Saisine du juge de l’exécution : 14 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/01552

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Saisine du juge de l’exécution : 14 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/01552

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 14 JUIN 2023

N° 2023/ 274

N° RG 22/01552

N° Portalis DBVB-V-B7G-BIZIY

[C], [U] [Y] veuve [T]

[V], [S] [G] veuve [Y]

C/

S.C.I. NOE & ALYA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me François AUBERT

Me Charles TOLLINCHI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge des contentieux de la protection de [Localité 6] en date du 29 Novembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-19-509.

APPELANTES

Madame [C], [U] [Y] veuve [T]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 8] (13), demeurant Chez M. [R] [P] [T] [Adresse 5]

Madame [V], [S] [Y] née [G]

née le [Date naissance 1] 1932 à [Localité 7] (84), demeurant Chez M. [R] [P] [T] [Adresse 5]

représentées et plaidant par Me François AUBERT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

INTIMEE

S.C.I. NOE & ALYA

anciennement dénommée la SCI DE [Adresse 3], poursuites et diligences de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentée par Me Charles TOLLINCHI, membre de la SCP CHARLES TOLLINCHI – CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Thierry WICKERS, membre de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

Madame [C] [Y] veuve [T] et ses trois enfants [P], [H] et [A] [T] détenaient la totalité des parts sociales d’une société civile immobilière dénommée [Adresse 3], elle-même propriétaire d’une maison d’habitation avec dépendances située [Adresse 3] à [Localité 6].

Lesdites parts ont été saisies pour être vendues aux enchères publiques, et adjugées le 21 avril 2017 à la société AB HOME INVESTISSEMENT, gérée par Monsieur [K] [E].

Aux termes d’un arrêt prononcé le 10 janvier 2019, infirmant une ordonnance de référé du 7 septembre 2017, la cour de céans a ordonné à la demande de l’adjudicataire l’expulsion de Madame [C] [Y] veuve [T] et de sa mère Madame [V] [Y] née [G], et les a condamnées à payer à titre provisionnel une indemnité d’occupation de 3.000 euros par mois à compter du 21 avril 2017 jusqu’à la complète libération des lieux.

Cette décision a été notifiée aux intéressées le 30 janvier 2019, en même temps qu’un commandement de déguerpir.

Dans le même temps, la SCI [Adresse 3] a été autorisée à pénétrer dans les lieux afin de prendre diverses mesures conservatoires, par deux ordonnances rendues sur requête les 28 janvier et 4 mars 2019.

Suivant exploit d’huissier du 9 avril 2019, la SCI [Adresse 3] a fait assigner Mesdames [T] et [Y] à comparaître devant le tribunal d’instance de Fréjus, statuant cette fois au fond, pour entendre confirmer tant le principe que le montant de l’indemnité d’occupation, faisant valoir que le titre qu’elle avait obtenu en référé ne lui permettait pas de diligenter une saisie immobilière afin de recouvrer sa créance.

Les défenderesses ont alors saisi le juge de l’exécution d’une demande de délai de grâce afin de pourvoir à leur relogement, dont elles se sont finalement désistées après avoir rendu les clés le 2 septembre 2019.

Devant le juge du fond, elles ont conclu à la réduction de l’indemnité d’occupation réclamée, et ont demandé reconventionnellement paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement dont elles estimaient avoir été victimes de la part du nouveau propriétaire afin de les contraindre à quitter les lieux, ainsi que l’organisation d’une expertise psychiatrique sur chacune de leurs personnes afin d’évaluer le retentissement de ces actes.

Par jugement rendu le 29 novembre 2021, le tribunal de proximité de Fréjus a :

– condamné solidairement [C] [Y] veuve [T] et [V] [Y] née [G] à payer à la société [Adresse 3] une indemnité mensuelle d’occupation de 3.000 euros pour toute la période échue entre le 21 avril 2017 et le 4 septembre 2019,

– débouté les défenderesses de leurs prétentions, et déclaré irrecevable leur demande d’expertise sur le fondement de l’article 70 du code de procédure civile,

– et condamné ces dernières aux dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 2.400 euros en application de l’article 700 du même code.

Appel a été interjeté contre cette décision le 2 février 2022.

Entre-temps, la SCI [Adresse 3] avait changé de dénomination sociale pour prendre celle de NOE & ALYA.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées le 25 août 2022, Mesdames [C] [Y] veuve [T] et [V] [Y] née [G] critiquent en premier lieu la décision entreprise en ce qu’elle a maintenu le montant de l’indemnité mensuelle d’occupation à 3.000 euros sans tenir compte de la valeur locative réelle de l’immeuble, qu’elles estiment à 1.400 euros, et sur laquelle il y aurait encore lieu d’opérer une décote de 20 % .

Madame [Y] née [G] soutient d’autre part qu’elle ne peut être personnellement débitrice de cette indemnité qu’à compter de son emménagement effectif dans les lieux en novembre 2017, après la vente de sa maison de [Localité 8].

Les appelantes font également valoir qu’aucune indemnité d’occupation ne saurait être due à compter du 4 mars 2019 en raison des agissements du gérant de la SCI [Adresse 3] et des personnes de son chef en vue de les contraindre à quitter les lieux, reprochant à Monsieur [E] d’avoir outrepassé les droits qu’il tenait des ordonnances sur requête précitées en commettant plusieurs violations de domicile et en entretenant un climat de violence à dessein de les terroriser. Elles produisent à l’appui de ces affirmations un constat d’huissier ainsi que plusieurs plaintes pénales, et font état de graves répercussions sur leur état de santé.

Elles demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré, et statuant à nouveau :

– de ramener le montant de l’indemnité d’occupation à 1.120 euros par mois pour la période du 21 avril 2017 au 4 mars 2019,

– d’exonérer Madame [V] [Y] née [G] du paiement de cette indemnité pour la période d’avril à novembre 2017,

– de condamner la SCI NOE & ALYA à verser à chacune d’entre elles une indemnité provisionnelle de 5.000 euros à valoir sur la réparation de leur préjudice moral et psychique,

– d’ordonner une expertise psychiatrique sur chacune de leurs personnes à l’effet d’évaluer le retentissement des actes commis,

– et de condamner l’intimée aux entiers dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 25 mai 2022, la SCI NOE & ALYA poursuit pour sa part la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle fait valoir que le montant de l’indemnité d’occupation fixée par le premier juge correspond à la valeur locative de l’immeuble ainsi qu’à la juste réparation de son préjudice.

Elle stigmatise la mauvaise foi manifestée par les parties adverses dans l’exécution de leurs obligations, et soutient que les accusations proférées à son encontre sont dénuées de fondement, affirmant avoir toujours agi dans le cadre de la loi et des autorisations de justice.

Elle approuve enfin le tribunal d’avoir déclaré irrecevable la demande d’expertise en application de l’article 70 du code de procédure civile.

Elle réclame accessoirement paiement d’une somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel, outre ses dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 mars 2023.

DISCUSSION

Sur l’indemnité d’occupation :

L’indemnité d’occupation revêt une nature mixte, à la fois compensatoire et indemnitaire. À ce titre son montant ne doit pas être fixé en considération de la seule valeur locative du bien, mais également du préjudice subi par le propriétaire en raison de sa privation de jouissance.

En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que l’immeuble dont s’agit consiste en une maison de plain pied d’une surface habitable de 170 mètres carrés composée d’une cuisine aménagée et équipée, d’un double séjour avec cheminée, de cinq chambres et de deux salles de bain, édifiée sur un terrain arboré de plus de 8.000 mètres carrés comportant une terrasse couverte, une piscine et un garage double, le tout en très bon état d’entretien.

Compte tenu de la consistance du bien et de sa situation sur la commune de [Localité 6], il apparaît que les estimations dont se prévalent les appelantes sont largement sous-évaluées, et le premier juge doit être approuvé en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité d’occupation à 3.000 euros par mois, correspondant à la fois à la valeur locative et à la réparation du préjudice subi par le propriétaire.

D’autre part, les fautes imputées à l’intimé ne peuvent justifier une réduction du montant de l’indemnité d’occupation, mais ouvrent droit à une action distincte en réparation fondée sur la responsabilité délictuelle, qui sera discutée ci-après.

En revanche, Madame [V] [Y] née [G] doit être exonérée du paiement de cette indemnité pour la période ayant couru entre le 21 avril et le 1er novembre 2017 dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle occupait effectivement les lieux à cette époque, le premier juge ayant opéré sur ce point un renversement de la charge de la preuve.

Sur les demandes reconventionnelles :

Il est de principe que nul ne peut se faire justice à soi-même, et les droits de chacun doivent s’exercer dans le respect des lois en vigueur, protégeant notamment l’intégrité de la personne et l’inviolabilité du domicile. Ainsi, lorsqu’un justiciable résiste à une décision ayant ordonné son expulsion, il ne peut y être contraint que par les voies de droit, au besoin en requérant du représentant de l’Etat le concours de la force publique.

En l’espèce, la SCI [Adresse 3] (désormais NOE & ALYA) avait certes obtenu du président du tribunal de grande instance de Draguignan, statuant sur requête, l’autorisation de faire pénétrer un huissier de justice dans les lieux à l’effet de décrire l’état des bâtiments, d’identifier les occupants et de réaliser les travaux nécessaires à la sauvegarde des immeubles, puis celle de reprendre possession de l’annexe dénommée ‘le bastidon’ qui s’avérait inoccupée.

Il résulte cependant du constat dressé les 29 mars et 8 avril 2019 par Maître [N], huissier de justice, que des personnes agissant pour le compte de Monsieur [K] [E], gérant de la SCI, ont pénétré de force dans la propriété en défonçant le portail d’entrée, puis ont stationné plusieurs véhicules afin de bloquer les allées et venues des occupants, arraché ou coupé de nombreuses plantations, saccagé l’arrosage automatique, le dallage autour de la piscine ainsi que les jeux d’enfant installés dans le jardin, en s’aidant notamment d’une pelle mécanique.

Il est également établi par l’attestation rédigée par Monsieur [I] [Z], précédent occupant du bastidon, que des caméras de surveillance avaient été installées autour de ce bâtiment permettant de filmer le reste de la propriété.

Il ne peut être tiré en revanche aucune conséquence juridique des plaintes pénales déposées contre Monsieur [E] ou d’autres personnes agissant de son chef, dans la mesure où aucune suite ne semble y avoir été donnée par le ministère public, à l’exception des poursuites engagées contre Monsieur [M] pour violences volontaires commises à l’encontre de Monsieur [H] [T], qui ont donné lieu à un jugement de relaxe prononcé par le tribunal de police de Draguignan.

Quoiqu’il en soit, le premier juge ne pouvait rejeter les demandes des occupantes au motif que les préjudices invoqués n’étaient que la conséquence des mesures d’exécution engagées sur le fondement des différentes décisions de justice, alors que la SCI [Adresse 3] (désormais NOE & ALYA) s’était rendue coupable de véritables voies de fait engageant sa responsabilité délictuelle.

Le tribunal ne pouvait davantage déclarer irrecevable leur demande d’expertise sur le fondement de l’article 70 du code de procédure civile, alors que celle-ci se rattachait aux prétentions originaires par un lien suffisant. Toutefois, la cour estime que les pièces médicales produites aux débats lui permettent de statuer en connaissance de cause, sans avoir besoin de recourir à une mesure d’instruction.

Il sera alloué en conséquence à chacune des requérantes une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré quant au montant de l’indemnité d’occupation, sauf à préciser que Madame [V] [Y] née [G] ne sera tenue in solidum au paiement de celle-ci qu’à compter du 1er novembre 2017,

L’infirme pour le surplus, et statuant à nouveau :

Condamne la SCI NOE & ALYA à payer à chacune des appelantes la somme de 5.000 euros en réparation de leur préjudice moral,

Rejette les demandes d’expertise médicale,

Condamne Mesdames [C] [Y] veuve [T] et [V] [Y] née [G] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

 


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