ARRÊT DU
16 Décembre 2022
N° 2099/22
N° RG 20/01438 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TCBH
MLB/NB
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT OMER
en date du
19 Juin 2020
(RG F 18/00276)
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [F] [C]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Guy LENOIR, avocat au barreau de SAINT-OMER
INTIMÉE :
S.A.R.L. FG SERVICES JUNIOR SENIOR
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-sébastien DELOZIERE, avocat au barreau de SAINT-OMER
DÉBATS : à l’audience publique du 05 Octobre 2022
Tenue par Muriel LE BELLEC
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 26 novembre 2022 au 16 décembre 2022 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 septembre 2022
EXPOSE DES FAITS
Mme [F] [C], née le 30 mars 1981, a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 26 avril 2014 en qualité d’assistante de vie par la société FG Services Junior Senior, qui applique la convention collective des entreprises de services à la personne et emploie de façon habituelle au moins onze salariés.
Son salaire de base s’élevait en dernier lieu à la somme de 1 296,10 euros.
Une mise à pied disciplinaire de trois jours lui a été notifiée le 15 mai 2018.
Mme [C] a été convoquée par lettre remise en main propre le 9 octobre 2018 à un entretien le 16 octobre 2018 en vue de son licenciement et mise à pied à titre conservatoire.
A l’issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 6 novembre 2018.
Les motifs du licenciement tels qu’énoncés dans la lettre sont les suivants :
«Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave, ce dont nous vous avons fait part lors de notre entretien du 16/10/2018.
Nous vous avons fait part lors de l’entretien des faits reprochés à votre encontre à savoir :
– Demande et incitation de modification de planning au bénéficiaire sans autorisation de votre employeur ;
En effet, dans un courrier datant du 04/10/2018, Mme [D] nous a indiqué que vous avez demandé à plusieurs reprises de modifier vos horaires de travail car vous habitez St Martin au Laërt et vous ne voulez pas faire deux fois la route. Vous nous avez confirmé ce désagrément lors de votre entretien le 16/10/2018.
– Modification de planning sans autorisation de votre employeur ;
En effet, le 19 septembre 2018, vous avez changé de votre initiative vos horaires de travail chez Mme [D] en allant à son domicile de 17h45 à 19h15 et de 19h15 à 19h30 en lieu et place de 14h45 à 16h15 et de 19h15 à 19h30 sans autorisation préalable de votre employeur.
– Comportement inadapté à votre profession et difficultés relationnelles avec Mme [D] alors qu’elle est fragile et affaiblie ;
Dans un courrier du 04/10/2018, Mme [D] [O] nous indique que le 26 septembre 2018, vous n’avez pas voulu nettoyer une vitre car celle-ci avait été faite la semaine précédente.
Mme [D] [O] nous indique également que vous êtes désagréable avec sa mère et avec les personnes de la famille venant au domicile, le 26 septembre 2018, vous avez été désagréable avec [B], la soeur de Mme [D] [O].
Mesdames [D] nous indiquent également que vous ne passez pas l’aspirateur en dessous de la table, le travail est bâclé et vous recadrez toujours Mme [D] [W] de manière désagréable.
De plus, lors d’une toilette, Mme [D] [W] vous a demandé de bien lui essuyer le dessous des bras et vous lui avez répondu que vous l’aviez déjà fait.
Dans son courrier du 04/10/2018, Mme [D] [O] nous indique que sa mère, Mme [D] [W] a des problèmes au ventre, ne pouvant plus se baisser, cela arrive qu’elle fasse tomber des choses, elle nous explique que vous ne prenez pas la peine d’aider Mme [D] [W], vous l’a regardé ramasser les choses, en soupirant et en la laissant faire. Lors de notre entretien du 16/10/2018, vous m’avez indiqué que vous étiez informé que Mme [D] a des soucis au ventre et qu’elle met une ceinture et que vous savez que c’est difficile pour elle de se baisser. Vous m’avez affirmé que c’est arrivé qu’elle fasse tomber quelque chose et que vous l’a laissiez ramasser seule ses choses.
Pour rappel, vous avez déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire, à savoir une mise à pied disciplinaire notifiée le 15/05/2018 et exécutée du 29 au 31/05/2018, pour une faute similaire à celle reprochée ci-dessus. Cette sanction avait pour but d’éviter que la faute se reproduise, ce qui n’a pas été le cas compte tenu des faits relatés ci-dessus.
– Non-respect des limites de poste avec l’acceptation de pose de bas de contention de Mme [D] ;
Dans son courrier du 04/10/2018, Mme [D] [O] nous a informés que vous acceptiez de mettre les bas de contention à Mme [D] [W].
Lors de notre entretien du 16/10/2018, vous m’avez affirmé que vous mettiez les bas de contention à Mme [D] [W] et que vous saviez que c’était interdit au sein de notre entreprise. Cette interdiction est notée sur votre fiche de poste signée le jour de votre embauche.
– Non-respect de la discrétion professionnelle ;
Dans son courrier du 04/10/2018, Mme [D] [O] nous indique que vous expliquez à sa mère, Mme [D] [W] « qu’un Monsieur [K] vous « engueule » si vous arrivez en retard, et que cela ne va pas bien du tout avec lui ». Mais aussi, vous informez Mme [D] de vos problèmes de santé, de ce fait, ceci inquiète donc Mme [D] [W]. Lors de l’entretien du 16/10/2018, vous m’avez affirmé que vous aviez bien dit cela en ajoutant que vous avez expliqué à Mme [D] [W] que vous êtes allé à l’hôpital car vous aviez une paralysie faciale.
Cette conduite met en cause la bonne marche du service. Les explications recueillies auprès de vous, au cours de notre entretien du 16/10/2018, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave. »
Mme [C] qui avait saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Omer le 18 octobre 2018 pour contester sa mise à pied disciplinaire a également contesté son licenciement.
Par jugement en date du 19 juin 2020 le conseil de prud’hommes a débouté Mme [C] de l’intégralité de ses demandes et la société FG Services Junior Senior de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles.
Le 7 juillet 2020, Mme [C] a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 14 septembre 2022.
Selon ses conclusions reçues le 14 septembre 2020, Mme [C] sollicite de la cour qu’elle infirme le jugement en ce qu’il a rejeté toutes ses demandes, qu’elle annule la sanction disciplinaire du 15 mai 2018, prononce la nullité du « compte rendu entretien préalable » du 18 avril 2018, constate que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la société à lui verser les sommes de :
149,55 euros inscrite en débit sur sa fiche de paie de mai 2018 au titre de la mise à pied conservatoire du 29 au 31 mai
947,15 euros au titre de la retenue effectuée au titre de la mise à pied à titre conservatoire
2 592,20 euros au titre du préavis
259,22 euros au titre des congés payés afférents
1 539,11 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
6 480 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif
3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses conclusions reçues le 10 décembre 2021, la société FG Services Junior Senior sollicite de la cour à titre principal qu’elle déclare irrecevable l’appel interjeté par Mme [C] comme ne répondant pas aux prescriptions de l’article 542 du code de procédure civile, à titre subsidiaire qu’elle confirme le jugement en toutes ses dispositions, en conséquence qu’elle déclare la mise à pied disciplinaire parfaitement régulière, la mise à pied conservatoire prononcée dans l’attente du licenciement parfaitement justifiée, la procédure de licenciement pour faute grave régulière et le licenciement pour faute grave bien fondé et déboute Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, en tout état de cause qu’elle condamne Mme [C] à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est référé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la recevabilité de l’appel
Au soutien de sa demande tendant à voir déclaré l’appel irrecevable, la société FG Services Junior Senior fait valoir que Mme [C] ne tire aucune conséquence de son commentaire sur le jugement puisqu’elle ne demande pas son annulation pour défaut de motivation, qu’en sollicitant uniquement son infirmation, elle considère implicitement qu’il est critiquable, que néanmoins elle reprend une argumentation quasiment similaire à celle adoptée devant le conseil de prud’hommes et produit pour « unique nouvelle pièce », sa fiche de paie d’octobre 2018, son attestation Pôle Emploi et son certificat de travail.
Mme [C] n’a pas répondu à cette demande.
Selon l’article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant notamment à déclarer l’appel irrecevable. Le moyen invoqué par la société FG Services Junior Senior au soutien de sa demande d’irrecevabilité de l’appel, tiré de la rédaction des conclusions de Mme [C] reçues le 14 septembre 2020, ne s’est pas révélé après la clôture de l’instruction, ordonnée le 14 septembre 2022. Pour autant, la société FG Services Junior Senior n’a pas usé de la faculté de saisir le conseiller de la mise en état de cette demande par des conclusions spécialement adressées à ce magistrat. La société FG Services Junior Senior ne peut saisir la cour d’appel d’une telle demande dans ses conclusions au fond. Cette demande présentée à la cour est irrecevable.
A titre surabondant, la cour observe que l’appelante indique dans ses conclusions qu’alors qu’elle a présenté des demandes fondées sur des moyens juridiques et des éléments de preuve, le jugement « n’est pas véritablement argumenté » et que ses demandes sont rejetées « aux termes d’une argumentation générale établie en deux phrases et reproduite à l’identique pour chacune des deux demandes », qu’ainsi elle ne soutient pas l’absence de motivation du jugement mais critique la motivation des premiers juges comme ne répondant pas suffisamment aux moyens développés et preuves fournies, qu’elle reprend ces moyens pour solliciter l’infirmation du jugement et que sa demande poursuit une des fins prévues par l’article 542 du code de procédure civile.
Sur la mise à pied disciplinaire
En application de l’article L.1333-1 du code du travail, Mme [C] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de trois jours notifiée le 15 mai 2018 et motivée comme suit :
« En date du 19 mars 2018, Mme [U] [Y], fille de M. et Mme [M], bénéficiaires des prestations de notre entreprise, nous a informé du comportement inapproprié que vous aviez avec ses parents.
Nous vous avons fait part lors de l’entretien des faits reprochés à votre encontre à savoir :
– absence de patience ;
– parler sèchement, hausser la voix ;
– difficultés relationnelles notamment avec M. [M] à son retour d’hospitalisation alors qu’il est affaibli.
Le 25 mars 2018, Mme [V] [L], infirmière de M. et Mme [M] nous a informés des faits suivants :
– vous ne tenez pas compte des difficultés e M. [M], atteint de la maladie d’Alzheimer alors que vous avez reçu une formation ;
– vous n’êtes pas aimable ;
– vous ne respectez pas l’intimité de M. et Mme [M] en leur faisant leur toilette les volets ouverts. Les voisins peuvent voir nos bénéficiaires nus.
Nous avons entendu vos explications lors de l’entretien. Malgré tout, les faits relatés sont contraires aux règles fixées dans le code de déontologie de notre entreprise et aux compétences nécessaires pour ce métier prévues dans votre fiche de poste. »
Au soutien de sa demande d’annulation de la sanction, Mme [C] fait valoir que la procédure utilisée par l’employeur est nulle comme ne respectant pas l’article L.1332-2 du code du travail relatif à l’entretien préalable et que le comportement de l’employeur a manifestement attenté à sa dignité protégée par l’article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle précise que l’entretien préalable, garantie procédurale pour le salarié, a consisté en un véritable interrogatoire, ce qui s’explique par le fait que M. [P], dirigeant de la société FG Services Junior Senior, a été précédemment fonctionnaire de police, avec des injonctions répétées de répondre aux questions et signature d’un procès-verbal, pratique inusitée en matière civile. Elle fait valoir que contraindre le salarié à accepter une telle pratique en s’appuyant sur l’autorité issue du lien de subordination juridique de l’employeur et sous la menace de graves sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la perte d’emploi est un abus manifeste d’autorité portant gravement atteint à la dignité du salarié.
Elle ajoute qu’il s’agit d’un détournement de procédure constitutive d’une fraude car l’entretien préalable n’a pas pour objet de permettre à l’employeur de se pré-constituer une preuve de faits qu’elle conteste, tant dans leur principe que dans leur gravité, que cette technique même utilisée par un huissier a été censurée par la Cour de cassation, que d’une façon générale les auditions en matière civile relèvent des articles 184 et suivants du code de procédure civile, que l’explication de l’employeur selon laquelle ce document n’est qu’un constat amiable du désaccord existant entre les parties et destiné à être produit en justice afin d’être soumis à l’appréciation du juge est directement contredite par les termes du document.
La société FG Services Junior Senior répond que la circulaire 91/16 du 5 septembre 1991 relative à l’assistance du salarié lors de l’entretien préalable prévoit la possibilité de rédiger et signer un compte rendu, que la Cour de cassation admet la production en justice d’un tel document, que l’argumentation adverse est une diversion destinée à occulter la gravité des faits, que M. [P] qui exerçait les fonctions de gardien de la paix n’a jamais été en mesure de conduire un quelconque interrogatoire, qu’il n’y a eu aucun abus du lien de subordination, que la preuve en matière sociale est libre, que selon l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, que les arrêts évoqués par Mme [C] ne sont pas pertinents, que la retranscription le plus fidèlement possible de la teneur des échanges entre les parties est une garantie accordée à Mme [C], qu’elle n’encourait aucun risque de licenciement en avril 2018, qu’elle aurait pu se présenter assistée à l’entretien.
En application de l’article L.1332-2 du code du travail, Mme [C] a été convoquée par lettre remise en main propre contre décharge le 11 avril 2018 à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire l’informant de son droit de se faire assister par un membre du personnel de l’entreprise. Le texte prévoit qu’au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.
La rédaction d’un compte rendu de l’entretien préalable signé par l’employeur et le salarié, non prévu par le texte ci-dessus, n’est pas en soi attentatoire à la dignité du salarié et ne saurait constituer une cause d’irrégularité de la procédure, Mme [C] invoquant à mauvais escient la jurisprudence relative aux auditions pratiquées par les huissiers de justice, de même que les articles 184 et suivants du code de procédure civile, applicables aux auditions effectuées dans le cadre d’un procès.
Mme [C] sera donc déboutée de sa demande tendant à voir déclaré nul le compte rendu d’entretien préalable du 18 avril 2018.
La preuve étant libre en matière prud’homale, rien ne s’oppose à la production d’un tel document, dont il revient à la cour d’apprécier la valeur et le caractère probant, au regard notamment du lien de subordination juridique qui existait entre les parties lors de sa rédaction et de sa signature et de l’enjeu de l’entretien préalable.
En l’espèce, la cour observe que la société FG Services Junior Senior ne s’appuie pas exclusivement sur le compte rendu de l’entretien préalable pour établir la matérialité des griefs puisqu’elle produit également les témoignages de Mme [U] et Mme [V].
La première a écrit à la société FG Services Junior Senior pour se plaindre du comportement de Mme [C] envers ses parents, M. et Mme [M]. Elle précise avoir été alertée sur les façons anormales d’agir de Mme [C] par le biais de l’infirmière qui se rend au domicile de ses parents. Elle précise avoir elle-même remarqué le manque de patience de Mme [C], le fait qu’elle parlait très sèchement à ses parents et que ces derniers étaient angoissés lorsqu’il savait que c’était elle qui allait intervenir, alors qu’il en allait autrement lorsqu’il s’agissait de son binôme.
Elle ajoute que cette situation s’est dégradée depuis début 2018 après une hospitalisation de son papa qui présente la maladie d’Alzheimer, qu’elle a constaté que Mme [C] s’énervait parce qu’il n’arrivait pas à enlever ses mains du verticalisateur qu’il utilise pour se déplacer, qu’elle lui a pris les mains sèchement et les lui a claquées sur son fauteuil. Elle rapporte également que son frère a aperçu une fois Mme [C] lancer un cachet à sa maman plutôt que de le lui remettre en main propre. Elle a demandé à la société FG Services Junior Senior que Mme [C] n’intervienne plus au domicile de ses parents compte tenu de ces agissements constants et répétitifs en précisant qu’elle avait effectué une déclaration de main courante, qui est versée aux débats.
Mme [V], infirmière, atteste avoir constaté que Mme [C] est de plus en plus impatiente, qu’elle ne tolère pas qu’une personne âgée puisse être ralentie dans ses gestes, qu’elle ne comprend pas non plus les pertes de mémoire ou la maladie d’Alzheimer et tient les propos : « Vous ne faites aucun effort, j’ai peu de temps », « Il faut toujours répéter la même chose, il ne comprend rien ». Elle souligne que Mme [C] est très désagréable, qu’elle ne sourit pas, dit à peine bonjour et que les patients « sont figés » quand c’est elle qui intervient. Elle ajoute que Mme [C] ne respecte pas leur pudeur puisqu’elle procède à leur toilette au vu des voisins, volets ouverts et lumière allumée.
Selon le compte rendu qu’elle a signé, Mme [C] a admis ne pas avoir de patience avec M. et Mme [M], crier sur M. [M] et lui parler sèchement car c’est « agaçant de lui répéter les choses », avoir déjà dit « qu’ils ne faisaient pas d’effort », avoir du mal à garder son calme, comprendre la maladie de M. [M] grâce à une formation et un diplôme mais lui dire « qu’il ne comprend rien et qu’il faut toujours répéter les choses », ouvrir les volets et la lumière avant de procéder à la toilette.
La rudesse des gestes et des paroles de Mme [C] envers des patients fragilisés par l’âge et la maladie est établie par les témoignages concordants de Mme [U] et Mme [V], confortés par les déclarations de la salariée. Mme [C] ne s’en explique pas. Sa faute est établie et justifiait sa mise à pied disciplinaire. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [C] de ses demandes d’annulation de la sanction et de paiement du salaire correspondant.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige en application de l’article L.1235-2 du code du travail reproche à Mme [C] d’avoir demandé à Mme [D] la modification de son planning sans autorisation de son employeur, d’avoir modifié unilatéralement ses horaires d’intervention chez Mme [D], d’avoir été désagréable avec Mme [D] et sa famille, d’avoir bâclé son travail, d’avoir posé des bas de contention malgré les consignes l’interdisant et d’avoir manqué de discrétion en faisant des confidences sur sa vie professionnelle et personnelle, alors qu’elle avait déjà fait l’objet d’une sanction pour une faute similaire.
Il résulte de l’article 954 du code de procédure civile que la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Dans le corps de ses conclusions, Mme [C] sollicite la nullité de la procédure de licenciement, le même grief de fraude et d’atteinte à sa dignité que précédemment, entraînant selon elle nécessairement le caractère abusif du licenciement, ainsi que le prononcé de la nullité du rendu d’entretien préalable du 16 octobre 2018 et que cette pièce soit écartée des débats. Ces demandes ne figurent pas dans le dispositif de ses conclusions, de sorte que la cour d’appel n’en est pas saisie.
De plus, une irrégularité dans la procédure de licenciement ne suffit pas à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Enfin, la rédaction d’un compte rendu de l’entretien préalable au licenciement signé par l’employeur et le salarié, non prévu par les articles L.1232-3 et L.1232-4 du code du travail, n’est pas en soi attentatoire à la dignité du salarié et frauduleuse, étant observé qu’il revient à la cour d’en apprécier la valeur et le caractère probant.
Pour caractériser les manquements de Mme [C], la société FG Services Junior Senior produit, outre le compte rendu de l’entretien préalable, une fiche de réclamation ayant pour origine une réclamation téléphonique de Mme [W] [D] quant au comportement de Mme [C]. Il est fait état du refus de Mme [C] de nettoyer une vitre, de son travail bâclé (aspirateur non passé sous la table), de son insistance pour que Mme [D] sollicite de la société FG Services Junior Senior le décalage de ses heures d’intervention et du changement de ses horaires.
Si cette fiche est établie par l’employeur, Mme [O] [D], fille de Mme [W] [D], atteste que Mme [C] a téléphoné à sa maman le 19 septembre 2018 pour changer son horaire pour des raisons de confort personnel, sans égard pour l’équilibre de sa maman, que le 26 septembre elle a refusé de faire une vitre au prétexte qu’elle l’avait fait la semaine précédente et « qu’elle n’est pas un robot », qu’elle se montre désagréable, qu’elle n’a pas envie de travailler, ne passe pas l’aspirateur sous la table, recadre sa maman de manière désagréable, la manipule en lui demandant d’appeler l’agence pour décaler ses heures de travail, répond à sa maman qui lui demande de bien lui essuyer le dessous des bras ou de lui mettre de la pommade sur le genou qu’elle l’a déjà fait, accepte en revanche de lui mettre ses bas de contention alors qu’elle n’en a pas le droit, ne l’aide pas à ramasser les objets qu’elle peut faire tomber alors que sa maman souffre du ventre et ne peut plus se baisser, a dit à sa maman après résolution d’un problème d’antenne : « Eh bien maintenant vous n’irez plus vous plaindre vous avez toutes vos chaînes », a fait part à sa maman des problèmes qu’elle peut rencontrer avec un autre patient, ainsi que de ses problèmes de santé, ce qui l’inquiète, et que le comportement inadapté et irrespectueux de Mme [C] nuit à la santé et l’équilibre de sa maman.
Selon le compte rendu d’entretien préalable qu’elle a signé, Mme [C] a admis avoir sollicité Mme [D] pour le changement de ses horaires afin de faire moins de route, tout en étant consciente que cela peut nuire à la personne âgée. Elle a indiqué ne pas se souvenir si elle avait fait ou pas la vitre de la cuisine comme Mme [D] le lui avait demandé, ayant « dormi depuis ». Elle a réfuté lui avoir dit qu’elle était un robot et ne pas passer l’aspirateur partout, a soutenu avoir toujours été agréable avec Mme [D], a affirmé lui avoir toujours mis sa pommade. Elle a admis lui mettre ses bas de contention par obligation, en l’absence d’infirmière à domicile, de même qu’avoir laissé Mme [D] ramasser seule des choses par terre bien que connaissant ses soucis au ventre et ses difficultés pour se baisser. Elle a reconnu avoir dit : « maintenant vous êtes contente vous avez toutes vos chaînes » après le passage de l’antenniste et avoir fait part de ses difficultés avec un autre patient et d’un problème de santé, aux fins de répondre aux questions de Mme [D] « tout simplement ».
La matérialité des faits reprochés à Mme [C] est en conséquence démontrée par le témoignage de Mme [O] [D], conforté pour partie par les déclarations de la salariée. Si le témoignage de Mme [D] ne permet pas de déceler une tonalité ironique et fautive dans les propos tenus après le passage de l’antenniste, Mme [C] a manqué d’attention et de délicatesse en laissant Mme [D] ramasser seule des choses par terre et en la prenant à témoin tant de ses difficultés avec un autre patient que de ses problèmes de santé. Elle a surtout outrepassé son rôle en lui mettant ses bas de contention et en contournant son employeur pour modifier ses horaires de travail. Ces fautes justifiaient son licenciement mais ne constituent pas toutefois des faits de violence et de maltraitance, comme le soutient la société FG Services Junior Senior dans ses conclusions, et n’empêchaient pas le maintien de la salariée dans l’entreprise, en dépit de la sanction précédemment prononcée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [C] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais la salariée a droit au paiement de la période de mise à pied conservatoire, devenue sans fondement, de même qu’au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement, dont l’intimée ne conteste que le principe mais ne discute pas les montants sollicités.
Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de Mme [C] les frais qu’elle a dû exposer et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Déclare irrecevable la demande de la société FG Services Junior Senior tendant à ce que l’appel soit déclaré irrecevable.
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a retenu que le licenciement était justifié par une faute grave et statuant à nouveau de ce chef :
Dit que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Condamne la société FG Services Junior Senior à verser à Mme [F] [C] :
947,15 euros au titre de la retenue effectuée au titre de la mise à pied à titre conservatoire
2 592,20 euros au titre du préavis
259,22 euros au titre des congés payés afférents
1 539,11 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
Condamne la société FG Services Junior Senior à verser à Mme [F] [C] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société FG Services Junior Senior aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Gaetan DELETTREZ
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK