Droits des héritiers : 20 juillet 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/01269

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Droits des héritiers : 20 juillet 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/01269

20 juillet 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/01269

COUR D’APPEL

D’ANGERS

1ERE CHAMBRE SECTION B

LP/CG

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 21/01269 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E2UQ

jugement du 24 Mars 2021

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP du MANS

n° d’inscription au RG de première instance 19/01293

ARRET DU 20 JUILLET 2023

APPELANT :

M. [C] [P] [O] [N]

né le 7 Septembre 1962 à [Localité 11] (61)

[Adresse 14]

[Localité 10]

Représenté par Me Julie HOUDUSSE de la SELARL H2C, substituée à l’audience par Me Isabelle BERTHELOT, avocats au barreau d’ANGERS – N° du dossier 20210125

INTIME :

M. [O] [P] [R] [N]

né le 25 Juillet 1957 à [Localité 10] (72)

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représenté par Me Sylvie CHARTIER-LABBE de la SCP WENTS ET ASSOCIES, substituée à l’audience par Me Magalie MINAUD, avocats au barreau du MANS – N° du dossier 18104-SC

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 22 Mai 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme PARINGAUX, conseillère qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme COURTADE, présidente de chambre

Mme BUJACOUX, conseillère

Mme PARINGAUX, conseillère

Greffière lors des débats : Mme BOUNABI

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 20 juillet 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Marie-Christine COURTADE, présidente de chambre et par Florence BOUNABI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

M. [G] [N] et Mme [A] [V] se sont mariés le 22 septembre 1956 sans contrat de mariage préalable, sous le régime légal de la communauté de meubles et acquêts.

De leur union sont issus deux enfants :

– M. [O] [N], né le 25 juillet 1957 à [Localité 10] (72)

– M. [C] [N], né le 7 septembre 1962 à [Localité 11] (61)

Suivant acte reçu par Maître [X] notaire à [Localité 12] le 5 octobre 1987, M. et Mme [N] ont fait donation à leur fils M. [C] [N] de la toute propriété d’un terrain situé au lieudit ‘Le [Localité 17]’ à [Localité 10] sur lequel sont implantés des bâtiments à usage d’un ancien moulin à eau et un étang, cadastrés section A numéros [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 7].

Suivant acte reçu par Maître [X] le 22 juin 1998, M. et Mme [N] ont consenti une donation-partage au profit de leurs deux fils, prévoyant de donner à chacun d’eux à titre de partage anticipé la moitié de la nue-propriété de la ferme du [Localité 17] ensemble immobilier situé sur les communes de [Localité 10], [Localité 12] et [Localité 15], comprenant trois corps de bâtiment, trois hangars, une cour, un jardin et des terres labourables ainsi que des prés.

Mme [A] [V] épouse [N] est décédée le 27 février 2009 laissant pour lui succéder :

– son époux survivant, donataire d’un quart en propriété et trois/quarts en usufruits ;

– ses deux fils, chacun pour moitié.

Maître [I], notaire à [Localité 11] a reçu le 14 février 2008 le testament authentique de Mme [A] [N] contenant notamment les éléments suivants :

‘Je tiens à préciser que mon époux et moi-même avons consenti diverses avances de sommes d’argent à notre fils [C] [N] et ce, pour faire face aux différentes dettes qu’il avait contractées, savoir :

– mon époux et moi-même avons obtenu du Crédit Agricole de l’Anjou et du Maine, un prêt d’un montant de 350 000 francs qui a été régularisé aux termes d’un acte reçu par Maître [H] notaire à [Localité 11] le 17 décembre 1999. Ce prêt de 350 000 francs nous a coûté le montant en principal du prêt soit 350 000 francs, le coût total du crédit s’élevant à 65 967,36 francs, le coût de l’acte notarié à 9 020,40 francs soit au total 424 987,76 francs soit 64 788,97 euros ;

– nous avons également avancé pour notre fils une somme de 375 000 francs soit 57 168,38 euros ;

– la somme de 15 244,90 euros que Mme [K] notre voisine nous a avancé afin d’aider notre fils [C] ;

– suite à la vente reçue par Maître [I] le 27 décembre 2007 nous avons encore avancé à notre fils [C] la somme de 29 306,47 euros ;

le montant total des sommes avancées par nous pour notre fils [C] s’élève donc à 166 508,72 euros ;

je tiens à ce que mon fils rapporte cette somme tant à ma succession qu’à la succession de mon mari’.

M. [G] [N] est décédé le 8 avril 2015 laissant pour héritiers ses deux fils selon le certificat d’hérédité établi le 12 mai 2015 par Maître [I].

M. [G] [N] a rédigé deux testaments :

– un premier testament olographe établi le 2 avril 2007 qui a fait l’objet d’un procès-verbal de dépôt dressé le 12 mai 2015 par Maître [I] aux termes duquel notamment :

. il a légué à son fils [O] la quotité disponible de sa succession ;

. il a attribué à son fils [O] par priorité la maison sise au lieudit ‘[Localité 13]’ sur [Localité 12] ;

. il a déclaré : “je tiens à préciser que mon épouse et moi-même avons consenti diverses avances de sommes d’argent à notre fils [C] [N], et ce pour faire face aux différentes dettes qu’il avait contractées, savoir :

– prêt Crédit Agricole: 424 987,60 francs soit 66 164,07 euros ;

– nous avons également avancé pour notre fils une somme de 375 000 francs soit 57 168,38 euros ;

– et la somme de 15 244,90 euros que Mme [K] notre voisine nous a avancée afin d’aider notre fils [C] ;

Le montant total des sommes avancées par nous à notre fils [C] s’élève donc à 138 577,35 euros ;

je tiens à ce que mon fils rapporte cette somme tant à ma succession qu’à la succession de sa mère’.

– un codicille en date du 16 mars 2012 aux termes duquel il a institué son fils [O] légataire universel des biens et droits mobiliers et immobiliers dépendant de sa succession et dans lequel il a indiqué notamment :

‘Je tiens à préciser que mon fils [C] ne m’a toujours pas remboursé les sommes que je lui avais avancées avec mon épouse et qui s’élèvent à ce jour à 167 883,82 euros en capital et ce sans compter les intérêts produits par ces sommes depuis la date à laquelle elles ont été avancées à mon fils [C]’.

La communauté ayant existé entre M. et Mme [N] n’a pas été liquidée.

Les deux successions n’ont pu être partagées du fait d’un désaccord entre MM. [O] et [C] [N], chacun ayant fait appel à un notaire respectivement Maître [I] et Maître [B], notaires à [Localité 11].

Par acte d’huissier du 16 avril 2019, M. [O] [N] a assigné, devant le tribunal de grande instance du Mans, M. [C] [N] pour voir ordonner l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision après le décès de leurs parents.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2020, M. [O] [N] a repris sa demande en partage et a requis le tribunal de constater que les droits de chacun des héritiers étaient les suivants :

– [O] [N] : 261 041,81 euros ;

– [C] [N] : 222 533,51 euros.

Pour le remplir de ses droits, il a sollicité l’attribution de divers immeubles qu’il a énuméré pour un montant de 252 257 euros.

Il a demandé au tribunal d’attribuer à son frère :

– les bâtiments et des terres pour une superficie de 1 h 55 a, sis à [Localité 10] (Sarthe), pour une valeur de 65 000 euros ;

– par confusion sur lui-même sa dette contractée envers ses parents pour un montant de 166 318,81 euros ;

à charge de lui payer une soulte de 8 784,81 euros.

Il a fait observer que M. [C] [N] n’était pas en mesure financièrement de payer une soulte et a demandé que les attributions en nature soient sensiblement égales aux droits de chacun des copartageants.

M. [O] [N] a demandé également que M. [C] [N] soit condamné à lui payer 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, outre une indemnité de 3 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2020, M. [C] [N] a acquiescé à la demande en partage, mais s’est opposé à ce que soit désigné Me [I], notaire de son frère.

Il s’est opposé pareillement à la demande de M. [O] [N] tendant à se voir attribuer à titre préférentiel les biens qu’il revendique, et il a sollicité l’attribution préférentielle des immeubles situés lieudit “[Localité 17]” à [Localité 10] et [Localité 18], pour une contenance de 1 h 94 a 40 c, qu’il exploite et habite.

Reconventionnellement M. [C] [N] a revendiqué contre la communauté [N]-[V] une créance forfaitaire de 20 000 euros à raison des frais qu’il a engagés dans l’intérêt de l’indivision pour exercer divers recours contre M. [F], qui exploitait précédemment certains biens et qui serait parti sans payer le fermage et après avoir dégradé ces biens.

Par jugement du 24 mars 2021, le tribunal judiciaire du Mans a notamment :

– ordonné l’ouverture des opérations de compte et liquidation de la communauté ayant existé entre M. [G] [N] et Mme [A] [V] son épouse et partage de leurs successions respectives ;

– commit à cet effet Me [T] [W], notaire à [Localité 12] ;

– désigné en qualité de juge commissaire pour suivre les opérations le magistrat de ce tribunal désigné par l’ordonnance de roulement de la juridiction ;

– dit que le notaire devra remplir sa mission dans le délai d’un an à compter de sa saisine et devra rendre compte au juge commissaire de toutes difficultés et solliciter de lui toute mesure nécessaire pour faciliter l’accomplissement de sa mission ;

– dit que le notaire devra déterminer la consistance et la valeur des biens à partager et pourra s’adjoindre pour l’évaluation des immeubles tout expert choisi en commun accord entre les parties ;

– anticipant sur un éventuel désaccord des parties, désigné d’ores et déjà Mme [L], expert judiciaire inscrit sur la liste de la cour d’appel d’Angers ;

– dit qu’en tout état de cause les frais d’expertise devront être avancés par les deux parties, chacun pour moitié mais que ces frais pourront être prélevés par priorité sur les fonds disponibles de l’indivision s’il en existe, étant précisé qu’à défaut de disponibilités suffisantes les parties devront consigner entre les mains du notaire le montant des frais d’expertise, chacun à concurrence de moitié, et qu’à défaut de versement de la provision Me [W] procédera elle-même aux évaluations au vu des éléments dont elle pourra disposer ;

– précisé que, s’agissant de la composition des lots, Me [W] veillera à s’assurer, en cas d’inégalité des lots, de la solvabilité du copartageant qui serait débiteur d’une soulte ;

– condamné M. [C] [N] à rapporter, en moins prenant, à l’actif à partager la somme de 166 318,32 euros ;

– débouté en l’état M. [O] [N] de sa demande tendant à voir fixer la valeur des droits des parties et de sa demande tendant à se voir attribuer divers immeubles ;

– vu cependant l’accord des parties, dit que seront attribués à M. [C] [N] les bâtiments et terres sis à [Localité 10], lieudit “[Localité 17]”, cadastrés section A n° [Cadastre 8],[Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6], pour une valeur restant à déterminer ;

– débouté M. [C] [N] de sa demande d’indemnité à hauteur de 20 000 euros ;

– débouté pareillement M. [O] [N] de sa demande en dommages-intérêts ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage mais rejeté toute demande d’indemnité en vertu de l’article 700 du code de procédure civile ;

– accordé aux avocats des deux parties le droit de distraction prévu à l’article 699 du code de procédure civile.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour d’appel d’Angers le 27 mai 2021, M. [C] [N] a interjeté appel de cette décision en ce qu’elle a : ‘condamné M. [C] [N] à rapporter en moins prenant à l’actif à partager la somme de 166 318, 32 euros ; – débouté M. [C] [N] de sa demande d’indemnité à hauteur de 20 000 euros – ordonné l’exécution provisoire ; – rejeté la demande d’indemnité en vertu de l’article 700 du code de procédure civile formée par M. [C] [N].’

M. [O] [N] a constitué avocat le 12 juillet 2021.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 2 mai 2023.

L’affaire a été fixée pour plaidoiries à l’audience du 22 mai 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 27 août 2021, M. [C] [N] demande à la présente juridiction de :

– recevant M. [C] [N] en son appel ; l’y déclarant fondé et y faisant droit ;

– infirmer le jugement entrepris en ses dispositions lui faisant grief et statuant à nouveau ;

– dire que seront rapportées à la masse active successorale l’ensemble des libéralités consenties par M. et Mme [G] et [A] [N] à leurs enfants, y compris celles consenties à M. [O] [N] notamment pour une somme de 70 000 frs (10 671, 43 euros) donnée en 1989 ;

– déclarer recevable et fondée la demande de M. [C] [N] consistant à lui octroyer une indemnité forfaitaire de 20 000 euros au titre des dépenses nécessaires qu’il a dû faire de ses deniers personnels pour la conservation des biens dépendant de l’indivision successorale ;

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions non contraires aux présentes ;

En toutes hypothèses ;

– déclarer M. [O] [N] irrecevable, en tout cas mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions ; l’en débouter ;

– condamner M. [O] [N] à payer au concluant, par application de l’article 700 du code procédure civile, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;

– le condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel et accorder, en ce qui concerne ces derniers, à la SCP H2C, le droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 23 novembre 2021, M. [O] [N] demande à la présente juridiction de :

– s’entendre débouter [C] [N] de ses demandes, fins et conclusions et confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf à voir condamner en outre [C] [N] à verser à [O] [N] une indemnité de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– s’entendre condamner le même aux entiers dépens de la procédure, dont distraction au profit de Maître Chartier-Labbé avocat aux offres de droit.

Pour un exposé plus ample des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions sus visées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les rapports à la succession

L’article 825 du code civil dispose que : ‘ La masse partageable comprend les biens existants à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents.

Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou l’indivision’.

L’article 843 du code civil énonce que : ‘Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant’.

Les biens dont le de cujus a disposé par donations entre vifs sont donc réunis fictivement à l’actif net. Ce rapport permet d’assurer l’égalité des héritiers au moment du partage. L’imputation des libéralités permet de déterminer si la quotité disponible a été dépassée et par conséquent s’il a été porté atteinte à la réserve.

Il appartient à celui qui sollicite le rapport à la succession d’une libéralité consentie par le de cujus, d’établir la preuve d’un dépouillement irrévocable de l’auteur réalisé dans l’intention de gratifier le cohéritier.

M. [C] [N] demande l’infirmation du jugement et que soit rapporté à la masse active l’ensemble des libéralités consenties par M. [G] [N] et Mme [A] [N] à leurs enfants, y compris celles consenties à M. [O] [N] notamment une somme de 10 671,43 euros donnée en 1989.

Il indique ne pas contester avoir eu une dette envers ses parents, ayant bénéficié de plusieurs prêts de leur part, alors qu’il connaissait des difficultés financières, mais qu’il en a remboursé une partie, sans néanmoins pouvoir en justifier.

M. [C] [N] ne conteste pas l’existence de sa dette, ni son montant, mais il s’oppose à l’analyse juridique retenue par le tribunal judiciaire du Mans qui a considéré que ses parents avaient renoncé à lui réclamer le remboursement de cette dette de leur vivant, mais avait en revanche exigé le rapport de cette libéralité à leur succession, procédant ainsi à la novation de la dette en une libéralité rapportable.

L’appelant au visa de l’article 1330 du code civil estime que la novation ne se présume pas, et qu’en l’espèce il n’existe pas d’élément probant en faveur d’une volonté claire et explicite des parties (sic) de nover l’obligation mise à sa charge.

Dès lors M. [C] [N] considère que la reconnaissance de dette qui fonde cette obligation est prescrite, en application des dispositions de l’article 2224 du code civil.

Pour le cas où la cour d’appel suivrait le même raisonnement que le premier juge, et le condamnerait à rapporter à la masse successorale, en moins prenant, la somme de 166 318,32 euros, M. [C] [N] sollicite qu’il en soit de même pour M. [O] [N] et qu’il rapporte à la masse active successorale les libéralités consenties par leurs parents notamment pour un montant de 70 000 francs en 1989 comme il l’a admis par l’intermédiaire de son notaire.

M. [O] [N] demande le débouté des prétentions adverses et la confirmation du jugement.

Il argue de ce que son frère ne conteste pas avoir une dette de 166 318,32 euros à l’égard de la succession, mais qu’il prétend l’avoir remboursée, ce dont il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe.

L’intimé rappelle que dans leurs testaments respectifs leurs parents ont mentionné les diverses sommes d’argent prêtées à leur fils [C], qui aux termes explicites du codicille de M. [G] [N] du 16 mars 2012 n’avaient pas été remboursées et il n’est pas davantage prouvé par M. [C] [N] qu’il aurait postérieurement à cette date remboursé sa dette.

M. [O] [N] soutient par ailleurs que les dispositions de l’article 2224 du code civil ne peuvent recevoir application puisque le contenu univoque des testaments de leurs deux parents établit que leurs volontés étaient, dans l’hypothèse où ils ne seraient pas remboursés des sommes avancées à [C] avant leur décès, de prévoir que ces sommes constitueraient des avances sur héritage, soumises à rapport à la succession.

M. et Mme [N] ayant ainsi expressément entendu que ces donations soient soumises à rapport à la succession pour assurer l’égalité entre leurs deux héritiers, il ne peut pas se prescrire avant la clôture des opérations de partage.

M. [O] [N] estime par suite que le tribunal judiciaire du Mans qui a retenu la novation pour décider que [C] [N] devait rapporter à la succession la somme de 166 318,32 euros a fait une analyse juridique pertinente.

M. [O] [N] conclut à l’irrecevabilité de la demande présentée par l’appelant tendant à ce qu’il soit condamné à rapporter à la succession de leurs parents les libéralités qui auraient été consenties en 1989 pour un montant de 10 671,43 euros (70 000 francs), au motif qu’elle est exposée pour la première fois en cause d’appel.

Sur le fond il précise qu’il n’a jamais caché avoir bénéficié en 1989 d’une donation de 10 671,43 euros de la part de ses parents, suite à la donation dont [O] avait bénéficié le 5 octobre 1987 d’un terrain, un étang et un ancien moulin à [Localité 10] d’une valeur de 10 671,43 euros, immeuble où il habite, conformément à la volonté de leurs parents d’assurer une égalité entre leur fils.

M. [O] [N] estime que chacun des deux héritiers ayant bénéficié d’une donation d’une valeur de 10 671,43 euros, il ne saurait être condamné à rapporter cette somme à la succession.

Sur ce,

Sur le rapport à la succession de M. [O] [N]

En l’espèce dans un courrier du 12 février 2010 de Maître [I] notaire de M. [O] [N] adressé à son confrère Maître [B] notaire de M. [C] [N] ( pièce n°12 de l’intimé) en réponse à l’existence d’avantages pécuniaires signalés par M. [C] [N] au profit de son frère [O], il est indiqué que ce dernier ‘ a effectivement bénéficié d’un don manuel d’un montant de 70 000 francs dans le courant de l’année 1989″.

M. [C] [N] avait donc connaissance et confirmation dés l’année 2010, via son notaire, de l’existence d’une donation faite à son frère en 1989.

M. [C] [N] n’a pas saisi le tribunal judiciaire du Mans d’une demande relative à cette donation ou plus généralement à toute autre donation, non établie, dont aurait bénéficié son frère. Mais en matière de partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l’établissement de l’actif et du passif, toute demande doit être considérée comme défense à une prétention adverse.

Est donc recevable, en application de l’alinéa 2 de l’article 910-4 du code de procédure civile, une demande de rapport successoral formée par un cohéritier après le dépot des premières conclusions d’appel.

La demande formée par M. [C] [N] est donc recevable.

M. [O] [N] ne conteste pas avoir reçu une donation de ses parents en 1989 pour une somme de 10 671,43 euros.

Nonobstant le fait que son frère ait lui aussi reçu une donation en 1987, il est tenu également au rapport.

Par suite il sera dit que M. [O] [N] devra rapporter à la succession la somme de 10 671,43 euros.

Sur le rapport à la succession de M. [C] [N]

M. [C] [N] ne remet pas en cause le montant des fonds qu’il a reçu de ses parents, soit un total de 166 318,32 euros, sous forme de prêts selon lui.

Il affirme leur en avoir remboursé une partie, sans pouvoir ‘ malheureusement’ en justifier, sans autre explication.

Ce qui est surprenant compte tenu de l’importance des sommes reçues dont même un remboursement partiel aurait dû l’inciter par prudence élémentaire à conserver une trace du paiement effectué quelque en soit le mode (chèque, virement, remise en liquide).

Il justifie de deux reconnaissances de dettes envers ses parents établies le 15 janvier 2001 pour un montant de 375 000 francs (57 165 euros), et le 10 août 2005 pour un montant de 15 244,90 euros. Ses reconnaissances de dettes ne contiennent cependant aucune date d’exigibilité.

M. [C] [N] ne fait état d’aucune démarche réalisée par ses parents de leur vivant pour obtenir le remboursement de ces sommes.

Dans leurs testaments respectifs du 2 avril 2007 pour M. [G] [N] et du 14 février 2008 pour Mme [A] [N], chacun a de manière précise et détaillée mentionné les dettes d’argent que leur fils [C] avait cumulées envers eux au fil des ans, et ils ont pris soin chacun de faire figurer la formule univoque suivante :’ Je tiens à ce que mon fils rapporte cette somme tant à ma succession qu’à la succession de sa mère (ou) de mon mari’.

D’autre part Le codicille de M. [G] [N] du 16 mars 2012 mentionne expressément que M.[C] [N] n’avait pas remboursé d’argent à cette date : ‘ Je tiens à préciser que mon fils [C] ne m’a toujours pas remboursé les sommes que je lui avais avancées avec mon épouse’.

Les termes explicites employés par Mme [A] [N], dans son testament du 14 février 2008, et par M. [G] [N], dans son testament du 2 avril 2007, démontrent qu’ils intégraient déjà le fait que leur fils [C] ne les rembourserait jamais, et entendaient par suite transformer cette dette en une libéralité consentie à leur fils cadet pour préserver les droits de leur fils aîné [O] en exigeant que cette libéralité soit rapportée à leurs successions.

Il s’agit donc bien d’une novation de la dette initiale en libéralité rapportable, volontairement et clairement opérée par M. et Mme [N] répondant ainsi aux conditions posées par l’article 1330 du code civil.

Par suite il ne peut être fait application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, réservée aux actions personnelles ou mobilières, comme revendiqué par M. [C] [N].

Le jugement contesté qui a condamné M. [C] [N] à rapporter, en moins prenant, à l’actif à partager la somme de 166 318,32 euros sera confirmé.

Sur les dépenses conservatoires

L’article 815-13 du code civil dispose que : ‘ Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés.

Inversement, l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute’.

M. [C] [N] demande qu’une indemnité forfaitaire de 20 000 euros lui soit octroyée au titre des dépenses nécessaires qu’il a dû faire de ses deniers personnels pour la conservation des biens dépendants de l’indivision successorale. Il argue de ce que M. et Mme [N] louaient par bail rural du 30 avril 1985 aux époux [F] une maison d’habitation, des bâtiments d’exploitation et diverses parcelles de terre situés sur les communes de [Localité 10], [Localité 12], et que suite à la procédure engagée par ses parents pour obtenir le règlement des fermages impayés, le tribunal paritaire des baux ruraux du Mans le 22 mars 2016 a prononcé la résiliation du bail rural et que le 2 septembre 2016 les époux [F] ont été expulsés, ce qui a amené à la réalisation les 2 et 14 septembre 2016 d’un état des lieux dressé par Maître [U] huissier de justice auquel M. [C] [N] a assisté.

L’appelant explique que le 7 juin 2017 les consorts [N] ont assigné les époux [F] et le GAEC des […] devant le tribunal paritaire des baux ruraux au sujet de manquements des preneurs à leur obligation d’entretien et un expert a été désigné.

M. [C] [N] qui a participé à une réunion d’expertise à laquelle son frère n’était pas présent le 15 février 2019 considère qu’il doit donc être indemnisé de l’ensemble des démarches entreprises, de sa mobilisation à l’occasion des diverses mesures d’expertise, une nouvelle expertise devant vraisemblablement intervenir puisqu’il n’est pas satisfait des conclusions de celle de M. [M] déposée le 22 juillet 2020, des frais d’huissier et de justice qu’il expose dans l’intérêt exclusif de l’indivision successorale à hauteur de 20 000 euros.

M. [O] [N] demande la confirmation du jugement qui a débouté M. [C] [N] de sa revendication à une indemnité forfaitaire de 20 000 euros.

Il explique qu’il est lui même partie à la procédure engagée contre les époux [F] et qu’à ce titre il a exposé depuis 2015 un certain de nombre de frais notamment d’avocats, d’huissiers, de consignation pour expertise d’un total de 8 739,36 euros.

Aussi il n’est en rien justifié que son co-héritier se voit attribuer une indemnité forfaitaire, sachant qu’il appartiendra au notaire en charge des opérations de compte et partage de la succession, sur justification des dépenses exposées par chacun des deux frères pour le compte de la succession, d’établir les comptes entre eux.

Sur ce,

M. [C] [N] n’a produit ni en première instance ni en cause d’appel les décisions rendues par le tribunal paritaire des baux ruraux du Mans le 22 mars 2016 et la décision de référé-expertise du 4 août 2017.

Il ne verse aux débats aucun justificatif de règlement de facture, d’honoraires ou de frais qu’il aurait acquittés sur ses fonds personnels pour la poursuite d’une instance qui aurait été introduite originellement par ses parents contre les époux [F].

Le décompte établi le 4 septembre 2019 par Maître [U] huissier de justice adressé à M. [C] [N] qu’il verse aux débats recense différentes interventions (état des lieux, saisie attributions et sa main-levée, acompte versés par les époux [F]), pour un total restant dû de 9 775,25 euros, mais ne donne acte à M. [C] [N] d’aucun paiement qu’il aurait effectué ou qui lui serait réclamé.

M. [O] [N] justifie lui depuis le 14 octobre 2015 avoir versé un total de 8 739,36 euros, répartis en honoraires d’avocats pour Maîtres [Z] et [J] (frais de rédaction de la lettre de saisine de la juridiction, d’assistance et de représentation lors de plusieurs audiences notamment celle de tentative de conciliation du 27 janvier 2015) en frais d’huissier de justice pour Maître [U] ainsi que pour des frais d’expertise foncière confiée le 4 août 2017 d’abord à M. [D] puis en remplacement le 21 décembre 2018 à M. [M], pour 1 004 euros.

La seule facture produite au nom de M. [C] [N] en date du 29 septembre 2016 émanant de Maître [U] relative au coût du procès-verbal d’état des lieux dressé lors du départ des époux [F] (1 462,24 euros) fait mention d’un règlement de la moitié de son montant par M. [O] [N], par deux virements bancaires des 3 mars (370 euros) et 1er avril 2019 (362 euros) directement auprès de l’huissier, ce que M. [C] [N] ne remet pas en cause et sans qu’il présente de justificatif de paiement de sa part.

La note d’expertise de M. [M] du 22 mars 2019 évoque une réunion d’expertise du 15 février 2019 à laquelle M. [O] [N] n’a pas participé, ‘ayant refusé la convocation par LRAR’ qui a été retournée par la poste le 11 février 2019 et confirme que M. [C] [N] y était présent.

L’expert judiciaire dans son pré-rapport du 22 juillet 2020 rappelle que les consorts [N] ont fait assigner les époux [F] et Le GAEC des […] devant le tribunal paritaire des baux ruraux du Mans et que sa mission consistait à évaluer l’ensemble des dégradations commises sur le bien rural loué par les preneurs et a estimé les améliorations réalisées, mais sans faire état d’une implication particulière de la part de M. [C] [N] dans le déroulement de la procédure judiciaire ou la réalisation de sa mission.

M. [C] [N] a déposé plainte le 24 novembre 2020 à la gendarmerie de [Localité 16] pour dénoncer des dégradations commises par un autre agriculteur, M. [S], sur ses parcelles agricoles de [Localité 18] entre juin 2018 et juin 2020, propriété indivise de la succession, en sa qualité de chef d’entreprise de l’EARL des […], sur lesquelles il aurait pénétré sans autorisation malgré la pose de cadenas à l’entrée, et faisant état d’un préjudice financier de l’ordre de 15 000 euros par an. Or cette plainte, déposée au nom de son exploitation agricole et non pour l’indivision successorale, ne l’a exposé à aucun frais.

Finalement, M. [C] [N] ne démontre pas avoir exposé seul de frais pour garantir la préservation des intérêts de l’indivision au travers de la procédure judiciaire engagée de concert avec son frère [O] devant le tribunal paritaire des baux ruraux.

Et sa participation à la réunion d’expertise du 15 février 2019, ou son dépôt de plainte du 24 novembre 2020, ne constituent pas des démarches onéreuses susceptibles de lui ouvrir droit à une quelconque indemnité forfaitaire ou non par l’indivision.

Le jugement qui a débouté M. [C] [N] de sa demande d’indemnité à hauteur de 20 000 euros sera par suite confirmé.

Sur les frais et dépens

M. [C] [N] qui succombe au principal en cause d’appel sera condamné à verser à M. [O] [N] une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Chartier-Labbé avocat au barreau du Mans en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DÉCLARE RECEVABLE la demande de M. [C] [N] tendant à obtenir le rapport à la succession des libéralités consenties à M. [O] [N] ;

CONFIRME le jugement rendu le 24 mars 2021 par le tribunal judiciaire du Mans en toutes ses dispositions contestées ;

y ajoutant,

CONDAMNE M. [O] [N] à rapporter à l’actif à partager la somme de 10 671,43 euros ;

CONDAMNE M. [C] [N] à verser à M. [O] [N] une indemnité de deux mille euros (2 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [C] [N] aux dépens d’appel, avec distraction au profit de Maître Chartier-Labbé, avocat au barreau du Mans.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

F. BOUNABI M-C. COURTADE

 


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