ARRÊT DU
16 Décembre 2022
N° 2021/22
N° RG 20/02085 – N° Portalis DBVT-V-B7E-THIH
OB/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
10 Septembre 2020
(RG 19/01209 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 16 Décembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [E] [F]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Pascal LABBEE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.S. SLAD SOCIETE LILLOISE D’AIDE A DOMICILE
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Florine MICHEL, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Novembre 2022
Tenue par Olivier BECUWE
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 18 octobre 2022
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [F] a été engagée par la société Lilloise d’aide à domicile (la société) selon contrat conclu à durée indéterminée et à temps partiel le 6 septembre 2010 en qualité d’assistance et auxiliaire de vie.
La convention collective était celle, nationale, des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 étendue.
En arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du mois de mars 2013, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement selon lettre du 3 décembre 2015.
Contestant le licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Lille de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat du travail.
Par un jugement du 10 septembre 2020, la juridiction prud’homale a notamment décidé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse mais a, par ailleurs, fait droit à ses demandes au titre d’une clause de non-concurrence, du solde de préavis et de l’indemnité spéciale ainsi que des congés payés au titre de la maladie professionnelle.
Par déclaration du 12 octobre 2020, la salariée a fait appel.
Par ses conclusions récapitulatives notifiées le 10 octobre 2022, auxquelles il est référé pour l’exposé des moyens, elle sollicite l’infirmation du jugement des chefs du licenciement, du montant des dommages-intérêts au titre du respect d’une clause de non-concurrence illégale et de celui de l’indemnité spéciale, ce à quoi s’oppose la société, par des conclusions en réponse d’appel incident notifiées le 10 juin 2022 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens.
MOTIVATION :
1°/ Sur le salaire de référence :
Les parties s’opposent sur le salaire à prendre à compte pour calculer le préavis et l’indemnité spéciale de licenciement, la salariée ajoutant que ce salaire doit également servir de base de calcul au montant des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour le respect d’une clause de non-concurrence illégale.
Elles sont en désaccord sur la période de temps : selon l’appelante principale, il faut cantonner le calcul à celle allant de novembre 2011 à octobre 2012 alors que, selon la société, la moyenne des salaires est celle des mois d’avril 2012 à mars 2013, mois au-delà duquel la salariée a été en arrêt de travail jusqu’à son licenciement.
En vertu de l’article L.1234-6 du code du travail, l’assiette de calcul du préavis repose sur le salaire qui aurait été habituellement perçu si la salariée avait travaillé sur la période garantie, en l’espèce de deux mois compte tenu de l’ancienneté, et cela par référence possible à une moyenne annuelle, comme la Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà dit (Soc., 7 février 1990, n° 86-43.413), étant rappelé que le préavis est dû en cas d’impossibilité de l’exécuter en raison d’une maladie professionnelle.
Quant aux articles R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail alors en vigueur, ils prévoient que l’indemnité de licenciement, doublée en l’occurrence en raison de la maladie professionnelle, se calcule au regard, selon la formule la plus avantageuse, de la moyenne des douze derniers mois précédant le licenciement ou du tiers des trois derniers mois.
Il s’en déduit que le salaire de référence se calcule à partir de périodes effectivement travaillées et au plus près de l’arrêt de travail lorsque le salarié est licencié à l’issue de ce dernier, comme la Cour de cassation l’a, par exemple, jugé en matière d’indemnité de licenciement (Soc., 23 mai 2017, n° 15-22.223).
C’est pourquoi la société objecte à juste titre que le calcul de la salariée ne peut faire abstraction des périodes de novembre 2012 à mars 2013 qui ont été travaillées.
Selon Mme [F], il ne faudrait prendre en compte que les mois travaillés à temps plein, l’employeur ayant refusé de reconnaître la requalification encourue à temps complet au-delà du mois d’octobre 2012.
Mais la société souligne exactement que l’appelante ne réclame pas cette requalification, peu important qu’elle ait pu être effectivement encourue, et qu’elle ne discute pas davantage de la durée exacte de travail accompli sur les mois de novembre et de décembre 2012 qui, dans les faits, a correspondu à un temps partiel, comme d’ailleurs le premier trimestre de l’année 2013 au cours duquel le contrat de travail s’est exécuté.
En conséquence, les parties étant d’accord sur le montant des rémunérations effectivement versées à compter du mois d’avril 2012 jusqu’au mois de mars 2013 et correspondant au temps de travail accompli, c’est à bon droit que la société aboutit à un salaire de référence mensuel brut de 1 464,08 euros.
Le jugement sera infirmé.
2°/ Sur la clause de non-concurrence :
Le contrat de travail stipulait la clause suivante :
‘Mme [F] s’interdit pendant une durée d’un an à compter de la date de cessation de ses fonctions, pour quelque cause que ce soit :
– d’apporter sous une forme et pour une fonction quelconque sa collaboration à l’un des clients de l’entreprise.
– de solliciter, démarcher les clients de l’entreprise, les détourner ou tenter de les détourner à son profit ou à celui d’un tiers’.
C’est à juste titre que la salariée analyse cette clause générale, qui contient une interdiction, y compris dans le cas où des clients de l’employeur envisageraient spontanément, en dehors de toute sollicitation ou démarchage, de la contacter directement ou indirectement, en une clause de non-concurrence soumise à contrepartie financière, comme la Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà jugé (Soc., 27 octobre 2009, n° 08-41.501), et non en une simple obligation de non-démarchage moins contraignante et susceptible d’échapper légalement à toute contrepartie financière.
Or, le contrat de travail ne prévoyait aucune contrepartie financière, ce qui entache de nullité la clause de non-concurrence.
Contrairement à ce que soutient la société, la salariée se prévaut bien du caractère illicite de la clause contractuelle, même si elle n’en demande pas formellement l’annulation dans le dispositif de ses conclusions, dès lors qu’elle en fait un moyen au soutien de son action indemnitaire.
C’est néanmoins à tort que l’intéressée propose de calculer le montant des dommages-intérêts sur la base de la clause pénale prévue en cas de violation dès lors que ladite clause pénale, stipulée en faveur de l’employeur, suppose la validité de la clause de non-concurrence qui ne peut ici être retenue.
Mme [F] a donc droit à des dommages-intérêts dont le montant est soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond en fonction du préjudice subi.
Encore faut-il toutefois qu’il y ait un préjudice lequel doit être démontré par la prétendue victime, nonobstant la nullité de la clause laquelle ne cause plus nécessairement un préjudice par le seul fait de sa stipulation, comme la Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà jugé (Soc., 25 mai 2016, n° 14-20.578).
Or, en l’espèce, la durée exacte pendant laquelle la salariée aurait respecté la clause litigieuse reste très imprécise, aucun élément tangible n’étant véritablement fourni, et celle-ci a été licenciée sur la base d’un avis d’inaptitude au poste d’auxiliaire de vie rendu le 4 novembre 2015 par le médecin du travail qu’elle n’a pas contesté.
Il s’ensuit que l’atteinte réelle à sa liberté de travailler n’est pas démontrée.
La demande sera rejetée et le jugement qui accorde la somme de 2 000 euros sera infirmé.
3°/ Sur le licenciement :
Les articles L.1226-10 et L.1226-15 du code du travail en leur version alors applicable font obligation à l’employeur de prendre en compte l’avis du délégué du personnel sur les propositions de reclassement.
A défaut de consultation du délégué du personnel, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ouvrait droit, sous l’empire de ces textes, à une indemnité minimale de douze mois de salaire.
En l’espèce, il est constant que la société disposait d’une déléguée du personnel, élue sans suppléant, et que celle-ci n’a pas été consultée sur le licenciement de la salariée, envisagée à l’issue de l’avis d’inaptitude du 4 novembre 2015 et prononcé le 3 décembre 2015, ce dont se prévaut l’appelante pour conclure à une rupture abusive.
La société rétorque que le mandat d’une durée de quatre ans de sa déléguée du personnel, élue le 18 novembre 2011, avait pris fin, par suite d’une démission, le 22 août 2015, fait établi, de sorte qu’elle n’a pu, par hypothèse, la consulter et qu’elle n’était pas contrainte d’organiser de nouvelles élections.
Les parties s’opposent sur la portée de l’article L.2314-7 du code du travail en sa version alors en vigueur qui dispose que :
‘Des élections partielles sont organisées à l’initiative de l’employeur si un collège électoral n’est plus représenté ou si le nombre des délégués titulaires est réduit de moitié ou plus.
Ces dispositions ne sont plus applicables lorsque ces événements interviennent moins de six mois avant le terme du mandat des délégués du personnel’.
Selon la société, il n’y avait pas lieu à organiser les élections, tel que l’exige l’alinéa 1er de ce texte, dès lors que l’absence de représentation électorale, à compter du 22 août 2015, est intervenue moins de six mois avant le terme du mandat, prévu le 18 novembre 2015, dérogation permise par l’alinéa 2.
C’est toutefois avec pertinence que Mme [F] expose que ce texte ne peut être invoqué qu’en cas d’élections partielles.
Il est constant qu’en l’espèce la déléguée du personnel était la seule élue de sorte que sa démission a supprimé toute représentation du personnel.
Il s’ensuit qu’il était nécessaire de mettre en place, pour procéder à son remplacement, à une nouvelle élection de la représentation du personnel et non à une élection partielle laquelle aurait supposé qu’il subsistât une représentation du personnel en nombre réduit, ce qui n’était pas le cas.
Il en résulte que, faute d’avoir immédiatement organisé une nouvelle élection du délégué du personnel, la société, qui n’allègue d’ailleurs d’aucun procès-verbal de carence, a contrevenu à l’article L.1226-10 du code du travail.
Mme [F], qui ne réclame pas davantage que douze mois de salaire, a droit, en conséquence, à la somme totale d’un montant de :
1 464,08 x 12 = 17 568,96 euros.
Le jugement qui la déboute de ce chef sera infirmé.
La sanction de l’article L.1235-4 du code du travail n’est ici pas applicable compte tenu du motif du licenciement intervenu en matière de maladie professionnelle.
4°/ Sur l’indemnité compensatrice de préavis :
L’employeur ne saurait proposer la liquidation du préavis à partir de la dernière période travaillée à temps partiel alors que le salaire de référence a été déterminé autrement.
Le préavis étant de deux mois, Mme [F] a droit à la somme de 2 928,16 euros (1 464,08 x 2), outre congés payés afférents.
Le jugement sera infirmé.
5°/ Sur l’indemnité spéciale de licenciement :
Revendiquant le calcul légal, la salariée est en droit d’obtenir, sur la base du salaire de référence et de son ancienneté, la somme suivante :
1 464,08 x 1/5ème x 5,167 (ancienneté au prorata) = 1 512,98 euros, soit pour l’indemnité doublée la somme de 3 025,96 euros d’ailleurs proposée par l’employeur.
Le jugement sera infirmé.
6°/ Sur les congés payés durant la période de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle :
C’est à juste titre que la salariée revendique, sur le fondement de l’article L.3141-5 du code du travail, le paiement d’un mois de congés payés, son absence en raison de sa maladie professionnelle étant, dans la durée maximale d’une année, assimilée à du temps de travail effectif.
Se calant sur le salaire de référence, et ce dernier s’élevant à la somme précitée de 1 464,08 euros, elle peut réclamer, selon la règle du 1/10ème de l’article L.3141-24 du code du travail, la somme de : 1 464,08 x 12 / 10 = 1 756,90 euros supérieure à la somme accordée par le jugement qui sera donc confirmé.
7°/ Sur les frais irrépétibles d’appel :
Il sera équitable de condamner la société, qui sera déboutée de ce chef ayant succombé, à payer à l’appelante la somme de 1 400 euros qui est réclamée.
PAR CES MOTIFS :
La cour d’appel, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
– confirme le jugement rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, mais seulement en ce qu’il condamne la société Lilloise d’aide à domicile à payer à Mme [F] la somme de 1 736,07 euros au titre des congés payés pendant la maladie, celle de 1 400 euros à titre de frais irrépétibles d’appel et déboute ladite société de cette demande ;
– infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
* fixe la moyenne des salaires à la somme de 1 464,08 euros ;
* dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
* condamne la société Lilloise d’aide à domicile à payer à Mme [F] la somme de 17 568,96 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que celle de 2 928,16 euros au titre du préavis, outre congés payés afférents et celle de 3 025,96 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement ;
– y ajoutant, précise que ces condamnations s’entendent déduction à faire des éventuelles cotisations applicables ;
– rappelle que les règlements déjà effectués à ce titre à la suite du licenciement viendront en déduction des présentes condamnations ;
– condamne la société Lilloise d’aide à domicile à payer à Mme [F] la somme de 1 400 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;
– rejette le surplus des prétentions ;
– condamne la société Lilloise d’aide à domicile aux dépens d’appel.
LE GREFFIER
Gaetan DELETTREZ
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE