COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 16 NOVEMBRE 2022
PRUD’HOMMES
N° RG 19/03414 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LCY7
Association LOGEA EHPAD [4]
c/
Madame [S] [Y]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juin 2019 (R.G. n°F 17/00718) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 18 juin 2019,
APPELANTE :
Association Logea EHPAD [4], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 3]
N° SIRET : 503 365 801
représentée et assistée de Me Anne PITAULT, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [S] [Y]
née le 23 Octobre 1957 à [Localité 2] de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
représentée et assistée de Me Laëtitia SCHOUARTZ, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 octobre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseillère, chargée d’instruire l’affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSE DU LITIGE
Madame [S] [Y], née en 1957, a été engagée en qualité de directeur d’établissement par l’association Logea EPHAD [4], par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juin 2014.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale hospitalisation privée dite « CCU » du 18 avril 2002.
Par lettre datée du 16 novembre 2016, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 1er décembre 2016.
Mme [Y] a ensuite été licenciée pour faute par lettre datée du 19 décembre 2016.
A la date du licenciement, Mme [Y] avait une ancienneté de deux ans et six mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés. En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [Y] s’élevait à la somme de 4 713,85 euros.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de salaires, Mme [Y]. a saisi le 3 mai 2017 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement du 3 juin 2019, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
– jugé que le licenciement de Mme [Y] n’est pas fondé sur une faute grave et que le licenciement de Mme [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné en conséquence l’association Logea EHPAD [4] à verser à Mme [Y] les sommes de :
* 28 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,
* 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes,
– débouté l’association Logea EHPAD [4] de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Logea EHPAD [4] aux entiers dépens.
Par déclaration du 18 juin 2019, l’association Logea EHPAD [4] a relevé appel de cette décision, notifiée le 3 juin 2019.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 septembre 2019, l’association Logea EHPAD [4] demande à la cour de :
A titre principal,
– dire recevable l’appel limité de l’association Logea,
– réformer partiellement le jugement,
– dire le licenciement de Mme [Y] » justifié pour une faute »,
En conséquence,
– débouter Mme [Y] de l’intégralité de ses demandes,
A titre subsidiaire
– limiter les dommages et intérêts à l’équivalent de 6 mois de salaire, soit 22.362 euros,
Reconventionnellement,
– condamner Mme [Y] à payer à l’association Logea la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 octobre 2019, Mme [Y] demande à la cour de’:
– dire recevable mais mal-fondé l’appel interjeté par l’Association Logea EHPAD [4] à l’encontre du jugement prud’homal rendu le 3 juin 2019,
En conséquence,
– confirmer en son principe le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux en ce qu’il a jugé le licenciement de Mme [Y] sans cause réelle et sérieuse,
Sur appel incident, augmenter le quantum de dommages et intérêts afférents à l’absence de cause réelle et sérieuse et réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [Y] des rappels de salaire,
En conséquence,
– condamner l’association Logea EHPAD [4] à lui verser les sommes suivantes :
* 66.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* 3.249,80 euros à titre de rappel de salaire,
* 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner l’Association Logea aux entiers dépens et frais éventuels d’exécution de la décision à intervenir.
L’oronnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 11 octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement
La lettre de licenciement en date du 29 novembre 2016 qui fixe les termes du litige est ainsi rédigée :
« – vous avez obligé une Agent des Services Hôteliers (ASH) enceinte, à nettoyer les barres de lit, position très inconfortable en cet état, et lui avez refusé d’aménager ses horaires, dispositif prévu par la CCN ; ce jour-là, vous avez interdit à l’Aide-Soignante (AS) qui proposait de réaliser cette tâche à la place de sa collègue, obligeant l’ASH à le faire et vous avez ajouté « c’est son boulot »,
– vous convoquez les salariés dans votre bureau, pour des éléments parfois insignifiants, qui ne méritent pas de leur prendre une demi-heure sur leur coupure : un dysfonctionnement dans le service dû à un sous-effectif que vous n’avez pas su gérer, un café non apporté, une photocopie non faite. Un salarié nous a indiqué avoir été convoqué dix fois en 3 mois, un autre, 15 fois sur une période d’un an,
– vous interdisez aux ASH de boire un verre d’eau, de s’asseoir 5 mn ; lors des repas à thème, vous interdisez la coupure pour manger, et leur imposez qu’ils mangent avant le repas ; ce qui entraine le fait qu’ils ne mangent qu’à 16h, et parfois ne mangent pas,
– les salariés se sentent terrorisés par votre management autoritaire : vous leur hurlez dessus, vous leur ordonnez d’exécuter immédiatement, vous appelez votre secrétaire sept, huit fois dans une matinée, ordonnez à certains salariés de vous faire une photocopie, qu’ils vous rangent un classeur, de vous apporter un café,
– Monsieur [X], l’Agent Technique de Maintenance vous a alerté sur le contrôle à effectuer pour prévenir la légionellose. Vous ne lui avez pas permis de mettre en place le contrôle, lui montrant votre désinvolture, et une alerte légionnelle a été lancée six mois après à cause de votre incompétence et votre absence d’écoute,
ce même salarié en octobre 2016, vous a alerté concernant la chambre d’une résidente désorientée, dans laquelle des affaires et des papiers étaient éparpillés sur tout le sol de la chambre. Vous lui avez dit « est ce que ça sent bon ‘ parce que si ça pue, j’y vais pas, je verrai avec le psychologue ou une infirmière »,
– vous avez positionné Monsieur [W], le Responsable Hotelier de la structure, à des fonctions qui n’étaient pas les siennes, avez autorisé des faits qui ont engendré une méfiance des salariés à son égard, et tout cela a eu pour conséquence un abandon managérial des équipes ASH et une désorganisation de la structure.
Vous n’avez donc pas garanti la sécurité des résidents et salariés. La réalité vous a échappé. Votre comportement agressif, oppressif, inhumain, vous amenait à confondre services et servitudes, salariés et domestiques.
– votre management engendre, mal être des personnels, conflits et tensions entre eux. Je cite en exemple, la querelle, devenue rixe entre [D] [U] et [F] [O] qui s’est déroulée, en salle à manger, devant et autour des résidents.
Vous avez souhaité, que Monsieur [Z] [C] reçoive ces salariées dans le cadre d’un entretien disciplinaire. Il l’a réalisé, en votre présence. Nous avons appliqué une sanction exemplaire. Monsieur [Z] [C] vous a demandé par écrit ensuite de changer Madame [U] d’équipe. Vous ne l’avez pas fait. Monsieur [Z] [C] a découvert que la salariée avait pourtant formulé une demande de changement d’équipe, bien avant l’altercation, que vous aviez refusé.
Vous n’avez pas su, prendre les décisions permettant l’apaisement, et la sérénité, dans l’Association, restant des journées enfermée dans votre bureau, vous isolant vous-même, alors que le métier de Directrice d’Etablissement impose naturellement d’être sur le terrain, dans les étages, auprès des salariés et des résidents.
Votre management défaillant occasionne un absentéisme record : 22 départs dont 9 à l’initiative du salarié depuis votre prise de fonction. 465 jours d’arrêt pour maladie ont été enregistrés pour la seule année 2016, pour 25 personnes.
– parallèlement, le 27 octobre 2016, à 15h22, Monsieur [Z] [C] est informé par copie de mail, de l’arrêt de travail de la cadre de santé, Madame [K] [M].
Etonné par la réception de ce courriel, il interroge les salariés du siège social, sur un éventuel évènement au [4]. Des rumeurs signalent d’autres absences pour raison de santé. Le service RH lui dresse alors une liste des absences du seul mois d’octobre 2016.
Devant le niveau d’absentéisme très élevé, notamment sur les postes administratifs, trois sur quatre, il vous écrit et vous demande de l’informer de l’organisation mise en place.
Vous répondez encore avec désinvolture sans mesurer la responsabilité de l’employeur que vous représentez, en cette situation. Vous prouvez que vous ne pouvez pas vous remettre en question. Vous semblez accepter cet absentéisme, voire le justifier. Cette justification, elle-même incohérente, nous informe du remplacement de l’hôtesse d’accueil en Arrêt Maladie, par la secrétaire de Direction, aussi en arrêt maladie.
Nous souhaitons vous rappeler les missions de l’Association, qui sont celles de l’accompagnement des seniors par des services, prestés par les professionnels. Ces absences ne semblaient pas vous alerter, vous réalisez des glissements de tâches, sur Monsieur [E] [W], et vous sollicitez les comptables du siège pour réaliser les tâches administratives, parce que vous êtes incapable d’utiliser les logiciels malgré les nombreuses formations offertes.
Ce dysfonctionnement n’est pas tolérable et prend son origine dans la négligence et l’insuffisance. Monsieur [Z] [C] lors d’un entretien dans votre bureau, vous a alerté de son inquiétude devant ce management et vous avez répondu « ce n’est quand même pas ma faute, s’ils sont malades ».
Par ailleurs, vous affirmez dans ce courriel, que [E] [W], qualifié par tous les autres salariés de « votre homme à tout faire » n’a pas accès au logiciel de gestion des temps, « Octime ». Monsieur [E] [W] a infirmé vos propos, écrits. Il affirme se connecter au logiciel, avec vos codes d’accès et réalisait vos tâches quotidiennes, car nous le citons « Madame [Y] était incapable de se servir du logiciel ».
Nous vous rappelons que vous n’aviez pas la possibilité de subdéléguer ces tâches, conformément à votre Document Unique de Délégation. Cette délégation de confiance a été trahie, et cette faute a été accentuée par des écrits mensongers.
Poursuivant sa mission face à ce début de mouvement social, Monsieur [Z] [C] décide la mise à pieds de Monsieur [E] [W]. Cette mise à pieds doit être réalisée à l’aide de la remise en mains propres d’une lettre qui vous est adressée sur votre messagerie professionnelle.
Monsieur [W], nous narre la scène « [E], voilà, le verdict est tombé. Vous êtes mis à pieds. » Sa réaction a été de déchirer la feuille et vous la jeter au visage.
Vous avez simplement voulu nous informer, de son refus de signer.
Cette scène témoigne à elle seule votre incompétence au management, à la prise de décision, et à la gestion de conflits.
Après l’évènement, vous avez cru bon de nous informer des propos prétendument suicidaires que [E] [W] aurait formulé pendant sa mise à pieds, par courriel.
Cette information destinée à vous déresponsabiliser n’était pas vérifiable. Vous affirmiez avoir vu la femme de [E] [W], Madame [L] [W], faisant fonction d’Aide-Médico Psychologique sur la structure, qui vous avait informée de cette situation.
Monsieur [E] [W], lui-même dément cette version, en affirmant vous avoir eu au téléphone.
Monsieur [Z] [C], vous a formellement écrit, et vous a ordonné de respecter la procédure, d’un salarié mis à pieds à titre conservatoire, et de mesurer vos écrits, devenus irresponsables et mensongers.
Vous détournez la réalité selon vos stratagèmes. Vous avez menti. Vous souhaitez vous dégager de vos responsabilités.
Vous êtes, au contraire pleinement responsable des causes et des conséquences de cette situation. Je souhaite au contraire vous signifier pleinement responsable des causes et des conséquences de cette situation.
La seule réponse que vous avez apporté dans ce contexte a été de quitter l’établissement le mardi 22 novembre 2016 à 9h40 en informant [K] [M] et [J] [T] de manière standardisée « je vais chez mon médecin ».
Vous informerez Monsieur [C] par mail le même jour à 19h32 que vous êtes en arrêt de travail pour maladie d’origine non professionnelle jusqu’au 31 janvier 2017 sans prévenir l’établissement. Nous avons reçu le document le 24 novembre 2016.
Dès lors, je demande à [Z] [C] d’assurer la Direction de cet établissement ; il découvre à son arrivée sur le site que votre départ est prémédité. Vous avez emporté une grande majorité de vos effets personnels, des registres, les cahiers d’appréciation de chacun de vos personnels, des clés.
Nous avons reçu le 29 novembre 2016 un courrier de votre part nous informant de votre départ de l’établissement. Je compare cette construction à une manipulation dissimulée. En effet si Accident du Travail il y avait, vous auriez su dès votre départ le notifier dans votre courriel de 9h40, le 22 novembre 2016, et prévenir le service des Ressources Humaines de la déclaration à réaliser selon la procédure que vous aviez projeté de logéathiser.
Enfin, je souhaite clôturer ces griefs en dénonçant l’insécurité rencontrée pas les résidents que vous avez délibérément constaté et non corrigée. En effet non satisfaite d’un vol de chèques chez Madame [G] [N], par un auxiliaire ne présentant ni contrat, ni convention avec la structure, vous avez autorisé l’identique. Cette décision unilatérale est irresponsable. Vous auriez dû proposer le service dans le cadre de votre fonction de Directrice, en faisant usage de l’agrément des services à la personne. Vous auriez dû contractualiser ce service ; au contraire vous avez laissé entrer travail dissimulé et insécurité.
La surveillance renforcée à l’entrée des établissements recevant du public, imposée par la mesure vigie pirate renforcée, elle-même implicitement mise en oeuvre par l’état d’urgence ne vous a pas alertée. Vous n’avez rien modifié à votre organisation, et pourtant, vous avez su, comme le témoigne les salariés, vous enfermer dans votre bureau, lorsque des situations pouvant représenter un danger pour tous, étaient palpables à l’entrée de l’établissement. Vous auriez dû mettre en place un contrôle de tous les accès sur la structure que vous dirigez, sans laisser l’accès libre. C’est inacceptable. »
Conformément aux articles L.1232-1 et L. 1333-1 du Code du travail, tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle, donc établie, objective, exacte et sérieuse, le juge formant sa conviction au vu des éléments soumis par les parties, étant ajouté que le doute profite au salarié.
– Sur la prescription des faits
Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance.
Si les salariés dénoncent des faits qui durent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, il est établi que l’association Logea EHPAD [4] n’en a eu connaissance que par le mail des délégués du personnel en date du 9 novembre 2016.
En adressant une lettre convoquant Mme [Y] à l’entretien préalable dès le 16 novembre, réceptionnée le 19 novembre 2016, l’association Logea EHPAD [4] a agi dans le délai de 2 mois prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail.
La procédure disciplinaire ayant abouti au licenciement pour faute de Mme [Y] n’était donc pas prescrite au moment où l’employeur a engagé ces poursuites.
Le jugement sera confirmé sur ce chef.
– Sur les griefs
La cour constate que le défaut de production de la photocopie de la carte d’identité des rédacteurs d’attestations ne prive pas ces documents de leur valeur probante dès lors que Mme [Y] ne conteste ni l’identité ni la qualité de salarié du témoin.
Au sein de la lettre de licenciement, qui fixe les termes du litiges, il y a trois séries de griefs :
1- sur le management autoritaire de Mme [Y] entraînant le vécu de situations dégradante ou indignes
– l’association Logea EHPAD [4] accuse Mme [Y] d’avoir refusé de respecter les dispositions de la convention collective nationale prévoyant la possibilité d’aménager le travail et les horaires de travail d’une agent des services hôteliers (ASH) enceinte.
Mme [Y] conteste la véracité de ce grief, que l’employeur ne démontre pas et qui serait en contradiction avec les valeurs humaines qui l’animent.
Le témoignage de Mme [P] ne peut démontrer la réalité du grief dès lors qu’elle ne fait rapporter les dires de deux ASH animatrices que Mme [Y] aurait interpellées devant tout le monde.
Toutefois, il est démontré par l’association et le témoignage de Mme [V] que Mme [Y] interdisait aux ASH de prendre leur pause parfois et avait refusé de réduire les horaires à une ASH enceinte.
– l’association reproche à Mme [Y] la convocation fréquente des salariés dans son bureau, pour des éléments parfois insignifiants, « un dysfonctionnement dans le service dû à un sous-effectif que vous n’avez pas su gérer, un café non apporté, une photocopie non faite ». L’association produit un grand nombre de témoignages : de salariés, agent de service hôtelier, hôtesse d’accueil, personnel administratif, aide médicale qui confirment tous avoir été appelés pour des futilités tout au long de la journée les empêchant d’exercer leurs missions. Ainsi, Mme [T], secrétaire de direction confirme avoir eu du mal à exécuter ses propres tâches étant tenue de répondre aux convocations futiles de Mme [Y] (manipulation sur ordinateur, faire son café, aller lui chercher les photocopies…), Mme [V] confirme qu’elle devait venir nettoyer sa machine à café tous les jours.
Les deux salariés membres de la délégation unique du personnel témoignent des propos des salariés lors des entretiens qui se sont tenus lors des deux réunions de novembre 2016 : sentiment de ne pas être entendus, respectés et même dévalorisés.
Plusieurs ont confirmé l’obligation faite de s’adresser à Mme [Y] en lui disant « bonjour Madame [Y] » et non simplement « bonjour Madame ».
Toutes les attestations versées font part des remarques négatives de la part de Mme [Y]. Mme [R], membre de la délégation unique du personnel témoigne de la souffrance de plusieurs salariés : « la boule au ventre pour venir au travail, la pression de la directrice sur leurs faits et gestes sur leur travail au quotidien, l’état d’humeur de la directrice changeant d’un jour à l’autre ». Un autre membre de la délégation témoigne des pleurs de certains salariés lors des entretiens et un état de stress certain à venir travailler dans un climat de tension.
Mme [Y] soutient au contraire avoir toujours privilégié dans son management à rechercher la cause du dysfonctionnement plutôt que de chercher un responsable, prenant du temps pour parler avec chacun. Elle conteste avoir demandé à un salarié de lui apporter un café. Au contraire, elle indique avoir convoqué ces personnes pour des motifs parfaitement justifiés, à savoir : le 14 mars 2016, Mme [T] pour une utilisation abusive de son téléphone portable pendant ses heures de travail, le 22 juillet 2016, Mme [B] pour non-respect des consignes données par rapport à l’affichage des astreintes du week-end et le 21 mars 2016, Mme [M] (IDEC) suite à une erreur dans la distribution des médicaments. Toutefois, elle ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer la réalité de ses dires.
– L’association reproche à Mme [Y] son management autoritaire qui « hurle » sur le personnel, en demandant d’exécuter des tâches immédiatement. L’association verse les mêmes attestations d’un grand nombre de salariés ainsi que les comptes-rendus de la réunion du 15 novembre organisée par les délégués du personnel. Mme [I], aide soignante, confirme que ce sont surtout les collègues de l’administration et ASH qui ont beaucoup subi les pressions de Mme [Y]. Mme [T] confirme qu’elle parlait mal sur un ton agressif en opposant toujours la réponse « Je suis la directrice ».
Mme [B], hôtesse d’accueil confirme que Mme [Y] usait de son pouvoir pour régner sur son équipe. Elle apparaît à son personnel comme « autoritaire, dédaigneuse et d’humeur changeante », répondant tardivement aux demandes de vacances, de week-end et laissant le personnel dans l’attente.
Le psychologue, M. [A], travaillant dans la structure confirme que Mme [Y] s’entourait de certaines personnes en qui elle avait confiance au détriment des personnes qui avaient la compétence, créant ainsi un sentiment d’insécurité.
L’état de souffrance décrit par les salariés en novembre 2016 fait référence au comportement de M. [W], dont Mme [Y] s’entourait pour être au courant de ce qui se passait dans l’association. En dénonçant la façon dont ils étaient « épiés » par ce dernier, pour rapporter leurs faits et gestes à Mme [Y] ces salariés dénoncent un malaise, tous parlant de « boule au ventre » pour venir travailler. Mme [M], confirme qu’au-delà de M. [W], Mme [Y] souhaitait tout contrôler et pouvait convoquer certaines personnes pour de la délation.
Si Mme [Y] soutient en réalité qu’elle était obligée d’intervenir fréquemment pour éviter les conflits entre plusieurs personnes, elle avait un pouvoir de direction qui nécessitait qu’elle contrôle le travail de chacun. Toutefois, il est attesté par les nombreux témoignages que ce contrôle était organisé de telle façon qu’il entraînait un stress sur les équipes, Mme [Y] ne faisant pas preuve de respect ni de considération pour les personnes avec lesquelles elle travaillait. La grande majorité des témoignages évoque un sentiment d’être rabaissé et d’être dévalorisé.
Mme [Y] reproche à Mme [T] et M. [C] d’user au contraire d’un ton irrespectueux et agressif mais aucun élément ne corrobore ces dires.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le grief d’un management autoritaire de Mme [Y] est établi.
2) sur les manquements à son obligation de garantir la sécurité des résidents et des salariés
– La société Logea EHPAD [4] fait valoir le refus opposé par Mme [Y] à M. [X], agent technique de maintenance, d’effectuer un contrôle de prévention de la légionellose alors qu’une alerte légionelle aurait été lancée six mois après à cause de son incompétence et de son absence d’écoute. La société ne produit aucune pièce à l’appui de ce grief qui ne saurait donc être retenu.
– L’association reproche l’affectation de M. [W], responsable hôtelier de la structure, à des fonctions qui n’étaient pas les siennes. Mme [Y] indique qu’en réalité elle ne l’avait pas mal positionné mais il n’était pas » compétent à la base ». Toutefois aucune pièce n’assoie la réalité de ce grief.
– L’association reproche également des propos déplacés concernant la chambre d’une résidente en ces termes : « est ce que ça sent bon ‘ parce que si ça pue, j’y vais pas, je verrai avec le psychologue ou une infirmière ». Aucune pièce n’est produite par l’association à l’appui de ce grief, même si un certain nombre d’attestations de salariés confirment que Mme [Y] parlait mal aux résidents et leur faisait peur.
3) sur la gestion managériale engendrant mal être du personnel, conflits et tensions entre eux
– En ce qui concerne le grief relatif à la défaillance dans le management occasionnant un absentéisme record : la société constate 22 départs dont 9 à l’initiative du salarié depuis la prise de fonction de Mme [Y] et 465 jours d’arrêt pour maladie ont été enregistrés pour la seule année 2016,
Mme [Y] rappelle la situation générale d’absentéisme soulevée par l’ARS dans son guide de 2017 qui le chiffre à 9,73% pour la région Nouvelle Aquitaine. Elle soutient ne pas être la cause des absences et rappelle l’exercice difficile des fonctions du personnel avec de faibles moyens.
L’association ne démontre pas que les départs enregistrés depuis l’arrivée de Mme [Y] ou les arrêts maladies étaient motivés par une souffrance au travail directement en lien avec l’attitude de Mme [Y].
4) sur le refus de procéder à des tâches qui lui incombaient
– L’association reproche à Mme [Y] d’avoir subdélégué à M. [W] des fonctions liées à l’utilisation des logiciels, ce dont il atteste. Mme [Y] rappelle toutefois qu’elle n’a bénéficié d’aucune formation sur le logiciel métier, elle a effectué des factures avec l’aide de Mme [H]. L’absence de mise en place d’une formation n’est pas contestée par l’employeur.
– L’association reproche à Mme [Y] son incapacité à la prise de décision et à la gestion de conflits, notamment dans la mise à pied de M. [W]. Ce dernier confirme avoir été reçu par Mme [Y] qui lui a donné lecture de sa lettre de licenciement avec mise à pied et lui a demandé de quitter les lieux immédiatement, traduisant ainsi un comportement inadapté.
– S’agissant du grief sur son départ de l’association avec des documents professionnels, l’employeur ne précise pas quels étaient ces documents et n’en rapporte pas la preuve. De la même manière qu’elle ne démontre pas la faute de Mme [Y] qui en refusant de prendre la décision de contractualiser une auxiliaire de vie au service d’un résident et aurait favoriser le travail dissimulé.
Si tous les griefs ne sont pas établis par l’association Logea EHPAD [4], il ressort toutefois de l’ensemble des pièces versées et notamment du nombre d’attestations, des qualifications diverses des salariés attestant et du compte rendu de la réunion tenue par les délégués du personnel avec les salariés de l’établissement que Mme [Y] adoptait en qualité de directrice d’établissement un comportement inutilement agressif et inadapté à l’égard du personnel qu’elle avait pour charge d’encadrer, par des propos blessants, des convocations impérieuses pour asseoir son autorité, une facilité à rabaisser les salariés après un contrôle poussé de leurs tâches, conduisant à une ambiance de travail délétère. Un tel comportement constitue un manquement fautif de Mme [Y] et de nature à justifier son licenciement, de part ses fonctions de directrice et d’encadrante d’un personnel en souffrance.
Le jugement entrepris sera donc infirmé, le licenciement de Mme [Y] étant fondé sur une cause réelle et sérieuse. Mme [Y] sera déboutée de sa demande de paiement de dommages et intérêts.
Sur le rappel de salaires
Mme [Y] sollicite la somme de 3 249,80 euros correspondant au rappel de 27,29 jours acquis soit 3 au titre du CET au 3 juillet 2015, 15,60 jours de congés annuels acquis entre mai et décembre 2016 et 11,69 jours de RTT acquis entre mai 2017 et avril 2018.
Il ressort de la fiche de paie de mars 2017 qui reprend les sommes versées au moment du licenciement de Mme [Y], que celle-ci a reçu la somme de :
– 4.453,02 euros au titre des 19 jours de RTT et des 3 jours de CET restant dus
– 1 769,82 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés.
L’association Logea EHPAD [4] justifie du paiement de l’indemnité de congés payés. Toutefois elle ne justifie pas du solde restant dû en décembre 2016, date à laquelle Mme [Y] a été licenciée, alors que le bulletin de paie de novembre 2016 produit par Mme [Y] fait apparaître un solde de RTT de 18 jours et un solde de congés payés de 29,19 jours.
Au vu des pièces produites et notamment des bulletins de paie, l’employeur ne formulant aucune observations sur les calculs faits par Mme [Y], il y a lieu d’infirmer la décision des premiers juges de ce chef et de condamner l’association Logea EHPAD
[4] à verser à Mme [Y] la somme de 3.249,80 euros correspondant à la différence entre l’indemnité compensatrice de congés versée en solde de tous comptes et les congés acquis restant dûs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie perdante, l’association sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement à Mme [Y] de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute Mme [Y] de sa demande de paiement de dommages et intérêts,
Condamne l’association Logea [4] à verser à Mme [Y] la somme de 3.249,80 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés restant dûs,
Condamne l’association Logea [4] aux dépens des procédures de première instance et d’appel,
Condamne l’association Logea EHPAD [4] à payer à Mme [Y] la somme de 2.000 euros au titre des frais engagés en première instance et en cause d’appe.
Signé par Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard