COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 25 Mai 2023
N° RG 22/01028 – N° Portalis DBVY-V-B7G-HAL4
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l’exécution de THONON LES BAINS en date du 07 Juin 2022, RG 21/01703
Appelant
M. [H], [Z], [X] [E]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 15] ([Localité 13]), demeurant [Adresse 7]
Représenté par la SCP PIANTA & ASSOCIES, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimée
Société INTERNATIONAL MOTOR DISTRIBUTION INC, sous l’enseigne IMD dont le siège social est sis [Adresse 20]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Céline JULIAND, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 21 mars 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
A compter de février 2010, la société International Motor Distribution INC (IMD), immatriculée aux Iles vierges britanniques et dont les bénéficiaires économiques sont les membres de la famille [M], conseillée par son «family office» (ou gestionnaire de fortune), à savoir la société Compass Strategy Consultants, dont M. [H] [E] était alors salarié et membre du conseil d’administration, a confié la gestion de ses avoirs à la société [I] et associés Finance (société de droit suisse) en la personne de M. [T] [S].
Les avoirs sous gestion ont été augmentés de 20 M USD à compter du 17 août 2011 pour la partie discrétionnaire, c’est-à-dire à la libre initiative du mandataire (d’autres mandats étant sous «advisory» c’est-à-dire soumis à ordre). Le total du portefeuille discrétionnaire confié par IMD à [I] & associés s’élevait ainsi à 38,2 M USD. La rémunération du mandataire se faisait par prime de performance, et des rétrocessions des banques dépositaires.
En septembre 2011, M. [E] a créé une société de gestion de patrimoine de droit suisse Compass Finance SA, à laquelle la gestion des avoir de IMD a été transférée à compter du 1er juillet 2012, M. [S] rejoignant également cette société.
A la suite de pertes importantes, le mandat de gestion discrétionnaire a été résilié par la société IMD au début de l’année 2013, le reste du portefeuille (advisory) étant resté sous mandat de gestion jusqu’en 2015. Le mandat confié par IMD à la société Compass Strategy a également été résilié en juin 2013.
Suite à des commissions impayées et à la dégradation des relations entre les parties, par courrier du 26 juin 2015 la société Compass Finance a notifié à la société IMD la résiliation de son mandat de conseils en placement avec effet immédiat.
Le 20 mai 2015, la société IMD, la société Fund For Private Investment (FPI), la société Tensbur Investment INC, M. [K] [M] et M. [O] [D] ont déposé plainte auprès du Procureur général de Genève pour diverses infractions financières qu’ils considèrent comme ayant été commises par M. [S], M. [E], ainsi que par les sociétés [I] & associés Finance, Compass Finance et Compass Strategy Consultants. Le montant du préjudice subi est alors estimé par les plaignants à 70 M USD.
Au terme d’un procès-verbal d’audience du 14 janvier 2016, le Procureur de la République et Canton de Genève a engagé des poursuites à l’encontre de M. [E]. L’instruction de cette affaire est toujours en cours.
Diverses ordonnances de placement sous séquestre de sommes d’argent déposées sur des comptes bancaires ouverts au nom des sociétés Compass Finance, Compass Strategy Consultants, et aux noms de MM. [S] et [E] ont été rendues par le ministère public de Genève.
Craignant pour la recouvrabilité de ce qu’elle estime être le préjudice qu’elle a subi du fait des infractions qu’elle soutient avoir été commises notamment par M. [E], la société IMD a sollicité l’autorisation du juge de l’exécution du tribunal de Thonon-les-Bains de procéder à diverses mesures conservatoires sur les biens de M. [E] en [J].
Ainsi, par une première ordonnance du 27 janvier 2017, le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains a rejeté la demande formée par la société IMD tendant à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble appartenant à M. [E].
Toutefois, par une deuxième ordonnance du 19 juillet 2017, le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains a finalement autorisé la société IMD à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur une maison à usage d’habitation appartenant à M. [E] pour un montant de 502 000 euros. Cette inscription a été faite le 8 août 2017, et dénoncée à M. [E] le 14 août 2017, qui a fait assigner la société IMD devant le juge de l’exécution aux fins de mainlevée de cette inscription.
Par décision du 27 août 2019, le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains a rejeté les demandes de M. [E] aux fins de voir ordonner la mainlevée de l’inscription d’hypothèque. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.
Par requête du 31 décembre 2020, la société IMD a demandé au juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains l’autorisation de saisir les comptes bancaires détenus par M. [E] en [J].
Par ordonnance du 04 janvier 2021, le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains a fait droit à ces demandes dans la limite de 60 millions d’euros.
Les saisies conservatoires ont été mises à exécution début janvier 2021 et dénoncées à M. [E] le 15 janvier 2021.
Par acte d’huissier transmis aux autorités des Iles Vierges britanniques le 08 septembre 2021, M. [E] a fait assigner la société IMD devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains pour obtenir :
– la caducité de l’autorisation donnée par le juge de l’exécution le 04 janvier 2021 de pratiquer une saisie conservatoire sur divers comptes détenus par M. [E] en [J],
– la mainlevée de ces saisies-conservatoires,
– la caducité de l’ordonnance du 19 juillet 2017 autorisant l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur sa maison d’habitation, et la mainlevée de cette hypothèque judiciaire,
– subsidiairement, la mainlevée des saisies conservatoires sur ses comptes bancaires faute pour la mesure de respecter les dispositions de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution,
– la condamnation de la société IMD au paiement de:
– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société IMD s’est opposée aux demandes.
Par jugement contradictoire rendu le 07 juin 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :
déclaré irrecevables les demandes concernant l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. [E] autorisée par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains par ordonnance du 19 juillet 2017,
rejeté la demande de mainlevée des saisies conservatoires de créances pratiquées sur les comptes de M. [E], dénoncées le 15 janvier 2021 par la SCP [F]-[P], huissiers à [Localité 21], en vertu d’une ordonnance rendue par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains le 04 janvier 2021,
rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [E],
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné M. [E] à payer à la société International Motor Distribution INC la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [E] aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 15 juin 2022, M. [E] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 15 février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [E] demande en dernier lieu à la cour de :
dire recevable et bien fondé M. [E] en son appel,
réformer le jugement déféré en ce qu’il a :
– déclaré irrecevables les demandes concernant l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. [E] autorisée par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains par ordonnance du 19 juillet 2017,
– rejeté la demande de mainlevée des saisies conservatoires de créances pratiquées sur les comptes de M. [E], dénoncées le 15 janvier 2021 par la SCP [F]-[P], huissiers à [Localité 21], en vertu d’une ordonnance rendue par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains le 04 janvier 2021,
– rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [E],
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné M. [E] à payer à la société International Motor Distribution inc la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [E] aux dépens de l’instance.
Statuant à nouveau,
rejeter l’exception de l’autorité de la chose jugée soulevée, in limine litis, par la société IMD,
A titre principal,
constater la caducité de l’autorisation donnée par ordonnance du 04 janvier 2021 du juge de l’exécution près le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains pour la société IMD, de pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de :
– le Crédit Industriel et Commercial (CIC) dont le siège social est sis [Adresse 12],
– le CIC – Lyonnaise de banque dont le siège social est sis [Adresse 14],
– la Caisse de Crédit mutuel du [Adresse 18], dont le siège social est sis [Adresse 2],
– la Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] dont le siège social est sis [Adresse 8],
– la Caisse Fédérale de Crédit mutuel, dont le siège social est sis [Adresse 11],
– la Caisse d’Epargne et de prévoyance Rhône-Alpes cera dont le siège social est [Adresse 22], prise en son agence de [Localité 21] sise [Adresse 10],
– la BNP Paribas dont le siège social est sis [Adresse 4],
sur toutes sommes, effets, valeurs ou avoirs que celle-ci doit ou devra à M. [H] [Z] [A],
et, en conséquence, ordonner la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées sur les comptes de M. [E] et qui lui ont été dénoncées le 15 janvier 2021, à savoir les comptes suivants :
– [XXXXXXXXXX05] [XXXXXXXXXX01] (CIC lyonnaise de banque à [Localité 19]),
– [XXXXXXXXXX05] [XXXXXXXXXX01] (CIC lyonnaise de banque à [Localité 19]),
– [XXXXXXXXXX06] (Caisse du Crédit mutuel du [Adresse 18] à [Localité 15]),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– compte courant (BNP Paribas),
– compte épargne LDD (BNP Paribas),
– compte épargne CEL (BNP Paribas),
constater la caducité de l’ordonnance rendue le 19 juillet 2017 par le juge de l’exécution près le tribunal de Thonon-les-Bains et autorisant la société IMD à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur une maison à usage d’habitation appartenant à M. [E] pour un montant de 502 000 euros,
en conséquence, ordonner la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire,
A titre subsidiaire,
constater que la mesure conservatoire ne remplit pas les conditions prescrites par l’article L. 511-1 du code de procédures civiles d’exécution,
en conséquence, ordonner la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées sur les comptes de M. [E] et qui lui ont été dénoncées le 15 janvier 2021 à savoir les comptes suivants :
– [XXXXXXXXXX05] [XXXXXXXXXX01] (CIC lyonnaise de banque à [Localité 19]),
– [XXXXXXXXXX05] [XXXXXXXXXX01] (CIC lyonnaise de banque à [Localité 19]),
– [XXXXXXXXXX06] (Caisse du Crédit mutuel du [Adresse 18] à [Localité 15]),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– [XXXXXXXXXX09] (Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] à Dijon),
– compte courant (BNP paribas),
– compte épargne LDD (BNP paribas),
– compte épargne CEL (BNP paribas),
En tout état de cause,
condamner la société IMD à payer à M. [E] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
condamner la société IMD à payer à M. [E] la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
dire que l’intégralité des dépens, en ce compris les dépens des saisies seront laissés à la charge de la société IMD.
Par conclusions notifiées le 29 septembre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société International Motor Distribution INC (IMD) demande en dernier lieu à la cour de :
Concernant l’hypothèque judiciaire provisoire autorisée par l’ordonnance du juge de l’exécution du 19 juillet 2017 :
A titre principal,
déclarer irrecevables les contestations de M. [E] concernant l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire qui ont d’ores et déjà été tranchées par une décision rendue par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains du 27 août 2019 comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée et au principe de concentration des moyens,
en conséquence, confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
débouter purement et simplement M. [E] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire, si la cour devait juger recevable la demande de caducité de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire,
dire et juger que la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée le 20 mai 2015 par la société IMD contre M. [E] constitue les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire prévues par les dispositions de l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution,
dire et juger que la créance paraît fondée en son principe,
constater que M. [E] ne conteste pas qu’il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance,
en conséquence, débouter purement et simplement M. [E] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Concernant la saisie conservatoire autorisée par l’ordonnance du juge de l’exécution du 04 janvier 2021 :
confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
dire et juger que la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée le 20 mai 2015 par la société IMD contre M. [E] constitue les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire prévues par les dispositions de l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution,
dire et juger que la créance paraît fondée en son principe,
constater que M. [E] ne conteste pas qu’il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance,
en conséquence, débouter purement et simplement M. [E] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant,
condamner M. [E] à régler à la société IMD la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel,
condamner M. [E] aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de Me Juliand, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’affaire a été clôturée à la date du 20 février 2023 et renvoyée à l’audience du 21 mars 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 25 mai 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
Sur la caducité de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire:
M. [E] réitère en appel sa demande tendant à obtenir que soit prononcée la caducité de l’ordonnance rendue le 19 juillet 2017 par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains autorisant la société IMD à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur sa maison à usage d’habitation pour un montant de 502 000 euros.
La société IMD demande la confirmation du jugement déféré qui a déclaré cette demande irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le juge de l’exécution le 27 août 2019 et du principe de concentration des moyens.
En application de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il est de jurisprudence constante qu’il incombe aux parties de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature à justifier leurs demandes ou à justifier le rejet total ou partiel des demandes adverses.
En l’espèce il est constant que, à la suite de la dénonciation de l’ordonnance autorisant l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire, M. [E] a fait assigner, le 20 novembre 2018, la société IMD devant le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains aux fins de mainlevée de cette inscription, en se fondant sur des exceptions de litispendance et de connexité, mais également sur la nullité de l’inscription, et sur l’absence de créance fondée en son principe. Par jugement du 27 août 2019 ses demandes ont été rejetées.
Il est incontestable que la demande formée aujourd’hui concerne les mêmes parties, qu’elle est formée entre elles en la même qualité, et porte sur la même hypothèque judiciaire provisoire.
La demande de caducité de l’ordonnance autorisant l’inscription d’hypothèque judiciaire tend aux mêmes fins que celle initialement formée devant le juge de l’exécution en mainlevée de cette inscription, puisqu’elles ont toutes deux pour objet de mettre à néant l’inscription qui a été faite en vertu de cette autorisation.
Aussi, faute pour M. [E] d’avoir, dès la première procédure en contestation de l’hypothèque judiciaire provisoire devant le juge de l’exécution, soulevé tous les moyens de nature à obtenir la mise à néant de cette inscription, il n’est plus recevable à le faire et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la caducité de l’ordonnance autorisant la saisie conservatoire de créances :
En application de l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution, si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
Il est de jurisprudence constante que le dépôt de plainte avec constitution de partie civile constitue la mise en oeuvre d’une procédure destinée à l’obtention du titre exécutoire lorsqu’elle permet au plaignant d’obtenir des dommages et intérêts.
En l’espèce la société IMD justifie avoir déposé, le 20 mai 2015, une plainte pénale devant le Procureur de Genève, avec d’autres plaignants, contre personnes dénommées, dont M. [E].
Les pièces produites aux débats établissent que cette procédure pénale est toujours en cours d’investigations, et ce depuis juillet 2015. Les derniers actes dont il est justifié ont été accomplis en septembre 2022 (pièce n° 44 de l’intimée).
La plainte déposée (pièce n° 2 de l’intimée), et le procès-verbal d’audience du 14 janvier 2016 (pièce n° 6 de l’intimée), constituent incontestablement la mise en oeuvre de la procédure requise par l’article R. 511-7 précité en ce qu’ils identifient le créancier potentiel comme étant la société IMD, le débiteur potentiel comme étant M. [E], avec indication, par la société IMD, de montants susceptibles de constituer le préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait des agissements de M. [E].
Le fait que d’autres plaignants et d’autres mis en cause apparaissent dans cette procédure est indifférent, dès lors que les éléments produits établissent qu’une procédure a bien été engagée par le créancier contre le débiteur expressément dénommé, et pouvant aboutir à la condamnation de l’appelant au paiement de diverses sommes.
Enfin, il y a lieu de souligner que cette procédure est antérieure à la requête déposée par la société IMD et que celle-ci a donc justifié, dans le délai prévu, de la procédure engagée à l’encontre de M. [E].
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [E] en caducité de l’autorisation délivrée le 4 janvier 2021.
Sur la mainlevée de la saisie conservatoire de créances :
En application de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
L’article L. 512-1 dispose que, même lorsqu’une autorisation préalable n’est pas requise, le juge peut donner mainlevée de la mesure conservatoire s’il apparaît que les conditions prescrites par l’article L. 511-1 ne sont pas réunies.
Il appartient au requérant de justifier de l’apparence de la créance qu’il allègue.
En l’espèce, il résulte de la lecture de la plainte du 20 mai 2015 que la société IMD est plaignante avec deux autres personnes morales (les sociétés FPI et Tensbur Investment) et deux personnes physiques (MM. [M] et [D]), contre M. [E], M. [S], ainsi que contre trois personnes morales (les sociétés [I] & associés Finance, Compass Finance et Compass Strategy Consultants).
Cette plainte ne précise pas les préjudices subis par chacun des plaignants et indique simplement (page 38) «les agissements dénoncés ont causé un dommage considérable à IMD, Tensbur et FPI, non chiffré en l’état, notamment en raison de l’utilisation d’investissement extrêmement complexes et de pertes non réalisées, mais dépassant, et de loin, la somme de USD 70 000 000».
Cette somme avancée comprend donc nécessairement les préjudices que l’ensemble des plaignants prétend avoir subi, et non la seule société IMD, laquelle ne peut donc revendiquer une telle créance comme fondée en son principe.
Le seul document permettant d’identifier les préjudices prétendument soufferts par la société IMD est le procès-verbal d’audience du 14 janvier 2016 (pièce n° 6 de l’intimée) portant mise en prévention de M. [E]. La cour note que, selon ce document, le total des préjudices que la société IMD prétend subir est très inférieur aux 70 millions de dollars avancés (tout au plus 12 116 401 euros), et ne repose que sur ses seules affirmations.
La pièce n° 40 de l’intimée (procès-verbal d’audience du 9 février 2022) n’étant pas produite dans son intégralité, il ne peut en être tenu compte quant au caractère vraisemblable de la créance alléguée.
Les éléments produits aujourd’hui ne permettent pas plus d’identifier, plaignant par plaignant, le montant des préjudices que chacun aurait subi, et, surtout, n’établissent pas que ces préjudices se seraient effectivement réalisés, ni qu’ils se réaliseront. En effet, l’appelant fait valoir à juste titre que les pertes alléguées ne sont qu’éventuelles et ne peuvent être déterminées qu’au jour où les avoirs litigieux sont effectivement réalisés, en gain ou en perte.
Or la société IMD ne démontre pas, et ne prétend d’ailleurs pas, que les avoirs ont été réalisés à perte, ni même qu’ils auraient été réalisés depuis 2015.
Il convient enfin de souligner que des séquestres ont été obtenus en Suisse, sur des comptes détenus par M. [S] et diverses personnes morales (pièces n° 22 à 25 de l’intimée), mais il n’est justifié d’aucun compte séquestré au nom de M. [E].
Il résulte de ce qui précède que le caractère vraisemblable de la créance revendiquée par la société IMD à l’encontre de M. [E] n’est à ce jour pas suffisamment établi pour justifier les saisies-conservatoires litigieuses dont la mainlevée sera ordonnée.
Sur la demande de dommages et intérêts :
M. [E] sollicite la condamnation de l’intimée à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en soutenant que la société IMD a agi dans une intention de lui nuire.
L’article L. 512-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose que, lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.
Si cette responsabilité ne suppose pas la démonstration d’une faute commise par le créancier, pour autant, il appartient au saisi de rapporter la preuve du préjudice qu’il a subi du fait des mesures conservatoires pratiquées à tort contre lui.
Or en l’espèce la cour ne peut que constater que M. [E] ne précise pas la nature du préjudice qu’il prétend avoir subi, et ne produit aucune pièce justifiant la somme réclamée.
Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les mesures accessoires:
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [E] la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société IMD, qui succombe, supportera les entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût des actes de saisies dont la mainlevée est ordonnée.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 07 juin 2022 en ce qu’il a :
déclaré irrecevables les demandes concernant l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. [H] [E] autorisée par le juge de l’exécution de Thonon-les-Bains par ordonnance du 19 juillet 2017,
Infirme ledit jugement en toutes ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute M. [H] [E] de sa demande tendant à voir constater la caducité de l’autorisation donnée à la société International Motor Distribution INC de pratiquer une saisie conservatoire de créances par ordonnance du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains du 4 janvier 2021,
Ordonne la mainlevée des saisies-conservatoires de créances pratiquées par la société International Motor Distribution INC, sur les comptes de M. [H] [E], dénoncées le 15 janvier 2021, soit:
– selon procès-verbal dressé le 7 janvier 2021 par acte de la SCP [F]- [P], huissiers de justice à [Localité 21], entre les mains de la Caisse de Crédit mutuel du [Adresse 18] à [Localité 15], sur le compte n° [XXXXXXXXXX06],
– selon procès-verbal dressé le 7 janvier 2021 par la SELARL Jurikalis, huissiers de justice à Lyon, entre les mains du CIC Lyonnaise de Banque, sur les comptes n° 18031 [XXXXXXXXXX01] et n° 18031 [XXXXXXXXXX01],
– selon procès-verbal dressé le 7 janvier 2021 par la SELARL Donsimoni Tricou Imard Cottinet Gros Cianfarani & associés – Alliance Juris, huissiers de justice à [Localité 16], entre les mains de la BNP Paribas sur le compte courant, le compte épargne LDD et le compte épargne CEL ouverts au nom de M. [H] [E],
– selon procès-verbal dressé le 7 janvier 2021 par la SCP S. Lalevé – S. Lepin – M. [N] – A. [W], huissiers de justice associés à Dijon, entre les mains de la Caisse de Crédit mutuel de [Adresse 17] sur les comptes n° [XXXXXXXXXX09], n° [XXXXXXXXXX09], n° [XXXXXXXXXX09] et n° [XXXXXXXXXX09],
Rejette la demande de dommages et intérêts de M. [H] [E],
Condamne la société International Motor Distribution INC à payer à M. [H] [E] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société International Motor Distribution INC aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût des saisies-conservatoires de créances.
Ainsi prononcé publiquement le 25 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffière pour le prononcé.
La Greffière La Présidente