C8
N° RG 21/02914
N° Portalis DBVM-V-B7F-K7SL
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
M. [A] [D] (FNATH)
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU MARDI 21 MARS 2023
Appel d’une décision (N° RG 21/014)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de VALENCE
en date du 25 mai 2021
suivant déclaration d’appel du 29 juin 2021
APPELANTE :
Mme [H] [P]
Chez M.[B] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparante en la personne de M. [A] [D] (FNATH), régulièrement muni d’un pouvoir
INTIMEE :
La CPAM de la Drôme, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 5]
comparante en la personne de Mme [R] [S], régulièrement munie d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, président,
Mme Isabelle DEFARGE, conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, greffier, et de Mme Fatma DEVECI, greffier stagiaire en pré-affectation
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 janvier 2023,
Mme Isabelle DEFARGE, conseillère chargée du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, président et M. Pascal VERGUCHT, conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoirie.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
Le 25 avril 2017 Mme [W] [C] comptable de Mme [E] [F] exerçant à titre individuel une activité de services à la personne à l’enseigne ‘Simplifiez vous la vie avec [E]’ a déclaré à la CPAM de la Drôme l’accident survenu le 13 avril 2017 à 15h00 à sa salariée Mme [H] [P] née le 23 mars 1970 , employée depuis le 17 mars 2016 en qualité d’aide familiale chez Mme [Y] [G] à [Localité 4] (26) dans les circonstances ainsi décrites :
‘Activité de la victime lors de l’accident : la salariée était en train de faire le petit ménage et le tri du courrier
Nature de l’accident : malaise
Siège des lésions : non connu
Nature des lésions : malaise, très fatiguée.’
Le certificat médical initial établi le 17 avril 2017 au centre hospitalier de [Localité 5] décrit un ‘déficit moteur 4/5 hémicorporel droit avec hypoesthésie droite, un flou dans le champ visuel droit sur AVC ischémique occipital gauche et splénium du corps calleux gauche’, prescrit un arrêt de travail jusqu’au 13 mai 2017 et précise ‘patiente hospitalisée depuis le 14/04 et pour une durée restant à déterminer’.
Le 05 juillet 2017 la CPAM de la Drôme a notifié à Mme [H] [I] (née [P]) une décision de refus de prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle, au motif que son médecin-conseil a considéré qu’il n’y avait pas de relation de cause à effet entre les faits invoqués et les lésions médicalement constatées.
Mme [P] a sollicité la mise en oeuvre d’une expertise médicale et le Dr [X] désigné à cet effet a émis l’avis que ‘les lésions et troubles mentionnés au certificat médical du 17 avril 2017 sont survenus au cours de l’activité professionnelle ordinaire et ont un lien de causalité avec le traumatisme provoqué par l’accident dont l’assurée a été victime le 13 avril 2017 ; que ces lésions et troubles sont la conséquence, par origine, d’un état antérieur.’
Compte-tenu de cet avis la caisse a alors notifié le 17 janvier 2018 à l’assurée l’interruption de l’indemnisation de son arrêt de travail au titre de la législation professionnelle, décision que Mme [I] (née [P]) a contestée devant la commission de recours amiable le 26 janvier 2018.
Entre-temps le 28 décembre 2017 la caisse avait demandé au tribunal des affaires de Sécurité sociale de Valence, compte-tenu du caractère ‘non net ni précis’ des conclusions du Dr [X] l’annulation de son avis et la mise en oeuvre d’une nouvelle expertise en application de l’article L. 141-2 du code de la sécurité sociale.
Mme [E] [F] exerçant à l’enseigne ‘Simplifiez-vous la vie avec [E]’ a été appelée en cause le 31 janvier 2020.
Par jugement du 10 juin 2020 le pôle social du tribunal judiciaire de Valence a :
– ordonné aux frais avancés de la caisse une expertise médicale et commis pour y procéder le Dr [Z],
– sursis à statuer sur les demandes des parties dans l’attente des conclusions de l’expert,
– réservé les dépens,
– ordonné le retrait de l’affaire du rôle.
Le 23 juillet 2020 le Dr [Z] a déposé son rapport au terme duquel il conclut :
– que le malaise décrit au certificat médical initial du 17 avril 2017 est survenu spontanément sans description de cause extérieure ni aucun effort d’une violence particulière,
– que le caractère ischémique de l’AVC diagnostiqué à l’origine de ce malaise est lié à une occlusion artérielle soit par une plaque d’athérome soit par un embol ; que dans le cas présent il a été découvert une cardiopathie emboligène (rétrécissement mitral serré) qui a nécessité un remplacement valvulaire en urgence,
– que cet accident vasculaire et le malaise qui en a découlé sont donc la conséquence directe et unique d’un état antérieur parfaitement identifié – quoique muet jusque là – et non pas d’une cause extérieure liée au travail,
– que cet AVC a justifié des soins spécialisés et une incapacité temporaire jusqu’à la reconnaissance d’une invalidité 2ème catégorie par la caisse, aucune lésion secondaire au malaise n’ayant été décrite ni ayant justifié de soins ou d’arrêt de travail,
– que la valvulopathie emboligène antérieure évoluant pour son propre compte est la cause du malaise du 13 avril 2017 qui ne l’a donc pas aggravée,
– que le malaise est survenu sur le lieu du travail sans que celui-ci n’en soit la cause, n’a été responsable d’aucune lésion ayant pu justifier un soin ou un arrêt de travail et est la conséquence directe et unique d’un état antérieur parfaitement identifié évoluant pour son propre compte, muet jusque là, état antérieur qui a justifié des soins et arrêts de travail prolongés.
Par jugement du 25 mai 2021 le tribunal a alors :
– déclaré le recours de la CPAM de la Drôme bien fondé,
– dit que les lésions du 13 avril 2017 médicalement constatées le 17 avril 2017 ne peuvent être prises en charge au titre de la législation sur les risques professionnels,
– débouté Mme [P] de l’intégralité de ses demandes,
– confirmé la décision de refus de prise en charge de la caisse en date du 05 juillet 2017 confirmée implicitement par la commission de recours amiable,
– condamné Mme [P] aux dépens.
Le 30 juin 2021 Mme [H] [P] a interjeté appel de cette décision et au terme de ses conclusions déposées le 07 octobre 2021 reprises oralement à l’audience elle demande à la cour :
– d’infirmer le jugement,
– de constater qu’elle doit bénéficier de la présomption d’imputabilité,
– de juger en conséquence que l’accident dont elle a été victime le 13 avril 2017 doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle,
– de constater que les conclusions de l’expertise médicale du Dr [X] sont claires nettes et précises et s’imposent à la caisse,
– de juger que les lésions constatées le 17 avril 2017 doivent être prises en charge au titre de l’accident du travail du 13 avril 2017,
– de la renvoyer devant la caisse pour la liquidation de ses droits.
Au terme de ses conclusions déposées le 04 janvier 2023 reprises oralement à l’audience la CPAM de la Drôme demande à la cour :
– de confirmer le jugement,
y faisant droit
– d’homologuer les conclusions d’expertise du Dr [Z],
– de dire et juger que les lésions constatées le 17 avril 2017 ne relèvent pas d’un accident du travail,
– de rejeter la demande de prise en charge des lésions de Mme [P] constatées le 17 avril 2017 au titre de la législation professionnelle,
– de maintenir sa décision de refus de prise en charge.
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile il est expressément référé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE :
Selon les dispositions de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
En l’espèce l’accident survenu à Mme [H] [P] le 13 avril 2017 sur son lieu de travail, qui a entraîné son hospitalisation le lendemain 14 avril 2017 bénéficie de la présomption d’imputabilité ainsi instituée et il incombe à la caisse pour renverser cette présomption de rapporter la preuve que les lésions consécutives résultent d’une cause totalement étrangère au travail ou de l’évolution pour son propre compte d’un état antérieur indépendant.
Après le refus de prise en charge initial pour un motif médical, la caisse a commis sur demande de l’assurée un expert avec la mission suivante : ‘Dire si les lésions et troubles mentionnés dans le certificat médical du 17/04/2017 ( déficit moteur 4/5 hémicorporel droit. Hypoesthésie droite – flou dans le champ visuel droit sur AVC ischémique occipital gauche et splenium corps calleux gauche) ont un lien de causalité avec le traumatisme provoqué par l’accident dont l’assurée a été victime le 13/04/2016.
Préciser, le cas échéant, si ces lésions et troubles sont la conséquence, par origine ou aggravation, d’un état antérieur’.
Selon les dispositions de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale applicable au litige, les contestations d’ordre médical relatives à l’état de la victime donnaient lieu à une procédure d’expertise médicale dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
L’article R. 141-1 du même code pris pour l’application de ces dispositions prévoyait dans sa version ici applicable que ces contestations étaient soumises à un médecin expert désigné, d’un commun accord, par le médecin traitant et le médecin conseil ou, à défaut d’accord dans le délai d’un mois à compter de la contestation, par le directeur général de l’agence régionale de santé ; celui-ci avisant immédiatement la caisse de la désignation de l’expert ; que dans le cas où l’expert était désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé, il ne pouvait être choisi que parmi les médecins inscrits, sous la rubrique Experts spécialisés en matière de sécurité sociale, sur les listes dressées en application de l’article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et de l’article 1er du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatifs aux experts judiciaires ; que lorsque la contestation portait sur le diagnostic ou le traitement d’une affection relevant de l’une des disciplines mentionnées par le règlement de qualification prévu au 4° de l’article R. 4127-79 du code de la santé publique, l’expert est, dans tous les cas, choisi parmi les médecins spécialistes ou compétents pour l’affection considérée ; que les fonctions d’expert ne pouvaient être remplies par le médecin qui a soigné le malade ou la victime, un médecin attaché à l’entreprise ou le médecin-conseil de la caisse primaire d’assurance maladie, de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, de la caisse de base du régime social des indépendants ou de la caisse de mutualité sociale agricole.
Selon les dispositions des articles R. 141-2 à R. 141-6 du même code ici applicables
– cette expertise était pratiquée soit à la demande de la victime comme en l’espèce, soit sur l’initiative de la caisse primaire d’assurance maladie ; que la victime pouvait toujours, même lorsque la matérialité de l’accident était contestée, requérir une expertise médicale ; que la caisse devait y faire procéder lorsque comme en l’espèce la contestation dont elle est saisie portait sur une question d’ordre médical ; que la victime qui requerrait une expertise présente une demande écrite, devait préciser l’objet de la contestation et indiquer le nom et l’adresse de son médecin traitant, demande adressée par lettre recommandée ou déposée contre récépissé au guichet de la caisse ; qu’en vue de la désignation du médecin expert, le service du contrôle médical de la caisse était tenu de se mettre en rapport avec le médecin traitant dans les trois jours qui suivent :
1°) soit la date où est apparue une contestation d’ordre médical ;
2°) soit la réception de la demande d’expertise formulée par la victime ;
3°) soit la notification du jugement prescrivant l’expertise.
– dès qu’elle était informée de la désignation du médecin expert, la caisse devait établir un protocole mentionnant obligatoirement :
1°) l’avis du médecin traitant nommément désigné ;
2°) l’avis du médecin conseil ;
3°) lorsque l’expertise était demandée par la victime, les motifs invoqués à l’appui de la demande;
4°) la mission confiée à l’expert ou au comité et l’énoncé précis des questions qui lui sont posées.
La caisse devait adresser au médecin expert la demande d’expertise obligatoirement accompagnée de ce protocole, par pli recommandé avec demande d’avis de réception.
– le médecin expert, devait informer immédiatement la victime, des lieu, date et heure de l’examen. Dans le cas où l’expertise était confiée à un seul médecin expert, celui-ci devait aviser le médecin traitant et le médecin conseil qui peuvent assister à l’expertise.
Le médecin expert devait procéder à l’examen de la victime, dans les cinq jours suivant la réception du protocole mentionné ci-dessus, au cabinet de l’expert ou à la résidence de la victime si celle-ci ne peuvent se déplacer.
Le médecin expert devait établir immédiatement les conclusions motivées en double exemplaire et adresser, dans un délai maximum de quarante-huit heures, l’un des exemplaires à la victime de l’accident du travail, l’autre au service du contrôle médical de la caisse d’assurance maladie.
En ce qui concerne les bénéficiaires de l’assurance maladie, les conclusions devaient être communiquées dans le même délai au médecin traitant et à la caisse.
Le rapport du médecin expert devait comporter :
– le rappel du protocole mentionné ci-dessus,
– l’exposé des constatations qu’il avait faites au cours de son examen,
– la discussion des points qui lui avaient été soumis
et les conclusions motivées mentionnées aux alinéas précédents.
Le médecin expert devait déposer son rapport au service du contrôle médical avant l’expiration du délai d’un mois à compter de la date à laquelle ledit expert a reçu le protocole, à défaut de quoi il était pourvu au remplacement de l’expert à moins qu’en raison des circonstances particulières à l’expertise, la prolongation de ce délai n’ait été obtenue.
La caisse devait adresser immédiatement une copie intégrale du rapport soit à la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, soit au médecin traitant du malade.
– la caisse devait prendre une décision et la notifier à la victime dans un délai maximum de quinze jours suivant la réception des conclusions motivées.
– la décision de la caisse, prise à la suite de l’avis de l’expert, était exécutoire par provision, nonobstant toute contestation.
En l’espèce les ‘conclusions motivées d’expertise’ (article L. 141-1 du code de la sécurité sociale) du Dr [X] notifiées à Mme [P] avec la décision de refus de prise en charge du 17 janvier 2018 n’ont pas respecté ces dispositions, et en particulier, ne peuvent être considérées comme constituant valablement le rapport prévu à l’article R. 241-4 ci-dessus qui devait comporter outre les conclusions ‘ces lésions et troubles sont la conséquence, par origine, d’un état antérieur’, le rappel du protocole établi par la caisse, l’exposé des constatations faites par l’expert au cours de son examen, et la discussion des points qui lui ont été soumis.
Faute pour le rapport de respecter ces dispositions, ces conclusions ne suffisent pas à renverser la présomption d’imputabilité au travail de l’accident du 13 avril 2017 dont sont résultées les lésions constatées le 17 avril 2017.
S’imposant à la caisse comme à l’assurée, elles devaient conduire à une décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle et ne pouvaient justifier la saisine par la caisse du tribunal des affaires de sécurité sociale aux fins de désignation d’un autre expert.
Le jugement sera en conséquence infirmé et la prise en charge de l’accident dont Mme [P] a été victime le 13 avril 2017 par la CPAM de la Drôme au titre de la législation professionnelle ordonnée.
La CPAM de la Drôme devra supporter les dépens de l’entière instance en application des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Ordonne la prise en charge par la CPAM de la Drôme, au titre de la législation professionnelle, de l’accident dont Mme [H] [P] a été victime le 13 avril 2017.
Y ajoutant,
Condamne la CPAM de la Drôme aux dépens de l’entière instance.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président