ARRET N° .
N° RG 22/00149 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIJX6
AFFAIRE :
S.A. GENERALI IARD
C/
E.A.R.L. [Adresse 2] [D] société au capital de 10.000 €, inscrite au RCS GUERET 794 791 236, S.A.R.L. LES ECURIES DE POMMEIL
GV/MS
Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution
Grosse délivrée à Me Guillaume VIENNOIS, Me Juliette MAGNE-GANDOIS, avocats,
COUR D’APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRET DU 23 MARS 2023
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Le VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
S.A. GENERALI IARD, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Laëtitia MINICI de la SELARL THILL-LANGEARD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de CAEN, Me Juliette MAGNE-GANDOIS, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTE d’une décision rendue le 15 DECEMBRE 2021 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE GUERET
ET :
E.A.R.L. [Adresse 2] [D] société au capital de 10.000 €, inscrite au RCS GUERET 794 791 236, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Xavier TOURAILLE, avocat au barreau de CREUSE
S.A.R.L. LES ECURIES DE POMMEIL, demeurant Lieudit [Adresse 4]
représentée par Me Guillaume VIENNOIS, avocat au barreau de CREUSE
INTIMEES
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 06 Février 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 23 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat du 29 janvier 2018, l’EARL [Adresse 2] [D] a confié sa pouliche [X] [D] à la SARL LES ECURIES DE POMMEIL pour son débourrage, le contrat incluant la pension.
Le 17 février 2018, M. [B], travaillant pour le compte de l’EARL [Adresse 2] [D], est entré dans le box de la pouliche pour la panser. Enfermée depuis deux jours, elle a alors voulu en sortir précipitamment et a heurté sa tête contre le montant droit en béton du box, se blessant au niveau de l’oeil gauche, ce qui lui a laissé des séquelles.
L’EARL [Adresse 2] [D] a déclaré le sinistre à son assureur responsabilité civile la société GENERALI IARD.
Les assureurs respectifs des parties se sont rapprochés aux fins d’expertise amiable le 20 mars 2018.
La société GENERALI IARD s’est par la suite opposée à la prise en charge du sinistre, considérant que la SARL LES ECURIES DE POMMEIL n’avait commis aucune faute dans l’exécution du contrat de débourrage.
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Par exploit d’huissier délivré le 15 septembre 2020, l’EARL [Adresse 2] [D] a fait assigner la SARL LES ECURIES DE POMMEIL devant le tribunal de commerce de Guéret pour la voir condamner à lui payer la somme de 14’500 € au titre de la perte de valeur de l’animal, outre les frais vétérinaires exposés à hauteur de 1 497,30 €.
Par acte d’huissier du 23 mars 2021, la SARL LES ECURIES DE POMMEIL a attrait à la cause la société GENERALI IARD pour qu’elle la garantisse de toute condamnation prononcée contre elle.
Par jugement du 15 décembre 2021, le tribunal de commerce de Guéret a :
– consacré la faute de la SARL LES ECURIES DE POMMEIL au regard du contrat de dépôt visant la pouliche dénommée [X] [D] ;
– mis en jeu sa responsabilité civile et est entré en voie de condamnation contre elle ;
– condamné la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer et porter à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 14 500 € au titre de l’indemnisation d’invalidité de la pouliche ;
– condamné la même à lui payer et porter la somme de 1 497,30 € au titre des frais de soins ;
– condamné la même à lui payer la somme de 1 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
– condamné la société GENERALI IARD à garantir la SARL LES ECURIES DE POMMEIL des condamnation prises contre elle, moins la franchise contractuelle de 500 € ;
– condamné la société GENERALI IARD à payer et porter à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 1 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
La société GENERALI IARD a interjeté appel de ce jugement le 21 février 2022.
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Aux termes de ses écritures du 28 octobre 2022, la société GENERALI IARD demande à la cour de :
– réformer le jugement dont appel ;
Statuant à nouveau,
– juger que le sinistre est survenu durant une phase de travail, soit dans le cadre d’un contrat d’entreprise ;
– juger que la SARL ECURIES DE POMMEIL n’a commis aucune faute, ni aucun manquement dans le cadre de l’exécution du contrat ;
En conséquence,
– débouter l’EARL [Adresse 2] [D] de l’ensemble des demandes formulées à l’encontre de la SARL ECURIES DE POMMEIL et de la société GENERALI IARD ;
– juger, ce faisant, l’appel en garantie de la société GENERALI IARD sans objet ;
– ordonner sa mise hors de cause ;
– débouter les parties de toute demande présentée à son encontre ;
– condamner l’EARL [Adresse 2] [D] à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance ainsi qu’aux entiers dépens ;
– la condamner à lui verser la somme de 2 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
– juger que les sommes à revenir à l’EARL [Adresse 2] [D] au titre de l’indemnisation de ses préjudices ne sauraient excéder :
* 4 500 € au titre de la perte de valeur vénale de la jument,
* 1 497,30 € au titre des frais vétérinaires exposés ;
En tout état de cause, vu les garanties de l’assurance de responsabilité civile souscrite par la SARL LES ECURIES DE POMMEIL auprès d’elle (police n° AM 349435 A-4280),
– juger qu’elle ne saurait être tenue à garantie au-delà des limites contractuellement fixées ;
– juger en conséquence qu’il y aura lieu de faire application de la franchise de 500 € contractuellement convenue ;
Complétant le jugement entrepris,
– juger qu’il y aura lieu de faire application du plafond de garantie contractuellement convenu ;
– statuer ce que de droit quant aux dépens.
La société GENERALI IARD soutient que le sinistre n’est pas survenu dans le cadre de l’exécution du contrat de dépôt, mais lors de l’exécution du contrat d’entreprise, la jument s’étant blessée durant le pansage qui précédait une séance de travail.
Dès lors, la responsabilité de la SARL LES ECURIES DU POMMEIL ne peut pas être engagée, l’entraîneur n’ayant commis aucune faute.
A titre subsidiaire, les demandes indemnitaires formulées par l’EARL [Adresse 2] [D] sont disproportionnées, la promesse d’achat à hauteur de 18 000 € ne pouvant pas servir de fondement à la détermination de la valeur vénale de la jument dont il n’est pas établi qu’elle ait subi la dépréciation énoncée.
En tout état de cause, sa garantie est limitée à un plafond de 10 000 € avec une franchise de 500 €.
Aux termes de ses écritures du 3 août 2022, l’EARL [Adresse 2] [D] demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
– condamner en outre la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à lui payer et porter une indemnité de 1 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de la procédure d’appel.
Elle soutient que le sinistre est survenu lors de l’exécution du contrat de pension et donc de dépôt. La société LES ECURIES DE POMMEIL ne peut donc s’exonérer que par la démonstration d’une cause étrangère, ce dont elle ne justifie pas.
La jument devait être vendue au prix de 18 000 €. A cause de l’accident et de ses séquelles, elle n’a été vendue que 3 500 €, si bien que le préjudice de l’EARL [Adresse 2] [D] s’élève à 14 500 € outre les frais vétérinaires à hauteur de 1 497,30 € HT.
Aux termes de ses écritures du 9 juin 2022, la SARL LES ECURIES DE POMMEIL demande à la cour de :
– réformer le jugement dont appel ;
– déclarer irrecevable et mal fondée l’EARL [Adresse 2] [D] de l’ensemble des demandes formulées à son encontre ;
– l’en débouter purement et simplement ;
A titre subsidiaire, si la cour devait la condamner,
– condamner la société GENERALI IARD à la garantir des condamnations prises contre elle ;
– condamner l’EARL [Adresse 2] [D] à lui verser la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
La SARL LES ECURIES DE POMMEIL fait siens les arguments développés par la société GENERALI IARD. Elle conteste avoir commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle.
A titre subsidiaire, elle soutient que la société GENERALI IARD doit être condamnée à la garantir des éventuelles condamnations prononcées contre elle.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
SUR CE,
I Sur la responsabilité de la SARL LES ECURIES DE POMMEIL
Le contrat du 29 janvier 2018 prévoit qu’il a pour but : ‘le débourrage d’un cheval en vue de son utilisation sous la selle. Le débourrage ne consiste pas en un dressage complet. Le cheval doit accepter le harnachement complet nécessaire à son utilisation, accepter le cavalier et pouvoir se mouvoir aux 3 allures sur des aides légères.
Ce contrat inclut un contrat de pension’.
Selon la déclaration commune en date du 20 mars 2018, ‘Les circonstances de survenu du sinistre sont les suivantes. La jument se trouvait au box depuis 48 heures, monsieur [B] n’ayant pu s’en occuper à cause d’une panne de tracteur. La jument n’avait donc pas été manipulée durant cette période. Le samedi 17, monsieur [B] est rentré dans le box de la jument afin de la brosser. Cette dernière très excitée a voulu sortir lorsque la porte du box s’est ouverte. Monsieur [B] a réalisé un geste brusque de la main pour s’interposer ce qui a provoqué un mouvement de retrait de la part de la jument. La tête est venue heurter violemment le montant droit en béton du box’. S’en ait suivi la blessure à l »il gauche.
M. [B] étant rentré dans le box de la jument pour la brosser, donc prodiguer un soin à l’animal, il convient de considérer que l’accident est survenu dans le cadre du contrat de pension ou dépôt et non dans le cadre du contrat de débourrage ou d’entreprise.
L’article 1927 du code civil dispose que ‘Le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent’.
L’obligation du dépositaire consiste notamment à assurer la conservation de la chose déposée afin qu’elle ne subisse aucune dégradation ou perte. Un animal déposé doit donc être maintenu en bonne santé.
Et l’article 1928 du même code : ‘La disposition de l’article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur :
2° s’il [le dépositaire] a stipulé un salaire pour la garde du dépôt’.
Le dépositaire salarié est donc tenu à une obligation de moyen renforcée, notamment s’agissant d’un professionnel, tel que la SARL LES ECURIES DE POMMEIL.
Or, en l’espèce, la jument se trouvait enfermée au box depuis 48 heures lors de la survenance du sinistre. Le fait qu’il soit indiqué dans la déclaration commune que M. [B] n’avait pas pu s’en occuper à cause d’une panne de tracteur pendant ce laps de temps démontre que cette durée est anormalement longue pour laisser au box une pouliche non encore débourrée (cf aussi attestation de M. [T] [K]), même s’il n’est pas contesté qu’elle a été nourrie et pansée durant ces 48 heures.
Ainsi, la pouliche étant très excitée pour sortir de son box, M. [B] a dû faire un geste brusque de la main pour l’en empêcher.
L’ensemble de ces faits :
– pouliche au box pendant deux jours
– geste brusque du soigneur pour l’empêcher d’en sortir
indiquent que l’accident est imputable à la SARL LES ECURIES DE POMMEIL.
En conséquence, il convient de considérer que la SARL LES ECURIES DE POMMEIL a manqué à son obligation de conservation de l’animal en bonne santé. Elle est donc responsable du dommage causé à l’EARL [Adresse 2] [D], propriétaire de la pouliche.
Elle lui doit donc réparation.
II Sur la réparation du préjudice
1) Sur le montant du préjudice
Le pedigree de la jument [X] [D], née le 16 juillet 2015, indique qu’il s’agit d’un cheval de selle français avec sa généalogie.
L’examen du cabinet vétérinaire du 13 mars 2018 a conclu à des séquelles graves consistant en un traumatisme oculaire au niveau de l’oeil gauche encore évolutif (fibrose cornéenne, synéchies, cataracte, cicatrices choriorétiniennes) avec un pronostic réservé à défavorable.
Le procès-verbal contradictoire de constatations du 20 mars 2018 fait état d’une valeur de la jument de 8 000 € HT au jour du sinistre.
Mais, la déclaration commune contradictoire du 20 mars 2018 dans sa partie signée uniquement par le Docteur [H], pour l’assureur Groupama de l’EARL [Adresse 2] [D], fait état d’une valeur de 18’000 € TTC. L’EARL [Adresse 2] [D] produit également une attestation de M. [Z] [P] selon laquelle il a voulu acquérir en septembre 2017 la jument [X] [D] au prix de 18’000 €, sous réserve de l’absence de blessures. Averti de son accident, il a préféré ne pas l’acquérir même à un prix minoré.
Néanmoins, dans son expertise du 26 septembre 2018, le cabinet [M] Expertises et Conseil mandaté par la société GENERALI IARD pour la SARL LES ECURIES DE POMMEIL, a estimé la valeur de la pouliche à 8 000 € HT au jour du sinistre. Mme [V], propriétaire de la jument, de l’EARL [Adresse 2] [D] n’a pas adressé à cet expert des factures ou des pièces comptables pour justifier de la valeur de [X] [D], comme elle s’y était engagée. Dans un mail du 10 octobre 2018, l’expert d’assurance GENERALI IARD, Mme [M], a pris bonne note que Mme [V] acceptait finalement de valoriser sa jument à 8 000 € HT.
Il convient en conséquence de retenir le montant de cette somme.
La pouliche a été rachetée par M. [W] [A] pour le prix de 3’500 €. La perte de valeur est donc de 4 500 €.
Le montant des frais vétérinaires engagés pour soigner la blessure de la pouliche n’est pas contesté à hauteur de 1 497,30 €.
Il convient en conséquence de condamner la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 5’997,30 €.
2) Sur la garantie de la société GENERALI IARD
Les conditions générales d’assurance (page 15) de la société GENERALI IARD mentionnent un plafond de garantie à hauteur de 10 000 € pour les dommages aux animaux confiés ainsi qu’une franchise de 500 €.
La société GENERALI IARD doit donc être condamnée à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 5’497,30 €.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La SARL LES ECURIES DE POMMEIL succombant principalement à l’instance, elle doit être condamnée aux dépens d’appel.
Il est équitable en outre de condamner la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 1 200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
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La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Guéret le 15 décembre 2021, sauf en ce qu’il a condamné la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 14’500 € au titre de l’indemnisation de l’invalidité de la pouliche [X] [D] ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 4 500 € à ce titre ;
Le précisant en ce que le tribunal a condamné la société GENERALI IARD à garantir la SARL LES ECURIES DE POMMEIL des condamnations prises contre elle, moins la franchise contractuelle de 500 € : CONDAMNE la société GENERALI IARD à payer à la SARL LES ECURIES DE POMMEIL la somme de 5’497,30 €, franchise déduite ;
CONDAMNE la SARL LES ECURIES DE POMMEIL à payer à l’EARL [Adresse 2] [D] la somme de 1 200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL LES ECURIES DE POMMEIL aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
[E] [S]. [O] [C].