Droits des héritiers : 10 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/05035

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Droits des héritiers : 10 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/05035

10 mai 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/05035

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 10 MAI 2023

N° RG 22/05035 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6SD

[H] [C]

[M] [C]

c/

[T] [C]

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendu le 10 octobre 2022 par le Juge de la mise en état de PERIGUEUX (RG n° 22/00431) suivant déclaration d’appel du 03 novembre 2022

APPELANTS :

[H] [C]

né le 18 Janvier 1992 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 2]

[M] [C]

née le 26 Octobre 1995 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

Représentés par Me Stéphanie BOURDEIX de la SCP CABINET MALEVILLE, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉ :

[T] [C]

né le 15 Août 1955 à [Localité 5]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

Représenté par Me Bénédicte LAGARDE-COUDERT de la SELAS NUNEZ-LAGARDE COUDERT-MARTINS DA SILVA, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

[Y] [C] et [F] [B] se sont mariés devant l’officier d’état civil de la commune de [Localité 6] (24) le 25 octobre 1947. Leur union a été précédée d’un contrat de mariage (communauté de biens réduite aux acquêts) établi le 24 octobre 1947 par Me [D].

Deux enfants sont issus de leur union : [T] et [X].

Les 23 décembre 1997 (pièce 8 de l’intimé), 21 décembre 1998 (sa pièce 6) puis le 18 et le 27 décembre 2007 (sa pièce 7), [Y] et [F] [C] ont réalisé des donations-partage entre leurs deux fils.

Aux termes d’un testament en date du 31 juillet 2012, Mme [B] a institué son fils [X] comme légataire universel sous réserve de l’usufruit de son époux.

Aux termes d’un testament authentique reçu le 30 août 2012 par Me [K], [Y] [C] a déclaré révoquer tous testaments antérieurs et institué légataire universel [X] [C], sous l’usufruit de Mme [B].

[Y] [C] est décédé le 11 janvier 2015 à [Localité 7], laissant pour lui succéder son conjoint survivant et ses deux enfants.

[X] [C] est décédé le 26 novembre 2019 laissant pour lui succéder ses enfants, [H], né le 18 janvier 1992 et [M], née le 26 octobre 1995.

Mme [B] est décédée le 18 juin 2021 à [Localité 3] laissant pour lui succéder son fils [T] et ses petits-enfants [H] et [M], venant par représentation de leur père décédé [X].

Par acte d’huissier en date du 17 janvier 2022, [T] [C] a assigné [H] et [M] [C] devant le tribunal judiciaire de Périgueux aux fins de voir prononcer la nullité du testament établi par Mme [B] veuve [C] en date du 31 juillet 2012. La procédure est en cours.

Puis par actes d’huissier en date des 24 et 28 mars 2022, [T] [C] a assigné [H] et [M] [C] devant le tribunal judiciaire de Périgueux, au visa des dispositions des articles 921 et suivants du code civil, afin de voir ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [Y] [C] et voir désigner un notaire à l’effet de reconstituer la masse à partager pour procéder au calcul de l’indemnité de réduction due par [H] et [M] [C] à leur oncle en sa qualité d’héritier réservataire.

Suivant conclusions d’incident du 5 septembre 2022, [H] et [M] [C] ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir dire et juger que l’action engagée par [T] [C] est prescrite.

Par ordonnnance du 10 octobre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Périgueux a :

– déclaré l’action en réduction initiée par [T] [C] recevable comme n’étant pas prescrite,

– débouté [H] et [M] [C] de l’ensemble de leurs demandes,

– débouté [T] [C] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– réservé les dépens de l’incident qui seront joints à ceux de l’instance devant le tribunal.

Procédure d’appel :

Par déclaration du 3 novembre 2022, [H] et [M] [C] ont relevé appel limité de l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré l’action en réduction initiée par [T] [C] recevable comme n’étant pas prescrite et les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes.

L’affaire a été fixée à bref délai à l’audience du 14 mars 2023, avec clôture le 10 mars, par ordonnance de la présidente de la chambre de la famille du 2 décembre 2022.

Selon dernières conclusions du 3 février 2023, [H] et [M][C] demandent à la cour de :

– dire et juger recevable et bien fondé leur appel,

En conséquence, réformer l’ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau,

– dire et juger prescrite l’action engagée par [T] [C],

– condamner [T] [C] à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral subi,

– le condamner à la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens.

Selon dernières conclusions du 27 février 2023, [T] [C] demande à la cour de :

– juger recevable mais non fondée l’appel interjeté par [H] et [M] [C],

– confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

En conséquence,

– déclarer son action en réduction parfaitement recevable,

– débouter [H] et [M] [C] de toute leurs demandes, fins et prétentions,

– les condamner solidairement solidairement au paiement d’une somme de 1 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procdure civile,

– les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Pour déclarer non prescrite l’action de [T] [C], le tribunal judiciaire, après rappel des dispositions des articles 921 et 1077-2 du code civil, a retenu que :

– l’action en réduction vise le testament du 30 août 2012,

– ce testament n’a pas été publié au service de la publicité foncière mais enregistré au service des impôts le 27 avril 2015, ce qui ne lui confère aucune publicité et le rend inopposable aux tiers,

– la déclaration de succession de [Y] [C] a été envoyée au même service des impôts le 29 janvier 2016 portant mention du testament, avec pour seul déclarant [X],

– de ces documents, il ne ressort pas que [T] [C] aurait pu avoir connaissance d’une atteinte potentielle portée à sa réserve dès le décès de son père, ou du jour de l’établissement ou de l’enregistrement de ces actes,

– l’attestation immobilière après décès du 28 juillet 2020 de Me [P] aurait été publiée au service de la publicité foncière mais il n’en est pas justifié, et si tel était le cas, [T] [C] déclare qu’un délai de deux ans aurait commencé à courir à compter de cet acte pour expirer au plus tôt le 28 juillet 2022, soit après l’introduction de l’instance,

– [T] [C] affirme n’avoir eu connaissance du règlement de la succession de son père que lors de l’ouverture des opérations de partage de la succession de sa mère, et aucun élément adverse n’établit le contraire,

– dès lors, le délai de prescription de l’action en réduction n’a pu commencer à courir qu’au mieux à compter de la publication de l’attestation immobilière du 28 juillet 2020, et dans tous les cas, du décès de la mère de famille le 18 juin 2021, de sorte que ce délai n’était pas expiré lors de l’assignation les 24 et 28 mars 2022,

– du surcroît, les deux frères ont bénéficié de donations-partage des deux parents conjointement, donnant lieu sinon à rapport, du moins à réduction, et l’article 1077-2 dispose que l’action en réduction d’une telle donation-partage ne peut être introduite qu’après le décès du survivant des disposants, la valeur des biens donnés s’appréciant à l’ouverture de sa succession,

– c’est pourquoi, les droits de chaque héritier dans les successions des époux [C]/[B] n’ont pu être pleinement déterminés qu’au jour de l’ouverture de la succession de Mme [B] soit à compter du 18 juin 2021, faisant courir un délai de prescription de 5 ans pour exercer l’action en réduction.

Les appelants font valoir que la demande en réduction de [T] [C] est prescrite en ce qu’il a engagé la procédure sept ans après le décès de son père qu’il n’ignorait pas, que la succession de [Y] [C] a été réglée le 29 janvier 2016 (pièce 10) et que si l’intimé n’avait plus de contact avec ses parents, il ne démontre pas pour autant de pas avoir été informé de ce règlement.

Ils ajoutent en réponse au moyen de l’intimé qui soutient que les opérations n’ont pas été contradictoires, que [X] [C] a agi pour le compte de sa mère en vertu d’un mandat de protection future, qu’elle n’a donc pas été écartée des opérations de la succession de son époux et que [T] [C] ne pouvait ignorer qu’elle avait opté pour l’usufruit puisqu’elle a continué à percevoir les loyers de la location des garages.

Ils font valoir également que Me [K], notaire en charge de la succession de [Y] [C], a procédé à toutes les mesures de publicité nécessaires à savoir l’enregistrement de l’inventaire des biens auprès des services des impôts le 5 août 2015 (pièce 8), l’enregistrement du testament le 27 avril 2015 (pièce 5), l’enregistrement de l’attestation de notoriété le 6 juillet 2015 (pièce 10), la déclaration de succession auprès du service des impôts mentionnant l’existence du testament et que [X] [C] était institué légataire universel (pièces 6 et 7).

Ils précisent que le testament de [Y] [C] a été déposé au Fichier Central des dispositions des dernières volontés le 30 août 2012 (pièce 9).

De surcroît, ils soutiennent que [T] [C] pouvait agir en réduction dès le décès de son père sans attendre le décès de sa mère s’agissant d’un legs et non d’une donation-partage et que les dispositions de l’article 1077-2 du code civil sont inopérantes car le report du délai de prescription n’est applicable qu’aux actions en réduction relatives à une donation-partage.

Ils rappellent d’ailleurs que l’action au fond n’est fondée que sur les dispositions de l’article 921 du même code à laquelle est applicable le délai de droit commun de cinq ans et qui n’évoque pas la dérogation prévu par l’article 1077-2.

Ils soutiennent encore que le legs consenti à [X] est devenu applicable au jour du décès de [Y] [C].

Enfin, les appelants soutiennent que la multiplication des procédures par [T] [C] est une source de souffrance, qu’ils se retrouvent au milieu d’un conflit existant depuis des années dans la famille qui les dépasse, que leur oncle s’est totalement désintéressé de ses parents, qu’il a même déposé plainte contre eux pour abus de faiblesse et que seul l’argent le motive.

L’intimé réplique qu’il n’a pas été informé du dépôt de la déclaration de succession ni de l’établissement de l’acte de notoriété le 6 juillet 2015, auquel il n’a pas assisté et qu’il n’a pas signé ledit acte.

Il constate que cet acte a été sollicité par son frère, en sa qualité d’héritier réservataire et légataire universel, sans avoir à requérir la présence de son frère héritier réservataire avec la connivence du notaire de famille, Me [K].

Il remarque d’ailleurs que l’attestation immobilière établie le 28 juillet 2020 par Me [P] mentionne que l’action en réduction de [T] [C] était toujours envisageable en raison des donations-partage et du délai de prescription non expiré.

Le point de départ du délai de prescription est donc fixé au 28 juillet 2020 et l’assignation a été formée dans le délai de deux ans.

Il rappelle que l’action qu’il intente porte aussi sur des donations-partage et qu’en vertu de l’article 1077-2 du code civil, l’action en réduction ne pouvait être initiée avant le décès de sa mère, soit avant le 18 juin 2021.

Enfin, il soutient que le calcul du montant de la réserve héréditaire nécessite la reconstitution de l’actif successoral et de savoir si les donations partage ont permis de remplir, ou pas, les héritiers réservataires, de leurs droits.

Sur ce,

L’article 920 du code civil dispose que ‘les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d’un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l’ouverture de la succession’.

L’article 921 du code civil stipule quant à lui que ‘la réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter.

Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès’.

L’article 1077-2 du code civil idique enfin que ‘en cas de donation-partage faite conjointement par les deux époux, l’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès du survivant des disposants, sauf pour l’enfant non commun qui peut agir dès le décès de son auteur. L’action se prescrit par cinq ans à compter de ce décès’.

Il est constant qu’en l’espèce, les deux frères [C] ont bénéficié de donations-partage faites conjointement par les deux époux, leurs père et mère.

Dès lors, l’action en réduction de [T] [C] ne pouvait être introduite qu’après le décès de Mme [B].

En effet, l’action en réduction intentée par [T] [C] ne se limite nécessairement pas au seul legs consenti à son frère mais à l’ensemble des actes réalisés par leurs parents, incluant les donations-partages susvisées, afin de parvenir à la reconstitution de la masse à partager et du calcul de l’éventuelle indemnité de réduction qui lui serait dûe.

Mme [B] étant décédée le 18 juin 2021, l’action en réduction pouvait être introduite jusqu’au 18 juin 2026 et elle l’a été les 24 et 28 mars 2022 ; en conséquence de quoi, elle ne saurait être prescrite.

Il convient dès lors de confirmer la décision déférée y compris en ce qu’elle a réservé les dépens de l’incident au fond, et de condamner solidairement les appelants à payer à l’intimé une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel, les intimés ayant été avertis par Me [P] le 28 juillet 2020 que, compte tenu de la donation-partage dont il avait connaissance (celle du 27 décembre 2007), une action en réduction était toujours possible jusque cinq années après le décès de Mme [B], ce qui leur a été confirmé par le juge de la mise en état, par la décision déférée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant après rapport fait à l’audience,

CONFIRME la décision déférée ;

Y ajoutant,

CONDAMNE solidairement [H] et [M] [C] à payer à [T] [C] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel.

Signé par Hélène MORNET, Présidente de la chambre et par Véronique DUPHIL, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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