ARRET
N°494
[O]
C/
S.A.S.U. [7]
CPAM DE L’OISE
COUR D’APPEL D’AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 16 MAI 2023
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N° RG 21/02820
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS (Pôle Social) EN DATE DU 29 avril 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [I] [Z], ayant-droit de M. [N] [Z] décédé le 25 décembre 2015
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 80, postulant et plaidant par Me Roxana BUNGARTZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2360
ET :
INTIMES
La société [7] (SASU), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représentée par Me Alexis DAVID substituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D’AMIENS, postulant et plaidant par Me Florence PELANDA de la SELAS CABINET ABORDJEL & PELANDA, avocat au barreau DE PARIS
La CPAM DE L’OISE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Affaires Juridiques
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée et plaidant par Mme [E] [F] dûment mandatée
DEBATS :
A l’audience publique du 23 Janvier 2023 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023.
Le délibéré de la décision initialement prévu au 13 Avril 2023 a été prorogé au 16 Mai 2023.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Myriam EL JAGHNOUNI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Chantal MANTION en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 16 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Vu le jugement en date du 29 avril 2021 du tribunal judiciaire (Pôle social) de Beauvais, rendu au contradictoire de la CPAM de l’Oise, partie intervenante, qui a :
– débouté Mme [I] [Z] de sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] dans l’accident du travail dont a été victime M. [N] [Z] le 9 décembre 2013 ;
– débouté Mme [I] [Z] de ses demandes subséquentes ;
– débouté Mme [I] [Z] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– condamné Mme [I] [Z] à payer à la société [7] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Mme [I] [Z] aux dépens de l’instance nés postérieurement au 31 décembre 2018 ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Vu la notification du jugement par lettre recommandée avec accusé de réception parvenue le 3 mai 2021 à Mme [I] [Z] ;
Vu l’appel formé par Mme [I] [Z] adressé le 28 mai 2021 au greffe de la cour ;
Vu la convocation des parties et leur comparution à l’audience du 14 juin 2022 lors de laquelle l’affaire a été renvoyée au 23 janvier 2023 ;
Par conclusions préalablement communiquées et développées oralement à l’audience, Mme [I] [Z] demande à la cour de:
– déclarer irrecevables les appels incidents de la société [7] ainsi que de la CPAM de l’Oise,
– confirmer le jugement rendu par le Pôle social du tribunal de grande instance de Beauvais le 29 avril 2021 en ce qu’il a jugé que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de Mme [Z] est recevable,
– infirmer le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire le 29 avril 2021 en ce qu’il a débouté Mme [I] [Z] ayant droit de feu [N] [Z] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] et l’a condamnée à payer la somme de 1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
– déclarer à titre principal que l’accident subi par [N] [Z] en date du 9 décembre 2013 résulte d’une faute inexcusable présumée de son employeur,
– déclarer à titre subsidiaire que l’accident subi par [N] [Z] en date du 9 décembre 2013 résulte d’une faute inexcusable de son employeur prouvée par l’appelante,
En conséquence
– ordonner la majoration du capital attribué à Mme [I] [Z] dans les proportions maximales prévues par l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale,
– déclarer que la CPAM de l’Oise sera tenue de verser cette rente majorée à Mme [I] [Z],
– ordonner une expertise et commettre pour y procéder tel expert qu’il plaira à la cour de désigner avec mission précisée aux dispositif des conclusions,
– déclarer que l’expert devra déposer un pré-rapport dans un délai d’un mois pour permettre aux parties de lui faire part de leurs éventuelles observations avant de déposer son rapport définitif dans les trois mois de sa désignation,
– déclarer que les frais d’expertise seront avancés par la CPAM de l’Oise qui en récupérera le montant auprès de la société [7],
– accorder à Mme [I] [Z] une indemnité provisionnelle de 50.000 euros à valoir sur la liquidation des chefs de préjudice,
– condamner la société [7] à payer à Mme [I] [Z] la somme de 7000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [7] aux entiers dépens,
– déclarer l’arrêt à intervenir opposable à la CPAM de l’Oise.
Par conclusions préalablement communiquées et développées oralement à l’audience, la société [7] demande à la cour de :
A titre principal
– juger la société [7] recevable et bien fondée en son appel incident,
– infirmer le jugement de réouverture des débats du 26 novembre 2020 prononcé par le Pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu’il a déclaré recevable l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de l’accident du 9 décembre 2013 dont [N] [Z] a été victime,
Statuant à nouveau,
– juger et déclarer irrecevable Mme [I] [Z] en sa demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de l’accident du 9 décembre 2013 dont [N] [Z] a été victime,
A titre subsidiaire
– juger que la société [7] n’a commis aucune faute inexcusable,
En conséquence,
– confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais du 29 avril 2021 en ce qu’il a débouté Mme [I] [Z] de sa demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de l’accident du 9 décembre 2013 dont [N] [Z] a été victime,
– confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu’il a débouté Mme [I] [Z] de ses demandes subséquentes,
– confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu’il a condamné Mme [I] [Z] à verser à la société [7] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais en ce qu’il a condamné Mme [I] [Z] aux entiers dépens de l’instance nés postérieurement au 31 décembre 2018,
A titre subsidiaire
– limiter la mission de l’expert aux préjudices indemnisables prévus par l’article L.453-3 du code de la sécurité sociale et ceux non indemnisés par le livre IV du code de la sécurité sociale et aux préjudices strictement consécutifs à l’accident du travail survenu le 9 décembre 2013,
– débouter Mme [I] [Z] de sa demande de condamnation de la société [7] à lui payer le somme de 50.000 euros à titre de provision à valoir sur la liquidation des chefs de préjudices,
En toutes hypothèses,
– débouter Mme [I] [Z] de toutes demandes plus amples ou contraires,
– condamner Mme [I] [Z] à payer à la société [7]
la somme de 2500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d’appel engagés,
– condamner Mme [I] [Z] aux entiers dépens de l’appel au profit de Maître Jérôme Le Roy, avocat au barreau d’Amiens, conformément aux dispositions de l’article L699 du code de procédure civile.
Par conclusions préalablement communiquées et développées oralement à l’audience, la CPAM de l’Oise demande à la cour de :
– constater que le décès de [N] [Z] survenu le 25 décembre 2015 est sans lien avec l’accident de travail dont il a été victime le 9 décembre 2013,
In limine litis
– dire irrecevable Mme [I] [Z] en sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur es qualité d’ayant droit de [N] [Z],
Sur le fond, en cas de recevabilité de l’action
– donner acte à l’organisme social de ce qu’il s’en rapporte à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable,
– donner acte à l’organisme social de ce qu’il s’en rapporte sur le principe de la majoration de la rente,
– donner acte à l’organisme social de ce qu’il s’en rapporte sur la mission d’expertise,
– limiter la mission d’expertise aux préjudices limitativement énumérés à l’article L452-3 du code de la sécurité sociale et le cas échéant à ceux non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale pour lesquels l’assurée sociale justifierait la nécessité d’obtenir l’avis de l’expert et strictement consécutifs à l’accident de travail du 9 décembre 2013,
Principalement
– débouter Mme [I] [Z] de sa demande de provision,
Subsidiairement
– fixer à de plus justes proportions la provision sollicitée par Mme [I] [Z],
– dire que la caisse pourra récupérer auprès de l’employeur, la société [7], le montant des indemnités susceptibles d’être versées à Mme [I] [Z] et du capital représentatif de la majoration de l’indemnité en capital de [N] [Z] évalué sur la base d’un taux d’incapacité de 7% et les frais d’expertise médicale le cas échéant,
– donner acte à l’organisme social de ce qu’il s’en rapporte à justice sur l’article 700 du code de procédure civile.
Conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs:
L’article L.452- 1du code de la sécurité sociale dispose que: ‘ lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.’
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, en ce qui concerne les accidents du travail.
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.
[N] [Z] employé à l’usine de Chantereine par la société [7], spécialisée dans le façonnage et la transformation de verre plat destiné au marché de l’automobile, du 3 septembre 1991 au 25 décembre 2015, a été victime d’un accident de travail déclaré par l’employeur le jour même soit le 9 décembre 2013 en ces termes: ‘ Lors d’une opération de mise en place du pupitre A51 Cielo, M. [Z] a procédé au débrêlage. Lorsqu’il a retiré la sangle, l’intégralité des verres (30) a basculé sur lui. M. [Z] a chuté en arrière et a pris du verre sur lui’.
La CPAM de l’Oise a reconnu d’emblée le caractère professionnel de l’accident de travail qui a occasionné chez [N] [Z] une fracture du fémur droit ayant nécessité une ostéosynthèse.
[N] [Z] a été pris en charge en accident du travail du 9 décembre 2013 au 1er décembre 2014, puis à mi temps thérapeutique du 2 décembre 2014 au 26 juillet 2015, ayant été placé par la suite en arrêt maladie jusqu’à son décès sans lien avec l’accident du travail.
Le 25 juillet 2017, [N] [Z] a été déclaré consolidé au 1er septembre 2015 avec un taux d’incapacité de 7%.
Mme [I] [Z] a bénéficié du versement d’un capital par la CPAM de l’Oise au titre de taux d’incapacité permanente partielle attribué à son conjoint conformément à l’article L.434-8 du code de la sécurité sociale, initialement de 5%, porté à 7% par jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité d’Amiens en date du 12 novembre 2018, puis à 10% par arrêt de la CNITAAT en date du 11 octobre 2022, ces décisions étant produites aux débats.
Mme [I] [Z] a saisi la CPAM de l’Oise en vue d’une conciliation qui a été refusée par l’employeur de telle sorte qu’elle a saisi, par requête du 5 avril 2018, la juridiction de sécurité sociale compétente, le tribunal judiciaire de Beauvais ayant, par jugement 26 novembre 2020, déclaré irrecevable la demande de Mme [I] [Z] tendant à la réparation de son préjudice personnel motif pris de ce qu’il est établi que le décès ne résulte pas de l’accident de travail dont [N] [Z] a été victime le 13 décembre 2013.
Dans le cadre du présent appel, la cour n’est saisie que du jugement du tribunal judiciaire de Beauvais en date du 29 avril 2021, qui a déclaré l’action de Mme [I] [Z] en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur recevable s’agissant de l’indemnisation des préjudices subis par [N] [Z], la société [7] et la CPAM de l’Oise n’étant dès lors pas recevables à remettre en cause dans le cadre du présent appel, la recevabilité de l’action de Mme [I] [Z] agissant en qualité d’ayant droit de [N] [Z] qui a été tranchée par le jugement du 26 novembre 2020.
Au fond, Mme [I] [Z] fait valoir que lorsque le risque d’accident a été signalé à l’employeur par le salarié ou un représentant du personnel, la faute inexcusable de l’employeur est présumée.
Elle se fonde sur les dispositions de l’article L.4131-4 du code du travail qui dispose : ‘ Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé’.
La société [7] réplique que pour bénéficier de la présomption de faute inexcusable édictée à l’article L.4131-4 du code du travail, encore faut il que le salarié établisse l’existence d’un signalement du risque auprès de son employeur, soit qu’il l’ait signalé personnellement, soit qu’il l’ait fait par l’intermédiaire d’un représentant du personnel.
Mme [I] [Z] verse aux débats plusieurs attestations.
Ainsi, M. [C] [W] atteste le 23 juin 2016 que ‘ M. [Z] [N] a dénoncé à plusieurs reprises, lors des réunions des déléguées du personnel en présence de la direction, que tôt ou tard il y aurait un accident grave ou mortel sur son poste de travail. La direction n’a jamais tenu compte de ses remarques. Il a fallu que M. [Z] ait ce grave accident pour qu’il s’en rende compte’.
M. [V] [B] atteste le 23 juin 2016 que ‘ [N] [Z] a déclaré à plusieurs reprises qu’au poste de conducteur entrée assemblage, il y aurait tôt ou tard un accident grave voire mortel. Il a été secrétaire du CHSCT et délégué du personnel. Ces déclarations ont été faites en présence des représentants des ressources humaines qui présidaient les réunions des délégués du personnel auxquelles j’étais présent en 2006 de mémoire. C’est à ce même poste qu’il a été victime de son accident du travail’.
La société [7] conteste ce témoignage au motif que les propos prêtés à [N] [Z] auraient été tenus près de 7 ans avant les faits, alors qu’il n’occupait pas le poste de conducteur d’entrée assemblage.
Or, si le témoin a pu se tromper sur la date exacte des propos tenus par [N] [Z], il relate précisément que c’est bien dans le cadre des fonctions qu’il occupait au moment de l’accident que [N] [Z] avait alerté sur les risques qu’il encourait, la société [7] précisant que la nuit de l’accident, la victime avait pour mission de déplacer des volumes de verre d’un poids total de 600 kg, positionnés sur un pupitre qu’il devait manipuler au moyen d’un engin de manutention, appelé palonnier à ventouses.
Les volumes de verre positionnés sur le pupitre constitué par des cadres métalliques sont maintenus au moyen d’une sangle de brêlage et sont séparés par un cavalier en plastique.
La manoeuvre à effectuer au moment de l’accident consistait à piloter le palonier à ventouses destiné à la manipulation du verre, afin d’enlever un à un les volumes de verre qui se trouvaient sur le pupitre.
Cette opération nécessite qu’au préalable l’opérateur ôte la sangle de brêlage qui maintient les volumes de verre et qu’il s’assure que les verres sont bien en place, appuyés au mât du pupitre, ce qui garantit que le poids des verres ne peut pas les faire basculer à l’avant de celui-ci.
La société [7] indique qu’il ‘semble’ que la nuit de l’accident, ce mode opératoire n’a pas été respecté puisque lors du débrêlage du pupitre, les volumes de verre ont basculé sur [N] [Z] principalement sur sa jambe droite.
Or, cette simple supposition ne peut permettre d’écarter la présomption édictée par l’article L.4131-4 du code du travail dès lors qu’il est établi par les témoignages produits que [N] [Z], qui exerçait par ailleurs les fonctions de délégués du personnel, avait alerté l’employeur ou ses représentants des risques graves encourus au poste qu’il occupait, la preuve de ce fait n’exigeant pas que l’alerte donnée soit formalisée notamment par un document officiel contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal.
Par ailleurs, la société [7] qui ne pouvait ignorer le risque de chute du verre positionné sur le pupitre notamment lors du débrêlage, fait valoir qu’elle avais mis en place les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés estimant que le pupitre sur lequel les volumes de verre étaient positionnés était adapté à l’opération à réaliser, à la condition que le salarié respecte les consignes de sécurité.
Ainsi, la société intimée verse aux débats une fiche sécurité en date du 9 juillet 2013 visant le risque de chute du verre lors du débrêlage du pupitre et qui préconise comme mode opératoire de s’assurer que les volumes sont en contact avec le mât du pupitre et que l’ensemble des cavaliers sont en contact entre eux avant débrêlage, cette fiche de sécurité étant connues des opérateurs et particulièrement de [N] [Z] qui travaillait depuis plus de 22 ans au sein de la société [7].
Or, il ressort du certificat de travail produit par la société [7] que malgré son ancienneté dans l’entreprise remontant à septembre 1991, [N] [Z] était affecté au poste du conducteur entrée assemblage depuis le 13 mai 2013, soit quelques mois seulement avant l’accident survenu le 9 décembre 2013, l’employeur ne contestant pas par ailleurs qu’un accident était survenu quelques semaines auparavant, soit le 10 novembre 2013, dans des conditions similaires à savoir que lors du débrêlage d’un pupitre les volumes sont tombés sur l’opérateur, M. [S], lui occasionnant une coupure des doigts au niveau de la main droite et un choc de la main gauche.
Ainsi, les directives fournies dans le cadre de la fiche de sécurité du 9 juillet 2013 n’étaient manifestement pas suffisantes pour prévenir le risque d’accident par chute de volumes de verre lors du débrêlage, ce qui a conduit la société [7] à faire procéder à la modification des pupitres Cielo en cause dans l’accident, ce dont il est fait état dans un procès-verbal de la réunion des délégués du personnel en date du 27 juillet 2015, qui mentionne que le matériel nécessaire a été commandé et reçu fin décembre 2014, avec une alerte concernant le fait que seulement 10 pupitres ont été modifiés, les modifications nécessitant l’affectation d’une personne à temps plein pour trois pupitres à modifier par jour.
Ainsi, la société [7] manque à faire la preuve de ce qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter l’accident dont [N] [Z] a été victime le 9 décembre 2013.
En conséquence, il y a lieu de réformer le jugement et de dire que l’accident dont [N] [Z] a été victime le 9 décembre 2013 est la conséquence de la faute inexcusable de l’employeur.
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de dire que la rente allouée au titre de l’ accident de travail du 9 décembre 2013 sera majorée au maximum conformément aux articles L.452-1 et L.452-2 du code de la sécurité sociale.
La rente allouée en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, n’ayant ni pour objet, ni pour finalité l’indemnisation des souffrances physiques et morales, non compensées au titre du déficit fonctionnel, il y a lieu d’ordonner une mesure d’expertise avec mission précisée au dispositif du présent arrêt.
Par ailleurs, les éléments médicaux communiqués révèlent que [N] [Z], victime d’une fracture trochantérienne droite ostéosynthésée a subi à la suite de son opération des douleurs invalidantes avec fatigabilité au travail, une reprise à temps partiel du travail ayant été préconisée le 19 novembre 2014 par le docteur [H], sur un poste aménagé compte tenu d’un périmètre de marche réduit et d’une mobilité limitée, avec amyotrophie du quadriceps en cours de résorption du fait de séances de kinésithérapie, la date de consolidation étant fixée au 1er septembre 2015, suivant certificat médical final du docteur [M] en date du 25 juillet 2017 faisant état des douleurs invalidantes et de fatigabilité au travail, [N] [Z] étant décédé le 25 décembre 2015 pour une cause sans rapport avec l’accident du travail.
Ainsi, il y a lieu compte tenu de ce qui précède d’allouer à Mme [I] [Z] une provision à valoir sur les préjudices subis par [N] [Z] limitée à la somme de 5000 euros.
Au terme des dispositions de l’article L 452-3-1 du code de la sécurité sociale, (issues de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012), quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L 452-1 à L 452-3.
La caisse est ainsi admise de plein droit à recouvrer auprès de l’employeur dont la faute inexcusable est reconnue, les sommes qu’elle aura versées à la victime de l’accident du travail en réparation de ses préjudices, outre les frais d’expertise dont elle fera l’avance.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme [I] [Z] les sommes qu’elle a dû exposer non comprises dans les dépens. Il y a donc lieu de condamner la société [7] à lui payer la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par décision rendue contradictoirement en dernier ressort par mise à disposition au greffe de la cour,
Dit n’y avoir lieu de statuer sur la recevabilité de l’action de Mme [I] [Z] tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur au titre des préjudices de [N] [Z],
Déclare la société [7] et la CPAM de l’Oise irrecevables dans leur demande tendant à contester la recevabilité de l’action de Mme [I] [Z] agissant en qualité d’ayant droit de [N] [Z],
Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Dit que l’accident de travail dont [N] [Z] a été victime le 9 décembre 2013 est la conséquence de la faute inexcusable de l’employeur, la société [7],
Ordonne la majoration de la rente allouée par la CPAM au titre de l’accident du travail dont [N] [Z] a été victime le 9 décembre 2013 à son taux maximum,
Fixe à la somme de 5000 euros le montant de la provision au profit de Mme [I] [Z]
venant aux droits de [N] [Z],
Dit que la CPAM de l’Oise en application des dispositions de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale fera l’avance des sommes dues à Mme [I] [Z] venant aux droits de [N] [Z],
Dit que la CPAM de l’Oise pourra exercer son action récursoire à l’encontre de la société [7] s’agissant de toutes les sommes dont elle aura fait l’avance pour l’indemnisation des préjudices subis par Mme [I] [Z] venant aux droits de [N] [Z],
Avant dire droit sur la réparation des préjudices extra-patrimoniaux de Mme [I] [Z]
venant aux droits de [N] [Z],
Ordonne une expertise médicale judiciaire,
Désigne pour procéder à l’expertise, [D] [Y] [Adresse 3] Tél:[XXXXXXXX01] Mèl : [Courriel 5], avec pour mission, les parties convoquées, de :
– prendre connaissance du dossier médical de [N] [Z] après s’être fait communiquer par toute personne physique ou morale concernée l’ensemble des pièces et documents constitutifs de ce dossier,
– procéder à un examen sur pièces compte tenu du décès de [N] [Z] survenu le 25 décembre 2015, sans lien avec l’accident et entendre en tant que de besoin Mme [I] [Z]
venant aux droits de [N] [Z] et recueillir ses doléances,
-fournir le maximum de renseignements sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d’études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l’accident (l’apparition de la maladie),
– à partir des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période d’hospitalisation , la nature et le nom de l’établissement, le ou les services concernés et la nature des soins,
– décrire de façon précise et circonstanciée l’état de santé de [N] [Z] avant et après l’accident en cause, les lésions dont celui-ci s’est trouvé atteint consécutivement à cet accident et l’ensemble des soins qui ont dû lui être prodigués,
– décrire précisément les lésions, leur caractère évolutif, réversible ou irréversible,
– retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l’évolution,
– prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits,
– décrire un éventuel état antérieur en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,
– décrire les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité,
– indiquer si des dépenses liées à la réduction de l’autonomie sont justifiées et l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation,
– déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l’accident ou la maladie, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles, – si l’incapacité fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux,
– évaluer les répercussions dans l’exercice des activités professionnelles de [N] [Z]
et les analyser;
– décrire les souffrances physiques ou morales avant et après consolidation résultant des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles de l’accident (de la maladie), et les évaluer selon l’échelle de sept degrés,
– donner un avis sur l’évaluation du déficit fonctionnel permanent ;
– donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en précisant s’il est temporaire ou définitif ; l’évaluer selon l’échelle de sept degrés ;
– lorsqu’il est allégué de l’impossibilité pour la victime de se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif ,
– dire s’il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction),
– établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission,
– indiquer le degré d’autonomie intellectuelle, psychologique et physique conservé par l’intéressé en terme d’activité et de faculté participative ainsi que pour exécuter seul les actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne,
– indiquer en cas de maintien à domicile si l’état de santé de la victime a nécessité l’utilisation ou la mise à disposition d’équipements spécialisés, d’un véhicule spécialement adapté, ou des aménagements du logement ;
Fixe à 600 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert qui sera avancée par la CPAM de l’Oise entre les mains du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel d’Amiens dans le mois de la notification du présent arrêt,
Dit que l’expert ne débutera les opération d’expertise qu’à réception de l’avis de consignation,
Dit que l’expert devra dresser un rapport qui sera déposé au greffe de la chambre de protection sociale de la cour dans les six mois de sa saisine et qu’il devra en adresser copie aux parties,
Désigne le magistrat chargé du contrôle des expertises de la cour d’appel d’Amiens afin de surveiller les opérations d’expertise,
Condamne la société [7] à payer à Mme [I] [Z] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Renvoie la présente affaire à l’audience du 08 Février 2024 à 13H30 ;
Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation à cette audience,
Réserve les dépens.
Le Greffier, Le Président,