Services à la personne : 11 juillet 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/00817

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Services à la personne : 11 juillet 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/00817

ARRET N° 23/

CE/SMG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 11 JUILLET 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 7 juin 2022

N° de rôle : N° RG 21/00817 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EL37

S/appel d’une décision

du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LURE

en date du 23 avril 2021

Code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANTES

SCP [G] Prise en la personne de son gérant en exercice agissant en la personne de Maître [C] [N], mandataire liquidateur de la SAS PARISOT, sise [Adresse 2]

représentée par Me Ludovic PAUTHIER, postulant, avocat au barreau de BESANCON présent et par Me Angélique JEANNEY, plaidante, avocat au barreau D’EPINAL, présente

SELARL MJ & ASSOCIES agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice agissant en la personne de Maître [I] [E], mandataire liquidateur de la SAS PARISOT, sise [Adresse 3]

représentée par Me Ludovic PAUTHIER, postulant, avocat au barreau de BESANCON présent et par Me Angélique JEANNEY, plaidante, avocat au barreau D’EPINAL, présente

INTIMES

Monsieur [V] [A], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Charlotte JACQUENET, avocat au barreau de NANCY, absente

CGEA DE [Localité 7] – UNEDIC AGS, sise [Adresse 5]

représentée par Me Christine MAYER BLONDEAU, avocat au barreau de BESANCON, présente

CGEA [Localité 6] sise [Adresse 4]

représentée par Me Christine MAYER BLONDEAU, avocat au barreau de BESANCON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats 7 Juin 2022 :

CONSEILLERS RAPPORTEURS : M. Christophe ESTEVE, président, et Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER, conseillère, conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, en l’absence d’opposition des parties

GREFFIERE : Madame MERSON GREDLER

lors du délibéré :

M. Christophe ESTEVE, président, et Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER, conseillère, ont rendu compte conformément à l’article 945-1 du code de procédure civile à Mme Florence DOMENEGO, conseillère.

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 20 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogée au 6 décembre 2022, au 10 janvier 2023, au 31 janvier 2023, au 28 février 2023, au 28 mars 2023, au 25 avril 2023, au 30 mai 2023, au 27 juin 2023, au 4 juillet 2023 puis au 11 juillet 2023.

**************

Statuant sur l’appel interjeté le 11 mai 2021 par la SCP [F] [N] prise en la personne de Maître [C] [N] et la SELARL MJ & ASSOCIES prise en la personne de Maître [I] [E], toutes deux en leur qualité de mandataire liquidateur de la société par actions simplifiée Parisot, d’un jugement rendu le 23 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de Lure en sa formation de départage, qui dans le cadre du litige les opposant à l’association Unedic délégation AGS – CGEA de [Localité 7] et CGEA de [Localité 6] et à M. [V] [A] a :

– dit que le licenciement survenu le 18 mars 2019 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixé la créance de M. [V] [A] dans la liquidation judiciaire de la société Parisot représentée par ses liquidateurs aux sommes suivantes :

– 8 334,99 euros nets à titre d’indemnité de préavis et 833,50 euros nets à titre de congés payés afférents,

– 25 699,55 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 48 500 euros nets à titre d’indemnité sans cause réelle et sérieuse,

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclaré la décision opposable à l’AGS – CGEA de [Localité 7] dans les limites légales et réglementaires de sa garantie,

– rejeté toute autre demande,

– condamné la SELARL MJ&ASSOCIES en la personne de Maître [E] et la SCP [F] [N], prise en la personne de Maître [N], ès qualités, aux entiers dépens,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

Vu les dernières conclusions transmises le 7 janvier 2022 par la SELARL MJ&ASSOCIES prise en la personne de Maître [I] [E] et la SCP [F] [N] prise en la personne de Maître [C] [N], en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société Parisot, appelantes, qui demandent à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

à titre principal,

– dire et juger que les faits reprochés à M. [V] [A] sont constitutifs d’une faute grave,

– le débouter en conséquence de l’ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

– dire et juger que le licenciement de M. [V] [A] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– le débouter en conséquence de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dire et juger que l’indemnité conventionnelle de licenciement ne saurait être supérieure à la somme de 29.654,38 €,

en tout état de cause,

– constater que M. [V] [A] ne justifie pas du préjudice subi et réduire à de plus justes proportions l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse allouée par le conseil de prud’hommes,

– déclarer mal-fondé l’appel incident de M. [V] [A],

– le débouter, en conséquence, de ses demandes formées à ce titre,

– le débouter de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 73.612,50 €,

– condamner M. [V] [A] à payer à la liquidation judiciaire de la société Parisot, représentée par la SELARL MJ & ASSOCIES et la SCP [F] [X], liquidateurs judiciaires, la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [V] [A] aux entiers dépens avec autorisation de recouvrement direct au bénéfice de la SCP DUMONT PAUTHIER,

Vu les dernières conclusions transmises le 12 janvier 2022 par M. [V] [A], intimé, qui forme un appel incident et demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– dit que le licenciement survenu le 18 mars 2019 était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– déclaré le jugement opposable au CGEA-AGS de [Localité 7] dans les limites légales et réglementaires de sa garantie,

– condamné la SELARL MJ&ASSOCIES, en la personne de Maître [E] et la SCP [F] [N], en la personne de Maître [N], aux entiers dépens,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé sa créance dans la liquidation judiciaire de la société Parisot représentée par ses liquidateurs aux sommes suivantes :

– 8 334,99 euros nets à titre d’indemnité de préavis et 833,50 euros nets à titre de congés payés afférents,

– 25 699,55 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 48 500 euros nets à titre d’indemnité « sans cause réelle et sérieuse »,

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire et juger que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixer sa créance au passif de la société Parisot aux sommes de :

– 34 918,75 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 11 325 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 132 euros bruts à titre de congés payés afférents,

– 73 612,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire l’arrêt à intervenir commun et opposable aux CGEA-AGS de [Localité 7] et [Localité 6],

– donner acte aux CGEA – AGS de [Localité 7] et [Localité 6] des limites légales et jurisprudentielles de sa garantie,

– fixer les entiers dépens au passif de la société Parisot, y compris ceux liés à une éventuelle exécution forcée de la décision à intervenir,

– débouter la société Parisot représentée par ses liquidateurs, la SELARL MJ&ASSOCIES, en la personne de Maître [E], et la SCP [F] [N], en la personne de Maître [N] ainsi que les CGEA – AGS de [Localité 7] et [Localité 6] de l’intégralité de leurs demandes,

Vu les dernières conclusions transmises le 17 janvier 2022 par les CGEA de [Localité 7] et de [Localité 6], autres intimés, qui forment un appel incident et demandent à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [V] [A] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé la créance de M. [A] dans la liquidation judiciaire de la société Parisot représentée par ses liquidateurs aux sommes suivantes :

– 8 334,99 euros nets à titre d’indemnité de préavis et 833,50 euros nets à titre de congés payés afférents,

– 25 699,55 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 48 500 euros nets à titre d’indemnité « sans cause réelle et sérieuse »,

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré le jugement opposable à l’AGS CGEA de [Localité 7] au lieu de celui de [Localité 6],

à titre principal,

– dire et juger que le licenciement de M. [A] repose sur une faute grave,

– débouter M. [A] de l’ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

– dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [A] de sa demande de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dire et juger que l’indemnité conventionnelle de licenciement ne saurait être supérieure à la somme de 29 654,38 euros nets,

à titre plus subsidiaire,

– dire et juger que [V] [A] ne justifie pas de son préjudice,

– réduire les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions,

en tout état de cause,

– dire et juger que le CGEA de [Localité 6] es qualités de gestionnaire de l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-19, L. 3253-20, L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

– dire et juger que le CGEA ne devra s’exécuter, toutes créances effectuées pour le compte du salarié confondues, qu’à titre subsidiaire en l’absence de fonds disponibles et sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire,

– dire et juger que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes sommes et créances avancées pour le compte du salarié confondues, à un des trois plafonds définis à l’article D. 3253-5 du code du travail,

– statuer ce que de droit sur les dépens qui, en toute hypothèse, ne pourront être mis à la charge du CGEA,

– dire et juger que le CGEA n’a pas à garantir les sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties,

Vu l’ordonnance de clôture en date du 5 mai 2022,

SUR CE

EXPOSE DU LITIGE

M. [V] [A] a été embauché par la société Parisot à compter du 29 octobre 1990 sous contrat de travail à durée indéterminée.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale de la fabrication de l’ameublement.

Alors qu’il était agent fonctionnel (AF10), M. [V] [A] a été promu responsable d’îlot à compter du 1er octobre 2005, statut agent d’encadrement (AE02), puis responsable de production en unité à compter du 1er avril 2017, statut cadre, position I, coefficient 475, et enfin, à compter du 1er octobre 2018, responsable d’unité, au sein de l’unité UGV. Ces promotions successives ont toutes donné lieu à l’établissement d’un avenant au contrat de travail.

Par courrier du 6 mars 2019, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable, fixé au 13 mars 2019, en vue d’un éventuel licenciement.

Par lettre du 18 mars 2019, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.

C’est dans ces conditions que M. [V] [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Lure le 19 juin 2019 de la procédure qui a donné lieu au jugement entrepris.

***

Par jugement du 5 juin 2019, le tribunal de commerce de Dijon a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Parisot.

Celle-ci a ensuite été placée en liquidation judiciaire le 10 décembre 2019, la SELARL MJ & ASSOCIES et la SCP [F] [X] étant désignées liquidateurs judiciaires.

MOTIFS

1- Sur le licenciement :

Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit avoir une cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L. 1235-1, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

C’est à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave commise par le salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et à laquelle la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de sa teneur, l’employeur reproche au salarié d’avoir effectué de fausses déclarations de production avec des écritures antidatées en vue d’augmenter artificiellement le rendement hebdomadaire de son unité ; l’employeur rappelle en outre que la prime sur objectifs est également liée au rendement et conclut l’exposé des griefs en ces termes : « Les déclarations ainsi faites par vos soins ont eu pour effet de fausser les chiffres de la productivité et d’induire en erreur vos managers, et l’ensemble de l’entreprise. Vous occupez un poste de responsable d’unité (cadre) et à ce titre, nous vous confions toute la responsabilité du service UGV et donc cela constitue une tromperie grave. ».

C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a jugé le licenciement de M. [A] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il ressort en effet des productions que le réseau de WIFI dans le local où se trouve l’unité de production présentait régulièrement des dysfonctionnements empêchant la transmission des données entre le logiciel « Stourne », qui collecte directement les informations sur chaque machine résultant des saisies effectuées manuellement, et le système « JDE 9 », logiciel de gestion de production et de stocks.

Ces dysfonctionnements perdurant depuis des mois ont été maintes fois signalés par M. [A] et M. [Z], technicien optimisation, comme le démontrent les nombreux courriels adressés à ce sujet (des 11 janvier, 13, 15, 27 février, 11, 13 et 15 mars 2019).

Plusieurs salariés attestent qu’en raison des dysfonctionnements réguliers du réseau, ils étaient obligés de saisir manuellement les données dans le logiciel Stourne et de les antidater à la veille. Certains d’entre eux précisent qu’ils étaient contraints d’inscrire leur production sur une feuille volante et de remettre celle-ci à M. [A] pour qu’il la saisisse manuellement le lendemain.

Selon le guide de déclaration (pièce n° 9), en cas d’erreur d’enregistrement des données dans le logiciel Stourne ou de la non-transmission des données vers le logiciel JDE, les modifications nécessaires peuvent être faites manuellement et antidatées si besoin.

Il reste que M. [B] [J], contrôleur de gestion, a constaté que M. [A] procédait à des saisies manuelles d’écritures positives datées de la veille de sa saisie et d’écritures négatives antidatées de plusieurs semaines, alors que le suivi des rendements est hebdomadaire sans rétroactivité ainsi que ce témoin le confirme (pièce n° 4 de l’employeur).

Dans ces conditions, l’écriture négative antidatée au-delà de la semaine en cours ne peut plus impacter, à sa date d’effet, le rendement hebdomadaire constaté.

Le témoin précise qu’après un premier questionnement sur ce point le 9 novembre 2018, il a de nouveau constaté les mêmes anomalies au mois de janvier 2019 et en a référé alors à sa hiérarchie.

Toutefois, dans un tel contexte de dysfonctionnement récurrent du réseau WIFI, il n’est pas suffisamment démontré que M. [A], qui utilisait son propre identifiant pour procéder à ces saisies manuelles, ait entendu tromper son employeur sur le rendement de l’unité dont il avait la responsabilité, quand bien même les saisies « frauduleuses » avaient une incidence de 2 ou 3 points sur le rendement, ainsi que l’a estimé M. [B] [J] lors de l’entretien préalable (pièce n° 5 du salarié), et pouvaient le cas échéant permettre au salarié d’atteindre son objectif pour l’année 2018/2019 (rendement MO égal ou supérieur à 92 % selon les pièces n° 5 et 6 de l’employeur) et de percevoir ainsi la modeste prime allouée à ce titre.

Il reste que M. [A] aurait dû avertir son employeur au mois de janvier 2019 qu’il n’était toujours pas en mesure de procéder à toutes les corrections nécessaires en temps utile, étant précisé qu’au regard de la chronologie des événements il ne peut être retenu que l’employeur, informé par M. [J] au début du mois de février 2019 de la persistance des anomalies, a toléré les faits reprochés.

Une telle faute ne saurait cependant revêtir le caractère de gravité que lui prête l’employeur, ni même, en l’espèce, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En effet, ainsi que l’a retenu avec pertinence le premier juge, M. [V] [A] employé depuis 1990 par la société Parisot n’a jamais fait l’objet d’une quelconque sanction disciplinaire, de sorte que la sanction de la rupture du contrat apparaît effectivement disproportionnée eu égard à la nature de la faute reprochée et aux circonstances dans lesquelles elle a été commise.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement de M. [V] [A] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

2- Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

2-1- Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

M. [V] [A], qui a formé appel incident sur ce point, sollicite l’allocation de la somme de 11 325 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 132 euros au titre des congés payés afférents, sur la base d’un salaire moyen brut mensuel de 3 775 euros.

La cour, qui doit statuer dans les limites de la demande, retient ce montant moyen, sachant qu’il est aussi utilisé par l’AGS et les appelantes pour calculer l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Selon les dispositions conventionnelles applicables, la durée du préavis est de trois mois pour les cadres dont l’ancienneté est égale ou supérieure à deux ans.

Il convient dès lors de faire droit à la demande de M. [A], le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents en net.

2-2- Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement :

Sur la base de l’annexe « cadres » de la convention collective applicable et compte tenu d’un salaire moyen brut mensuel de 3 775 euros, M. [A], qui a formé appel incident sur ce point, sollicite l’allocation de la somme de 34 918,75 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

L’AGS et les appelantes font valoir qu’en application de l’article 10 de l’annexe susvisée, il faut distinguer l’ancienneté du salarié en qualité de cadre et son ancienneté en qualité de non-cadre.

Contrairement à la fin de non-recevoir opposée par le salarié, qui n’en tire cependant aucune conséquence procédurale dans le dispositif de ses conclusions, la demande présentée par les autres parties devant la cour tendant à voir juger que l’indemnité conventionnelle de licenciement ne saurait être supérieure à la somme de 29 654,38 euros nets ne constitue pas une demande nouvelle au sens des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile dès lors qu’elle ne tend qu’à faire écarter partiellement les prétentions adverses.

L’article 10 de l’annexe « cadres » de la convention collective applicable prévoit :

« Lorsqu’un cadre est licencié pour tout autre motif qu’une faute grave, il a droit à une indemnité distincte du préavis, calculée en fonction de son ancienneté dans l’entreprise, qui a pour objet de compenser de façon forfaitaire le préjudice qui est consécutif à la rupture.

Cette indemnité est fixée comme suit :

– à partir de 1 an d’ancienneté en qualité de cadre et jusqu’à 8 ans inclus : 2/10 de mois par année d’ancienneté à compter de la date d’entrée dans l’entreprise en qualité de cadre ;

– à partir de la 9e année d’ancienneté en qualité de cadre et jusqu’à la 13e année incluse : 3,3/10 de mois par année d’ancienneté ;

– au-delà de la 13e année d’ancienneté en qualité de cadre : 4/10 de mois par année d’ancienneté.

Son montant total est limité, en tout état de cause, à 12 mois de rémunération.

Le cadre qui était précédemment AP, AF ou AE bénéficie, d’une part, de l’indemnité ci-dessus et, d’autre part, de l’indemnité de licenciement fixée aux annexes de catégorie correspondantes en fonction de l’ancienneté acquise en qualité de non-cadre. Toutefois, si l’ancienneté comme cadre est inférieure à 1 an, l’intéressé bénéficie de l’indemnité de licenciement fixée aux annexes de catégorie correspondantes en fonction de l’ancienneté totale dans l’entreprise. (…) ».

Il résulte de ces dispositions conventionnelles que, comme le soutiennent à bon droit l’AGS et les appelantes, il faut distinguer l’ancienneté du salarié en qualité de cadre et son ancienneté en qualité de non-cadre.

S’agissant de la période en qualité de non-cadre, l’article 7 de l’annexe « agents fonctionnels et agents d’encadrement » de la convention collective applicable dispose :

« Il est alloué aux agents fonctionnels et aux agents d’encadrement congédiés, sauf pour faute grave de leur part, une indemnité distincte du préavis, tenant compte de leur ancienneté dans l’entreprise et fixée comme suit à partir de 1 année d’ancienneté : 2/10 de mois par année d’ancienneté plus 2/15 de mois par année au-delà 10 ans. »

M. [A] se fonde sur une ancienneté de 28 ans et 5 mois. La cour retient cette ancienneté même si elle ne tient pas compte de la durée du préavis, pour statuer dans la limite de la demande.

Le salarié a exercé ses fonctions au sein de la société Parisot en tant que non-cadre du 29 octobre 1990 au 31 mars 2017, soit pendant 26 ans et 5 mois.

En vertu de l’article 7 de l’annexe « agents fonctionnels et agents d’encadrement » de la convention collective applicable, il a droit au titre de cette période d’ancienneté en tant que non-cadre à la somme de 28 207,64 euros.

Il a ensuite exercé au sein de la société Parisot en qualité de cadre à compter du 1er avril 2017, pendant deux ans pour rester dans les limites de la demande.

En vertu de l’article 10 de l’annexe « cadres » de la convention collective applicable, il a droit au titre de cette période d’ancienneté en qualité de cadre à la somme de 1 510 euros.

Il suit de là que l’indemnité conventionnelle due pour la totalité de la période d’ancienneté s’élève à la somme nette de 29 717,64 euros.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef et statuant à nouveau, la cour fixera au passif de la liquidation judiciaire de la société Parisot la créance du salarié au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 29 717,64 euros nets.

2-3- Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas sérieuse et à défaut de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre 3 et 19,5 mois de salaire brut pour une ancienneté de 28 ans et 5 mois.

Le premier juge a fixé l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme nette de 48 500 euros, soit selon les motifs de la décision 18 mois x 2.694,45 euros, alors qu’il aurait dû prendre en compte le salaire moyen brut mensuel.

M. [A], qui a formé appel incident sur ce point, sollicite l’allocation de la somme de 73.612,50 euros, soit 19,5 mois de salaire brut, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les parties adverses soutiennent à titre subsidiaire que le salarié ne justifie pas de son préjudice et demandent à la cour de réduire à de plus justes proportions l’indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais d’abord, la perte injustifiée de son emploi cause au salarié un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.

Ensuite, le salarié justifie bien de son préjudice en communiquant les éléments utiles relatifs à sa situation financière et familiale.

Il en ressort qu’il a retrouvé un emploi à durée indéterminée au sein de la société Saônoise de Contreplaqué le 8 avril 2019 en qualité de responsable d’îlot, mais que l’employeur a mis fin à la période d’essai le lendemain, qu’il a été admis au bénéfice de l’allocation d’aide au retour à l’emploi à compter du 30 avril 2019, qu’il a créé le 19 juin 2019 une micro-entreprise de services à la personne, bénéficiant dans ce cadre du dispositif d’exonération ACRE, qu’au titre de cette activité il a déclaré des revenus commerciaux à hauteur de 7 508 euros (nets : 2 177 euros) pour 2019 et à hauteur de 17 650 euros (nets : 8 727 euros) pour 2020, qu’il a suivi une formation FIMO M du 9 mai au 7 juin 2019 et qu’il a sollicité le 28 octobre 2021 auprès de Pôle emploi l’allocation de solidarité spécifique, n’ayant donc toujours pas retrouvé d’emploi à cette date.

L’intéressé produit aussi ses avis d’imposition sur les revenus 2017, 2018, 2019 et 2020, justifiant ainsi d’une perte de revenus conséquente depuis son licenciement.

Il supporte le remboursement de divers prêts avec sa compagne pour un montant mensuel supérieur à 1 000 euros.

Âgé de plus de 50 ans à la date de son licenciement, M. [A] bénéficiait d’une ancienneté de plus de 28 ans au sein de la société Parisot.

Considérant ces éléments et compte tenu d’un salaire moyen brut mensuel de 3 775 euros tel que retenu par les parties, il y a lieu d’allouer à M. [V] [A] la somme de 67.950 euros (18 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

3- Sur l’opposabilité de l’arrêt à l’AGS :

Les CGEA de [Localité 7] et de [Localité 6], tous deux dans la cause, concluent de concert que c’est le CGEA de [Localité 6] qui devra faire l’avance des créances du salarié fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Parisot, dans les limites légales de sa garantie, et non celui de [Localité 7].

Leur appel incident sur ce point ayant été régulièrement formé, il convient d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré la décision opposable à l’AGS – CGEA de [Localité 7] et statuant à nouveau, de déclarer le présent arrêt opposable à l’Unedic délégation AGS – CGEA de [Localité 6], sans qu’il y ait lieu de décrire les limites légales de sa garantie dans la mesure où elles procèdent de la loi et ne sont ici l’objet d’aucun contentieux.

4- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La décision attaquée sera confirmée en ce qu’elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, il apparaît équitable d’allouer à M. [V] [A] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer devant la cour, à la charge des liquidateurs judiciaires de la société Parisot.

La SCP [F] [N] prise en la personne de Maître [C] [N] et la SELARL MJ & ASSOCIES prise en la personne de Maître [I] [E], qui succombent toutes deux en leur qualité de mandataire liquidateur de la société Parisot, n’obtiendront aucune indemnité sur ce fondement et supporteront les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement notifié à M. [V] [A] le 18 mars 2019 dépourvu de cause réelle et sérieuse et statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe les créances de M. [V] [A] au passif de la liquidation judiciaire de la société Parisot comme suit :

– 11 325 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 132 euros au titre des congés payés afférents ;

– 29 717,64 euros nets au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– 67 950 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déclare le présent arrêt opposable à l’Unedic délégation AGS – CGEA de [Localité 6] ;

Condamne la SCP [F] [N] prise en la personne de Maître [C] [N] et la SELARL MJ & ASSOCIES prise en la personne de Maître [I] [E], toutes deux en leur qualité de mandataire liquidateur de la société Parisot, à payer à M. [V] [A] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer devant la cour ;

Condamne la SCP [F] [N] prise en la personne de Maître [C] [N] et la SELARL MJ & ASSOCIES prise en la personne de Maître [I] [E], toutes deux en leur qualité de mandataire liquidateur de la société Parisot, aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le onze juillet deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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