Droits des héritiers : 23 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02578

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Droits des héritiers : 23 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02578

23 mai 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
21/02578

ARRET N°258

N° RG 21/02578 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GLIC

S.A. CNP ASSURANCES

C/

[B]

S.A. LA BANQUE POSTALE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 23 MAI 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02578 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GLIC

Décision déférée à la Cour : jugement du 01 juin 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de POITIERS, rectifié par jugement du 12 août 2021.

APPELANTE :

S.A. CNP ASSURANCES

[Adresse 4]

[Localité 6]

ayant pour avocat Me Philippe BROTTIER de la SCP PHILIPPE BROTTIER – THIERRY ZORO, avocat au barreau de POITIERS

INTIMES :

Monsieur [I] [B]

né le 16 Janvier 1975 à [Localité 10]

[Adresse 3]

[Localité 7]

ayant pour avocat Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

S.A. LA BANQUE POSTALE

[Adresse 2]

[Localité 5]

ayant pour avocat postulant Me Philippe GAND de la SCP GAND-PASCOT, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me Nicolas DUVAL de la SELEURL NOUAL DUVAL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

– Contradictoire

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

[W] [F] est décédé le 28 novembre 2018.

Neuf jours auparavant, le 19 novembre 2018, il avait signé dans les locaux de l’agence de La Banque Postale où il était titulaire d’un compte de dépôt une proposition d’assurance R931653770 correspondant à un contrat d’assurance-vie dénommé ‘Cachemire 2’ désignant comme bénéficiaire [I] [B].

Cet acte énonçait que le versement initial opéré par le souscripteur, d’un montant de 26.000 euros, serait prélevé sur son compte à La Banque Postale.

[I] [B], après avoir vainement réclamé à plusieurs reprises le versement du capital décès à la CNP Assurances, l’a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Poitiers par acte du 17 juin 2019 pour l’entendre condamner à lui payer cette somme.

La CNP Assurances a fait assigner en intervention forcée La Banque Postale, et les deux instances ont été jointes.

Dans le dernier état de ses prétentions, M. [B] demandait au tribunal à titre principal, de condamner CNP Assurances à lui payer 26.000 euros en exécution du contrat avec intérêts et anatocisme outre 3.000 euros de dommages et intérêts et 4.000 euros d’indemnité de procédure, et il sollicitait à titre subsidiaire la condamnation de La Banque Postale à lui payer ces mêmes sommes à titre indemnitaire pour le cas où il serait fait droit à la prétention de la CNP à être mise hors de cause au motif qu’elle n’aurait jamais été destinataire du contrat, la Banque Postale ayant alors commis une faute engageant sa responsabilité en ne transmettant pas les fonds.

La CNP Assurances concluait au rejet des demandes dirigées à son encontre. Elle indiquait n’avoir jamais été destinataire de la proposition d’assurance ni d’aucun certificat d’adhésion, soutenait que le document signé par [W] [F] n’était qu’une proposition qui ne valait pas contrat faute pour elle d’avoir émis un certificat d’adhésion ; et faisait valoir que l’adhésion était subordonnée à l’encaissement du versement initial par l’assureur qui n’était, en l’espèce, jamais intervenu, la preuve qu’elle aurait reçu la somme de 26.000 euros n’étant pas rapportée.

La Banque Postale concluait au rejet des demandes de M. [B] en soutenant qu’alors que son service chargé de gérer la demande de souscription avait demandé à [W] [F] de justifier que les fonds à réinvestir se trouvaient bien au crédit de son compte, celui-ci l’avait informée qu’il ne souhaitait plus adhérer au contrat et renonçait à l’opération. Elle récusait toute faute dans sa gestion du dossier. Elle discutait subsidiairement l’existence même d’un préjudice.

Par jugement du 1er juin 2021, rectifié par jugement du 12 août 2021 en une erreur matérielle affectant son en-tête, le tribunal judiciaire de Poitiers a

*condamné la CNP Assurances à payer à [I] [B] la somme de 24.700 euros

*dit que les intérêts courant sur cette somme seront capitalisés chaque année pourvu qu’ils soient dus pour une année entière

*condamné la CNP Assurances à payer à [I] [B] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

*condamné la CNP Assurances aux dépens

* ordonné l’exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,

-que le demandeur justifiait par la production d’une ‘proposition d’assurance’ portant les deux sigles de la CNP et de la Banque Postale que [W] [F] avait adhéré le 19 novembre 2018 au contrat d’assurance groupe

-qu’aux termes de ce document, la signature de la proposition valait contrat

-que le souscripteur avait le choix entre deux modalités pour le versement initial de 26.000 euros et avait choisi le virement en cochant sur le document cette option, plutôt que l’autre, par chèque bancaire libellé à l’ordre de la CNP

-que cette adhésion, réputée souscrite par La Banque Postale auprès de la CNP, obligeait le mandant à exécuter les engagements contractés par le mandataire conformément au pouvoir donné

-qu’ainsi, l’adhésion valait contrat, sans que la CNP soit fondée à prétendre que la conclusion du contrat de souscription aurait été subordonnée à la délivrance d’un certificat d’adhésion, ni à la remise d’un chèque bancaire

-que la CNP avait causé un préjudice à [I] [B] en n’exécutant pas le contrat

-que ce préjudice avait la nature d’une perte de chance, compte-tenu de l’aléas existant en raison de l’incertitude que le compte bancaire de M. [F] était toujours créditeur de la somme de 26.000 euros au jour du décès, aucune somme n’ayant, en réalité, été versée par La Banque Postale

-qu’au vu de la proximité du décès, survenu 9 jours plus tard, la chance perdue s’appréciait à 95%

-que le droit à réparation de M. [B] n’était pas affecté par l’incertitude sur sa qualité d’héritier de M. [F], dès lors que l’obligation de la CNP, de nature contractuelle, restait identique, sauf pour elle à faire valoir ses droits dans la succession si elle s’estimait créancière

-que la résistance des défenderesses n’ayant pas été abusive, il n’y avait pas lieu de les condamner à des dommages et intérêts.

La CNP Assurances a relevé appel le 19 août 2021.

Le calendrier de procédure diffusé par le greffe annonçait la clôture pour le 6 février 2023.

Le jour même de la clôture, l’appelante a notifié des conclusions récapitulatives et transmis ses pièces.

Comme demandé par M. [B], qui a légitimement entendu répliquer à ces transmissions, il y aura lieu de rabattre l’ordonnance de clôture et de la fixer au 6 mars 2023, jour de l’audience, afin d’assurer le respect du principe de la contradiction et de la loyauté des débats.

Sont ainsi prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile les dernières écritures transmises par la voie électronique

* le 6 février 2023 par la CNP Assurances

* le 17 février 2022 par la Banque Postale

* le 27 février 2023 par [I] [B].

La CNP Assurances demande à la cour dans le dispositif de ses conclusions de :

Vu l’article 1353 du code civil,

Recevoir CNP Assurances en son appel

Dire et juger bien fondé l’appel de CNP Assurances au soutien des arguments exposés

En conséquence,

Infirmer le dispositif du jugement déféré

Sur le fondement de l’article 1353 du code civil, la CNP n’a jamais été destinataire d’une quelconque proposition d’assurance et si tel avait été le cas en l’absence au surplus de versement initial de la cotisation à la charge de l’adhérent, le contrat n’a pas pu prendre effet, conformément à l’article 10 de la notice d’information en l’absence

Enjoindre à la Banque Postale de produire aux débats les relevés de compte de M [F] édités pour la période de novembre à décembre 2018 et janvier 2019.

À titre subsidiaire : les héritiers, par l’entremise de M. [B], auront à s’acquitter de la somme de 26.000 euros perçue au titre de la succession directement entre les mains du demandeur à l’instance, bénéficiaire des capitaux-décès.

À titre infiniment subsidiaire, il sera nécessaire de déduire du montant du préjudice alloué la part perçue par M. [B] au titre de la succession

Condamner Monsieur [B] au paiement de 2.000 euros au profit de CNP au titre des frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l’article 700du code de procédure civile

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle redit avoir eu pour la première fois connaissance en janvier 2019, au reçu de la réclamation de [I] [B], de l’existence de la proposition d’assurance signée en novembre 2018 par [W] [F].

Elle expose que les opérations d’adhésion sont intermédiées par La Banque Postale, distributeur de ses produits d’assurance.

Elle maintient que celle-ci ne lui a jamais transmis la proposition signée par M. [F], ce qui aurait permis qu’elle-même procède au prélèvement de la prime, et que le contrat prenne effet.

Elle invoque l’article 10.1 de la notice d’information ‘date de conclusion de l’adhésion et prise d’effet des garanties’, qui stipule que l’adhésion est conclue à la date figurant sur la proposition d’assurance valant certificat d’adhésion ou sur le certificat d’adhésion sous réserve de l’encaissement du versement initial de cotisation par l’assureur, pour dire que n’ayant jamais reçu la proposition d’assurance ni émis de certificat d’adhésion, et n’ayant jamais encaissé la prime d’assurance, elle n’a pas à exécuter un contrat qui n’a pas pris effet.

Elle conteste la motivation du jugement, en ce qu’il retient que le contrat se serait valablement formé sans tirer la conséquences de l’absence d’encaissement de la prime auquel celui-ci subordonne le versement du capital.

Elle objecte qu’elle n’a commis aucune faute.

Elle suppose que les 26.000 euros ont été maintenus sur le compte bancaire dont M. [F] était titulaire à La Banque Postale, et déplore que M. [B] n’ait pas pris l’initiative d’attraire à la procédure les nombreux héritiers du de cujus afin qu’ils soient le cas échéant astreints à les restituer au demandeur.

Elle fait valoir subsidiairement que si la cour retenait que [I] [B] a été privé d’une chance de recevoir la prime, c’est à ces héritiers qu’il lui appartiendrait de demander les 26.000 euros qu’il réclame, puisqu’ils ont perçu la somme dans la succession, et elle répond à la contestation adverse que ce moyen est recevable en cause d’appel.

La Banque Postale demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, à titre subsidiaire de débouter [I] [B] de son appel incident, et en tout état de cause de condamner celui-ci aux dépens de première instance et d ‘appel et à lui verser 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle affirme qu’au reçu de la proposition d’assurance signée à l’agence postale de [Localité 9] par [W] [F], son ‘service qualité’ a conformément à ses procédures internes sollicité la justification que les fonds à réinvestir étaient au crédit du compte de M. [F], et demandé que le versement de la prime initiale soit réalisé au moyen d’un chèque. Elle se prévaut de l’attestation de la conseillère de M. [F] à [Localité 9] selon laquelle l’intéressé, lorsqu’elle l’informa par lettre de cette nécessité d’établir un chèque, l’avisa par téléphone qu’il ne souhaitait plus souscrire et renonçait donc à son adhésion.

Elle décline toute responsabilité en indiquant avoir agi en qualité d’intermédiaire et en soutenant qu’en l’état du revirement de M. [F], elle n’avait rien à transmettre à la CNP, et que c’est à celle-ci et non à elle qu’il incombait de procéder au prélèvement sur le compte bancaire si réellement le paiement pouvait être fait par virement et non par chèque. Elle soutient que le décès prématuré de M [F] l’a empêché de matérialiser sa volonté de ne plus souscrire le contrat.

Elle conteste les demandes formulés à son encontre par voie d’appel incident sur le fondement de l’indemnisation de la perte d’une chance, en objectant qu’elle n’a commis aucune faute, et plus subsidiairement que dans l’hypothèse où la cour retiendrait néanmoins qu’elle en a commis une, le préjudice n’est pas établi car les 26.000 euros, restés sur le compte du de cujus, sont nécessairement entrés dans sa succession, et qu’il incombe au demandeur, ce qu’il a toujours refusé, de justifier de la dévolution successorale.

Plus subsidiairement, elle considère que le préjudice est constitué de la chance perdue par [I] [B] d’avoir été désigné en qualité de bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, chance inexistante puisqu’en cas de survie, M. [F] aurait confirmé sa volonté de ne pas souscrire et par conséquent de ne pas le gratifier.

[I] [B] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter en conséquence la CNP Assurances de ses prétentions et de la conamner à lui payer 5.000 euros d’indemnité de procédure; pour le cas où la cour ne condamnerait pas la CNP, il forme alors appel incident et, sollicitant la réformation du jugement, demande à la cour de condamner La Banque Postale à lui verser 24.700 euros à titre de dommages et intérêts, avec anatocisme, ainsi que 3.000 euros d’indemnité de procédure. Il sollicite la condamnation in solidum aux dépens de la CNP et de La Banque Postale.

Il soutient que la cour n’est pas saisie des demandes de ‘dire et juger’ figurant au dispositif des conclusions de la CNP, ne s’agissant pas de prétentions.

Il argue d’irrecevabilité la prétention de la CNP à voir dire que les héritiers de [W] [F] devraient s’acquitter directement entre ses mains de la somme litigieuse, tant parce qu’elle est nouvelle en cause d’appel que parce que ces héritiers ne sont pas dans la cause.

Il estime n’avoir nul besoin ni motif d’attraire, à grands frais, les treize héritiers de [W] [F], auxquels il n’a aucun reproche à adresser ni aucun compte à demander.

Il maintient en référence à l’en-tête de ce document que la proposition d’assurance signée par l’adhérent vaut contrat, et il fait valoir que cette proposition est signée tant de [W] [F] que du conseiller bancaire de La Banque de France, qui y a aussi apposé son cachet.

Il fait valoir que M. [F] avait choisi à la signature du contrat l’option du prélèvement sur son compte bancaire à La Banque Postale, et expressément autorisé celle-ci à prélever sur son compte le montant du versement, de sorte qu’il n’a jamais été question d’un paiement par chèque tel qu’invoqué.

Il fait valoir que ni la Banque Postale ni la CNP n’ont démontré que le compte de [W] [F] ne permettait pas ce prélèvement, et il ajoute que La Banque Postale n’aurait certainement pas signé la proposition si tel avait été le cas car elle avait les moyens de le vérifier aisément.

Il récuse la prétendue rétractation de [W] [F], en faisant valoir qu’aucune preuve n’en est rapportée et que le contrat énonce qu’une rétractation doit être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il approuve le tribunal de l’avoir indemnisé par voie de dommages et intérêts, au regard de la chance perdue, et d’avoir évalué celle-ci à 95%.

Formant à titre éventuel appel incident, il demande à la cour pour le cas où elle ne condamnerait pas la CNP de condamner alors La Banque Postale à lui verser à titre de dommages et intérêts cette même somme de 24.700 euros avec intérêts capitalisés, en affirmant qu’elle n’a manifestement pas fait le nécessaire en temps utile pour transmettre les fonds dont le compte de [W] [F] était créditeur, et qu’elle n’a donc pas correctement exécuté son mandat, ce qui lui a causé préjudice.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

* sur le rabat de l’ordonnance de clôture

La communication le jour même de la clôture par la CNP Assurances de ses pièces, en même temps que de conclusions complémentaires d’appel, constitue une cause grave justifiant de rabattre l’ordonnance de clôture et de fixer la clôture au jour de l’audience, afin d’assurer le respect du principe de la contradiction et de la loyauté des débats.

* sur l’objet du litige et le périmètre de la saisine de cette cour

Contrairement à ce que soutient M. [B] au visa d’une jurisprudence inapplicable en la présente cause car relative au dispositif de conclusions d’appel ne sollicitant pas la réformation ou l’annulation du jugement entrepris, une demande de ‘dire et juger’ contenue dans le dispositif des conclusions en appel constitue une prétention si elle vise à obtenir une décision sur un point précis (cf Cass. Com. 22.01.2020 P n°18-16961 ou Civ. 2° 13.04.2023 P n°21-21463).

S’agissant de points précis sur lesquels la CNP Assurances lui demande dans le dispositif de ses conclusions de rendre une décision, la cour est valablement saisie de la prétention de cette compagnie :

-à voir juger que conformément à l’article 10 de la notice d’information, le contrat n’a pas pu prendre effet en l’absence de versement initial de la cotisation à la charge de l’adhérent

-à voir enjoindre à la Banque Postale de produire aux débats les relevés de compte de M [F] édités pour la période de novembre à décembre 2018 et janvier 2019

-à voir dire et juger, à titre subsidiaire, que les héritiers, par l’entremise de M. [B], auront à s’acquitter de la somme de 26.000 euros perçue au titre de la succession directement entre les mains du demandeur à l’instance, bénéficiaire des capitaux-décès.

* sur la recevabilité des demandes mettant en cause les héritiers de [W] [F]

La prétention par laquelle la CNP Assurances demande à la cour de dire et juger que les héritiers, par l’entremise de M. [B], auront à s’acquitter de la somme de 26.000 euros perçue au titre de la succession directement entre les mains du demandeur à l’instance, tend à voir prononcer une obligation à la charge de personnes qui ne sont pas parties à l’instance d’appel, de sorte que nouvelle en cause d’appel, et dirigée contre des personnes, au demeurant innommées, qui n’ont pas la qualité de partie pour y défendre, elle est doublement irrecevable.

* sur la demande principale, formulée par M. [F] à l’encontre de la seule CNP Assurances

La CNP sollicite l’infirmation du jugement qui l’a condamnée et le rejet des demandes dirigées à son encontre par [I] [B].

M. [B] sollicite à titre principal la confirmation pure et simple du jugement et ne formule aucune demande à titre principal à l’encontre de La Banque Postale hormis celle de la voir condamner aux dépens in solidum la CNP.

La CNP Assurances ne formule, fût-ce à titre simplement subsidiaire, aucune demande, notamment de garantie, à l’encontre de La Banque Postale.

Il échet donc d’examiner les demandes dirigées contre la CNP par M. [B] et accueillies à hauteur de 95% de leur montant dans le jugement entrepris.

Il ressort des productions qu’à la suite du décès de son père, [W] [F] a entendu réinvestir un contrat d’assurance-vie auprès de la CNP Assurances et qu’il a souscrit à cet effet une proposition d’assurance ‘Cachemire 2’ en date du 19 novembre 2018 par l’intermédiaire de l’agence de La Banque Postale de [Localité 9], dont le conseiller a, comme lui, signé ce document en y apposant aussi le cachet de l’établissement bancaire.

La Banque Postale écrit dans ses conclusions (cf p. 4) avoir en cela agi comme ‘intermédiaire’ de la CNP, seule cocontractante de l’assuré, et la CNP écrit de son côté dans ses conclusions (cf p.2) que les opérations d’adhésion à son contrat d’assurance-vie sont ‘intermédiées par La Banque Postale’, distributeur de ses produits d’assurance.

Le tribunal a ainsi retenu que La Banque Postale apparaissait pour cette opération de souscription comme la mandataire de CNP Assurances, et rappelé qu’en application des dispositions de l’article 1998 du code civil, le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire conformément au pouvoir qui lui a été donné.

Cette analyse fondant sa décision n’est, au demeurant, pas critiquée en cause d’appel, et elle est pertinente.

Le document signé par M. [F] et La Banque Postale est une ‘proposition d’assurance’ et énonce en caractères gras sous cet intitulé : ‘La proposition d’assurance signée par l’adhérent ou les co-adhérents vaut contrat’.

La CNP Assurances n’est ainsi pas fondée à soutenir que le contrat n’aurait pas été formé faute pour elle d’avoir délivré un certificat d’adhésion.

Le contrat prévoit à sa rubrique ‘VERSEMENTS DE COTISATIONS’ une option pour le versement initial de 26.000 euros, entre un ‘chèque bancaire libellé à l’ordre de CNP Assurances’ avec alors indication du nom de la banque et du numéro du chèque et nécessité de joindre un RIB, et un ‘prélèvement sur le compte bancaire à La Banque Postale.. ouvert au nom de l’adhérent’ (cf pièce n°11 de M. [B], page 5/9).

C’est le second terme de l’option qui est coché, d’une croix, suivi des éléments renseignant les rubriques à compléter soit le numéro du compte, en l’occurrence [XXXXXXXXXX01], et son centre, en l’occurrence [Localité 8].

Au dessus de la signature des parties, en page 9/9 du contrat, figure la stipulation :

‘J’autorise (nous autorisons) CNP Assurances à prélever sur mon (notre) compte bancaire le montant du versement effectué ce jour..’.

Il résulte de ces clauses, mentions et éléments que la proposition d’assurance signée le 19 novembre 2018 par M. [F] et la Banque Postale valait contrat de souscription du contrat d’assurance-vie ‘Cachemire 2’, et que le souscripteur avait exécuté la part lui incombant au titre du versement initial de 26.000euros en autorisant le prélèvement de la somme sur son compte.

C’est en contradiction avec les termes de ce contrat définitivement conclu que le ‘Service Qualité Assurance’ du Centre Financier de La Banque Postale a écrit ensuite le 22 novembre 2018 au directeur de l’agence pour lui indiquer ne pouvoir transmettre en l’état le dossier à la CNP Assurances au motif qu’il fallait joindre obligatoirement un chèque du montant du versement initial de cotisation émis par l’adhérent..’ (cf pièce n°1 de La Banque Postale), s’agissant là d’une modalité qui correspondait à l’option non souscrite.

La CNP Assurances, qui répond des éventuels manquements de son mandataire, n’est ainsi pas fondée à opposer à M. [B], bénéficiaire désigné du contrat d’assurance-vie, qu’elle n’aurait jamais reçu le contrat, alors qu’elle doit être regardée comme l’ayant personnellement conclu puisque son mandataire l’a signé pour elle.

Quant à la prétendue renonciation de M. [F] à souscrire en définitive le contrat, elle ne résulte que d’une attestation établie en ce sens par un préposé de La Banque Postale qui est dépourvue de force probante en ce qu’elle émane d’une salariée en situation de subordination, à laquelle il avait été visiblement reproché de n’avoir pas fait souscrire le contrat selon les modalités que son employeur estimait seules applicables, et qui ne peut utilement venir attester pour exonérer son employeur.

Au demeurant, le contrat stipule en une mention dont l’importance a justifié de la placer juste au-dessus de la signature du souscripteur, que la renonciation à l’adhésion ‘doit être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception’, alors que la renonciation dont il est argué aurait été faite verbalement, par voie de message téléphonique recueilli sur un répondeur, et dont l’auteur même est, en cela, non identifiable.

Aucune renonciation n’est ainsi à retenir.

Pas davantage ne saurait-il être considéré que la survenance du décès de M. [F] peu après la souscription constituerait une circonstance l’ayant empêché d’y renoncer.

Le contrat était ainsi valablement formé, et exécuté par M. [F] pour la part d’obligation qui lui incombait, en vertu de son ordre de virement.

Le décès de [W] [F], attesté par un certificat fourni à l’assureur être intervenu le 28 novembre 2018 (pièce n°4 de l’intimé) a ainsi constitué l’événement ouvrant droit à M. [B] au paiement de l’assurance dont il avait été désigné bénéficiaire en cas de mort du souscripteur.

La CNP Assurances ne saurait se soustraire à son obligation en arguant de la clause de la notice d’information selon laquelle ‘l’adhésion est conclue à la date figurant sur la proposition d’assurance valant certificat d’adhésion ou sur le certificat d’adhésion, sous réserve de l’encaissement du versement initial de cotisation par l’assureur’,

-alors que cette absence d’encaissement n’est pas même avérée en l’état des contestations émises par M. [B], bénéficiaire de l’assurance-vie mais qui n’a pas pour autant accès aux comptes du de cujus dont il n’est pas même héritier au vu de l’attestation successorale produite par l’appelante (sa pièce n°4), aucune preuve de ce paiement ne lui incombant à l’appui de son action

-et alors que cette phrase, insérée sans caractère distinctif aucun dans un document de 52 pages, n’est pas mise en exergue dans le contrat signé par le souscripteur -quand bien même celui-ci y certifie avoir pris connaissance, parmi divers documents, de cette notice ; qu’elle n’est pas érigée en condition; et que l’assureur ne doit qu’à lui-même -au travers d’une mauvaise exécution du mandat par sa mandataire La Banque Postale dont il ne peut se faire un avantage- de n’avoir pas encaissé avant le décès du souscripteur le montant du versement initial que celui-ci avait autorisé le 19 novembre 2018 aux termes d’un mandat de prélèvement rédigé sur document spécifique à l’en-tête de la compagnie et annexé au contrat (cf dernier feuillet de la pièce n°1), l’exécution diligente de ce mandat qui lui avait été donné ayant été de nature à lui permettre d’encaisser les fonds avant le 28 novembre 2018.

Il est, à ce titre, vain, pour la CNP Assurances, de demander qu’il soit enjoint à La Banque Postale, qui est en l’affaire son mandataire, de produire la copie d’extraits de relevés de comptes du défunt, d’autant qu’en tant qu’établissement gestionnaire du compte sur lequel la somme devait être prélevée, La Banque Postale avait nécessairement été à même de s’assurer, lors de la souscription du contrat d’assurance-vie, de la présence effective des fonds sur le compte à prélever en vertu du mandat de prélèvement qu’elle faisait signer au souscripteur.

C’est ainsi à bon droit que le premier juge a retenu le principe de l’obligation à paiement de la CNP Assurances.

En cause d’appel, le demandeur sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il lui a alloué 24.700 euros à titre indemnitaire, sur le fondement d’une perte de chance de 95% d’avoir perçu le bénéfice du contrat d’assurance-vie.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la CNP Assurances à payer à [I] [B] la somme de 24.700 euros.

Il le sera également en ce qu’il a dit que les intérêts courant sur cette somme seraient capitalisés chaque année pourvu qu’ils soient dus pour une année entière, le bénéfice de l’anatocisme étant de droit lorsqu’il est sollicité en justice.

* sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le tribunal a condamné à bon droit la CNP Assurances aux dépens et à payer une indemnité de procédure à [I] [B].

Il a écarté à raison dans les motifs de sa décision la demande d’indemnité de procédure formulée par La Banque Postale, l’omission de statuer aussi de ce chef dans le dispositif pouvant être réparée par le présent arrêt.

Devant la cour, la CNP Assurances succombe et supportera les dépens d’appel.

Elle versera en application de l’article 700 du code de procédure civile à M. [B] une indemnité pour frais irrépétibles d’appel;

L’équité justifie de n’allouer aucune indemnité de procédure d’appel à La Banque Postale.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

ORDONNE la révocation de l’ordonnance de clôture

FIXE la clôture au 6 mars 2023

REJETTE le moyen de [I] [B] selon lequel la cour ne serait pas saisie de la prétention de la CNP Assurances :

-à voir juger que conformément à l’article 10 de la notice d’information, le contrat n’a pas pu prendre effet en l’absence de versement initial de la cotisation à la charge de l’adhérent

-à voir enjoindre à la Banque Postale de produire aux débats les relevés de compte de M [F] édités pour la période de novembre à décembre 2018 et janvier 2019

-à voir dire et juger, à titre subsidiaire, que les héritiers, par l’entremise de M. [B], auront à s’acquitter de la somme de 26.000 euros perçue au titre de la succession directement entre les mains du demandeur à l’instance, bénéficiaire des capitaux-décès

DÉCLARE irrecevable la prétention de la CNP Assurances à voir la cour dire et juger que les héritiers, par l’entremise de M. [B], auront à s’acquitter de la somme de 26.000 euros perçue au titre de la succession directement entre les mains du demandeur à l’instance

CONFIRME le jugement entrepris, rendu par le tribunal judiciaire de Poitiers le 1er juin 2021 et rectifié le 12 août 2021

y ajoutant :

REJETTE la demande de La Banque Postale fondée en première instance sur l’article 700 du code de procédure civile

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE la société CNP Assurances aux dépens d’appel

LA CONDAMNE à verser 4.000 euros à [I] [B] en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel

DÉBOUTE La Banque Postale de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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