épouse [G], elle devait venir au premier rang de sa succession en sa qualité de cousine germaine.

Par courrier en date du 29 juillet 2020, la société CNP Assurances a informé Mme [G] que [I] [U] avait souscrit auprès d’elle un contrat d’assurance-vie ainsi que des étapes à suivre afin d’obtenir le règlement.

Mme [G] a alors contacté Maître [S] [D], notaire à [Localité 3] en charge de la succession de [I] [U], laquelle lui a indiqué que tous les héritiers du de cujus avaient été contactés et que compte tenu du secret professionnel, elle n’était pas en mesure de lui donner plus d’information.

Par courrier du 8 janvier 2021 écrit en réponse à une sollicitation du conseil de Mme [G], la société CNP Assurances précisait avoir dans un premier temps, envoyé le même courrier à 6 héritiers potentiels de [I] [U] et que finalement, elle avait reçu un courrier de la « SCP [Localité 3] » comportant un extrait de dévolution successorale mentionnant l’existence d’un légataire universel désigné par testament.

Par acte d’huissier de justice délivré le 4 juin 2021, Mme [G] a fait assigner en référé Maître [D], notaire de la société [Localité 3] Notaires, aux fins d’obtenir principalement de :

– ordonner la levée du secret professionnel de Maître [D], notaire à [Localité 3], afférent à la succession de [I] [J] [U] ;

– ordonner à Maître [D], ès qualités, de lui communiquer la copie de tous les actes testamentaires qui seraient attribués à [I] [J] [U], de l’acte de notoriété afférent à sa succession, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

– ordonner à Maître [D], ès qualités de lui communiquer tout élément d’information afférent à la dévolution et à la transmission des biens de [I] [J] [U], ainsi que l’état de son patrimoine au jour de son décès, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.

Par ordonnance contradictoire rendue le 8 juillet 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise a :

– débouté Mme [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– laissé les dépens à la charge de Mme [G] ;

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 17 août 2022, Mme [G] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 29 décembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [G] demande à la cour, au visa des articles 970 du code civil et 699 du code de procédure civile, de :

‘- réformer l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Pontoise en date du 8 juillet 2022 en ce qu’elle a débouté Mme [G] de ses demandes ;

statuant de nouveau :

– recevoir et déclarer bien fondée Mme [G] en l’ensemble de ses moyens, demandes, fins et conclusions et ainsi ;

– ordonner la levée du secret professionnel de Maître [D], Notaire à [Localité 3], afférent à la succession de [I] [J] [U] ;

– ordonner à Maître [D] ès qualités de communiquer la copie du testament connue ainsi que de tout autre acte testamentaire qui serait attribué à [I] [J] [U], de tout acte de dépôt de testament qui serait attribué à [I] [J] [U] ainsi que l’acte de notoriété afférent à sa succession, à Mme [G], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

– ordonner à Maître [D] ès qualités de communiquer à Mme [G] tout élément d’information afférent à la dévolution et à la transmission des biens de [I] [J] [U], ainsi que l’état de son patrimoine au jour de son décès, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

– débouter Maître [D] es qualités de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins et conclusion ;

– condamner Maître [D] es qualités aux dépens dont distraction au profit de Maître Stéphanie Teriitehau Avocat et ce conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile’.

Dans ses dernières conclusions déposées le 17 octobre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Maître [D] demande à la cour de :

« – confirmer l’ordonnance de référé du 8 juillet 2022 ;

– juger que pour voir lever le secret professionnel général et absolu auquel est tenu Maître [D], Mme [G] doit rapporter la preuve d’un intérêt légitime à obtenir la communication d’actes reçus par le notaire couverts par ce secret ;

– prendre acte que Maître [D] s’en rapporte à la décision de la cour sur l’appréciation de cet intérêt légitime ;

en tout état de cause,

– déclarer qu’en application de l’article 23 de la loi du 25 Ventôse An XI, la levée du secret professionnel du notaire ne peut porter que sur des actes reçus par celui-ci ou dont il est dépositaire ;

– débouter Mme [G] de ses demandes tendant à voir lever le secret professionnel auquel est tenu Maître [D], notaire, et voir ordonner la communication par le notaire de « la copie du testament connue ainsi que de tout autre acte testamentaire qui serait attribué à [I] [J] [U] », d’ « élément d’information afférent à la dévolution et à la transmission des biens de [I] [J] [U] » et « l’état de son patrimoine au jour de son décès », en application de l’article 23 de la loi du 25 Ventôse An XI ;

– juger que, sous réserve pour Mme [G] de justifier d’un intérêt légitime, la levée du secret professionnel ne pourra porter que sur l’acte de notoriété après décès de [I]-[J] [U] et l’acte de dépôt du testament ;

– débouter Mme [G] de sa demande de fixation d’une astreinte injustifiée ;

– condamner Mme [G] à payer à Maître [D] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [G] aux entiers dépens d’instance dont distraction au profit de Maître Michel Ronzeau qui pourra les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile’.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Mme [G] sollicite l’infirmation de l’ordonnance attaquée et que soit ordonnée la levée du secret professionnel de Maître [S] [D], notaire à [Localité 3], et qu’il lui soit fait injonction de lui communiquer copie de toutes dispositions testamentaires qui seraient attribuées à [I] [U], de tout acte de dépôt de testament éventuel, ainsi que l’acte de notoriété dressé par ses soins et l’état de son patrimoine.

Elle soutient qu’il résulte de l’article 23 de la loi du 25 Ventôse an XI modifié par la loi du 25 juin 1973 que toute personne ayant intérêt peut obtenir la copie des actes en rapport avec ledit intérêt ou ses prérogatives.

Elle fait valoir qu’elle est héritière légale du défunt en sa qualité de cousine au 4ème rang, comme le démontre l’étude généalogique de Mme [R] en date du 2 septembre 2022 qu’elle verse aux débats, et que le défunt n’a pas eu d’autre héritier de rang plus proche.

Elle expose qu’elle était en outre héritière d’une assurance-vie avant d’en être privée par voie testamentaire, comme en a fait état la société CNP Assurances, ce qui suffit à consacrer son intérêt légitime à avoir accès au testament et aux documents relatifs à la succession.

Elle invoque également l’article 970 du code civil, faisant valoir que la possibilité de vérifier l’écriture et la signature du testament constitue également un intérêt légitime à en obtenir la copie.

Elle considère donc qu’elle dispose clairement d’un intérêt légitime à formuler sa demande de levée du secret professionnel du notaire afin d’avoir connaissance des dispositions testamentaires qui l’ont privée de l’effectivité de ses droits au profit d’un prétendu légataire universel.

Sur les éléments sollicités, elle avance qu’elle ne fait que demander les actes qui se situent dans le prolongement du testament et qui ne peuvent qu’être détenus par le notaire, et notamment ;

– l’acte de dépôt afférent au testament intégrant l’acte en cause, nécessairement présent dans les minutes du notaire,

– l’acte de notoriété de la succession de [I] [J] [U], que la société CNP Assurances a indiqué avoir reçu de l’étude [Localité 3] dont fait partie Maître [D],

– tout autre testament le cas échéant en la possession du notaire,

– et dès lors qu’elle est héritière légale potentielle, l’état du patrimoine successoral ainsi que les informations sur le devenir des actifs successoraux.

Maître [D], rappelant le caractère général et absolu du secret professionnel du notaire, soutient quant à elle que l’appelante ne peut en solliciter la levée que dans le respect des exigences de l’article 23 de la loi du 25 Ventôse An XI, et donc en démontrant l’intérêt légitime dont elle disposerait pour ce faire.

Elle relève que les pièces visées par l’assignation et les conclusions de première instance de Mme [G] ne démontraient pas l’existence d’un tel intérêt et qu’en tout état de cause, elle s’en rapporte à hauteur de cour à l’appréciation de cette dernière.

Ainsi, si la cour devait considérer que l’appelante justifie d’un intérêt légitime à obtenir la levée du secret professionnel du notaire, et la communication par celui-ci d’actes couverts par ce secret, celle-ci ne pourra porter que sur les « actes reçus » par Maître [D], ou dont le notaire est dépositaire au rang de ses minutes, et non sur les éléments d’informations ou documents ayant pu lui être confiés par un client.

Elle expose donc que cette levée ne pourra porter que sur l’acte de dépôt du testament et l’acte de notoriété reçu après décès, à l’exclusion d’autres éléments relatifs à la succession, tels « la copie du testament connue ainsi que tout autre acte testamentaire qui serait attribué à [I] [J] [U] », et la copie de « tout élément d’information afférent à la dévolution, et à la transmission des biens de [I] [J] [U] », ou encore « l’état de son patrimoine ».

Enfin, la notaire sollicite le rejet de la demande d’astreinte, faisant valoir qu’elle a légitimement opposé à Mme [G] le secret professionnel absolu et général auquel elle est tenue, et que si la cour devait décider que l’appelante justifie d’un intérêt légitime à obtenir la communication d’actes qu’elle a reçus ou dont elle est dépositaire, elle se conformera à la décision sans qu’il soit nécessaire de l’assortir d’une astreinte.

Sur ce,

Selon l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

La production de documents par un tiers constitue bien l’une de ces mesures.

L’article 1435 de ce code prévoit pour sa part que les officiers publics ou ministériels sont tenus de délivrer, à charge de leurs droits, expédition ou copie des actes aux parties elles-mêmes, à leurs héritiers ou ayants droit. L’article 1436 de ce même code indique qu’en cas de refus ou de silence du dépositaire, le président du tribunal judiciaire saisi par requête statue le demandeur ou le dépositaire entendus ou appelés.

L’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI dispose enfin que les notaires ne pourront également, sans l’ordonnance du président du tribunal judiciaire, délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d’autres qu’aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit.

Il résulte de ces dispositions qu’un tiers, dès lors qu’il justifie d’un intérêt légitime à la prise de connaissance d’un acte détenu par un notaire, peut en solliciter la communication.

En l’espèce, à hauteur de cour Mme [G] produit une attestation de Mme [N] [R], généalogiste, certifiant que [I] [J] [U] n’a laissé au jour de son décès aucun héritier réservataire et que Mme [O] [U] épouse [G] est bien sa cousine au quatrième degré dans la ligne paternelle du défunt.

Par ailleurs, il est établi par que courrier en date du 29 juillet 2020, la société CNP Assurances a informé Mme [G] que [I] [U] avait souscrit auprès d’elle un contrat d’assurance-vie ainsi que des étapes à suivre afin d’obtenir le règlement, avant de l’informer le 8 janvier 2021 avoir reçu un courrier de la « SCP [Localité 3] » comportant un extrait de dévolution successorale mentionnant l’existence d’un légataire universel désigné par testament.

Ce faisant, Mme [G] s’est retrouvée évincée des droits successoraux qui lui avaient pourtant été annoncés quelques mois auparavant.

Elle justifie dès lors d’un intérêt légitime à obtenir communication de l’acte de dépôt du testament désignant le légataire universel, intégrant l’acte en cause, pour envisager le cas échéant de préserver ou défendre ses droits, et de l’acte de notoriété reçu après décès.

L’ordonnance dont appel sera en conséquence infirmée en ce qu’elle l’a déboutée de ces demandes, après avoir préalablement autorisé Maître [D] à lever le secret professionnel relatif à ces éléments.

En revanche, les éléments des débats étant cantonnés à l’existence alléguée d’un légataire universel eu égard à la détermination du bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, l’appelante ne justifie pas d’un intérêt légitime à obtenir ‘tout autre acte testamentaire qui serait attribué à [I] [J] [U]’ ainsi que ‘tout élément d’information afférent à la dévolution et à la transmission des biens de [I] [J] [U], ainsi que l’état de son patrimoine au jour de son décès’, l’ordonnance querellée étant confirmée en ce qu’elle a ainsi jugé.

Le prononcé d’une astreinte ne se justifie pas, le notaire n’ayant fait preuve d’aucune résistance caractérisée.

Sur les demandes accessoires :

La notaire s’étant conformée à son obligation de secret professionnel dans l’attente d’une autorisation judiciaire, il sera dit que chaque partie conserva la charge des dépens d’appel par elle exposés.

L’équité commande par ailleurs de débouter les partis de leur demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme partiellement l’ordonnance du 8 juillet 2022,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Autorise la levée du secret professionnel de Maître [S] [D], notaire à [Localité 3], relativement aux pièces ci-dessous visées,

Ordonne à Maître [S] [D], ès qualités, de communiquer à Mme [O] [U] épouse [G] l’acte de dépôt du testament désignant le légataire universel, intégrant l’acte en cause, et l’acte de notoriété reçu après décès,

Confirme l’ordonnance en ce qu’elle a débouté Mme [O] [U] épouse [G] du surplus de ses demandes de communication de pièces,

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charges des dépens d’appel par elle exposés.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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