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21 avril 2022
Cour d’appel de Versailles
RG n°
19/03365
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 AVRIL 2022
N° RG 19/03365 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TNP5
AFFAIRE :
[Y] [O]
C/
SARL [Localité 4] AMANDIERS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 12 Juin 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : AD
N° RG : F17/03457
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Marie-Hélène DUJARDIN
Me Banna NDAO
le : 22 Avril 2022
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 22 Avril 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [Y] [O]
née le 23 Mars 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par : Me Isabelle GRELIN de la SELARL GRELIN ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0178 ; et Me Banna NDAO, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 667
APPELANTE
****************
SARL [Localité 4] AMANDIERS
N° SIRET : 324 896 257
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par : Me Benoît CAZIN de la SAS SPRING LEGAL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS ; et Me Marie-Hélène DUJARDIN, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2153
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle VENDRYES, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL [Localité 4] Amandiers est un théâtre ayant pour activité l’accueil, la production et la coproduction de spectacles. Le théâtre emploie plus de cinquante salariés.
La convention collective nationale applicable est celle des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.
Mme [Y] [O], née le 23 mars 1971, a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée par le Théâtre des Amandiers le 7 avril 2014 en qualité d’assistante comptabilité-paies. En dernier lieu, elle percevait une rémunération mensuelle brute de 2 153,88 euros.
Par courrier du 23 mars 2018, la société [Localité 4] Amandiers a convoqué Mme [O] à un entretien préalable qui s’est déroulé le 3 avril 2018.
Par courrier du 6 avril 2018, la société [Localité 4] Amandiers a notifié à Mme [O] son licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
” 1. Vous avez été arrêtée pour raison de santé, sans interruption, depuis le 6 octobre 2017.
2. Le 14 février 2018, à l’issue d’un examen réalisé dans le cadre d’une visite de reprise, le Médecin du travail a rendu l’avis suivant :
« Tout emploi du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
Le Médecin du travail a émis cet avis après avoir, le 31 janvier 2018, échangé avec la Direction du théâtre et étudié votre poste.
3. Lorsque le Médecin du travail indique dans l’avis d’inaptitude que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur est dispensé de recherches de reclassement avant le licenciement.
4. Par ailleurs, le théâtre n’appartenant à aucun groupe, aucune obligation légale ou conventionnelle n’impose au théâtre de rechercher un reclassement externe. Ceci étant, le théâtre est allé au-delà de son obligation légale et a pris contact avec des structures partenaires (notamment le Théâtre National de l’Odéon, La Scala de Paris et La Gaité Lyrique) pour tenter de vous trouver en externe une solution de reclassement.
Malheureusement, les partenaires sollicités soit ont indiqué qu’ils n’avaient pas de poste disponible à proposer, soit n’ont pas répondu.
5. Pour être complet, il convient de relever que le théâtre a consulté les Délégués du personnel, en application de l’article L. 1226-2 du Code du travail, pour émettre un avis sur les possibilités de reclassement vous concernant. Lors de la réunion du 22 février 2018, les Délégués du personnel ont émis un avis favorable à l’engagement d’une procédure de licenciement pour inaptitude, à l’unanimité des membres présents.
6. Dans ces conditions, en application de l’article L. 1226-2-1 du Code du travail, je vous ai informée, par lettre RAR du 15 mars 2018, des motifs s’opposant à votre reclassement. Vous n’avez émis aucune réserve concernant les termes de ma lettre.
7. Compte tenu de l’impossibilité dans laquelle le théâtre se trouve de vous reclasser, je suis contraint de vous licencier en raison de votre inaptitude à votre poste de travail d’origine non professionnelle.”
Par requête reçue au greffe le 20 novembre 2017, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par jugement rendu le 12 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– dit que la SARL [Localité 4] Amandiers n’a pas commis de manquement à ses obligations contractuelles,
– dit que la SARL [Localité 4] Amandiers n’a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [O],
– dit que le licenciement de Mme [O] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté Mme [O] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
– débouté Mme [O] de ses autres demandes,
– condamné Mme [O] aux entiers dépens de la présente instance,
– débouté la SARL [Localité 4] Amandiers de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [O] avait demandé au conseil de prud’hommes :
A titre principal,
– faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [O] aux torts exclusifs de la société [Localité 4] Amandiers
– dire et juger, en conséquence, que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [O] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
– en conséquence, condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] les sommes suivantes :
‘ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis : 6 461,64 euros
‘ au titre des congés payés afférents à 1’indernnité compensatrice de préavis : 646,16 euros
‘ au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 769,40 euros
‘ à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur : 18 000 euros
A titre subsidiaire
– constater que l’inaptitude de Mme [O] est liée aux conditions d’emploi dégradées dans lesquelles elle a évolué
– dire et juger, en conséquence, que le licenciement pour inaptitude de Mme [O] est sans cause réelle et sérieuse
– en conséquences, condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] les sommes suivantes :
‘ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis : 6 461,64 euros
‘ au titre des congés payés afférents : 646,16 euros
‘ à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 769,40 euros
‘ à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur : 18 000 euros
En tout état de cause
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] les sommes suivantes :
‘ A titre principal à titre de reliquat de prime de 13ème mois proratisé sur 2018 : 720,51 euros ainsi qu’au titre des congés payés y afférents : 72,05 euros
‘ A titre subsidiaire à titre de reliquat de prime de 13ème mois proratisé sur 2018 : 229,59 euros ainsi qu’au titre des congés payés y afférents : 22,95 euros
‘ à titre d’indemnité compensatrice de congés payés : 2 519,57 euros
‘ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile : 3 600 euros
– assortir les condamnations d’intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision
– ordonner la capitalisation des intérêts
– ordonner l’exécution provisoire de l’intégralité du jugement en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile
– condamner la société [Localité 4] Amandiers aux entiers dépens, y compris les frais d’exécution éventuels de la décision.
La société [Localité 4] Amandiers avait, quant à elle, conclu au débouté de la salariée et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 3 600 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [O] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 22 aout 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 15 novembre 2019, Mme [O] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a débouté Mme [O] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux entiers dépens,
A titre principal,
– prononcer la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [O] aux torts exclusifs de la société [Localité 4] Amandiers,
– dire et juger, en conséquence, que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [O] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 6 461,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 646,16 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 10 769,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur,
A titre subsidiaire,
– constater que l’inaptitude de Mme [O] est liée aux conditions d’emploi dégradées dans lesquelles elle a évolué,
– dire et juger, en conséquence, que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Mme [O] est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence :
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 6 461,64 euros, à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 646,16 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 10 769,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur,
En tout état de cause,
– débouter la société [Localité 4] Amandiers de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de :
‘ A titre principal : 720,51 euros à titre de reliquat de prime de 13ème mois proratisé sur 2018, ainsi que 72,05 euros au titre des congés payés afférents,
‘ A titre subsidiaire : 229,59 euros à titre de reliquat de prime de 13ème mois proratisé sur 2018, ainsi que 22,95 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 2 519,57 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés et 251,95 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers à verser à Mme [O] la somme de 7 200 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir les condamnations d’intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– condamner la société [Localité 4] Amandiers aux entiers dépens, y compris les frais d’exécution éventuels de la décision à intervenir.
Par conclusions adressées par voie électronique le 14 février 2020, la société [Localité 4] Amandiers demande à la cour de :
– dire et juger que le Théâtre [Localité 4] Amandiers n’a commis aucun manquement empêchant la poursuite du contrat de travail,
– débouter Mme [O] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
– dire et juger que l’inaptitude de Mme [O] n’est pas imputable au Théâtre [Localité 4] Amandiers,
– dire et juger que le licenciement de Mme [O] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est bien fondé,
En conséquence,
– confirmer le jugement rendu le 12 juin 2019 par le conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a débouté Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté le Théâtre de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [O] à verser au Théâtre la somme de 7 200 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 9 février 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 mars 2022.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
– sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
En l’espèce, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 20 novembre 2017 soit antérieurement à son licenciement en date du 6 avril 2018.
Il appartient ici à la salariée de rapporter la preuve des manquements invoqués, le juge appréciant si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat.
Mme [O] rappelle ici que de 2008 à la fin de l’année 2013, la direction du Théâtre des Amandiers a été assurée par M. [S], que de 2014 à mai 2016, le théâtre a été codirigé par M. [J] [E] et Mme [P] puis qu’à compter de la mi-juin 2016 , M. [E] a assuré, seul, la direction du théâtre, Mme [P] ayant quitté ce dernier et n’ayant été remplacée qu’en janvier 2017 par Mme [X].
Elle fait valoir que l’organisation du théâtre et les méthodes de travail ont été modifiées à compter de 2014 et encore plus à compter de la mi juin 2016 , que la direction a été alertée, sans réaction, sur la présence significative de risques psychosociaux au sein de l’entreprise ainsi qu’en témoignent certaines réunions de la Délégation unique du personnel les 17 février 2015, 1er avril 2015, 11 février 2016, 22 septembre 2016 et 21 janvier 2017, qu’une cellule d’appui à la prévention des risques psychosociaux a dû être mise en place par les représentants du personnel du théâtre à compter d’octobre et novembre 2017, qu’un préavis de grève a été déposé le 20 septembre 2019 ainsi qu’une lettre adressée à la direction à cette date afin de dénoncer la situation de souffrance au travail subie par les salariés depuis 2014.
Mme [O] fait état de son épuisement professionnel en raison du contexte professionnel dégradé et tendu dans lequel elle a évolué à compter de 2014 et d’une souffrance au travail due à une mauvaise répartition des tâches et au manque d’organisation du service paie , la salariée subissant en outre une surcharge de travail persistante, travaillant avec des outils défaillants et vivant des tensions relationnelles néfastes et un management défaillant.
Elle souligne le défaut de réaction de la direction aux multiples alertes dont elle a été pourtant saisie et fait état de la dégradation de son état de santé compte tenu de son épuisement professionnel avec un arrêt maladie à compter du 6 octobre 2017 puis le constat de son inaptitude.
Elle déduit de ces éléments une violation manifeste de son obligation de sécurité ainsi que de ses obligations de prévention et de traitement des risques psychosociaux par l’employeur.
La société [Localité 4] Amandiers énonce que M. [E] et Mme [P] ont assuré la codirection du théâtre [Localité 4] des Amandiers, centre dramatique national, à compter du 1er janvier 2014, que leur projet consistait à ouvrir ce théâtre aux formes de création contemporaine en donnant une large part aux compagnies internationales et à des artistes venant de toutes les disciplines, qu’il s’agissait en effet d’un changement radical par rapport au projet porté de 2002 à 2013.
Elle précise que Mme [P] a quitté le théâtre en mars 2016 afin de rejoindre une institution culturelle prestigieuse tandis que M. [H] a été engagé en 2014 en qualité d’administrateur jusqu’en octobre 2017 et a été remplacé en janvier 2018 par Mme [A].
S’agissant des conditions de travail de Mme [O] en qualité d’assistante de comptabilité-paies, la société [Localité 4] Amandiers fait valoir que la salariée a été encadrée par M. [H] lequel a tenu des réunions hebdomadaires et lui a remis des tableaux de tâches à accomplir, que la salariée recevait des instructions de sa responsable comptable, Mme [U] ,pour l’exercice des missions comptables et de M. [M], responsable RH-paies, pour l’exercice de ses missions relevant du service paie . Elle ajoute que les salariées ayant précédé Mme [O] dans les fonctions d’assistante comptabilité-paies n’ont jamais fait état de la moindre difficulté liée à l’organisation du travail.
La société [Localité 4] Amandiers fait également état des formations dont Mme [O] a bénéficié, de la prime qui lui a été versée lorsqu’elle a remplacé partiellement une responsable comptable du 3 avril 2017 au 16 juin 2017, de son suivi régulier par le médecin du travail, de l’augmentation de sa rémunération mensuelle entre 2014 et 2017
L’employeur note que les avis d’arrêt de travail de Mme [O] à compter du 6 octobre 2017 ont été établis pour des pathologies sans caractère professionnel, que les certificats du médecin traitant et du psychiatre suivant l’intéressée ont été fondés sur les seules déclarations de leur patiente . Il se réfère à l’enquête réalisée au sein du théâtre concernant la situation de mme [O] menée dans des conditions strictement conformes aux exigences de la jurisprudence et concluant au défaut de pertinence et de fondement des allégations formulées par la salariée.
Sur ce,
La cour observe ici que Mme [O] n’oppose pas à la société [Localité 4] Amandiers une situation de harcèlement moral mais la violation d’une obligation de sécurité et un épuisement professionnel en raison d’un contexte professionnel dégradé depuis 2014.
S’agissant des griefs fondés principalement sur son surcroit de travail, la désorganisation et la mauvaise répartition des tâches, des outils de travail défaillants, des tensions internes dans la société, il convient de rappeler que, dans les termes de son contrat de travail, Mme [O] a été engagée, à compter du 7 avril 2014, en qualité d’assistante comptabilité-paies échelon E2, son emploi étant rattaché au niveau agent de maîtrise 3 et à la catégorie personnel administratif non-cadre de l’accord d’entreprise.
Sa fiche de poste énonce que, sous la responsabilité directe de l’administrateur, Mme [O] travaille en relation étroite avec le responsable RH-paies et la responsable comptable, qu’au sein du service comptabilité, elle contribue, sous la responsabilité du responsable comptable, à la tenue de la comptabilité du théâtre (aide à l’établissement/comptabilisation des achats, aide à la comptabilisation de la billetterie, aide à la déclaration de TVA, lettrages de comptes, classement) tandis qu’au sein du service paies, et sous le contrôle du responsable RH paies, elle établit les paies et les documents administratifs relatifs aux ressources humaines et a pour tâches de recueillir, centraliser et saisir les éléments variables de paie, établir ces dernières et les soldes de tout compte, traiter l’administratif et le suivi des absences des salariés (maladie, maternité, accidents du travail, congés payés, comptabilisation des tickets restaurant) ainsi que classer les éléments de paie.
Les procès verbaux des réunions de la Délégation unique du personnel sont révélateurs des évolutions qu’ a connues le théâtre des Amandiers à compter de l’arrivée de M. [E] à sa direction en 2014 et ayant eu un impact sur tous les services.
Il est ainsi fait part en avril 2014 ( PV du 24 avril 2014) d’axes de réflexions internes dont celle visant à améliorer la transversalité des actions vers le public avec des calendriers de travail incluant l’annonce de la programmation, la présentation de la saison, le développement de la communication. Il est également fait état ( PV du 28 mai 2014 p.2) d’une réorganisation des services, de l’apport budgétaire induit par de nouveaux événements ( soirée du barreau 92) puis en avril 2015 ( PV du 1er avril 2015) d’un développement du projet artistique avec une ouverture plus importante du théâtre vers de nouveaux partenaires y compris à l’international, le travail consistant à ‘remettre le théâtre sur la carte des réseaux dont il était coupé’.
Or, il doit être relevé que tandis que la directrice, Mme [P], exprime son souhait de ‘connaitre le retour des salariés concenant ces nouvelles organisations , ces changements de mode de travail’ ( PV du 15 février 2015 page 2) alors qu’il y a beaucoup de ‘ projets atypiques’ , ‘un rythme différent de travail et de partage de l’outil’, impliquant ‘des ajustements de la part du personnel’ , il est fait état, dès la réunion DUP du 15 février 2015 par des membres titulaires ‘d’un manque de temps de réflexion’ et de ce que les salariés souhaitaient ‘connaitre bien en amont la saison prochaine, la durée des spectacles, les constructions de décors pour pouvoir se projeter et planifier le travail’, le personnel ayant ‘du mal à suivre le rythme’.
Les procès verbaux DUP conduisent à relever que les élus font de plus en plus part de remontées de difficultés des salariés dans la réalisation des tâches à compter d’avril 2015 ( PV du 1er avril 2015 ) de perte de temps, d’un sentiment d’éloignement des prises de décision, de surcroit de travail dans tous les services , de ‘nouvelles méthodologies ayant provoqué du stress et de la tension’ , de la ‘fatigue du personnel’, des questions surgissant au mois de novembre 2015 ( PV du 25 novembre 2015) relativement au nombre de départs , tandis que le secrétaire du comité d’entreprise vise en janvier 2016 la nécessité d’éclairer les ‘articulations assez douloureuses dans les services’ depuis deux ans , la direction admettant la nécessité d’un meilleur dialogue.
S’agissant plus particulièrement du service dans lequel Mme [O] évoluait, le procès verbal de la DUP du 24 janvier 2018 fait état , dans ce contexte, d’un renforcement à effectuer à 100% du service paies et du service comptabilité en raison de leur charge et des risques induits ce qui permet de retenir la lourdeur de son travail opposée par la salariée aux débats.
S’agissant des outils de travail, il doit être noté que si l’extension du périmètre du logiciel Allegrissimo est annoncée par M [H] , administrateur, dans le PV de la DUP du 17 février 2015 , la cour relève que Mme [P] n’en énonce pas moins à cette époque que ‘ce logiciel est un serpent de mer qui perdure depuis de longues années’ . Si la directrice préconise que ce logiciel soit utilisé comme outil de planification malgré les réserves des salariés visant notamment l’insuffisance des moyens de développement de cet outil informatique , aucun élément n’est apporté sur l’accompagnement concret de ce projet par la direction.
Par ailleurs, la commission d’enquête portant sur les conditions de travail de Mme [O] vise le 15 septembre 2018 que le bureau occupé par le service comptabilité n’a pas été modifié conformément à sa demande tandis que le bureau du service paie a été transféré d’un bureau ayant une grande surface à un bureau à l’espace réduit mais identique à celui du bureau comptabilité.
Ces éléments corroborent les dires de la salariée tenant à l’exiguité de son espace de travail outre sa difficulté à travailler avec le logiciel Allegrissimo.
S’agissant des tensions relationnelles néfastes à l’ambiance de travail, Mme [O] fait ici référence à des tensions relationnelles entre sa responsable comptable Mme [U] et la contrôleuse de gestion Mme [B] . Or, ces tensions sont confirmées dans le cadre des conclusions de la commission d’enquête du 15 septembre 2018 lesquelles visent que l’administrateur , M. [H], a du intervenir sur ce point.
S’agissant de la prise en compte par la direction des difficultés susvisées, déclinées dans les réunions de la DUP, il est relevé que s’il est proposé par la direction, à compter de juin 2016, la mise en place d’ un accompagnement à la transformation et au changement par le biais d’un organisme extérieur spécialisé( Profilculture ou la Belle Ouvrage), la concrétisation d’un tel projet n’est pas justifiée par les pièces produites tandis qu’il est finalement mis en place une cellule d’appui à la prévention des risques psychosociaux en octobre 2017 constituée de salariés , d’un sociologue, d’un médecin du travail et d’un psychologue sous l’égide de l’Union des mutuelles de France avec le soutien de la Direccte Ile de la France de la Cramif,
M. [C], représentant du personnel élu en mai 2017, y relatant ‘une fragilité des salariés dans chaque service du théâtre’ tandis que M. [D] , régisseur plateau et délégué du personnel, constate le déni total de la direction pourtant interpellée au sujet de la multiplication par 3 ou 4 des arrêts maladie ainsi que de plus d’une trentaine de départs.
Si l’employeur produit les fiches d’aptitude concernant la salariée, délivrées par la médecine du travail le 15 mai 2014 et le 25 mai 2016 sans aucune réserve, il doit être relevé que la salariée a été ensuite en arrêt maladie à compter du 6 octobre 2017.
Mme [O] produit pour sa part un certificat médical du 6 novembre 2017 d’un psychiatre certifiant , sans se borner à transcrire les déclarations de la salariée, suivre celle-ci ‘ depuis plusieurs années en traitement psychothérapique et reconnaissant que sa dépression actuelle est liée aux conditions beaucoup trop pénibles rencontrées dans son travail depuis plusieurs années’ et un avis d’inaptitude en date du 14 février 2018 retenant que son ‘état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’, la salariée communiquant de même un certificat médical datant du 8 janvier 2018 d’un médecin généraliste et diverses ordonnances établies à compter du 29 mai 2016.
Nonobstant les conclusions de l’enquête interne menée par la société [Localité 4] Amandiers en 2018, ces éléments doivent conduire à retenir des manquements de la société [Localité 4] Amandiers dans la mise en place de mesures adéquates de prévention de risques psychosociaux sur le fondement de l’article L.4121-1 du code du travail et la corrélation existante entre ces manquements et la dégradation de l’état de santé de l’intéressée ayant conduit à son arrêt maladie à compter du 6 octobre 2017.
Au regard des manquements graves ainsi relevés ne permettant pas la poursuite du contrat de travail, la résiliation judiciaire du contrat de travail a lieu d’être prononcée à la date du 6 avril 2018 , cette résiliation produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– sur les demandes en paiement
Au regard de l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise et dans les termes de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, la société [Localité 4] Amandiers sera condamnée à payer à Mme [O] la somme de 10000 euros à titre d’indemnité au titre de la rupture.
Il convient en outre d’ordonner le remboursement par la société [Localité 4] Amandiers aux organismes concernés des indemnités de chômage effectivement versées à Mme [O] dans la limite de trois mois conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.
En application de l’article V-8 de la convention collective des entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984, la société [Localité 4] Amandiers sera condamnée à régler à Mme [O] la somme de 6461,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents.
La violation par l’employeur de l’obligation de sécurité dans les termes ici relevés par la cour conduira à le condamner à payer à l’intéressée la somme de 5000 euros à titre indemnitaire.
S’agissant de la prime de 13ème mois, il est mentionné dans le contrat de travail de Mme [O] que celle-ci bénéficie d’un 13e mois calculé au prorata temporis
Il est mentionné sur son bulletin de paie du mois d’avril 2018 que la salariée a perçu une somme d’un montant de 331,43 euros au titre du 13ème mois proratisé , le bulletin de paie du mois de décembre 2017 retenant une somme de 1051,34 euros au titre d’un demi treizième mois.
Etant tenu compte de ce que la résiliation judiciaire du contrat de travail a été prononcée aux torts de l’employeur et du préavis à sa charge, il doit être condamné à régler la somme de 525,66 euros à titre de reliquat de prime de 13ème mois outre les congés payés afférents.
S’agissant de l’indemnité compensatrice de congés payés, il est mentionné sur son bulletin de salaire du mois d’avril 2018 que Mme [O] a reçu une indemnité à cet égard de 315,58 euros.
Aucun élément ne venant établir que la salariée aurait droit à une somme supplémentaire au titre de ses droits à congés, la demande afférente à cette indemnité doit être rejetée.
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
La capitalisation des intérêts sollicitée sera ordonnée dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du code civil.
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande afférente à l’indemnité compensatrice de congés payés, ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Y] [O] aux torts de l’employeur à la date du 6 avril 2018 ;
DIT que la résiliation judiciaire du contrat de travail a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société [Localité 4] Amandiers à payer à Mme [Y] [O] les sommes suivantes :
– 10 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 6461,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 646,16 € au titre des congés payés y afférents,
– 5000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du défaut de respect de l’obligation de sécurité
– 525,66 euros au titre du rappel de primes de 13 ème mois et 52,56 euros au titre des congés payés afférents;
DIT que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du code civil,
ORDONNE le remboursement par la société [Localité 4] Amandiers à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de Mme [Y] [O] dans la limite de trois mois et dit qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE La société [Localité 4] Amandiers à payer à Mme [Y] [O] la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
DÉBOUTE la société [Localité 4] Amandiers de sa demande de ce chef,
CONDAMNE la société [Localité 4] Amandiers aux entiers dépens ;
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,