COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 25 Mai 2023
N° RG 22/01279 – N° Portalis DBVY-V-B7G-HBEG
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l’exécution de THONON LES BAINS en date du 17 Mai 2022, RG 22/00674
Appelante
Mme [M] [E]
née le [Date naissance 5] 1973 à [Localité 7], demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Pascale GABORIEAU, avocat au barreau de CHAMBERY
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro C-73065-2022-001518 du 27/06/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CHAMBERY)
Intimés
M. [O] [J]
né le [Date naissance 2] 1933 à [Localité 10], demeurant [Adresse 6]
Mme [B] [J]
née le [Date naissance 1] 1936 à [Localité 9], demeurant [Adresse 6]
Représentés par Me Clémentine ROBERT, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Catia BARBOSA-RIBEIRO, avocat plaidant au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 21 mars 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 19 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d’Annemasse a prononcé la résiliation du contrat de bail d’habitation conclu entre Monsieur [O] [J] et Madame [B] [J] (bailleurs) d’une part, puis Madame [M] [E] (preneuse) d’autre part, portant sur un logement sis [Adresse 4], à [Localité 8].
Cette décision a été signifiée à Madame [E] le 19 novembre 2021 puis un commandement de quitter les lieux lui a été signifié le 3 février 2022.
Par requête enregistrée au greffe le 16 mars 2022, cette dernière a saisi le juge de l’exécution en sollicitant le bénéfice de délais pour quitter le logement.
Constatant que les parties ne produisaient pas le titre exécutoire susceptible d’engendrer l’expulsion de Madame [E], le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a, par jugement contradictoire du 17 mai 2022 :
– déclaré irrecevable la demande de délai présentée par Madame [E],
– condamné Madame [E] aux dépens.
Par acte du 7 juillet 2022, Madame [E] a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [E] demande à la cour de :
– réformer le jugement déféré,
– dire qu’elle est bien fondée à solliciter des délais avant son expulsion, compte tenu de la signification du jugement du 19 novembre 2021 qui l’a ordonnée,
– dire qu’elle doit bénéficier des plus larges délais avant son expulsion éventuelle de façon à pouvoir obtenir un nouveau logement, soit au minimum 18 mois,
– dire que chaque partie conservera ses dépens.
En réplique, dans leurs dernières conclusions adressées par voie électronique le 10 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur et Madame [J] demandent à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
– condamner Madame [E] à payer la somme de 2 000 euros en remboursement des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [E] aux entiers dépens d’instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Conformément aux articles L.411-1 et suivant du code des procédures civiles d’exécution, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut, sauf disposition spéciale, être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux.
Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.
La durée de ces délais ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour leur fixation, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L.441-2-3 et L.441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.
Au soutien de sa demande, Madame [E] produit :
– le commandement de payer lui ayant été adressé par ses bailleurs le 25 février 2021,
– le jugement du 19 novembre 2021 prononçant son expulsion,
– la signification du jugement précité en date du 11 janvier 2022,
– le commandement de quitter les lieux lui ayant été délivré le 3 février 2022,
– un procès-verbal de tentative d’expulsion du 30 mai 2022.
Il s’en suit que sa demande de délais, justifiée par la décision d’expulsion, sa signification et les actes d’exécution subséquents, s’avère recevable.
Au fond, Madame [E] excipe du fait qu’elle se trouvait dans une situation financière précaire mais qu’elle a initié des démarches afin d’obtenir une allocation MDPH laquelle lui permettra d’augmenter ses ressources. Elle ajoute avoir adressé différentes demandes auprès de bailleurs sociaux en vue de son relogement. Souffrant de troubles psychiatriques, elle indique encore avoir été hospitalisée du 15 octobre 2021 au 14 janvier 2022 et poursuivre des soins. Madame [E] signale en outre avoir effectué un versement volontaire de 300 euros entre les mains de l’huissier en charge du recouvrement de la créance de ses bailleurs.
Pour en justifier, elle verse aux débats ;
– un avis d’imposition 2021 sur les revenus 2020 mentionnant un revenu fiscal de référence de 1 366 euros,
– une attestation d’enregistrement d’une demande de logement social en date du 26 janvier 2021,
– une convocation du 11 février 2022 à se rendre à la permanence sociale d'[Localité 8] en vue de solutionner son relogement,
– un reçu de paiement du 17 février 2022, pour une somme de 300 euros, entre les mains de l’huissier en charge du recouvrement de la créance de Monsieur et Madame [J]
– une invitation datée du 18 février 2022, du responsable du logement du département, à rencontrer l’assistante sociale de secteur et à demander à bénéficier du droit au logement opposable et/ou à saisir la commission de médiation,
– un justificatif d’hospitalisation à la clinique nouvelle des vallées du 15 octobre 2021 au 14 janvier 2022,
– une attestation de suivi en psychiatrie pour la période du 14 août 2020 au 10 mars 2022,
– un justificatif de constitution de dossier MDPH du 15 novembre 2021,
– une notification d’attribution de l’allocation supplémentaire d’invalidité du 17 février 2022,
– un justificatif de demande de logement auprès d’ADOMA en date du 9 mai 2022,
– un formulaire de demande de logement auprès d’AATES,
– un justificatif de rejet de son recours auprès de la commission de médiation de la Haute-Savoie en date du 30 juin 2022.
Dans ces conditions, il est avéré que Madame [E] justifie à la fois d’une situation de santé fragile, de démarches positives pour retrouver une stabilité financière et un logement puis de la volonté, fût-ce par des efforts modestes, d’apurer sa dette locative.
Monsieur et Madame [J] indiquent pour leur part, sans toutefois le démontrer, que les ressources locatives du logement donné à bail étaient destinées à ‘compléter leur maigre retraite’.
Aussi, faute d’élément permettant d’apprécier les conséquences concrètes qu’entraîneraient pour eux l’octroi de délais, et au regard de la situation personnelle de Madame [E], la cour fait droit à la demande de l’appelante, jusqu’au 1er avril 2023, afin de permettre son relogement effectif dans des conditions normales.
Les faits de l’espèce justifient que Madame [E], demanderesse à la procédure, conserve la charge des dépens de première instance et d’appel. En équité, la cour dit n’y avoir lieu à condamnation au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Réforme la décision déférée sauf en ce qu’elle a condamné Madame [M] [E] aux dépens,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable la demande de délais formée par Madame [M] [E],
Y ajoutant,
Octroie à Madame [M] le bénéfice de délais jusqu’au 1er avril 2024 afin de quitter le logement donné à bail par Monsieur [O] [J] et Madame [B] [J] sis [Adresse 4], à [Localité 8],
Condamne Madame [M] [E] aux dépens d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi prononcé publiquement le 25 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente