REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 22/12481 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGC4C
Décision déférée à la cour
Jugement du 02 juin 2022-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 21/81993
APPELANTS
Monsieur [S] [D]
[Adresse 9]
[Localité 6]-RUSSIE
Madame [G] [R] divorcée [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [P] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Plaidant par Me Catherine SAINT GENIEST de l’AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
INTIMEES
SOCIÉTÉ PROSPER RIVER LIMITED
[Adresse 8]
[Localité 4]
SOCIÉTÉ GRAND LOGISTICS LIMITED
[Adresse 8]
[Localité 4]
Représentées par Me François CONUS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0938
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 10 mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Le 6 avril 2010, la société United Cargo Fleet a souscrit deux contrats de prêt auprès des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited. M. [D] s’est porté caution de leur remboursement.
Par sentence du 21 mars 2017, un tribunal arbitral constitué à [Localité 10] sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage a condamné ensemble la société United Cargo Fleet et M. [D] au paiement de certaines sommes aux sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited.
Par ordonnance du 13 septembre 2018, le président du Tribunal de grande instance de Paris a conféré l’exequatur à cette sentence.
Par deux actes du 13 septembre 2021, les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited ont fait pratiquer une saisie-attribution à l’encontre de M. [D] entre les mains de M. [W] et de Mme [T], portant sur des loyers dont ils sont redevables en exécution d’un bail portant sur un appartement appartenant en indivision à l’ex-épouse et à la fille de M. [D], Mme [R] et Mme [D], pour avoir paiement de la somme totale de 5 951 340,81 euros. Ces actes de saisie ont été dénoncés à M. [D] le 16 septembre 2021.
Par exploits du 15 octobre 2021, M. [D], Mme [R] et Mme [D] ont saisi le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris aux fins de contester ces deux mesures d’exécution.
Par jugement du 2 juin 2022, le juge de l’exécution a :
– dit que la sentence exequaturée a été valablement signifiée à M. [D] ;
– rejeté les demandes tendant à l’annulation des deux saisies-attributions du 13 septembre 2021, de leurs dénonciations du 16 septembre 2021 et au prononcé de leur caducité ;
– rejeté la demande de cantonnement ;
– dit irrecevable la demande de séquestre ;
– condamné M. [D] à verser aux sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited la somme globale de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [D] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que :
– sur la recevabilité de la contestation, celle-ci avait été introduite dans le mois de la dénonciation des saisies à M. [D] et l’assignation introductive d’instance avait été dénoncée à l’huissier les ayant instrumentées par lettre recommandée avec accusé de réception avant l’expiration du premier jour ouvrable suivant sa délivrance, conformément aux dispositions de l’article R 211-11 du code des procédures civiles d’exécution ;
– sur la signification du titre exécutoire, la sentence exequaturée avait été, à la requête des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited, directement transmise le 28 juin 2019 par un huissier de justice français au ministère de la Justice russe, autorité centrale désignée par l’article 18 de la convention de 1965, aux fins de notification à M. [D], ce dont attestaient un accusé de réception de la lettre supportant la preuve numérique de son dépôt dans un bureau de poste français le 28 juin 2019, et la signature manuscrite de son destinataire le 9 août 2019, une attestation de transmission dressée par l’huissier de justice le 28 juin 2019 et une copie d’un courrier du 4 novembre 2019 de relance du ministère de la Justice russe par cet auxiliaire de justice ;
– sur la nullité alléguée des dénonciations des saisies-attributions, M. [D] n’avait subi aucun grief lié à l’absence de mention de son domicile dans les deux dénonciations du 16 septembre 2021, puisqu’il avait valablement introduit une contestation des saisies-attributions devant le juge compétent et dans le délai prévu à l’article R 211-11 du code des procédures civiles d’exécution ;
– sur la mention du titre exécutoire dans les actes de saisie, si la mention de ‘tribunal arbitral’ ne permettait pas d’identifier la juridiction arbitrale ayant rendu la sentence en cause, en violation des dispositions de l’article R 211-1 du code des procédures civiles d’exécution exigeant l’énonciation du titre exécutoire en vertu duquel elle est pratiquée dans l’acte de saisie-attribution, M. [D] n’alléguait pas ne pas être en mesure d’identifier le titre exécutoire sur le fondement duquel il était poursuivi ;
– sur la propriété de l’immeuble, ce dernier n’appartenait plus à M. [D], débiteur des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited, à la date des saisies-attributions litigieuses puisque, suivant acte notarié du 4 juillet 2019 publié au service de la publicité foncière le 10 juillet 2019 et donc opposable aux sociétés créancières, M. [D] avait fait donation à sa fille de la moitié indivise en toute propriété de l’appartement, alors que l’article L 211-1 du code des procédures civiles d’exécution exigeait que la saisie-attribution porte sur les créances du débiteur sur le tiers saisi ;
– sur la demande de cantonnement, les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited étaient fondées, pour recouvrer leur créance contre M. [D], à appréhender la totalité des loyers dus par M. [W] et Mme [T] en vertu de la location de l’appartement donné à bail par M. [D] en accord avec ses actuels propriétaires ;
– sur la demande de séquestre des sommes appréhendées par les saisies-attributions en cause, elle était irrecevable puisque M. [D] avait la qualité de débiteur des sommes allouées aux sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited par la sentence dont l’exécution est poursuivie.
Par déclaration du 4 juillet 2022, M. [D], Mme [R] et Mme [D] ont relevé appel de ce jugement. Ladite déclaration d’appel a été signifiée aux parties adverses le 19 novembre 2022.
Par leurs dernières conclusions du 9 mai 2023, M. [D], Mme [R] et Mme [D] demandent à la Cour de :
– infirmer le jugement du 2 juin 2022 en toutes ses dispositions et en celles non visées au dispositif et leur faisant grief ;
Statuant à nouveau,
– dire n’y avoir lieu de statuer spécifiquement sur la régularité ou non de la signification de l’ordonnance exequaturée [dès lors que celle-ci ne correspond pas à une prétention soulevée par les parties mais à un moyen soutenu à l’appui d’une prétention] et retrancher du jugement la disposition par laquelle il dit que la sentence exequaturée a été valablement signifiée à M. [D] ;
Subsidiairement,
– juger et ordonner que la sentence exequaturée sur laquelle se fondent les saisies-attributions du 13 septembre 2021 n’a pas été valablement signifiée à M. [D], ou à tout le moins, que la preuve d’une telle signification valable n’est pas rapportée ;
Sur la nullité des saisies-attributions du 13 septembre 2021, de leurs actes de dénonciation du 16 septembre 2021, ainsi que de tous actes et opérations subséquents, à titre complémentaire sur leur caducité, et partant sur la mainlevée pure et simple des saisies-attributions,
– prononcer la nullité des procès-verbaux et opérations de saisie-attribution du 13 septembre 2021 [dès lors que ces saisies portent sur des créances locatives de sommes d’argent dont M. [D] n’est pas titulaire], prononcer la nullité de tous actes et opérations subséquents, et ordonner la mainlevée des saisies ;
– prononcer la nullité des procès-verbaux et opérations de saisies-attributions du 13 septembre 2021 [dès lors que ces saisies portent ou porteraient a minima sur des créances locatives correspondant aux fruits de biens indivis et à ce titre insaisissables, ou constituant en elles-mêmes des créances indivises insaisissables, mais en aucun cas des créances personnelles de M. [D] susceptibles d’être appréhendées par des créanciers personnels de celui-ci], prononcer la nullité de tous actes et opérations subséquents et ordonner la mainlevée des saisies ;
À titre complémentaire,
– prononcer la nullité des procès-verbaux et opérations de saisie-attribution du 13 septembre 2021 et des actes de dénonciation des procès-verbaux du 16 septembre 2021, prononcer la nullité de tous actes et opérations subséquents, et ordonner la mainlevée pure et simple des saisies ;
– prononcer la nullité des actes de dénonciation des saisies-attributions du 16 septembre 2021 [comme signifiés à une adresse qui n’est pas son domicile], constater l’absence d’une quelconque dénonciation valable des saisies-attributions dans le délai de huit jours en vertu de l’article R.211-3 du code des procédures civiles d’exécution, constater et prononcer la caducité des saisies-attributions du 13 septembre 2021 et l’anéantissement de tous actes ou opérations subséquents et ordonner la mainlevée des saisies ;
À titre infiniment subsidiaire, si par impossible il était considéré que les saisies-attributions pouvaient porter sur les fruits d’un bien indivis, lesquels ne sont pourtant pas saisissables, et alors qu’en l’état de la procédure parallèlement pendante au fond, il n’est nullement jugé que la donation du 4 juillet 2019 est inopposable aux sociétés créancières poursuivantes,
– déclarer recevable et bien fondée la demande de cantonnement/séquestre des saisies-attributions du 13 septembre 2021 et de mainlevée pour le surplus, ordonner leur cantonnement à hauteur de 50 % maximum des loyers appréhendés, ordonner leur consignation entre les mains de tel séquestre qu’il plaira à la Cour de désigner, et ordonner en outre la mainlevée des saisies pour le surplus ;
En tout état de cause,
– condamner solidairement et à tout le moins in solidum les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited à leur payer une indemnité de 10 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont pour ces derniers, distraction au profit de leur avocat ;
– ordonner que les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited conserveront à leur charge les entiers frais des saisies-attributions du 13 septembre 2021, de leurs actes de dénonciation en date du 16 septembre 2021 et de tous actes ou opérations subséquents ;
– débouter les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.
Les appelants soutiennent que :
– le juge de l’exécution, en disant que la sentence exequaturée avait été valablement signifiée à M. [D], a statué ultra petita sur un moyen développé au soutien d’une prétention ;
– les saisies-attributions sont nulles car elles ont été opérées entre les mains de tiers dont M. [D] n’est pas créancier, puisque l’immeuble ne lui appartenait plus à la date des saisies, à la suite d’un acte de donation partielle du 4 juillet 2019 par lequel il a transmis à sa fille sa quote-part indivise de l’appartement en toute propriété, et qu’il n’avait donc plus vocation à percevoir les loyers des locataires à titre de créances personnelles ;
– les procès-verbaux de saisie et leurs actes de dénonciation sont nuls, car ils désignent imprécisément le titre sur lequel ils se fondent et ne mentionnent pas les conditions dans lesquelles ce titre a été signifié préalablement à M. [D] par le ministère de la Justice de Russie, les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited ne justifiant pas de la bonne réception des envois à l’entité requise en Russie et à M. [D], ne produisant pas le formulaire F2 complété et retourné par l’entité requise en Russie relatant les conditions de mise en ‘uvre de la signification, et ne justifiant pas des diligences accomplies par l’huissier pour obtenir un retour de l’entité requise ;
– les actes de dénonciation des saisies sont nuls car ils n’ont pas été signifiés à l’adresse de M. [D] en Russie, qui est pourtant mentionnée dans la sentence arbitrale, dans le jugement rejetant le recours de ce dernier devant le tribunal fédéral suisse et dans le procès-verbal de transmission à l’entité requise en Russie de la décision d’exequatur, ce qui lui a causé grief en le privant de la réception des actes en langue russe et entraîne la caducité des saisies en l’absence de toute dénonciation valable dans un délai de huit jours, conformément à l’article R 211-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
– les saisies-attributions doivent être cantonnées à hauteur de 50 % des loyers appréhendés, le restant étant susceptible de revenir à Mme [R] qui est propriétaire de l’autre moitié indivise de l’immeuble et n’est pas débitrice des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited.
Par leurs dernières conclusions du 9 mai 2023, les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited demandent à la Cour de :
– rejeter la demande des appelants tendant à infirmer le jugement du 2 juin 2022 en ce qu’il juge la sentence exequaturée valablement signifiée à M. [D] ;
– rejeter la demande des appelants tendant à retrancher du jugement du 2 juin 2022 la disposition « dit que la sentence exequaturée a été valablement signifiée à M. [D] » ;
– rejeter la demande des appelants tendant à juger que la sentence exequaturée sur laquelle se fondent les saisies-attributions n’a pas été valablement signifiée, ou que la preuve de cette signification n’est pas rapportée ;
– rejeter la demande des appelants tendant à infirmer le jugement du 2 juin 2022 en ce qu’il refuse d’annuler les saisies-attributions litigieuses ;
– rejeter la demande des appelants tendant à voir prononcer la nullité des saisies-attributions et de tous les actes subséquents et à ordonner leur mainlevée ;
– rejeter la demande des appelants tendant à voir infirmer le jugement du 2 juin 2022 en ce qu’il déclare prétendument irrecevable la demande de cantonnement de 50 % des sommes appréhendées ;
– rejeter la demande des appelants tendant à voir déclarer recevable et bien fondée la demande de cantonnement/séquestre des saisies-attributions et de la mainlevée du surplus ;
– rejeter la demande des appelants tendant à voir ordonner le cantonnement des saisies-attributions à 50 % maximum des loyers appréhendés et la mainlevée du surplus ;
– confirmer le jugement du 2 juin 2022 en toutes ses dispositions ;
– débouter M. [D], Mme [R] et Mme [D] de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
– les condamner in solidum au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700, outre les entiers dépens.
Les intimées font valoir que :
– le jugement du 2 juin 2022 ne comporte pas de dispositions statuant ultra petita puisqu’elles avaient bien demandé au juge de l’exécution, dans leurs écritures de première instance, de se prononcer quant à la validité de la signification du titre exécutoire ;
– les saisies-attributions sont valides, le fait que M. [D] ne soit pas propriétaire du bien loué ne constituant pas uns obstacle à sa qualité de créancier, dès lors que le contrat de bail de la chose d’autrui produit tous ses effets dans les rapports entre le bailleur et le locataire ;
– la désignation du titre dans les actes de saisie-attribution est valide, dans la mesure où le fondement juridique de la mesure de saisie ne fait aucun doute, d’autant plus que M. [D] ne démontre pas en quoi cette désignation prétendument imprécise lui cause grief ;
– le titre exécutoire a été parfaitement signifié, ce dont elles justifient par la production d’une attestation de transmission au ministère de la Justice russe le 28 juin 2019, d’un formulaire F2 remis à l’autorité compétente, d’un projet d’acte de notification d’une expédition exécutoire de la sentence arbitrale ainsi que de sa traduction en russe, des preuves d’expédition de ces documents au ministère de la Justice russse et à l’adresse de M. [D] à [Localité 6], et d’un courrier de relance, ne violant aucune exigence formelle, adressé audit ministère le 4 novembre 2019, la défaillance des services postaux ou du ministère de la Justice russes n’étant pas de nature à remettre en cause ces démarches ;
– les saisies ont été dénoncées à une adresse qui correspondait toujours au domicile de M. [D] étant donné qu’il a conservé l’usufruit de l’appartement, qu’il a déclaré cette adresse comme étant son domicile dans plusieurs actes, et qu’il a payé les factures d’eau et d’électricité de l’appartement jusqu’au mois de mars 2021 ; un acte d’huissier, qui ne peut pas être remis en cause par une simple attestation en sens contraire, rapporte que la gardienne de l’immeuble a spontanément désigné l’appartement comme étant le domicile de M. [D], d’autant plus que ce dernier ne produit aucun élément quant à la situation de son domicile effectif, la production de son passeport ne prouvant pas qu’il n’est pas retourné en France depuis 2019 puisqu’il pourrait en avoir deux, et celle de son acte de mariage avec Mme [Z] n’établissant pas qu’il vit désormais en Russie ; il n’a subi aucun grief puisqu’il parle bien français, ayant vécu en France pendant plusieurs années, ayant une fille de nationalité française vivant en France depuis sa naissance et ayant dirigé deux sociétés dans ce pays ;
– la demande de séquestre des sommes saisies doit être rejetée puisque le jugement du 2 juin 2022 se fonde bien sur une fin de non-recevoir pour déclarer cette demande irrecevable ;
– la demande de cantonnement des effets des saisies-attributions doit également être rejetée, puisqu’aucun élément ne prouve que les créances locatives saisies étaient versées à Mme [R], que sa part correspondait à 50 %, et que les créances de loyer saisies sont indivisibles en application de l’article VI du contrat de bail du 17 septembre 2019 qui stipule l’indivisibilité et la solidarité des obligations des locataires.
Suivant ordonnance en date du 16 mars 2023, le magistrat délégataire du premier président de cette Cour a rejeté la demande de radiation de l’appel qui avait été formée par les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited.
MOTIFS
Les appelants prétendent que le juge de l’exécution, en disant que la sentence exequaturée avait été valablement signifiée à M. [D], a statué ultra petita sur un moyen développé au soutien d’une prétention. Il résulte de la lecture du jugement qu’était discutée la régularité de la signification de l’ordonnance d’exequatur, notamment au regard des dispositions de l’article 687-2 du code de procédure civile. Les conclusions qui avaient été déposées par les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited devant le juge de l’exécution ne sont pas produites. Celles de M. [D], Mme [R] et Mme [D] ne comportaient pas, en leur dispositif, de demande spécifique relative à la signification de la sentence ou de la décision d’exequatur. Faute de demande à fin de voir juger que la sentence et/ou l’ordonnance d’exequatur avaient été valablement signifiées, il s’agit là d’un moyen et non pas d’une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Toutefois il n’ y a pas lieu d’infirmer le jugement sur ce point.
M. [D], Mme [R] et Mme [D] contestent la régularité de la notification de l’ordonnance d’exequatur.
Il y a lieu de faire application de la Convention de la Haye du 15 novembre 1965, laquelle prévoit que :
Article 3 : L’autorité ou l’officier ministériel compétent selon les lois de l’État d’origine adresse à l’autorité centrale de l’État requis une demande conforme à la formule modèle annexée à la présente convention, sans qu’il soit besoin de la légalisation des pièces ni d’une autre formalité équivalente. La demande doit être accompagnée de l’acte judiciaire ou de sa copie, le tout en double exemplaire.
Article 4 :Si l’autorité centrale estime que les dispositions de la convention n’ont pas été respectées, elle en informe immédiatement le requérant en précisant les griefs articulés à rencontre de la demande.
Article 5 :L’autorité centrale de l’État requis procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l’acte : a) soit selon les formes prescrites par la législation de l’État requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire ; b) soit selon la forme particulière demandée par le requérant, pourvu que celle-ci ne soit pas incompatible avec la loi de l’État requis. Sauf le cas prévu au premier alinéa, point b), l’acte peut toujours être remis au destinataire qui l’accepte volontairement. Si l’acte doit être signifié ou notifié conformément à l’alinéa premier, l’autorité centrale peut demander que l’acte soit rédigé ou traduit dans la langue ou une des langues officielles de son pays. La partie de la demande conforme à la formule modèle annexée à la présente convention, qui contient les éléments essentiels de l’acte, est remise au destinataire.
Article 6 : L’autorité centrale de l’État requis ou toute autorité qu’il aura désignée à cette fin établit une attestation conforme à la formule modèle annexée à la présente convention. L’attestation relate l’exécution de la demande; elle indique la forme, le lieu et la date de l’exécution ainsi que la personne à laquelle l’acte a été remis. Le cas échéant, elle précise le fait qui aurait empêché l’exécution. Le requérant peut demander que l’attestation qui n’est pas établie par l’autorité centrale ou par une autorité judiciaire soit visée par l’une de ces autorités. L’attestation est directement adressée au requérant.
Par ailleurs, il sera rappelé que le mode principal de signification ou de notification s’opère par voie semi-directe : l’acte est transmis directement par l’autorité compétente de l’État requérant (en France, soit le greffe, soit l’huissier de Justice) à l’autorité centrale désignée par l’État requis (pour la France, a été désigné à ce titre, le bureau de l’entraide civile et commerciale internationale). La demande est effectuée conformément à la formule-modèle annexée à la convention, complétée soit en anglais, soit en français.
La Convention prévoit d’autres modes de signification ou de notification, sous réserve pour certains de l’opposition d’un État : les voies consulaires ou diplomatiques (directes et indirectes), la voie postale directe, la notification par le biais d’officiers ministériels, fonctionnaires ou autres personnes compétents de l’État de destination.
La preuve de la remise de l’acte doit être apportée par une attestation conforme à la formule modèle annexée à la Convention. Cette attestation relate l’exécution de la demande; elle indique la forme, le lieu et la date de l’exécution ainsi que la personne à qui l’acte a été remis. Le cas échéant, elle précise le fait qui aurait empêché l’exécution. En France, l’autorité compétente qui a été désignée pour établir cette attestation est le Procureur de la République dans le ressort duquel réside le destinataire de l’acte à notifier.
Par ailleurs, il n’est pas possible de procéder à une notification d’acte par voie postale directement à son destinataire en Russie, cet Etat ayant déclaré s’opposer à l’usage, sur son territoire, des voies de transmission prévues à l’article 10 de la convention.
Le juge de l’exécution a justement relevé que le 28 juin 2019, à la requête des deux sociétés créancières, la sarl Société Lorraine Péron-Macé, huissier de justice de Paris, a directement transmis en lettre recommandée avec demande d’avis de réception la sentence exequaturée, à l’aide du formulaire F2, au ministère de la Justice de la Fédération de Russie, autorité centrale désignée conformément à l’article 18 de la Convention de la Haye susvisée qui stipule que : ‘Tout Etat contractant peut désigner, outre l’Autorité centrale, d’autres autorités dont il détermine les compétences. Toutefois, le requérant a toujours le droit de s’adresser directement à l’Autorité centrale. Les Etats fédéraux ont la faculté de désigner plusieurs Autorités centrales’. Le 28 juin 2019, cet huissier de justice a adressé une copie de l’acte en lettre recommandée avec demande d’avis de réception à M. [D] à son adresse à [Localité 6] (Ulitza Pilouchtchika 42, kv87), comme prévu à l’article 686 du code de procédure civile. Il a ensuite relancé le 4 novembre 2019 le ministère de la Justice de Russie, se plaignant de ne pas avoir eu de retour de signification de l’acte, en vain.
Il y a donc lieu de faire application de l’article 687-2 alinéa 3 du code de procédure civile, qui n’est pas contraire à la Convention de [Localité 5], selon lequel lorsqu’aucune attestation décrivant l’exécution de la demande n’a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’acte leur a été envoyé.
L’ordonnance d’exequatur ayant été régulièrement signifiée, les intimées disposent bien d’un titre exécutoire.
M. [D], Mme [R] et Mme [D] soutiennent que les actes de dénonciation des saisies-attributions sont irréguliers faute d’avoir été notifiés au domicile du débiteur, dans la mesure où ils l’ont été au [Adresse 1], alors qu’en réalité il réside à [Localité 6]. Ce bien avait été acquis par les époux [D] le 25 avril 2013, mais leur divorce a été prononcé en Russie le 9 août 2017. Le passeport russe de M. [D] mentionne une adresse à [Localité 6]. L’attestation de la gardienne de l’immeuble affirme que l’appartement n’était habité que de manière épisodique par lui. Dès le 9 mars 2021, Mme [R] avait indiqué que son ex-mari ne résidait pas et n’avait même jamais résidé au [Adresse 1]. Les factures de gaz afférentes au logement susvisé sont aux noms de Mme [R] et de sa fille et non pas à celui de M. [D].
En outre, le seul fait que ce dernier soit usufruitier du bien sis à cette adresse n’est pas suffisant pour induire qu’il s’y est domicilié. Il sera rappelé sur ce point que par arrêt en date du 13 octobre 2022, cette Cour a prononcé la caducité d’une saisie conservatoire faute par les créancières de l’avoir dénoncée à M. [D] à son adresse à [Localité 6]. Enfin les en-tête des ordonnances du juge de la mise en état en date des 7 juin 2021 et 16 septembre 2022 mentionnent une adresse à [Localité 6] et non pas à [Localité 7].
Au vu de ces énonciations, il est démontré que lors des dénonciation des saisies-attributions (16 septembre 2021), M. [D] résidait en Russie et non pas à [Localité 7]. La nullité de ces actes ne saurait cependant être prononcée que pour autant que la preuve d’un grief soit rapportée, comme il est dit à l’article 114 du code de procédure civile, s’agissant d’une nullité de forme. Or le juge de l’exécution a estimé à juste titre que M. [D] ne justifie d’aucun grief, car il a pu le saisir utilement dans les délais impartis. L’exception de nullité soulevée par les appelants doit donc être rejetée.
M. [D], Mme [R] et Mme [D] font valoir que le procès-verbal de saisie-attribution est irrégulier comme contenant une désignation incomplète de la juridiction ayant rendu la décision fondant les poursuites.
Selon les dispositions de l’article R 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, le procès-verbal de saisie-attribution doit comporter, à peine de nullité, un certain nombre de mentions obligatoires, notamment l’énonciation du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée.
Au cas d’espèce, il était mentionné que les actes de saisie-attribution étaient dressés en vertu d’une ‘sentence arbitrale par le Tribunal arbitral en date du 21 mars 2017, rendue exécutoire par ordonnance d’exequatur du Tribunal de grande instance de Paris en date du 14 septembre 2018 et revêtue de la formule exécutoire en date du 19 septembre 2018’. Si l’identité complète de la juridiction arbitrale n’était pas mentionnée, à savoir l’ICC International Court of arbitration, le débiteur ne pouvait pas se méprendre sur ce point puisque la sentence lui avait été précédemment signifiée et qu’il ne prouve ni même ne soutient qu’il aurait été opposé aux sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited dans le cadre d’une autre procédure de type arbitral. Par ailleurs, il importe peu que les deux tiers saisis n’aient pas été pleinement informés de la nature de la juridiction ayant rendu la décision fondant les poursuites.
Les procès-verbaux de saisie-attribution sont donc réguliers en la forme.
En vertu de l’article L 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent.
Il est objecté que M. [D] n’étant plus propriétaire de l’immeuble sis [Adresse 2], les loyers ne pouvaient pas être saisis-attribués car seul ce dernier a la qualité de débiteur vis-à-vis des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited. Le contrat de bail portant sur l’appartement susvisé, en date du 17 septembre 2019, était établi aux noms de [S] [D] et [G] [D], en tant que bailleurs, et de [U] [T] et [J] [W], en tant que preneurs.
Le bien avait été acquis par les époux [D] le 7 avril 2006, mais il s’avère que selon acte notarié en date du 4 juillet 2019, M. [D] a fait donation à sa fille de la moitié indivise en pleine propriété dudit bien. Si par acte en date du 29 juillet 2020, les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited ont assigné M. [D] et Mme [R] devant le Tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir, dans le cadre d’une action paulienne, la déclaration d’inopposabilité de cette donation, à ce jour aucune décision statuant sur cette demande n’a été rendue. Ladite donation produit donc son plein effet.
Quand bien même un bail sur la chose d’autrui aurait-il été ainsi conclu, le juge de l’exécution, et partant la Cour exerçant les pouvoirs de ce dernier, ne peut annuler ce bail ou encore en écarter l’application. Enfin aucun texte ne rendait les loyers insaisissables.
Cependant M. [D] n’a vocation qu’à percevoir la moitié de ces loyers car Mme [D] détient 50 % du bien, et il importe peu qu’une solidarité des preneurs ait été stipulée dans le contrat ; seule une clause de solidarité des bailleurs aurait pu avoir une incidence, mais le bail n’en comporte pas.
Il y a lieu en conséquence, par voie d’infirmation du jugement, de cantonner à concurrence de la moitié des loyers dus par les tiers saisis les effets des deux saisies-attributions querellées.
M. [D], Mme [R] et Mme [D] sollicitent également que cette part des loyers soit consignée.
L’article R 211-2 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que dans le délai prévu au premier alinéa de l’article R. 211-11 pour contester en justice une saisie-attribution, tout intéressé peut demander que les sommes saisies soient versées entre les mains d’un séquestre désigné, à défaut d’accord amiable, par le juge de l’exécution saisi sur requête.
La remise des fonds au séquestre arrête le cours des intérêts dus par le tiers saisi.
Selon les dispositions de l’article R 211-12, le juge de l’exécution donne effet à la saisie pour la fraction non contestée de la dette. Sa décision est exécutoire sur minute. Les dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 121-22 ne sont pas applicables.
S’il apparaît que ni le montant de la créance du saisissant ni la dette du tiers saisi ne sont sérieusement contestables, le juge de l’exécution peut ordonner à titre provisionnel le paiement d’une somme qu’il détermine en prescrivant, le cas échéant, des garanties.
Sa décision n’a pas autorité de chose jugée au principal.
Il s’agit là de mesures provisoires destinées à régler le sort des fonds saisis en cas de contestation, jusqu’à ce que celle-ci soit tranchée. Le premier de ces textes permet au tiers saisi de se libérer au plus tôt de sa dette, ou au créancier de sauvegarder ses droits s’il craint que le tiers saisi ne se départisse des fonds saisis, alors que le second n’est applicable que lorsqu’une partie seulement de la dette est contestée par le débiteur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ces deux mesures ne sont aucunement destinées à annihiler l’effet attributif immédiat attaché à cette mesure d’exécution. Les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited sont devenues juridiquement propriétaires des loyers saisis dès l’acte de saisie-attribution de sorte que M. [D] ne peut utilement réclamer leur mise sous séquestre, et ce d’autant plus qu’il ne fixe pas de terme à ce chef de demande qui vise, en réalité, à suspendre l’exécution de la décision fondant les poursuites, ce que le juge de l’exécution ne peut faire, comme il est dit à l’article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution.
Dès lors, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de consignation des loyers.
Il sera infirmé en ce qu’il a condamné M. [D] au paiement de la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens. L’équité ne commande pas de faire application de ce texte au bénéfice de M. [D], Mme [R] et Mme [D] ni au profit des intimées.
Les consorts [D] , qui succombent, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
Les frais de saisie-attribution ne peuvent qu’être laissés à la charge de M. [D] conformément à l’article L 111-8 du code des procédures civiles d’exécution ; le jugement sera confirmé en ce qu’il a refusé de condamner les sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited à les assumer.
PAR CES MOTIFS
– INFIRME le jugement en date du 2 juin 2022 en ce qu’il a rejeté la demande de cantonnement des saisies-attributions, et a condamné M. [S] [D] au paiement de la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
et statuant à nouveau :
– ORDONNE le cantonnement des deux saisies-attributions en date du 13 septembre 2021 à hauteur de la moitié des loyers dus par les tiers saisis ;
– REJETTE la demande des sociétés Prosper River Limited et Grand Logistics Limited en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONFIRME le jugement pour le surplus ;
– CONDAMNE in solidum M. [S] [D], Mme [G] [R] et Mme [P] [D] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président,