ARRÊT N°
N° RG 21/01121 – N��Portalis DBVH-V-B7F-H7O7
MPF-AB
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
04 février 2021
RG:19/00263
[J]
[J]
[J]
[J]
C/
GROUPAMA MEDITERRANEE
E.A.R.L. L’HIPPOCAMPE
S.A. PACIFICA
S.A.R.L. ABRIVADO RANDO
Caisse CPAM DE L’ARTOIS
S.A. APREVA MUTUELLE
SARL EL RANCHO
S.A. AXA FRANCE IARD
S.A.R.L. LE RANCH DU PHARE
S.A.R.L. MAS DE L ESPIGUETTE
Grosse délivrée
le 15/09/2022
à Me Magali CHATELAIN
à Me Georges POMIES RICHAUD,
à Me Olivier GOUJON,
à Me Elsa LONGERON,
à Me Philippe EXPERT
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022
APPELANTS :
Madame [S] [J]
née le 03 Septembre 1975
[Adresse 13]
[Localité 10]
Représentée par Me Magali CHATELAIN de la SCP CHATELAIN GUTIERREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [W] [J]
né le 20 Septembre 1975
[Adresse 13]
[Localité 10]
Représenté par Me Magali CHATELAIN de la SCP CHATELAIN GUTIERREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [I] [J]
Représentée par ses représentant légaux, Madame [S] [J] et Monsieur [W] [J]
née le 02 Septembre 2005
[Adresse 13]
[Localité 10]
Représentée par Me Magali CHATELAIN de la SCP CHATELAIN GUTIERREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [A] [J]
Représentée par ses représentant légaux, Madame [S] [J] et Monsieur [W] [J]
né le 20 Octobre 2002
[Adresse 13]
[Localité 10]
Représenté par Me Magali CHATELAIN de la SCP CHATELAIN GUTIERREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉES :
GROUPAMA MEDITERRANEE
Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles Méditerranée ès qualité d’assureur de la SARL EL RANCHO dont le siège social est [Adresse 7] pris en son établissement Maison de l’Agriculture et en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es-qualité
[Adresse 20]
[Adresse 21]
[Localité 11]
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Thierry BERGER, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
E.A.R.L. L’HIPPOCAMPE
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Olivier GOUJON de la SCP GMC AVOCATS ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
S.A. PACIFICA
[Adresse 17]
[Localité 16]
Représentée par Me Olivier GOUJON de la SCP GMC AVOCATS ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
S.A.R.L. ABRIVADO RANDO
prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [X] [Y], en exercice et liquidateur, domicilié es qualité audit siège
[Adresse 15]
[Localité 1]
Représentée par Me Elsa LONGERON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
CPAM DE L’ARTOIS
[Adresse 2]
[Localité 14]
Assignée à personne morale le 21 Avril 2021
sans avocat constitué
S.A. APREVA MUTUELLE
[Adresse 22]
[Localité 12]
Assignée à étude le 19 Avril 2021
sans avocat constitué
SARL EL RANCHO
prise en la personne de son gérant en exercice domicilié es-
qualité au siège social sis
[Adresse 5]
[Localité 8]
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Thierry BERGER, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
S.A. AXA FRANCE IARD
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis [Adresse 9] et en son établissement secondaire sis
[Adresse 18]
[Localité 8]
Représentée par Me Philippe EXPERT de la SCP B.C.E.P., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
S.A.R.L. LE RANCH DU PHARE
prise en la personne légal de Monsieur [O] [M]
[Adresse 6]
[Localité 8]
Assignée à personne morale le 21 avril 2021
sans avocat constitué
S.A.R.L. MAS DE L ESPIGUETTE
[Adresse 4]
[Localité 8]
Assignée à personne le 20 Avril 2021
sans avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
À l’audience publique du 17 Mai 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Juin 2022, et prorogé au 15 Septembre 2022,
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt rendu par défaut, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 15 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DU LITIGE:
Le 27 juillet 2016, [S] [J] a participé à une promenade à cheval organisée par l’earl Hippocampe exerçant son activité sur la plage de l’Espiguette sous le nom commercial de ‘Ranch de l’écurie des dunes’.
Une fois ce premier groupe parti, d’autres organisateurs de promenades à cheval établis sur la plage de l’Espiguette ont fait emprunter le même itinéraire à leurs clients respectifs.
Alors que [S] [J] se situait en dernière position du groupe de cavaliers encadré par du personnel du ranch de l’écurie des dunes, des chevaux sont soudain arrivés au galop à l’arrière du groupe.
Piétinée par des chevaux alors qu’elle gisait au sol après sa chute, [S] [J] a alors été transportée à l’hôpital car elle souffrait d’une hémorragie interne à la suite de la rupture de l’artère rénale droite.
Par ordonnance de référé du 8 novembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Nîmes a ordonné une expertise médicale de Mme [S] [J] et nommé le Docteur [G] [N], lequel a déposé son rapport le 9 avril 2018.
Par actes du 7 décembre 2018, [S] [R] épouse [J], [W] [J], son mari, [I] [J] et [A] [J], ses enfants, tous deux représentés par leurs représentants légaux, ont assigné devant le tribunal de grande instance de Nîmes l’Earl L’Hippocampe, ayant pour enseigne ‘L’Ecurie des Dunes’, la Sarl El Rancho, le Ranch du Phare, la société ‘Abrivado Rando’, la Sarl Le Mas de l’Espiguette, ainsi que leurs assureurs respectifs, la société Axa France Iard, la société Crama Méditerranée sous l’enseigne Groupama Méditerranée, la société Pacifica, la Cpam de l’Artois et Areva Mutuelle aux fins de voir :
– retenir la responsabilité contractuelle du Ranch L’Ecurie des Dunes, sur le fondement des articles 1147 et 1135 anciens du code civil ;
– retenir la responsabilité délictuelle des ranchs Le Phare, El Rancho, Mas de l’Espiguette et Abrivado Rando sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil ;
En conséquence,
– reconnaître que l’ensemble des fautes commises ont contribué à la survenance du dommage de Mme [J] ;
– condamner solidairement Ies ranchs L’Ecurie des Dunes, Le Phare, El Rancho, Mas ‘de l’Espiguette’ et Abrivado Rando à payer à Mme [J] la somme globale de 15 825,45 euros au titre du préjudice subi ;
– les condamner solidairement à payer à M. [W] [J] la somme de 5 000 euros au titre du préjudice d’affection subi ;
– les condamner solidairement à payer à M. [W] [J] et Mme [S] [J], ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [I] et [A] [J], la somme de 7 000 euros et 4 000 euros respectivement ;
– les condamner solidairement à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner solidairement aux entiers dépens, y compris ceux de l’expertise médicale.
[Y] [X], mandataire liquidateur amiable de la Sarl Abrivado Rando, est intervenu volontairement à la procédure.
Par jugement réputé contradictoire du 4 février 2021, le tribunal judiciaire de Nîmes a :
– débouté les consorts [J] de l’ensemble de leurs demandes ;
– dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum Mme [S] [J] née [R], M. [W] [J], Mlle [I] [J] et M. [A] [J], tous deux représentés par leurs représentants légaux Mme [S] [J] et M. [W] [J], aux dépens.
Les premiers juges ont retenu qu’il n’était pas établi de manquement à l’obligation de prudence et de diligence à l’encontre de l’Earl L’Hippocampe, exerçant sous l’enseigne Le Ranch ‘L’Ecurie des Dunes’, aucune pièce de la procédure ne démontrant que le lieu de l’accident présentait un risque particulier, la balade à cheval se déroulant sur la plage, et le seul fait que plusieurs groupes se suivent ne permettant pas de caractériser une faute.
Sur la responsabilité délictuelle des ranchs Le Phare, El Rancho, Mas de l’Espiguette et Abrivado Rando, le tribunal, après avoir rappelé que le dommage a été causé par plusieurs chevaux dont l’identification était impossible, a retenu que ces derniers n’avaient plus ni le contrôle, ni l’usage, ni la direction de leurs chevaux, ces pouvoirs ayant été transférés aux divers cavaliers qui les montaient. Le tribunal a estimé qu’ils n’étaient responsables sur le fondement de l’article 1243 que des dommages causés par leurs animaux aux tiers et que [S] [J] laquelle disposait des pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage de son cheval dès le début de la promenade avait la qualité de gardien du cheval et ne pouvait pas être considérée comme un tiers.
Par déclaration du 18 mars 2021, [S] [J], [W] [J] ont interjeté appel de cette décision en leur nom personnel et au nom de leurs deux enfants.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 13 avril 2021, les consorts [J] demandent à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de:
– condamner solidairement les ranchs L’Ecurie des Dunes, Le Phare, El Rancho, Mas de l’Espiguette et Abrivado Rando, à payer à Mme [J] la somme globale de 15 825,45 euros, au titre du préjudice subi;
– les condamner solidairement à payer à M. [W] [J] la somme de 5 000 euros au titre du préjudice d’affection subi ;
– les condamner solidairement à payer à M. [W] [J] et Mme [S] [J], ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs [I] et [A] [J], la somme de 7 000 euros et 4 000 euros respectivement ;
– les condamner solidairement à payer à Mme [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner solidairement aux entiers dépens, y compris ceux de l’expertise médicale.
Les appelants soutiennent que la responsabilité du ranch Ecurie des Dunes peut être recherchée sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, un lien contractuel existant entre Mme [J] et ce ranch du fait de la réservation d’une promenade. Ils précisent que le ranch a manqué à son obligation de sécurité, et les encadrants à leur obligation de prudence, en l’absence de précautions utiles pour éviter que Mme [J] chute de son cheval et soit piétinée par d’autres chevaux, étant observé que le parcours présentait un réel danger en raison d’un grand nombre de chevaux et de groupes se suivant sur un même itinéraire, et que Mme [J] n’avait pas reçu de conseil approprié au moment où l’embardée s’était déclenchée.
S’agissant de la responsabilité des autres ranchs, en l’absence de tout contrat, ils soutiennent que leur responsabilité peut être recherchée sur le fondement de la responsabilité délictuelle, c’est-à-dire l’article 1382 ancien du code civil, et de la responsabilité du propriétaire de l’animal, soit l’ancien article 1385 ancien dudit code. Ils soulignent l’absence de transfert de garde de l’animal s’agissant de la mise à disposition temporaire d’un cheval par son propriétaire à un cavalier néophyte encadré par un guide qualifié agissant comme préposé du propriétaire de l’animal, les ranchs, par le biais de leurs préposés, sont demeurés gardiens des chevaux, et par conséquent, engagent leur responsabilité de plein droit du fait de leurs animaux. Ils considèrent en outre qu’en proposant de faire du galop, le ranch El Rancho qui était derrière les autres groupes a commis deux fautes, l’une en ce que la rencontre du groupe précédent était inéluctable, l’autre en ce qu’il aurait dû cesser le galop à la première vue des chevaux des autres groupes. Ils estiment en dernier lieu que tous les ranchs sont responsables du fait de leurs chevaux en dehors de toute notion de faute, et doivent être solidairement condamnés à réparer l’entier préjudice de Mme [J].
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 19 août 2021, la Sarl El Rancho et Groupama Méditerranée, intimées, demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner les consorts [J] à leur verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et, à titre subsidiaire, en cas d’infirmation, de réduire le montant des indemnités réclamées.
Ces intimées exposent que la Sarl El Rancho n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle dès lors que le dépassement d’un autre cheval n’est pas proscrit et ne saurait être regardé comme une imprudence, que le dépassement pratiqué est sans rapport avec le départ au galop des chevaux du ranch du Phare, qu’il est erroné de soutenir que le ranch El Rancho aurait proposé de faire du galop aux cavaliers débutants, et qu’il n’était pas en charge d’accompagner Mme [J], laquelle était liée par une relation contractuelle avec l’Earl L’hippocampe. Selon elles, la Sarl El Rancho n’était pas gardienne des chevaux au moment de la chute de Mme [J], seuls les cavaliers disposant au cours d’une promenade des pouvoirs de contrôle, d’usage et de direction de la monture. Elles soulignent qu’en l’absence de contact, le rôle actif des chevaux de la Sarl El Rancho dans la chute de Mme [J] n’est pas établi et qu’il ressort au contraire des éléments de l’enquête que les seuls chevaux ayant pu avoir un rôle actif sont ceux du groupe Earl L’Hippocampe dans lequel se trouvait Mme [J], ou encore ceux du ranch du Phare lesquels étaient à l’origine de l’embardée. Le départ soudain au galop des chevaux du groupe de clients de l’Ecurie des Dunes, et plus précisément celui monté par Mme [J] ayant directement causé la chute de cette dernière, mais aussi le départ au galop des chevaux du ranch du Phare, ayant provoqué l’embardée, le lien de causalité entre les fautes reprochées à l’encontre de la Sarl El Rancho et le préjudice de Mme [J] est ténu, voire inexistant.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 13 juillet 2021, l’Earl L’Hippocampe et la société Pacifica demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf sur le rejet de la demande d’indemnité pour frais irrépétibles et de condamner les consorts [J] à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 2000 euros pour les frais irrépétibles d’appel et, à titre subsidiaire, en cas d’infirmation, de condamner in solidum la Sarl El Rancho et son assureur Groupama Méditerranée à les relever et garantir de l’ensemble des condamnations susceptibles d’être prononcées à leur encontre.
Ces intimées soutiennent que l’Earl L’Hippocampe n’a pas commis de faute, étant relevé qu’aucune pièce de la procédure ne permet d’établir que le lieu de l’accident ait présenté un risque particulier, la balade à cheval se déroulant sur la plage, et le seul fait que plusieurs groupes se suivent ne permettant pas de caractériser une faute. Elles précisent que Mme [J] a bien reçu une information relative aux règles de sécurité et aux éventuels risques, et que les participants ont été équipés dès le départ de bombe de protection. En outre, ils rappellent que le parcours emprunté était adapté au niveau débutant de Mme [J] et que le groupe était encadré par deux moniteurs qualifiés et expérimentés.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 6 juillet 2021, la Sarl Abrivado Rando demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, à titre subsidiaire, en cas d’infirmation du jugement,
– condamner son propre assureur Axa France Iard à la relever et garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées à son égard ;
– juger le Ranch du Phare responsable à hauteur de 50 % et le condamner au paiement de 50 % du montant total des condamnations ;
– ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées au titre de l’indemnisation
En tout état de cause,
– condamner les consorts [J] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner aux entiers dépens.
Cette intimée conteste avoir commis une faute d’imprudence en lien avec l’emballement des chevaux, n’étant nullement démontré que ses deux groupes n’auraient pas respecté les distances de sécurité entre les différents groupes dans le cadre de la promenade. Elle précise que le comportement du cheval de Mme [J] est l’unique cause du dommage, seul un manquement contractuel de l’Ecurie des Dunes quant à son obligation de sécurité pouvant engager sa responsabilité. Aussi, aucun autre cheval, d’aucun autre ranch, en ce compris les siens, n’a provoqué directement le dommage.
La sarl Abrivado Rando estime par ailleurs que Mme [J] est pareillement mal fondée à invoquer sa responsabilité du fait des animaux, puisqu’elle n’a pas conservé la garde des chevaux, laquelle implique la réunion de pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage. Elle explique qu’en l’occurrence seul le cavalier disposait de ces pouvoirs.
Subsidiairement, en cas d’infirmation du jugement déféré, elle souligne être régulièrement assurée auprès d’Axa France Iard, cette dernière étant tenue à garantie. En outre, elle expose qu’une condamnation solidaire pure et simple ne peut être prononcée sur la base de la théorie de l’équivalence des conditions, dans la mesure où il ressort de la procédure qu’est identifié le ranch à l’origine de l’embardée de l’ensemble des chevaux des autres ranchs, à savoir le Ranch Le Phare.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 7 juillet 2021, la société Axa France Iard demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, en cas d’infirmation, de réduire à de plus justes proportions les sommes demandées au titre de l’indemnisation du préjudice, ne mettant à sa charge qu’une partie proportionnelle au taux de responsabilité retenu.
L’assureur de la sarl Abrivado Rando expose que les consorts [J] ne prouvent pas pas la faute de son assurée pas plus qu’ils ne démontrent que les chevaux de cette société seraient à l’origine du dommage de Mme [J]. Il ne serait pas selon elle établi que la société Abrivado Rando aurait manqué à une obligation de vigilance ou de prudence, étant relevé que l’élément déclencheur et les circonstances de la survenance du dommage sont le départ au galop des chevaux du groupe du Ranch Le Phare. Elle rappelle que cet emballement constituerait pour la société Abrivado Rando un cas de force majeure en ce qu’il est imprévisible, irrésistible et extérieur. Elle ajoute quant à la responsabilité du fait des animaux que son assurée n’avait plus ni le contrôle, ni l’usage, ni la direction des chevaux présents, ces pouvoirs ayant été transférés aux différents cavaliers.
Bien que régulièrement intimées par signification de la déclaration d’appel et des conclusions, la Cpam de l’Artois, la société Apreva Mutuelle, la société Le Ranch du Phare et la société Mas de l’Espiguette, n’ont pas constitué avocat.
Par ordonnance du 28 février 2022, la procédure a été clôturée le 3 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 17 mai 2022.
MOTIFS :
Il sera statué par arrêt de défaut, la SA Apreva Mutuelle n’ayant pas été assignée à sa personne.
Les circonstances de la chute de [S] [J] sont les suivantes:
Le 27 juillet 2016 aux environs de 18 heures 30 [S] [J] a participé à une promenade à cheval organisée par le ranch de l’écurie des dunes sur la plage de l’Espiguette. Le groupe de treize chevaux montés par leurs cavaliers était encadré par deux préposés du ranch l’Ecurie des dunes lesquels savaient que [S] [J] était une cavalière débutante.
D’autres organisateurs de promenades à cheval exerçant leur activité sur la plage de l’Espiguette ont fait emprunter le même itinéraire par leurs propres groupes de clients. Ainsi, sur le même itinéraire se promenaient en première position le groupe du ranch de l’Ecurie des Dunes, suivi par le premier groupe du ranch Abrivado Rando ( 16 participants), puis par les deux groupes du ranch Mas de l’Espiguette (17 et 18 participants), puis par le groupe du ranch El Rancho ( 23 participants), puis par le groupe du Ranch du Phare ( 23 participants) et enfin par le deuxième groupe du ranch Abrivado Rando (16 participants).
[C], les chevaux du groupe du Ranch du Phare ont été pris de panique et se sont emballés puis ont percuté le groupe du ranch El Rancho qui les précédait et dont les chevaux sont partis aussi au grand galop. Les chevaux du groupe du Mas de l’espiguette puis ceux du ranch Abrivado Rando ont à leur tour été percutés par les chevaux affolés des groupes qui les suivaient: leurs propres chevaux ont pareillement été pris de panique et sont partis à vive allure.
Durant ce mouvement de panique, de nombreux cavaliers sont tombés et leurs montures ont continué leur course effrénée en liberté.
Alors que [S] [J] occupait la dernière position du groupe du ranch de l’Ecurie des dunes, lequel était parti le premier, des chevaux sellés mais non montés par leurs cavaliers ont fait irruption au grand galop derrière sa monture laquelle, prise de panique, est partie au grand galop, provoquant la chute de sa cavalière qui a été piétinée.
Selon [S] [P], une cliente appartenant au groupe du ranch de l’Ecurie des Dunes, environ une cinquantaine de chevaux apeurés ont surgi à l’arrière de leur groupe et provoqué la panique parmi leurs chevaux.
Sur la responsabilité contractuelle de l’Earl Hippocampe exerçant sous le nom commercial « Ranch de l’écurie des dunes »:
Le tribunal a considéré qu’aucune pièce de la procédure ne permettait d’établir que la plage où avait eu lieu la promenade à cheval présentait un risque particulier et que le cheval monté par [S] [J] présentait une défaillance ou n’était pas adapté à son niveau de débutante. Il a estimé aussi que la succession de plusieurs groupes sur le même itinéraire ne suffisait pas à caractériser une faute de l’earl Hippocampe. Les premiers juges ont retenu que cet entrepreneur de promenades équestres n’avait pas manqué à sson obligation de prudence et de diligence dès lors que le groupe composé de douze cavaliers était encadré par deux accompagnateurs dont l’un était titulaire du brevet d’état d’éducateur sportif du 1er degré, que tous les participants avaient été équipés d’une bombe de protection et que leur niveau de pratique leur avait été demandé avant de leur attribuer leur cheval.
Les appelants soutiennent que le ranch « Ecurie des dunes » a manqué à son obligation de sécurité et font valoir que [S] [J] montait pour la première fois à cheval, que le niveau de pratique de l’équitation des treize participants était si hétérogène qu’il nécessitait d’être encadré par deux accompagnateurs diplômés au lieu d’un seul et que le parcours présentait un réel danger car fréquenté par des groupes trop nombreux empruntant tous le même itinéraire. Ils font observer à la cour qu’à l’heure de l’accident, cent treize chevaux cheminaient sur le même parcours et que les accidents n’avaient rien d’exceptionnel, les pompiers étant appelés plusieurs fois par semaine par les différents ranchs. Les consorts [J] relèvent que leurs accompagnateurs en se bornant en présence du danger à leur conseiller de tirer sur les rênes n’ont pas fait preuve de la même prudence que l’accompagnatrice du groupe du ranch du Mas de l’Espiguette qui pour éviter tout risque de chute a fait descendre tous les cavaliers de leur monture dès que les autres chevaux sont arrivés.
A la différence des loueurs de chevaux dont la clientèle se compose de véritables cavaliers, l’entrepreneur de promenades équestres s’adresse à des clients qui peuvent tout ignorer de l’équitation et recherchent un divertissement sur un parcours imposé par les préposés qui les accompagnent. Tenu à une obligation de sécurité de moyens, sa responsabilité est engagée s’il n’a pas pris toutes les précautions qui s’imposaient à lui.
Comme les premiers juges l’ont relevé, avant la promenade à laquelle [S] [J] a participé, l’earl Hippocampe a pris la précaution de fournir à ses clients des casques de protection, du matériel en bon état et des chevaux adaptés à leur niveau de pratique de l’équitation. Il n’est d’ailleurs ni établi ni allégué que la monture attribuée à [S] [J] laquelle montait à cheval pour la première fois n’était pas adaptée à un cavalier débutant, ce cheval n’ayant montré aucun signe de nervosité particulière avant l’arrivée soudaine des chevaux emballés.
La présence durant toute la promenade de deux accompagnateurs, la première titulaire du brevet d’état d’éducateur sportif du premier degré, le second en contrat d’apprentissage et titulaire du galop 5 correspondant à un niveau de cavalier confirmé, assurait un encadrement suffisant du groupe de douze personnes. La chute de [S] [J] n’est d’ailleurs pas imputable à des carences de ses accompagnateurs mais à l’irruption soudaine à l’arrière du groupe de nombreux chevaux galopant à vive allure. Il n’est pas établi en effet que les accompagnateurs ont manqué à leur obligation de diligence en n’ordonnant pas aux cavaliers de leur groupe de mettre pied à terre à l’arrivée des autres chevaux, une telle préconisation n’étant pas de nature à mettre nécessairement les cavaliers hors de danger compte-tenu de l’arrivée imminente d’un troupeau de chevaux emballés qui fonçait droit vers eux. En effet, [L] [T], l’un des accompagnateurs, a décrit ainsi la scène: « Alors que nous nous trouvions au paint-ball….en se retournant on a vu plusieurs chevaux arriver vers nous, environ une quarantaine. Les chevaux nous sont rentrés dedans. Nous avons dit aux clients de tirer les rênes pour empêcher nos chevaux de partir mais ils sont partis à leur tour… »
Dans un tel contexte, il n’est pas démontré que la consigne de mettre pied à terre était moins dangereuse que celle de tirer sur les rênes pour retenir son cheval.
L’itinéraire suivi sur la plage de l’Espiguette, terrain par définition plat et sans obstacle naturel, ne présentait par ailleurs aucune difficulté pouvant mettre chevaux et cavaliers en danger.
Selon les appelants, la présence simultanée d’une centaine de chevaux empruntant dans le même créneau horaire le même itinéraire le long de la plage de l’Espiguette est un risque que l’earl Hippocampe ne pouvait ignorer, plusieurs accidents ayant lieu chaque semaine. Ils se fondent sur les attestations de deux témoins. Selon [O] [M], gérant du ranch du phare, un tel mouvement de panique désigné sous le terme « embardée » se produit une fois par an et [F] [Z], salarié de cette entreprise, a indiqué: « cette année nous avons dû appeler cinq fois les pompiers. Les pompiers doivent être appelés trois ou quatre fois par semaine pour les ranchs ».
Il n’est cependant pas établi de manière certaine qu’un mouvement de panique de l’ampleur de celui du 27 juillet 2016 n’a pas eu un caractère exceptionnel et que la présence de plusieurs entreprises de promenades équestres empruntant simultanément le même parcours sur la plage de l’Espiguette tel que préalablement défini par la mairie du [Localité 19] fait en elle-même courir un danger spécifique aux clients.
En effet, alors même que ce type d’évènement ne manque pas de créer de nombreux dommages, la périodicité annuelle des embardées attestée par [O] [M] n’a été corroborée par aucun autre témoignage et ne ressort d’aucun élément de l’enquête. Quant aux trois à quatre chutes par semaine suivies de l’intervention des pompiers telles qu’évoquées par [F] [Z], elles ne caractérisent aucun danger autre que celui lié à la pratique de l’équitation compte-tenu du nombre de promenades organisées en pleine saison par les multiples ranchs implantés sur ce site.
Le jugement qui n’a retenu aucun manquement de l’Earl Hippocampe à son obligation de moyens sera donc confirmé.
Sur la responsabilité délictuelle de la sarl Abrivado Rando, de la sarl El Rancho, de la sarl Le ranch du Phare et de la sarl Mas de l’Espiguette:
la responsabilité fondée sur l’ancien article 1382 du code civil devenu l’article 1240:
Les appelants estiment que le tribunal à tort a écarté la faute des ranchs dont les chevaux ont emprunté le même itinéraire que ceux du groupe auquel participait [S] [J]. Ils exposent que le dépassement du groupe du ranch du phare par les cavaliers du groupe du ranch El Rancho est à l’origine du mouvement de panique qui s’est emparé des chevaux du ranch du phare puis de ceux de tous les groupes qui le précédaient. Les accompagnateurs du groupe du ranch « El Rancho » ayant commis une imprudence en prenant l’initiative de ce dépassement, la responsabilité de ce ranch est selon eux engagée. N’étant pas parvenus à maîtriser les chevaux lesquels n’ont pas respecté la distance de sécurité les séparant du groupe de chevaux situé devant eux, les accompagnateurs du groupe du ranch Abrivado Rando et ceux du Mas de l’Espiguette ont selon les appelants commis une faute d’imprudence à l’origine de la chute de [S] [J]. Les appelants déduisent de cette succession de fautes que toutes les entreprises de promenade à cheval sont responsables du dommage produit par l’action commune de leurs chevaux respectifs.
L’enquête menée par les gendarmes après l’accident n’a cependant pas permis de mettre en évidence la cause exacte du mouvement de panique qui s’est emparé des chevaux du ranch du Phare, lesquels sont les premiers à être partis au galop.
[E] [V], accompagnatrice du groupe du ranch El Rancho, lequel suivait le groupe du ranch du Phare, à l’entrée de la plage, a déclaré qu’elle avait pris l’inititiative de doubler les chevaux du groupe du ranch du Phare qui le précédaient et avançaient moins vite. Elle exclut cependant que ce dépassement ait pu être à l’origine de l’affolement des chevaux appartenant au ranch du phare, le mouvement de panique étant survenu au moins vingt minutes après le dépassement.
Selon le gérant du ranch du phare, [O] [M], lequel accompagnait ses clients, les chevaux de son groupe se sont soudain emballés sans qu’il puisse expliquer les raisons de leur panique. [F] [Z], son préposé, a expliqué qu’au moment où leur groupe commençait à traverser la plage, un de leurs chevaux situés à l’arrière du groupe ayant eu peur d’un individu occupé à replanter sa tente s’est mis à accélérer et à doubler les chevaux qui le précédaient, lesquels sont alors partis au galop, entraînant dans leur fuite tous les autres chevaux du groupe.
La cause de l’embardée survenue le 27 juillet 2016 au cours de laquelle [S] [J] a été blessée demeure donc indéterminée.
Comme l’a souligné avec pertinence le tribunal, le seul départ inopiné d’un cheval au galop, même s’il est à l’origine d’un mouvement de panique qui s’est propagé à l’ensemble des groupes empruntant le même itinéraire dans le même créneau horaire, ne peut à lui seul caractériser une faute du ranch du phare, les réactions d’animaux doués d’intelligence et de sensibilité étant par nature imprévisibles.
Il ne peut davantage être reproché aux accompagnateurs des autres groupes de ne pas avoir réussi à maîtriser les chevaux emballés alors même que tous décrivent une situation devenue incontrôlable, le mouvement de panique s’étant propagé à très grande vitesse dans tous les groupes présents en amont de celui du ranch du phare et de nombreux chevaux se retrouvant en totale liberté à la suite de la chute de leurs cavaliers.
Faute de démontrer qu’une des entreprises de promenade à cheval présentes ce jour-là sur la plage de l’Espiguette a commis une faute ayant contribué à la chute de [S] [J], la responsabilité des intimées ne peut être engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Le jugement sera donc confirmé.
La responsabilité fondée sur l’ancien article 1385 du code civil devenu l’article 1243:
Aux termes de cet article, le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.
Les appelants font grief aux premiers juges d’avoir considéré que les entrepreneurs de promenades n’étaient plus les gardiens de leurs chevaux pour en avoir transféré le contrôle, l’usage et la direction à leurs clients. Ils estiment en effet que la mise à disposition occasionnelle d’un cheval à un cavalier néophyte n’opère pas transfert de sa garde, le cavalier débutant devant être encadré par un guide qualifié.
Les entrepreneurs de promenade, propriétaires des chevaux impliqués dans le mouvement de panique ayant affolé la monture de [S] [J], en sont présumés gardiens sauf à démontrer le transfert de leur garde aux cavaliers participant à la promenade.
La responsabilité édictée par l’ancien article 1385 du code civil est fondée sur l’obligation de garde, corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent.
Les clients des entreprises de promenade équestre intimées étaient inexpérimentés pour la plupart d’entre eux: s’ils avaient durant deux heures l’usage des chevaux mis à leur disposition, ils n’exerçaient pas cependant de manière effective et autonome au moment de l’accident les pouvoirs de contrôle et de direction de leur monture, participant simplement au divertissement d’une promenade à dos de cheval selon un itinéraire déterminé par l’organisateur et selon les directives données par les accompagnateurs.
Toutefois, si les entreprises de promenades équestres restent responsables des dommages causés par les chevaux dont elles sont propriétaires, encore faut-il que la victime démontre l’implication des chevaux leur appartenant dans la réalisation de son dommage.
Si l’arrivée d’un troupeau de chevaux lancé au grand galop a effrayé la monture de la victime et provoqué sa chute, aucun des chevaux faisant partie de ce troupeau n’a été précisément identifié. Ce troupeau comptait une cinquantaine de chevaux selon [S] [P], cavalière se trouvant à proximité de la victime au moment de l’accident.
Les appelants soutiennent donc à tort qu’à la suite de l’emballement d’une centaine de chevaux dont chaque ranch était responsable en qualité de propriétaire, tous les intimés sont responsables du fait de leurs chevaux et doivent être solidairement condamnés à réparer leur dommage.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il n’a pas retenu la responsabilité de la sarl Abrivado Rando, de la sarl El Rancho, de la sarl Le ranch du Phare et de la sarl Mas de l’Espiguette.
Sur l’article 700 du code de procédure civile:
Il n’est pas inéquitable de laisser aux intimés la charge de la sarl El Rancho, la compagnie Groupama Méditerranée, l’earl Hippocampe, la compagnie Pacifica, la sarl Abrivado Rando et la compagnie Axa la charge de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement , par défaut, en matière civile et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la sarl El Rancho, la compagnie Groupama Méditerranée, l’earl Hippocampe, la compagnie Pacifica, la sarl Abrivado Rando et la compagnie Axa de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne les consorts [J] aux dépens.
Arrêt signé par Mme FOURNIER, Présidente de chambre et par Mme RODRIGUES, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,