Droits des héritiers : 26 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04147

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Droits des héritiers : 26 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04147

26 mai 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/04147

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 26 MAI 2023

N° RG 20/04147 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LYLJ

[U] [L] [W] [F] veuve [O]

[J] [O]

[A] [O]

[I] [O]

c/

[P] [O]

[G] [O] épouse [E]

[D] [O]

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 juillet 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (RG n° 18/00686) suivant déclaration d’appel du 02 novembre 2020

APPELANTS :

[U] [L] [W] [F] veuve [O]

née le 04 Août 1942 à [Localité 7] (ESPAGNE)

demeurant [Adresse 3]

[J] [O]

née le 07 Mars 1962 à [Localité 6]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

[A] [O]

né le 26 Avril 1963 à [Localité 8]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

[I] [O]

né le 06 Mai 1974 à [Localité 10]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Représentés par Me Michel ASTIER, avocat au barreau de BORDEAUX et à l’audience par Me Marie-Isabelle TEILLEUX

INTIMÉS :

[P] [O]

né le 19 Novembre 1956 à [Localité 6]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

[G] [O] épouse [E]

née le 18 Janvier 1958 à [Localité 6]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 5]

[D] [O]

né le 11 Octobre 1960 à [Localité 6]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 9]

Représentés par Me Gaëlle CASEY de la SELARL CASEY AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant, et par Me Jérôme CASEY de la SELARL CASEY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

M. [T] [O] est décédé le 31 décembre 2014, laissant pour lui succéder, outre son conjoint survivant, ses six enfants :

– M. [P] [O],

– Mme [G] [O],

– M. [D] [O],

nés de sa première union avec Mme [M] [R], ainsi que

-Mme [J] [O],

-M. [A] [O],

-M. [I] [O],

nés de sa seconde union avec Mme [U] [W] [F], avec laquelle il s’est marié le 6 septembre 1971, sans contrat préalable, et à laquelle il a consenti une donation au dernier vivant par acte notarié du 12 octobre 1977.

Aux termes d’un acte reçu le 30 octobre 2015, Mme [U] [W] [F] a déclaré opter pour 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit des biens et droits mobiliers et immobiliers composant la succession de M. [T] [O].

Par ordonnance en date du 31 octobre 2016, le président du tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi par M. [P] [O], Mme [G] [O] et M. [D] [O], a notamment enjoint à Mme [U] [W] [F] de communiquer certains relevés de comptes ainsi que les relevés de rachat de contrats d’assurance-vie.

MM. [P] et [D] [O] et Mme [G] [O] ont, par acte d’huissier du 5 janvier 2018, assigné Mme [U] [W] [F] et ses enfants Mme [J] [O], M. [A] [O] et M. [I] [O], devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d’ouverture de compte, liquidation et partage de la succession de M. [T] [O].

Par jugement en date du 21 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [T] [O] et de la communauté ayant existé entre M. [T] [O] et Mme [U] [W] [F],

– désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de cette chambre,

– désigné pour surveiller les opérations le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux en qualité de juge commis,

– dit que la communauté est débitrice envers la succession de M. [T] [O] de la somme de 301.764,96 euros au titre des valeurs de rachat des contrats d’assurance-vie ‘Himalia’, ‘Patrimoine plus’ et ‘Xaelidia’,

– dit que la communauté est débitrice envers la succession de M. [T] [O] de la somme de 60.979 euros au titre de la récompense due pour l’acquisition de l’immeuble situé à [Localité 11],

– dit que la communauté est débitrice envers la succession de M. [T] [O] de la somme de 186.814,69 euros au titre des rachats partiels du contrat d’assurance-vie souscrit par M. [T] [O],

– rejeté le surplus des demandes formulées au titre des récompenses dues par la communauté,

– rejeté la demande formée au titre du recel de communauté,

– condamné Mme [U] [W] [F] à la peine de recel successoral pour la somme de 301.764,96 euros,

– dit que Mme [J] [O] devra rapporter à la succession la somme de 30.489,50 euros au titre de la donation du bien immobilier situé [Adresse 2],

– dit que M. [A] [O] devra rapporter à la succession la somme de 45.000 euros au titre de la donation qui lui a été faite,

– dit que MM. [P] et [D] [O] et Mme [G] [O] devront rapporter à la succession la donation du 2 juillet 1981 ainsi que la donation en date du 19 mai 1982,

– dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

– dit que les dépens de l’instance constitueront des frais privilégiés de partage.

Procédure d’appel :

Par déclaration du 2 novembre 2020, Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] ont relevé appel limité du jugement en ce qu’il a dit que la communauté est débitrice envers la succession de M. [T] [O] de la somme de 301.764,96 euros au titre des valeurs de rachat des contrats d’assurance-vie ‘Himalia’, ‘Patrimoine plus’ et ‘Xaelidia’, de la somme de 60.979 euros au titre de la récompense due pour l’acquisition de l’immeuble situé à [Localité 11], de la somme de 186.814,69 euros au titre des rachats partiels du contrat d’assurance-vie souscrit par M. [T] [O], condamné Mme [U] [W] [F] à la peine de recel successoral pour la somme de 301.764,96 euros, dit que Mme [J] [O] devra rapporter à la succession la somme de 30.489,50 euros au titre de la donation du bien immobilier situé [Adresse 2], dit que M. [A] [O] devra rapporter à la succession la somme de 45.000 euros au titre de la donation qui lui a été faite.

Par ordonnance du 1er février 2022, le conseiller de la mise en état de la troisième chambre civile de la cour d’appel de Bordeaux a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur et désigné à cet effet le Centre de Médiation des Notaires.

Selon dernières conclusions du 1er février 2021, Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] demandent à la cour de :

– dire et juger Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O], recevables et bien fondés en leur appel,

Y faisant droit,

– réformer le jugement rendu le 21 juillet 2020 en ce qu’il a condamné Mme [U] [W] [F] à la peine de recel successoral pour la somme de 301.764,96 €,

Statuant à nouveau,

– dire et juger que Mme [U] [W] [F] n’a commis aucun recel successoral,

En conséquence,

– débouter M. [P] [O], Mme [G] [O] et M. [D] [O] de leurs demandes tendant à voir condamner Mme [U] [W] [F] à la peine de recel pour la somme de 301.764,96 € tant dans la liquidation de la communauté que dans la succession du défunt,

– confirmer, pour le surplus, le jugement rendu le 21 juillet 2020,

– condamner M. [P] [O], Mme [G] [O] et M. [D] [O] à payer la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux entiers dépens.

Les appelants font valoir que les intimés ont été parfaitement informés de l’existence des contrats d’assurance-vie ‘Patrimoine Vie Plus’, ‘Xaelidia’ et ‘Panthena’ et du montant de la valeur de rachat au décès de M. [T] [O], puisque Maître [C], notaire en charge du règlement de la succession, a adressé à Mme [G] [O] la copie de ces contrats le 28 septembre 2015 et la déclaration de succession comporte à l’actif de communauté la valeur de rachat de ces contrats. Ils estiment qu’en conséquence, aucun recel n’a été commis par Mme Mme [U] [W] [F].

Selon dernières conclusions du 12 avril 2021, MM. [P] et [D] [O] et Mme [G] [O] demandent à la cour de :

– accueillir M.[P] [O], Mme [G] [O] et M. [D] [O] en leurs demandes,

– débouter Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] de leurs demandes plus amples et contraires,

En conséquence :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 21 juillet 2020 en toutes ses dispositions,

En tout état de cause :

– condamner solidairement Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] aux entiers dépens.

Les intimés soutiennent que Mme [U] [W] [F] a commis un recel successoral dans la mesure où elle n’a jamais communiqué spontanément l’ensemble des documents permettant d’établir l’existence d’une récompense au profit de la succession du défunt et n’a jamais reconnu spontanément le caractère propre des fonds de M. [T] [O] utilisés pour souscrire les contrats d’assurance-vie, malgré des sommations de communiquer, ce qui les a contraint à saisir le juge des référés pour obtenir lesdits documents.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2023. Mis en délibéré le 10 mai 2023 et prorogé au 26 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Au regard des dernières conclusions des appelants, il est constant que l’objet de l’appel est circonscrit à la disposition du jugement déféré qui a condamné Mme [U] [W] [F], veuve [O], à la peine de recel successoral, pour la somme de 301 764,96 euros.

Sur le recel successoral :

Aux termes de l’article 778 du code civil, «sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.

L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession».

Le recel successoral nécessite l’existence d’un élément matériel résultant de la soustraction ou de la dissimulation d’un élément d’actif, d’une libéralité ou d’un héritier à la succession par le bénéficiaire, ainsi qu’un élément intentionnel tel que l’intention frauduleuse de fausser les opérations de partage ou de porter atteinte à son égalité, selon les circonstances soumises à l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, les premiers juges, après avoir retenu que la communauté était débitrice, envers la succession de M. [T] [O], de la somme totale de 301 764, 96 euros, correspondant à la valeur de rachat des contrats assurance vie souscrits par Mme [U] [W] [F], soit le contrat PATRIMOINE VIE PLUS n° 3062000460 pour une valeur de 93 298,16 euros, le contrat XAELIDIA n° 20777047 pour une valeur de 33 683,96 euros et le contrat PANTHEA n° 012008467 pour un montant de 174 782,84 euros, dès lors que les sommes figurant sur ces trois contrats provenaient de fonds propres du de cujus, ont caractérisé les éléments matériels et intentionnel du recel successoral de ces sommes par Mme [U] [W] [F], en ce que celle-ci :

N’a pas communiqué spontanément les informations concernant ces trois contrats assurance vie souscrits à son nom, s’agissant notamment de l’origine des fonds qui les ont financés,

A fait obstacle aux démarches réalisées par les héritiers de M. [O] pour chiffrer les récompenses dues par la communauté à la succession de celui-ci,

En sa qualité de conjoint survivant ayant opté pour un quart en pleine propriété de la succession de M. [O], était partie prenante au partage entre les héritiers du défunt et a ainsi tenté de priver les autres héritiers d’une partie de leurs droits sur ladite succession.

Les appelants opposent que les intimés avaient connaissance de ces contrats et du montant de leur valeur de rachat au jour du décès de leur auteur :

dès le 28 septembre 2015, date d’un courrier adressé par le notaire, Maître [C], à Mme [G] [E] (pièce n°1 des appelants),

dans la déclaration de succession du 30 octobre 2015, laquelle comporte, au titre de l’actif de communauté, la valeur de rachat de ces contrats (pièce n°2).

Il est toutefois constant que :

le courrier du notaire à l’une des intimées n’a transmis à celle-ci que la «copie des conditions particulières des divers contrats d’assurance vie souscrits par votre père et son épouse», sans en préciser ni le montant ni l’origine des fonds les ayant financés,

la déclaration de succession porte ces valeurs de rachat à l’actif de succession (page 8 de la déclaration), en mentionnant que chacun de ces trois contrats a été souscrit par le conjoint survivant au moyen de deniers communs,

les intimés ont, préalablement à toute instance, fait sommation aux appelants de communiquer les relevés complets des contrats assurance vie litigieux, par lettres officielles valant sommations de communiquer, des 9 mars et 21 mars 2016, demeurées sans réponse,

c’est précisément dans le but de s’assurer qu’il n’avait pas été porté atteinte aux droits réservataires des enfants issus de la première union que ceux-ci, avant tout action en partage judiciaire, ont sollicité, en référé, la communication de nombreuses pièces et qu’il a été fait injonction à Mme [U] [W] [F], par ordonnance du 31 octobre 2016, de communiquer les relevés complets et historiques des rachats depuis l’origine de leur souscription, notamment des trois contrats litigieux souscrits par l’épouse,

Il est dès lors établi que, si la valeur de rachat des contrats litigieux était connue des intimés pour être portée sur la déclaration de succession, aucune information utile sur l’origine des fonds les ayant alimentés, par suite sur leur nature et le droit à récompense de la succession de M. [O] de la part de la communauté, n’a été communiquée spontanément ou sur sommation par les appelants.

Les documents demandés, qui ont permis de connaître le droit à récompense de la succession, par suite les droits successoraux de l’ensemble des héritiers, n’ont été communiqués qu’après injonction sous astreinte, cette dissimulation par rétention caractérisant ainsi suffisamment l’élément matériel du recel, alors que l’élément intentionnel ressort des affirmations constantes de Mme [U] [W] [F] tendant à contester que ces contrats n’ont été financés qu’à l’aide de fonds propres de son époux, cet élément n’ayant pu être mis en évidence qu’après examen des comptes des époux [O] et des transferts de fonds qu’ils ont revélés.

Ainsi, il est établi que Mme [U] [W] [F], laquelle ne pouvait ignorer l’origine des fonds ayant abondé l’ensemble des contrats d’assurance vie du couple, en particulier les trois contrats litigieux souscrits à son nom, en tentant de les exclure, dans leur totalité, du droit à récompense de la succession, s’est rendue coupable de recel successoral pour la totalité des sommes retenues par les premiers juges.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré, dans la limite de l’appel.

Sur les autres demandes :

Les appelants qui succombent en leur prétentions seront condamnés aux entiers dépens de l’appel.

L’équité commande en outre de ne pas laisser à la charge des intimés l’intégralité des frais avancés par eux et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de les condamner, in solidum, à payer aux intimés la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, soit 1 000 euros à chacun d’eux.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

CONFIRME le jugement déféré ;

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum, Mme [U] [W] [F], Mme [J] [O], et MM. [A] et [I] [O] aux dépens de l’appel ;

Les CONDAMNE, in solidum, à payer à M. [P] [O], M.[D] [O] et Mme [G] [O] la somme de 1 000 euros à chacun d’eux au titre de l’article 700 du code de procédure civile, soit 3 000 euros au total.

Le présent arrêt a été signé par Hélène MORNET, présidente, et par Véronique DUPHIL, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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