Droits des héritiers : 8 juin 2023 Cour d’appel de Papeete RG n° 21/00375

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Droits des héritiers : 8 juin 2023 Cour d’appel de Papeete RG n° 21/00375

8 juin 2023
Cour d’appel de Papeete
RG n°
21/00375

N° 230

GR

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Copie exécutoire

délivrée à :

– Me Antz,

le 14.06.2023.

Copie authentique délivrée à :

– Me Mikou,

le 14.06.2023.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 8 juin 2023

RG 21/00375 ;

Décision déférée à la Cour : ordonnance n° 288, rg n° 21/00096 du Juge des Référés du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 20 septembre 2021 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 8 octobre 2021 ;

Appelants :

Mme [G] [O], née le 12 juillet 1978 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Adresse 11] ;

M. [MZ] [EX], demeurant à [Adresse 11] ;

Ayant pour avoat la Selarl Mikou, représentée par Me Mourad MIKOU, avocat au barreau de Papeete ;

Intimés :

M. [XD] [O], né le 16 décembre 1954 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Adresse 10]a ;

M. [U] [GU], né le 25 août 1960 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant à [Localité 20] ;

M. [T] [O], né le 30 mars 1963 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Adresse 16] ;

M. [Y] [KK], né le 6 novembre 1962 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Adresse 15] ;

M. [S] [O], né le 18 mars 1939 à [Localité 18], de nationalité Française, demeurant à [Localité 17], [Localité 1] Nouvelle Calédonie ;

Mme [FZ] [O] épouse [PN], née le 24 août 1942 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Localité 17], [Localité 1] Nouvelle Calédonie ;

Mme [LM] [O], née le 20 novembre 1926 à [Localité 13], de nationalité française, demeurant à [Adresse 9] ;

M. [W] [O], né le 29 décembre 1937 à [Localité 19], de nationalité française, demeurant [Adresse 5] Etats-Unis ;

Mme [DA] [O], née le 30 octobre 1933 à [Localité 13], de nationalité française, demeurant à [Adresse 8] ;

Mme [ZA] [O] épouse [M], née le 20 octobre 1937 à [Localité 18], de nationalité française, demeurant à [Adresse 14] ;

Représentés par Me Dominique ANTZ, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 24 mars 2023 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 11 mai 2023, devant M. RIPOLL, conseiller désigné par l’ordonnance n° 57/OD/ PP. CA/22 du premier président de la Cour d’Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

Les consorts [O] ont demandé en référé l’expulsion d'[G] [O] et de [MZ] [EX] d’un terrain indivis occupé selon eux sans droit ni titre par ceux-ci. Les défendeurs ont contesté la qualité à agir des requérants et l’existence d’un motif de référé. Ils ont invoqué une autorisation ancienne de s’installer dans les lieux.

Par ordonnance rendue le 20 septembre 2021, le juge des référés du tribunal de première instance de Papeete a :

Déclaré [U] [GU], [LM] [O] veuve [GJ], [W] [O], [DA] [O], et [ZA] [TM] [O] épouse [M] irrecevables en leur action ;

Déclaré [XD] [PY] [O], [S] [XY] [O], [RP] [FZ] [SA] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O] recevables à agir en qualité de propriétaires indivis de la parcelle I-[Cadastre 4] à [Localité 7]a ;

Constaté que [G] [O] et [MZ] [EX] sont occupants sans droit ni titre du bungalow sis à [Adresse 12] édifié partiellement sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 4] ;

Ordonné leur expulsion de ce logement, passé un délai de 6 mois après la signification de l’ordonnance, ainsi que tous occupants de leur chef et ce, en tant que de besoin, avec le concours de la force publique et sous astreinte de 10.000 XPF par jour de retard passé ce délai, l’astreinte courant pendant un an ;

Dit qu'[G] [O] et [MZ] [EX] devront remettre en état le mur d’enceinte sous une unique astreinte de 100.000XPF en cas d’inexécution passé le délai de grâce de six mois ;

Rejeté le surplus de prétentions des parties ;

Rappelé que la décision est exécutoire par provision ;

Condamné [G] [O] et [MZ] [EX] à payer à [XD] [PY] [O], [S] [XY] [O], [RP] [FZ] [SA] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O] la somme de 120.000 XPF au titre de leurs frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

[G] [O] et [MZ] [EX] ont relevé appel par requête enregistrée au greffe le 8 octobre 2021. Leur demande d’arrêt de l’exécution provisoire a été rejetée par ordonnance du 26 janvier 2022.

Par arrêt rendu le 14 avril 2022, la cour a :

Révoqué l’ordonnance de clôture et, avant dire droit :

Enjoint aux consorts [O] de justifier, par constat ou par métrage par un géomètre, si le bungalow duquel ils demandent l’expulsion d'[G] [O] est situé soit sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 2], soit sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 3], soit sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 4] commune de [Localité 13] (île de Tahiti), soit à cheval sur une ou plusieurs de ces parcelles ;

Enjoint aux consorts [O] de produire les extraits cadastraux de toutes ces parcelles, le permis de construire et le certificat de conformité du ou des bâtiments occupés actuellement par [G] [O], et tout document permettant de recenser les propriétaires desdites parcelles ;

Renvoyé l’affaire à l’audience des mises en état du vendredi 27 mai 2022 à 8 h 30 ;

Réservé les frais irrépétibles et les dépens.

Il est demandé :

1° par [G] [O] et [MZ] [EX], appelants, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 27 janvier 2023, de :

Déclarer l’appel recevable ;

In limine litis,

Infirmer l’ordonnance de référé, et dire que le juge des référés est incompétent au profit du tribunal foncier ;

Déclarer la requête de 1ère instance est irrecevable en raison du défaut d’intérêt à agir des intimés ;

Au fond :

Infirmer l’ordonnance de référé qui a accueilli les demandes des intimés et statuant à nouveau les débouter de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

À titre subsidiaire :

Infirmer l’ordonnance de référé qui a accordé un délai de grâce de seulement 6 mois et statuant à nouveau, accorder à Madame [G] [O] et à M. [EX] un délai de grâce expirant le 31 juillet 2023 ;

Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif :

Débouter les intimés de leur demande tendant à la condamnation des appelants au paiement d’une somme de 500.000 FCFP pour appel abusif ;

Sur les frais irrépétibles :

Infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a condamné Mademoiselle [G] [O] et à Monsieur [MZ] [EX] à verser une somme de 120.000 FCFP au titre des frais irrépétibles ;

Condamner in solidum les requérants à verser à Mademoiselle [G] [O] et à Monsieur [MZ] [EX] la somme de 250.000 FCFP au titre des frais irrépétibles et à supporter les entiers dépens dont distraction ;

2° par [XD] [O], [U] [GU], [T] [O], [Y] [KK], [S] [O], [FZ] [O] épouse [PN], [LM] [O] veuve [GJ], [W] [O] et [ZA] [O] épouse [M] (les consorts [O]), intimés, appelants à titre incident, dans leurs conclusions récapitulatives visées le 15 novembre 2022, de :

Confirmer l’ordonnance entreprise :

En ce qu’elle a déclaré [XD] [O], [S] [O], [RP] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O] recevables dans leur action en qualité de propriétaires indivis de la parcelle I-[Cadastre 4] à [Localité 13] ;

En ce qu’elle a constaté que les appelants étaient occupants sans droit ni titre et en ce qu’elle a ordonné leur expulsion sous astreinte ;

Et en ce qu’elle a dit que les appelants devront remettre en état le mur d’enceinte sous astreinte ;

Infirmer l’ordonnance entreprise ;

En ce qu’elle a déclaré [U] [GU], [LM] [O], [W] [O], [DA] [O] et [ZA] [O] irrecevables en leur action ;

En ce qu’elle a fixé l’astreinte à 10.000 FCP par jour de retard ;

En ce qu’elle a accordé 6 mois de délai pour quitter les lieux ;

Déclarer [U] [GU], [LM] [O], [W] [O], [DA] [O] et [ZA] [O] recevables dans leur action ;

Dire n’y avoir lieu à délai de grâce ;

Fixer l’astreinte à 100.000 FCP par jour de retard passé le délai de 1 mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

Condamner les appelants à payer aux intimés la somme de 500.000 FCP à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et la somme de 200.000 FCP sur le fondement de l’Article 407 du Code de Procédure Civile de la Polynésie française ;

Condamner les appelants aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 mars 2023.

Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L’appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Il est recevable.

Le jugement dont appel a retenu que :

-Sur la recevabilité de l’action :

Les dix consorts [O] doivent justifier de leurs qualités de propriétaire indivis de la parcelle cadastrée I-[Cadastre 4] afin que soit examinée leur demande en expulsion de ladite parcelle. Il a été soumis à l’instance la transcription d’un jugement de partage daté du 24 janvier 1870 aux termes duquel [SA] [WL] a été reconnue propriétaire d’un quart de la terre [Adresse 22] tandis que les trois autres quarts ont été attribués à ses deux s’urs. Ces informations ont été reprises par le cadastre et l’extrait de plan cadastral produit aux débats mentionne [SA] [WL] en propriétaire de la parcelle [Adresse 22] 2 surplus d’une superficie de 1 059 m2, sise à [Localité 13] et cadastrée section 1-[Cadastre 4]. De surcroît au cours des différentes instances l’ayant opposée à son père, [G] [O] s’est prévalue de la régularité de son installation dans le logement querellé pour y avoir été autorisée par lui ainsi que par certains autres membres de la famille aujourd’hui demandeurs à l’instance, précisément en leur qualité d’ayants droit de [SA] [WL]. La qualité de propriétaire de [SA] [WL] est donc établie. II est versé aux débats un arbre généalogique établi par un expert agréé et duquel il ressort que : [SA] [WL] serait née en 1829 et décédée le 7 novembre 1885. De son vivant, elle aurait connu deux unions. Elle aurait notamment épousé en premières noces [JI] [UZ], union de laquelle seraient nés quatre enfants, dont [EM] [JI]. [EM] [JI] pour sa part serait née en 1858 et décédée le 6 juin 1910. De son vivant, elle aurait connu trois unions. Elle aurait notamment épousé en premières noces [MO] [CN], union de laquelle serait né un unique enfant, [WB] [A] [CN]. [WB] [A] [CN] quant à elle serait née le 22 février 1879 et décédée le 12 janvier 1971. De son vivant, elle aurait connu deux unions et aurait notamment épousé en premières noces [P] [AW] [O], union de laquelle seraient nés neuf enfants, à savoir : [AW] [P] [O], décédé à une date inconnue avec postérité ; [N] [HL] [O], décédé le 2 juin 1979 sans postérité ; [HB] [HW] [O], décédé le 14 janvier 1932 avec postérité ; [J] [TC] [O], décédé à une date inconnue avec postérité ; [XN] [WB] [O], décédée le 22 novembre 1960 avec postérité ; [FH] [O], décédé le 17 avril 1943 avec postérité ; [F] [V] [I] [O], décédé à une date inconnue avec postérité ; [A] [O], décédée le 28 mai 1991 avec postérité ; [NJ] [LX] [Z] [O], décédé le 31 juillet 1982 en laissant pour lui succéder dix enfants, dont : [XD] [PY] [O], demandeur à l’instance ; [S] [XY] [O], également demandeur à l’instance ; [RP] [FZ] [SA] [O], elle aussi demanderesse ; [G] [O]. [D] [NJ] [H] [O] ; La qualité d’ayants droit de [XD] [PY] [O], [S] [XY] [O], [RP] [FZ] [SA] [O] épouse [PN] – frère et s’ur du premier – n’est pas sérieusement contestable puisqu’ils apparaissent dans l’arbre généalogique, ainsi que dans l’extrait de l’acte de notoriété de feu leur père pour ce qui concerne [S] [XY] [O]. Il apparaît également que l’intérêt à agir d'[Y] [KK] et [T] [O] se déduit aisément des actes versés aux débats, l’un et l’autre se révélant être les enfants d'[G] et [D] [NJ] [H] [O].

Ainsi [XD] [PY] [O], [S] [XY] [O], [RP] [FZ] [SA] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O] (ci-après les consorts [O]) justifient-ils de la dévolution de leurs droits sur la terre objet des débats et sont donc recevables dans leur action.

En revanche, les pièces versées au soutien des affirmations de [U] [GU], [LM], [W], [DA] et [ZA] [O] – qui se contentent de produire des attestations, n’apparaissent sur aucun acte authentique et ne produisent aucun acte d’état civil – apparaissent insuffisantes en nombre et en qualité. Elles ne permettent pas au tribunal d’établir leurs droits de propriété indivis sur la parcelle.

Il conviendra en conséquence de déclarer [U] [GU], [LM] [O] veuve [GJ], [W] [O], [DA] [O], ainsi que [ZA] [TM] [O] épouse [M] irrecevables en leur action.

-Sur la demande d’expulsion :

Aux termes des articles 431 et 432 du code de procédure civile de la Polynésie française. « Dans tous les cas d’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou qui justifie l’existence d’un différend.» «Le président peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.» Selon l’article 815-2 du code civil dans sa version applicable sur le territoire de la Polynésie française prévoit quant à lui que, «Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence.»

En l’espèce, il est constant qu’après y avoir été autorisé par une partie des coïndivisaires, [XD] [PY] [O] a fait édifier un bungalow construit à cheval sur la parcelle I-[Cadastre 3] qui lui appartient en pleine propriété, et la parcelle I-[Cadastre 4] dont il détient des droits indivis pour y loger sa fille. Il est également établi que, ne pouvant revêtir la qualité d’indivisaire du vivant de son père, [G] [O] – qui ne conteste pas s’être installée dans le bungalow de la parcelle I-[Cadastre 4] et l’occuper encore aujourd’hui à titre gratuit – n’a ni droit ni titre sur la parcelle. [G] [O] affirme habiter dans le bungalow depuis le début des années 2000. Son père affirme qu’elle l’a habité avec son autorisation dans ses jeunes années, qu’elle en est partie en 2013 pour y revenir en 2018 sans son autorisation. Dès lors, aux termes même des conclusions d'[G] [O] son occupation n’est ni trentenaire ni paisible et ne peut donc ouvrir le droit à une prescription acquisitive à ce jour devant le tribunal foncier.

Il en résulte qu'[G] [O] et son concubin se maintiennent sans droit ni titre sur la parcelle d’autrui de sorte que les consorts [O] propriétaires indivis de la parcelle sont fondés à demander en référé à ce qu’il soit mis un terme au trouble manifestement illicite qui en résulte ; trouble se traduisant par une occupation irrégulière ou devenue irrégulière et se révélant être incompatible avec les droits des indivisaires, les empêchant de disposer de l’immeuble et leur faisant potentiellement courir le risque d’une prescription acquisitive.

Il sera en conséquence ordonné l’expulsion de [G] [O] et de [MZ] [EX] et de tout occupant de leur chef, ainsi que la remise en état des lieux sous astreinte dans la mesure où ils reconnaissent avoir détruit le mur d’enceinte.

-Sur le délai de grâce sollicité :

L’article 306 du code de procédure civile permet aux tribunaux d’accorder des délais pour l’exécution de leurs jugements. Au regard du contexte familial dans lequel s’inscrit le litige, il sera accordé aux défendeurs un délai de grâce pour libérer les lieux et procéder à leur remise en état. Ce délai sera néanmoins limité à six mois dans la mesure où les défendeurs ne pouvaient ignorer le risque d’expulsion auquel ils étaient exposés au vu des précédents litiges.

Les moyens d’appel sont : à défaut de titre de propriété, les requérants doivent agir devant le tribunal foncier pour établir leur qualité de propriétaire, et la juridiction des référés est incompétente ; ce sont 9 des 10 requérants qui n’ont pas d’intérêt à agir faute d’avoir la qualité d’ayant droit, seul [XD] [O] en justifiant par une généalogie ; il n’existe pas de trouble manifestement illicite ; l’occupation est ancienne, depuis 2003, et a été autorisée par une majorité des membres de la famille ; E. [O] est fondée à invoquer une prescription acquisitive de son chef et de celui de son père [XD] [O] ; les requérants ont agi par abus de droit ; subsidiairement, le délai de grâce doit être augmenté.

Les intimés concluent que : le juge des référés est compétent pour ordonner l’expulsion d’occupants sans droit ni titre, et pour ordonner une mesure conservatoire s’agissant d’un bien indivis ; l’occupation sans droit ni titre est établie ; l’expulsion doit être exécutée rapidement en raison de la résistance des occupants ; la qualité à agir de tous les requérants est justifiée.

Sur quoi :

[XD] [O] a fait constater par huissier les 28 mai et 4 juin 2019 que, selon ses déclarations, sa fille [G] [O], le compagnon de celle-ci et leur enfant occupent l’une des deux maisons édifiées sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 3] dénommée [Adresse 21] 3 1 lot 11 commune de [Localité 13] (île de Tahiti) ainsi qu’un garage.

Des témoins ont attesté qu'[G] [O] réside dans un bungalow sis à [Localité 13] PK 4,8 côté mer quartier [O] depuis 2003, son père [XD] [O] l’y ayant installée ([AJ], [SK], [IY], AH [BT], [B], [OL], [I], [YP]). Elle produit une facture d’électricité à cette adresse.

Le constat d’huissier indique que la terre dénommée [Adresse 22] 1, 2 et 3 d’une superficie d’environ 1600 m2 a été divisée en parcelles et sous parcelles.

Dans sa requête introductive du 31 mars 2021, [XD] [O] a demandé l’expulsion d'[G] [O], de [MZ] [EX] et de tous occupants de leur chef de la terre [Adresse 22] 2 et des bâtiments qu’ils occupent, cadastrée section I-[Cadastre 2] sise à [Localité 13].

Alors que le constat précité mentionne que ces bâtiments se trouvent sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 3].

Et qu'[G] [O] conclut que c’est sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 4] que son père [XD] [O] l’a installée.

Les extraits cadastraux produits montrent que la parcelle I-[Cadastre 3] (terre [Adresse 22] 3 1 lot 11) a pour propriétaire à la matrice [XD] [O], et que la parcelle I-[Cadastre 4] (terre [Adresse 22] 2 surplus) a pour propriétaire à la matrice la succession [SA] [WL] (décédé en 1856). L’extrait cadastral de la parcelle I-[Cadastre 2] n’est pas produit.

La juridiction des référés est celle de l’apparence et de l’évidence. Il n’est pas possible d’ordonner une expulsion pour une occupation sans droit ni titre fondée sur une violation du droit de propriété si l’emprise de cette occupation n’est pas incontestablement identifiée.

L’ordonnance dont appel a retenu qu’il est constant qu’après y avoir été autorisé par une partie des coïndivisaires, [XD] [PY] [O] a fait édifier un bungalow construit à cheval sur la parcelle I-[Cadastre 3] qui lui appartient en pleine propriété, et la parcelle I-[Cadastre 4] dont il détient des droits indivis pour y loger sa fille.

Cette implantation doit néanmoins être vérifiée par constat ou métrage, car elle est équivoque par rapport au constat précité de 2019. C’est pourquoi un complément d’instruction a été ordonné par l’arrêt du 14 avril 2022.

L’ordonnance dont appel a ordonné l’expulsion des appelants de leur logement constitué par un bungalow édifié partiellement sur la parcelle cadastrée I-[Cadastre 4].

Au vu des pièces supplémentaires produites par les consorts [O] (extraits cadastraux et plan de géomètre), la parcelle I-[Cadastre 4] empiète de 8 m2 sur la parcelle I-[Cadastre 3]. La parcelle I-[Cadastre 2] a pour propriétaire à la matrice cadastrale l’indivision par moitié entre [E] [PD] et [X] [R].

[G] [O] est la fille d'[XD] [O] et d'[K] [I], mariés en 1985 sous le régime de la communauté légale, dont le divorce a été prononcé par jugement du 25 juillet 2018 les ayant renvoyés à mettre en ‘uvre une liquidation et partage amiable ou judiciaire de leurs intérêts matrimoniaux.

[G] [O] et son compagnon [MZ] [EX] exposent qu'[XD] [O] a installé celle-ci au début des années 2000 dans la maison voisine du domicile conjugal qu’il a édifié sur le terrain indivis cadastré I-[Cadastre 4]. [XD] [O] le conteste.

[K] [I] a attesté «que ma fille [G] [O] vit dans le bungalow depuis 2003 son père [XD] [O] et moi-même avons préférer donner ce bungalow à notre fille puisqu’il était inhabité». L’ancien compagnon d'[G] [O], [UO] [KA], a attesté y avoir vécu avec celle-ci et leur fille de 2005 à 2017. [C] [AJ] et [ZK] [I] ont également attesté qu'[XD] [O] l’y a installée en 2003. D’autres attestations déclarent qu’elle y réside depuis 2003 ([SK], [IY], AH [BT], [EX], [B], [OL]).

Plusieurs attestations déclarent qu'[XD] [O], héritier de son père [NJ] [O] décédé en 1982, a construit un bungalow sur la parcelle I-[Cadastre 4] terre [Adresse 22] 2 ([GU], [O] [T], [KK], [O] [S]).

Le trouble que constitue l’empiétement de la parcelle I-[Cadastre 4] sur la parcelle I-[Cadastre 3] n’est pas apparemment et évidemment imputable à [G] [O], car il peut être attribué plutôt à [XD] [O] qui, selon de nombreuses attestations, a édifié le bungalow dans lequel habite sa fille.

Néanmoins, il n’est pas sérieusement contestable qu'[G] [O] et [MZ] [EX] doivent payer à [XD] [O] une indemnité provisionnelle d’occupation correspondant à leur occupation de 8 m2 de la parcelle I-[Cadastre 3]. Cette indemnité n’est toutefois pas demandée à la cour.

D’autre part, il est constant qu’ont qualité pour agir dans le présent référé en qualité de propriétaire de la parcelle I-[Cadastre 4], sur laquelle se trouve la plus grande partie de ce bungalow, les membres de l’indivision successorale [SA] [WL] désignée à la matrice cadastrale.

Selon les arbres généalogiques qui sont produits par les consorts [O], [SA] a [WL] décédée en 1885 est l’arrière- arrière-grand-mère paternelle d'[XD] [O], [S] [O] et [RP] [FZ] [O] épouse [PN]. Cette généalogie est corroborée par les copies de l’acte de décès et de l’acte de notoriété après décès d'[NJ] [O], père de ceux-ci et arrière-petit-fils de [SA] [WL]. Cet acte de notoriété, dont ne sont pas produites les pages 3 et les pages après la page 4, désigne également comme héritier d'[NJ] [O] [Y] [KK]. Un acte de notoriété après décès de [D] [O], désigné dans la généalogie comme étant fils d'[NJ] [O], déclare comme étant parmi ses héritiers son fils [T] [O].

Il est ainsi suffisamment établi à hauteur de référé qu’ont qualité pour agir dans la présente instance, ès qualités d’ayants droit de feue [SA] [WL] désignée à la matrice cadastrale comme propriétaire de la parcelle I-[Cadastre 4], [XD] [O], [S] [O], [RP] [FZ] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O].

Cette qualité pour agir est appréciée par la juridiction des référés dans l’exercice de sa compétence d’attribution. Les éléments de l’espèce ne justifient pas d’une question préjudicielle devant le tribunal foncier, puisqu'[G] [O], qui n’est pas à ce jour héritière de [SA] [WL], ne peut tout au plus être occupante de la parcelle I-[Cadastre 4] indivise que du chef d’une majorité des coïndivisaires (C. civ., art. 815-3).

Il est tout aussi constant que tous les membres de l’indivision ne sont pas demandeurs au référé. [U] [WW], [L] [IN] épouse [AF], [DV] [O], [DK] [KV], [BH] [O] ont attesté autoriser [G] [O] à résider sur la parcelle I-[Cadastre 4] jusqu’au partage de la succession.

Enfin, il est apparent à hauteur de référé que le litige trouve son origine dans le divorce conflictuel des parents d'[G] [O], ainsi que le montrent les procédures qui les ont opposés notamment au sujet de l’occupation du domicile familial situé sur la parcelle I-[Cadastre 3] (ordonnance de référé du 2 décembre 2019 et arrêt du 10 octobre 2019).

Une action en justice relative à un bien indivis doit être autorisée par tous les indivisaires lorsqu’elle n’a pas pour objet l’exploitation normale des biens indivis (C. civ., art. 815-3 al. 3). La majorité des deux tiers est suffisante lorsque l’action constitue un acte d’administration (art. 815-3 al. 1 1°).

En l’espèce, il n’existe pas d’unanimité, et il n’est pas justifié que la majorité des deux tiers soit atteinte. Il n’est pas non plus justifié d’une autorisation judiciaire d’engager ce référé dans l’intérêt commun malgré le refus d’autres coïndivisaires (C. civ., art. 815-5).

Réciproquement, [G] [O], qui se dit être ou avoir été occupante du chef d'[XD] [O], et [MZ] [EX], qui est occupant du chef de sa concubine, ne justifient pas d’une autorisation de la majorité des deux tiers des coïndivisaires pour s’installer sur la parcelle I-[Cadastre 4].

Néanmoins, tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence (art. 815-2 al. 1). L’action en revendication d’une parcelle indivise, l’action tendant à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre, ou l’action aux fins de fixation d’une indemnité d’occupation constituent de tels actes conservatoires.

[G] [O] et [MZ] [EX] déclarent et justifient avoir entrepris la construction d’une maison à Vairao dans laquelle ils comptent s’installer à la fin des travaux prévue en mars ou avril 2023.

Soit qu'[G] [O] ait occupé la parcelle indivise I-[Cadastre 4] du chef de son père [XD] [O] mais sans l’accord de la majorité des deux tiers des coïndivisaires, soit qu'[XD] [O] ait révoqué l’autorisation d’occupation précaire qu’il avait donnée à sa fille, il est établi à hauteur de référé que les appelants sont occupants sans droit ni titre de leur habitation sur les parcelles I-[Cadastre 4] et I-[Cadastre 3] au moins depuis leur assignation en référé en date du 23 mars 2021.

Leur expulsion sous astreinte sera donc confirmée. Il n’est pas demandé d’indemnité provisionnelle d’occupation.

Aucun élément soumis à la cour ne permet de remettre en cause l’appréciation du premier juge selon laquelle [G] [O] et [MZ] [EX] reconnaissent avoir détruit le mur d’enceinte et qu’ils doivent remettre les lieux en état.

La juridiction des référés peut toujours prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (C.P.C.P.F., art. 432). Ces mesures peuvent comprendre un délai de grâce (art. 306).

En l’espèce, l’ordonnance entreprise, dont l’exécution provisoire est de droit, a justement tenu compte du contexte familial dans lequel s’inscrit le litige pour accorder aux défendeurs un délai de six mois avant leur expulsion, en considérant toutefois pertinemment que les précédents litiges leur ont fait prendre conscience de leur exposition à ce risque.

Aucun élément soumis à la cour ne permet de remettre en cause cette appréciation. Il doit aussi être tenu compte du caractère de logement familial des lieux, et de ce que les appelants ont bénéficié d’un délai supplémentaire par le fait de la durée de l’instance.

En revanche, l’exécution de l’arrêt, qui statue sur un litige remontant à plusieurs années qui a déjà donné lieu à d’autres décisions, doit être fermement garantie par la fixation de l’astreinte au montant demandé par les intimés.

Au regard des complexités de l’espèce, du fait qu’il s’agit d’un litige entre un père et sa fille impliquant une indivision, en réalité une série d’indivisions successorales, plus que centenaire, pour lequel la cour a été amenée à demander des précisions factuelles supplémentaires, il n’est pas démontré qu'[G] [O] et [MZ] [EX] ont fait dégénérer en abus leur droit de défendre en justice et d’exercer les voies de recours. La demande de dommages et intérêts pour appel abusif sera donc rejetée.

Il sera fait application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice de [XD] [O], [S] [O], [RP] [FZ] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O]. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

En la forme, déclare l’appel recevable ;

Au fond, confirme l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant :

Fixe l’astreinte assortissant l’expulsion prononcée par l’ordonnance entreprise au montant de 100 000 F CFP par jour de retard d'[G] [O] et [MZ] [EX] et de tout occupant de leur chef à libérer les lieux à compter de la signification de l’arrêt à un seul d’entre eux, et dit que l’astreinte courra pendant un an ;

Condamne solidairement [G] [O] et [MZ] [EX] à payer à [XD] [O], [S] [O], [RP] [FZ] [O] épouse [PN], [Y] [KK] et [T] [O] ensemble la somme supplémentaire de 200 000 F CFP en application de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;

Rejette toute autre demande ;

Met à la charge d'[G] [O] et [MZ] [EX] les dépens de première instance et d’appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 409 du Code de procédure civile de la Polynésie française.

Prononcé à Papeete, le 8 juin 2023.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL

 


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