Services à la personne : 31 mai 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 20/00121

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Services à la personne : 31 mai 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 20/00121

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 31 Mai 2022

N° RG 20/00121 – N° Portalis DBVY-V-B7E-GMXX

Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ de BONNEVILLE en date du 09 Janvier 2020, RG 19/01073

Appelants

Mme [M] [B] épouse [O]

née le 25 Février 1957 à SARAJEVO, demeurant 34 rue Gustave Ador – 1207 GENEVE (SUISSE)

M. [V] [T]

né le 20 Juillet 1962 à ARGENTEUIL (95100), demeurant 5 rue Claude Martin – 73000 CHAMBERY

Représentés par la SELARL EME & CUTTAZ AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

Intimé

M. COMPTABLE PUBLIC, RESPONSABLE DU PRS DE HAUTE-SAVOIE, demeurant Cité Administrative – 7 rue Dupanloup – 74000 ANNECY

Représenté par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocats au barreau d’ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 29 mars 2022 avec l’assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– M. Michel FICAGNA, Président,

– Mme Alyette FOUCHARD, Conseiller,

– Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Il a été procédé au rapport.

Mme [O] et M. [T] ont constitué entre eux, en septembre 2010, une société « A votre service pro », société au capital de 1 000 euros, dont ils étaient tous deux co-gérants et ayant pour activité les services à la personne : entretien de la maison et travaux ménagers, petits travaux de jardinage, prestations de petit bricolage, collecte et livraison de linge repassé, garde d’enfants à domicile.

Le 24 juin 2011, l’activité de location de voitures particulières et véhicules utilitaires légers sans conducteur a été rajoutée.

Par jugement en date du 2 juillet 2015, le tribunal de commerce d’Annecy a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de cette société et par jugement du 29 octobre 2019 a clôturé ladite procédure pour insuffisance d’actif.

Par actes en date des 31 juillet 2019 et 6 août 2019, le comptable public chargé du pôle de recouvrement spécialisé de Haute Savoie, a fait assigner à jour fixe devant le président du tribunal judiciaire de Bonneville, Mme [O] et M. [T], au visa de l’article L 267 du livre des procédures fiscales afin qu’il les déclare chacun solidairement responsables, de la société « A votre service pro » du paiement de la somme de 121 511,30 euros.

Par ordonnance en date du 9 janvier 2020, le président du tribunal judiciaire de Bonneville a :

Déclaré l’action du comptable public recevable,

Déclaré Mme [O] et M. [T] solidairement responsables en qualité de cogérants de la société « A votre votre service pro » du paiement d’une somme de 121 511,30 euros,

Condamné Mme [O] à payer au comptable public ladite somme avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation la concernant,

Condamné M. [T] à payer au comptable public ladite somme avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation le concernant,

Condamné Mme [O] et M. [T] in solidum à payer au comptable public la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Mme [O] et M. [T] ont interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs conclusions en date du 23 juillet 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [O] et M. [T] demandent à la cour de :

Vu les articles L.651-1 et suivants du code de commerce,

Vu l’article L.622-21 du code de commerce,

Vu l’article L.267 du livre de procédure fiscale,

‘ Infirmer l’ordonnance rendue le 9 janvier 2020 par M. le président du tribunal judiciaire de Bonneville en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

‘ Déclarer irrecevable l’action entreprise par le Pôle de recouvrement spécialisé de la Haute-Savoie à l’encontre de Mme [M] [O] et M. [V] [T],

A titre infiniment subsidiaire,

‘ Dire que le Pôle de recouvrement spécialisé de la Haute-Savoie ne rapporte nullement la preuve de l’existence des conditions de mise en ‘uvre de l’action engagée sur le fondement des dispositions de l’article L.267 du livre des procédures fiscales,

‘ Rejeter l’intégralité des demandes du Pôle de recouvrement spécialisé de la Haute-Savoie,

‘ Condamner le Pôle de recouvrement spécialisé de la Haute-Savoie à payer à Mme [M] [O] et M. [V] [T] la somme de 3.000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Condamner le Pôle de recouvrement spécialisé de la Haute-Savoie aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses conclusions en date du 20 octobre 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, le comptable public demande à la cour de :

Vu les articles L.267 et R 267-1 du livre des procédures fiscales,

Vu le droit positif,

Vu les pièces versées aux débats,

‘ Déclarer l’appel des consorts [O] ‘ [T] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 9 janvier 2020 par le président du tribunal judiciaire de Bonneville recevable mais non fondé,

En conséquence,

‘ Débouter Mme [M] [O] et M. [V] [T] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

‘Confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

‘ Déclaré l’action du comptable public, responsable du Pôle de recouvrement spécialisé de Haute-Savoie, recevable,

‘ Déclaré Mme [M] [O], solidairement responsable en sa qualité de co-gérante de la société « A votre Service Pro », du paiement de la somme de 121 511,30 euros,

‘ Déclaré M. [V] [T] solidairement responsable en sa qualité de co-gérant de la société « A votre service pro » du paiement de la somme de 121 511,30 euros,

‘ Condamné Mme [M] [O] à payer au comptable public responsable du pôle de recouvrement spécialisé de Haute-Savoie, ladite somme avec intérêts au taux légal à compter de la date d’assignation la concernant,

‘ Condamné M. [V] [T] à payer au comptable public responsable du pôle de recouvrement spécialisé de Haute-Savoie, ladite somme avec intérêts au taux légal à compter de la date d’assignation le concernant.

‘ Condamné les sus-nommés in solidum à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

‘ Condamner Mme [M] [O] et M. [V] [T] in solidum à lui payer une somme complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Condamner Mme [M] [O] et M. [V] [T] in solidum aux dépens de première instance et d’appel, avec application au profit de la SCP Bremant Gojon Glessinger Sajous, avocats, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est en date du 28 février 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’action

L’article L 267 du livre des procédures fiscales dispose :

« Lorsqu’un dirigeant d’une société, d’une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des man’uvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.

Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal de grande instance ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor. »

L’action en responsabilité prévue par l’art. L. 267 n’étant exclue que si, en vertu d’une autre disposition légale, le dirigeant est tenu de la totalité de la dette fiscale restant due, l’action en comblement de passif prévue par l’article art. L. 651-2 du code de commerce ne fait pas obstacle à l’application de ce texte.

En effet, l’action en comblement de passif, prévue par l’article L. 651-2 du code de commerce, n’a pas la même finalité et ne saurait faire échec aux dispositions du livre des procédures fiscales, lesquelles mettent en ‘uvre une action spécifique en responsabilité au seul profit du Trésor

Par ailleurs, la qualité de cogérant de Mme [O] et M. [T] résulte des pièces produites et n’est pas discutée.

Dès lors l’action étant parfaitement recevable, l’ordonnance déférée sera confirmée sur ce point.

Sur le bien fondé de l’action

Il résulte des pièces produites, notamment la déclaration de créance du comptable public et le certificat d’irrécouvrabilité délivré par le liquidateur, les propositions de rectification adressées à ce dernier à la suite du contrôle, que le trésor public se prévaut d’une créance de 121 511,30 euros à l’égard de la société « A votre Service Pro » se décomposant ainsi :

– Solde TVA de l’exercice clos le 31 mai 2014 : 3 981,31 euros

– TVA de l’exercice clos le 31 mai 2015 : 18 702 euros

– Acompte TVA de juillet 2015 : 2 306 euros

– Rectification suite à contrôle pour la période du 1er juin 2012 au 31 mai 2013 : 14 937 euros

– Rectification suite à contrôle pour la période du 1er juin 2013 au 31 mai 2015 : 42 585 euros

– Pénalités pour cette dernière période : 8 506 euros

– Rectification suite à contrôle de l’impôt sur les société pour la période du 1er juin 2012 au 31 mai 2015 : 42 585 euros

– Pénalités pour cette période : 8 167 euros

– Créance au titre de la CFE 2014 : 932 euros

– Créance au titre de la CFE 2015 : 979 euros

Ainsi que l’a retenu à bon droit le premier juge, si la dette fiscale n’était pas très ancienne au jour de l’ouverture de la procédure collective et pouvait résulter de difficultés de trésorerie, sans qu’il soit établi de fraude ou de mauvaise, le comptable public ayant d’ailleurs accepté la signature d’un protocole permettant un paiement échelonné, en revanche, il apparaît que le défaut de respect de ce protocole, malgré une trésorerie disponible du fait de la vente de véhicules, a eu pour conséquence de retarder les actions de recouvrement de l’impôt qui est devenu par la suite impossible du fait de la déclaration de cessation des paiements.

Par ailleurs, en l’absence d’élément nouveau, c’est par une motivation pertinente que cour adopte expressément que le premier juge, a retenu que la proposition de rectifications au cours de la procédure collective, constituait la preuve de manquements aux obligations fiscales et que la nature et l’étendue des redressements suffisaient à établir des manquements graves, volontaires et répétés ayant rendu le recouvrement de l’impôt impossible tels que :

– Défaut de déclaration d’une TVA collectée d’un montant de 2 000 euros pour la vente d’un véhicule.

– Application erronée du taux intermédiaire de TVA de 10% aux prestations de services à la personne alors que la société ne pouvait se prévaloir de ce taux,

– Acquisition d’un véhicule Porsche en 2013 avec déduction de la TVA correspondante sans facture établie au nom de la société. Factures d’entretien et de réparation déduites et TVA déduite alors qu’outre l’absence de facture, les véhicules étaient utilisés pour d’autres usages que la location.

– Déduction de la TVA sur une Jeep financée par une autre société détenue par les consorts [T]/[O] et non par la société A votre service pro.

– Déduction de la TVA sur l’acquisition et l’entretien d’une Porsche pour une utilisation autre que la location sans chauffeur.

– Vente d’une Porsche inscrite à l’actif du bilan par la société à M. [T], non comptabilisée.

– Déduction de charges fictives qui ne sont appuyées sur aucun justificatif.

– Déduction de charges libellées à un autre nom ou au nom des associés.

– Non utilisation du produit de la vente de deux véhicules de la société rachetés par les co-gérants au règlement du passif de la société : ce rachat a représenté une somme de 77 000 euros en mars 2014, alors que dans le même temps ces derniers sollicitaient l’octroi d’un plan de règlement pour solder le montant des déclarations de TVA déposées sans paiement qui s’élevaient à l’époque à 14 731 euros

– Imputation de la TVA sur des créances irrécouvrable sans production de la facture initiale, sans preuve de leur caractère irrécouvrable.

Ainsi que l’a retenu à bon droit le premier juge :

La multiplication des irrégularités et manquements renforce le caractère de gravité qui caractérise déjà chacun des manquements pris isolément.

Ces manquements répétés intervenus au cours des deux années précédant l’ouverture de la procédure collective ont rendu impossible le recouvrement de l’impôt.

L’ordonnance déférée sera dès lors confirmée en ce qu’elle a déclaré Mme [O] et M. [T] chacun solidairement responsables du paiement de la somme de 121 511, 30 euros due par la société.

Sur les mesures accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit du comptable public.

Les consorts [O]/[T] qui échouent en leur appel sont tenus aux dépens exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [O] et M. [T] aux dépens exposés en appel avec distraction de ces derniers au profit de la SCP Bremant Gojon, Glessinger, Sajous avocats.

Ainsi prononcé publiquement le 31 mai 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Michel FICAGNA, Président et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

 


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