COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 08 JUIN 2023
N° 2023/ 426
Rôle N° RG 22/12454 N° Portalis DBVB-V-B7G-BKAYQ
[R] [J] épouse [Z]
C/
[G] [I]
S.C.I. BELLE EPOQUE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jérôme PAVESI
Me Romain CHERFILS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l’exécution de NICE en date du 05 Septembre 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 21/02576.
APPELANTE
Madame [R] [J] épouse [Z]
née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 7] (RUSSIE)
de nationalité Américaine,
demeurant [Adresse 3] / ROYAUME-UNI
représentée et assistée par Me Jérôme PAVESI, avocat au barreau de NICE
INTIMES
Monsieur [G] [I] es qualité de gérant de la SCI BELLE EPOQUE
né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 6] (AUTRICHE),
demeurant [Adresse 1] / AUTRICHE
S.C.I. BELLE EPOQUE
prise en la personne de son représentant légal en exercice, Monsieur [G] [I] en sa qualité de gérant, domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5]
Tous deux représentés par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistés de Me Séverine TAMBURINI-KENDER, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale POCHIC, Conseiller, et Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller.
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Juin 2023,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure et prétentions des parties :
Madame [R] [J] et monsieur [L] [Z], dont la procédure de divorce est en cours, sont associés de la SCI Belle Epoque, propriétaire d’appartements mis en location situés à Beaulieu sur Mer.
Une ordonnance du 14 mars 2014 du juge des référés de Nice ordonnait à la SCI Belle Epoque et à monsieur [G] [I] de mettre à la disposition de madame [J], au siège de la société, tous les livres et documents sociaux, contrats, factures, correspondances, procès-verbaux et plus généralement, tous documents établis par la société ou reçus par elle, en conformité avec les dispositions de l’article 20 des statuts de la société, afin que madame [J] puisse en prendre connaissance ou copie, à peine d’astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la présentation de cette dernière au siège social.
L’ordonnance précitée était signifiée, le 31 mars 2014 à la SCI Belle Epoque, le 5 juin suivant à monsieur [I].
Un arrêt infirmatif de la présente cour du 18 novembre 2016 liquidait l’astreinte précitée à la somme de 50 000 €, pour inexécution de l’obligation à compter du 27 juin 2014.
Un arrêt infirmatif de la présente cour du 9 février 2023, statuant sur renvoi après cassation, liquidait l’astreinte précitée à la somme de 15 000 € pour défaut de présentation des comptes de l’exercice 2016 en 2017 au 4 septembre 2017.
Un jugement du 5 septembre 2022 du juge de l’exécution de Nice déboutait madame [J] de sa demande de liquidation d’astreinte pour la période du 5 septembre 2017 au 20 janvier 2021, à hauteur de 1 235 000 € à titre principal et de 247 000 € à titre subsidiaire.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 15 septembre 2022, madame [J] formait appel du jugement précité.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 12 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, madame [J] demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
– statuant à nouveau, à titre principal, condamner la SCI Belle Epoque et monsieur [I] au paiement à titre principal, d’une somme de 1 235 000 € et à titre subsidiaire de 247 000 €, au titre de l’astreinte liquidée du 5 septembre 2017 au 20 janvier 2019,
– en tout état de cause, rejeter les demandes de la SCI Belle Epoque et de son gérant, les condamner au paiement d’une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle invoque l’obligation générale de communication de l’article 1855 du code civil, l’article 20 alinéa 4 des statuts portant la mention ‘ notamment tout document établi par la société ou reçu par elle ‘, et celle de ‘ tous les livres et documents sociaux ‘ de l’ordonnance de référé du 14 mars 2014.
Elle soutient que les SCI qui louent des meublés sont soumises à l’impôt sur les sociétés et doivent tenir une comptabilité similaire à celle d’une société commerciale, rappelle que l’article L 223-3 CGI impose un livre journal, un livre d’inventaire et un grand livre avec une liste des comptes et un ordre chronologique des opérations effectuées.
Elle affirme que les manquements à l’obligation de communication sont établis par le constat d’huissier de justice du 4 novembre 2016 avec une liste illisible de documents scannés, et l’absence de mise à disposition entre le 5 septembre 2017 et le 21 décembre 2020, date d’un nouveau constat détaillé. Elle invoque une impossibilité d’accès du 24 janvier au 17 décembre 2020, une absence de communication, les 22 décembre 2020 et 20 janvier 2021 établie par le rapport d’intervention de monsieur [O] du 21 janvier 2021 sur l’absence de livre comptable et l’impossibilité de faire le lien entre les états financiers annuels et les factures, documents justificatifs.
Elle rappelle la nécessité d’une comptabilité claire et précise imposée par l’article 22, incompatible avec l’utilisation de trois langues et de deux monnaies différentes. Elle conclut à la liquidation de l’astreinte pour la période du 5 septembre 2017 au 20 janvier 2021 à titre principal à hauteur de 1 000 € par jour de retard, soit 1 235 000 €, à titre subsidiaire à hauteur de 200 € par jour de retard, soit 247 000 €.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 9 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens, la SCI Belle Epoque et monsieur [I] demandent à la cour de :
– confirmer le jugement déféré,
– condamner madame [J] au paiement de la somme de 10 000 € de dommages et intérêts,
– condamner madame [J] au paiement d’une indemnité de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, ceux d’appel distraits au profit de la Selarl Lexavoué Aix en Provence, avocats aux offres de droit.
Ils soutiennent que tous les documents comptables de la SCI Belle Epoque sont consultables au Centre Régus selon procès-verbaux de constat d’huissier effectués chaque année en juin depuis 2015. Ils relèvent l’absence d’obligation légale ou réglementaire pour une société civile immobilière de tenir, comme une société commerciale, un livre journal, un grand livre et un livre d’inventaire ainsi que d’obligation statutaire en l’absence de définition des documents comptables. Ils soutiennent que l’arrêt du 12 septembre 2019 ne mentionne pas une telle obligation et rappellent qu’il a été censuré.
Par contre, ils affirment avoir fait établir un grand livre de compte par un cabinet autrichien avec les numéros de plan comptable conformes aux règles internationales, qu’une facture et un justificatif bancaire correspondent à chaque opération.
Sur les manquements allégués par l’appelante, ils constatent l’absence de consultation entre le 5 septembre 2017 et le 20 janvier 2020 et que les demandes des 21 janvier pour le 23 janvier 2020 et du 15 décembre pour le 17 décembre 2020 étaient trop proches compte tenu de la nécessaire assistance de leur conseil.
Ils contestent tout manquement lors de la réunion du 21 janvier 2021 selon constat d’huissier en raison de la présentation à l’appelante et à ses deux conseils de 37 classeurs de documents, principalement les liasses fiscales annuelles françaises, des documents de correspondance entre les plans comptable international et français et le livre ‘ general ledger ‘ conforme aux règles comptables internationales avec mention des opérations en dollars et en euros. Ils précisent qu’un contact avec le cabinet autrichien a été proposé à madame [J] et que si son expert français évoque une compréhension malaisée, il n’a pas donné suite à leur proposition de traduction en français des documents en langues anglaise ou autrichienne.
L’instruction de la procédure était close par ordonnance du 7 mars 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
– Sur la demande de liquidation de l’astreinte provisoire :
En application des dispositions de l’article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution ne peut, ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution.
Cependant, il a le pouvoir d’interpréter la décision afin de lui donner un sens et d’assurer son exécution effective, laquelle constitue la finalité de l’astreinte.
Selon celles de l’article L 131- 4 du code précité, le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter.
Selon l’article 1353 du code civil, il appartient au débiteur de l’obligation de rapporter la preuve de l’exécution de son obligation de faire.
En l’espèce, la liquidation de l’astreinte suppose que madame [J] se présente au siège social de la SCI Belle Epoque après un délai raisonnable de prévenance et que cette dernière ne prouve pas s’être exécutée, par la mise à disposition des documents visés dans l’ordonnance de référé du 14 mars 2014.
Le constat d’huissier du 31 janvier 2020 établit que madame [J] a annoncé, le 21 janvier 2020 sa venue pour le 23 janvier suivant. Ce délai de prévenance de deux jours ne peut être considéré comme raisonnable de sorte que l’impossibilité d’accéder au siège de la SCI Belle Epoque, le 23 janvier 2020, ne peut caractériser un manquement de l’intimé à son obligation de mise à disposition.
De plus, l’appelante ne s’est pas présentée à la date du report fixé au 31 janvier 2020 (cf courriels des 22 et 23 janvier 2020). Suite à une nouvelle demande du 17 décembre 2020, elle ne s’est pas présentée à la date convenue du 21 décembre suivant (cf courriels des 15, 16 et 17 décembre 2020) selon constat d’huissier du même jour, et la réunion s’est finalement tenue le 21 janvier 2021 en présence de l’appelante assistée de deux experts-comptable. Ainsi, aucune liquidation d’astreinte ne peut être sollicitée sur le fondement d’une prétendue impossibilité d’accéder au siège de la SCI Belle Epoque.
Sur le manquement allégué de la SCI Belle Epoque à son obligation de mise à la disposition des documents comptables, l’ordonnance de référé assortit d’une astreinte l’obligation de mettre à la disposition de cette dernière, au siège social de la SCI Belle Epoque, ‘ tous les livres et documents sociaux, contrats, factures, correspondances, procès-verbaux, et plus généralement, tout document établi par la société ou reçu par elle, en conformité avec les dispositions de l’article 20 des statuts de la société ‘.
Mais, la condamnation précitée ne contient pas de référence à l’article 22 des statuts sur l’exigence d’une comptabilité ‘ claire et précise ‘.
Il s’en déduit que le titre exécutoire précité, que le juge de l’exécution ne peut modifier, ne porte pas mention de l’obligation de mise à disposition du plan comptable général imposé notamment aux sociétés commerciales. Madame [J] ne peut donc ajouter au titre en exigeant la consultation de cette pièce comptable.
La condamnation prononcée a pour finalité d’assurer l’exécution effective des stipulations de l’article 20 des statuts (lesquels régissent les rapports entre la SCI et ses associés) relatives au droit de communication des pièces comptables aux deux associés, lequel impose de communiquer tout document nécessaire à l’ ‘information’ des associés sans prescrire une forme précise.
L’obligation légale ou réglementaire de la SCI Belle Epoque de respecter le plan comptable général comme une société commerciale, ne concerne que ses rapports avec l’administration fiscale et non les rapports entre ses associés.
Au titre des documents mis à disposition de l’appelante, les constats d’huissier des 31 janvier et 21 décembre 2020 établissent la mise à disposition de 34 puis 37 classeurs dont les documents dénommés ‘ grand livre ‘ ou ‘ general ledger ‘des exercices 2016 à 2019 établis par un cabinet autrichien.
Le procès-verbal de constat d’huissier de la réunion du 21 janvier 2021 lors de laquelle madame [J] était assistée de messieurs [O] et [F], expert-comptable, établit qu’il leur a été remis un listing de 5 pages des 37 classeurs et de leur contenu ainsi qu’une liste de correspondance des comptes français et autrichien pour analyser les documents.
A cette occasion, monsieur [F] a examiné notamment le grand livre de l’exercice 2019 et a pu interroger le cabinet autrichien au cours d’une liaison téléphonique d’environ deux heures. Le solde bancaire de 27 928 € a été vérifié ainsi que les quatre compte-courants d’associés dont l’addition des soldes respectifs correspond au montant unique inscrit dans le grand livre.
Le constat précité mentionne que monsieur [F] ‘ confirme que la comptabilité est lisible mais pas claire pour un Français non informé des différents tableaux de correspondance ‘. Ainsi, le représentant de madame [J] n’a pas fait état à l’huissier de justice de pièces comptables ou justificatifs manquants mais a juste relevé le défaut de clarté en lien avec l’utilisation de la méthode comptable autrichienne tout en reconnaissant le caractère lisible de la comptabilité présentée. Même avec les difficultés de langue et technique comptable, l’information imposée par les statuts a donc été fournie. Cette appréciation est donc sans incidence sur l’exécution effective par la SCI Belle Epoque de son obligation de mise à disposition des documents visés par l’ordonnance de référé du 14 mars 2014 dont la finalité informative de la condamnation a ainsi été respectée.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé dans toutes ses dispositions.
– Sur les demandes accessoires :
Les intimés ont fait l’objet de plusieurs condamnations au titre de l’astreinte prononcée par l’ordonnance de référé du 14 mars 2014 avant de respecter les termes de la condamnation prononcée à leur encontre. Ainsi, la nouvelle action en liquidation d’astreinte exercée par l’appelante ne peut être considérée comme abusive.
Madame [J], partie perdante, supportera les dépens d’appel.
L’équité commande d’allouer uniquement à la SCI Belle Epoque, contrainte d’engager des frais irrépétibles pour assurer la défense de ses intérêts devant la cour, une indemnité de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après débats en audience publique et après en avoir délibéré, conformément à la loi, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE madame [R] [J] à payer à la SCI Belle Epoque une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE madame [R] [J] aux entiers dépens d’appel avec droit de recouvrement direct, au profit de la Selarl Lexavoué Aix en Provence, avocat, des frais dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE