Saisine du juge de l’exécution : 14 juin 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/04303

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Saisine du juge de l’exécution : 14 juin 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/04303

ORDONNANCE

[J]

C/

Société CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE

PB/DK/VB

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ère Chambre civile

ORDONNANCE PRESIDENT DU 14 JUIN 2023

Saisi en vertu des articles 748-1, 905-2, 910-3 et 930-1 du Code de procédure civile.

RG : N° RG 22/04303 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IR4Z

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU JUGE DE L’EXECUTION DE [Localité 9] DU HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [K] [J]

né le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 8] ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté et plaidant par Me GARNIER substituant Me Serge LEQUILLERIER de la SCP LEQUILLERIER – GARNIER, avocats au barreau de SENLIS

APPELANT

DEFENDEUR A L’INCIDENT

ET

Société CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée et plaidant par Me FOUQUE substituant Me Cyrielle CAZELLES de la SELARL DEJANS, avocats au barreau de SENLIS

INTIMEE

DEMANDERESSE A L’INCIDENT

DEBATS :

A l’audience publique de la Première Chambre Civile de la Cour d’Appel d’Amiens du 10 mai 2023 devant M. Pascal BRILLET, Président de la Première Chambre Civile, qui a renvoyé l’affaire à l’audience publique du 14 juin 2023 pour le prononcé de l’ordonnance.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Diénéba KONÉ

PRONONCE :

A l’audience publique de la Première Chambre Civile de la Cour d’Appel d’Amiens le 14 juin 2023 par mise à disposition de l’ordonnance au greffe, l’ordonnance a été rendue par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, qui a signé la minute avec Mme Vitalienne BALOCCO, Greffier.

DECISION

FAITS ET PROCÉDURE

Le 26 octobre 2021, le Crédit agricole mutuel Brie Picardie (la banque) a engagé une procédure de saisie des rémunérations à l’encontre de M. [K] [J] pour obtenir l’exécution d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 juin 1996 ayant confirmé un jugement de condamnation de ce dernier à lui payer une créance évaluée à 745 126 euros.

M. [J] s’est opposé par divers moyens à cette procédure.

Le 21 septembre 2022, M. [J] a interjeté appel du jugement du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Senlis du 8 septembre 2022 :

– l’ayant débouté de sa contestation relative au montant des intérêts, de sa demande d’exonération de la majoration d’intérêts, de sa demande de réduction du taux d’intérêt et de sa demande de fixation du montant de la quotité saisissable,

– ayant débouté la banque de sa demande de dommages et intérêts,

– ayant fixé la créance de la banque à l’égard de M. [J] à diverses sommes en principal et intérêts et ordonné la saisie des rémunérations de ce dernier à hauteur de la somme correspondante,

– l’ayant condamné au paiement d’une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens,

– ayant dit que la décision est revêtue de l’exécution provisoire.

L’affaire a été fixée à bref délai par ordonnance du président de chambre en date du 14 octobre 2022, ordonnance imposant par ailleurs à l’appelant de déposer ses conclusions au greffe au plus tard le 14 novembre 2022.

L’avis de fixation à bref délai a été notifié aux conseils des parties le même jour.

Le 30 novembre 2022, la banque a saisi le président de chambre d’un incident de caducité de la déclaration d’appel de M. [J].

Dans le dernier état de ses conclusions d’incident transmises par la voie électronique le 13 avril 2023, la banque demande au président de chambre de :

– prononcer la caducité de la déclaration d’appel de M. [J] du 21 septembre 2022 n°22/03053 et portant le numéro RG 22/04303,

– condamner M. [J] à lui verser la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [J] aux dépens de l’instance, en ce compris le coût du timbre fiscal qu’elle a réglé.

Elle prétend en substance que les notions de cause étrangère et de force majeure visées par les articles 930-1, 748-7 et 910-3 du Code de procédure civile n’ont pas vocation à pallier une négligence de l’auteur de l’acte mais un dysfonctionnement brutal, irrésistible et imprévisible, du dispositif de transmission empêchant le respect du délai. Elle fait valoir qu’aucune preuve n’est apportée de l’impossibilité de notifier les conclusions le 14 novembre avant minuit. Il n’y a eu aucun incident sur le réseau RPVA. Aucun des éléments avancés par M. [J] ne justifie un dysfonctionnement brutal, irrésistible et imprévisible et ce alors que son conseil a attendu le soir de l’expiration de son délai pour conclure, n’anticipant pas une éventuelle difficulté.

Dans le dernier état de ses conclusions en réponse sur incident transmises par la voie électronique le 27 février 2023, M. [J] demande au président de chambre de débouter la banque de toutes ses demandes et de la condamner aux dépens et à la somme de 3 000 euros au fondement de l’article 700.

Il fait en substance valoir que, combiné avec l’article 930-1 du Code de procédure civile, l’article 748-7 du code de procédure civile autorise le plaideur, au premier jour ouvrable suivant l’expiration du délai, à procéder par voie papier lorsqu’il a été confronté au dernier jour du délai à une cause étrangère, peu important que celle-ci soit techniquement surmontable. Le mécanisme de report du délai au premier jour ouvrable suivant de l’article 748-7 vise précisément à éviter que le Juge ne sanctionne qu’une méconnaissance informatique du plaideur qui n’aurait pas su remédier dans le délai à un dysfonctionnement technique, puisqu’il peut alors toujours procéder par voie papier. Le débat sur les moyens mis en ‘uvre par le plaideur pour résister à l’événement l’empêchant de notifier ne naît qu’après que la prorogation légale du délai au premier jour ouvrable suivant ne soit acquise, ce qui intervient dès la survenance de la cause étrangère. Cette cause est constituée lorsqu’une notification est tentée mais ne peut être accomplie pour toute raison technique.

Il ajoute que, selon la nouvelle jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, les obstacles techniques rencontrés par le plaideur doivent conduire le juge à ne pas faire application des sanctions processuelles légales lorsqu’il apparaît à l’issue d’un contrôle de proportionnalité que la sécurité juridique ou la bonne administration de la justice n’ont pas été atteintes.

Il soutient que la seule survenue d’une défaillance technique ayant pour effet d’empêcher la notification des conclusions suffit à l’application du texte, et que, s’il existait un remède technique à la défaillance observée, cela n’est pas de nature à exclure la cause étrangère mais uniquement la force majeure qui seule connaît une condition d’insurmontabilité.

Il allègue que toute cause de défaillance même propre à l’ordinateur du conseil, et non pas la seule défaillance du RPVA, peut caractériser une cause étrangère.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

1. Selon l’article 905-2 du code de procédure civile, lorsque l’affaire est fixée à bref délai, l’appelant dispose, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.

2. En l’espèce, l’avis de fixation de l’affaire à bref délai a été notifié le 14 octobre 2022 en sorte que M. [J] devait transmettre par la voie électronique ses conclusions au plus tard le lundi 14 novembre suivant.

Il n’est pas contesté que le conseil de M. [J] n’a transmis par la voie électronique ses conclusions d’appelant que le 15 novembre 2022 à [Immatriculation 7], soit au-delà du terme du délai mensuel dont il disposait pour ce faire.

2. Dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, l’article 930-1 du code de procédure civile impose que les actes de procédure soient remis à la juridiction par voie électronique. L’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit. L’acte est en ce cas remis au greffe sur support papier.

Les allégations de M. [J] en lien avec la notion de cause étrangère au sens de ce texte sont inopérantes.

En effet, en l’espèce, l’incident ne concerne pas la recevabilité des conclusions de M. [J], régulièrement transmises par la voie électronique, étant par ailleurs observé que l’incident technique de transmission allégué par son conseil n’a été suivi d’aucune remise matérielle des conclusions pourtant prévue par ce texte.

Sont en cause la tardiveté de cette transmission et la caducité de la déclaration d’appel qu’elle sanctionne.

Ce sont donc les dispositions de l’article 910-3 du code de procédure civile, et non celles de l’article 930-1 du code de procédure civile, qui sont applicables.

3. Aux termes de ce texte, en cas de force majeure, le président de la chambre peut écarter l’application des sanctions prévues aux articles 905-2 du code de procédure civile.

Constitue un tel cas de force majeure en procédure civile, la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable (Civ. 2, 25 mars 2021 n° pourvoi 20-10.654; 2e Civ., 2 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.733).

4. Il appartient à celui qui invoque l’existence d’un cas de force majeure au sens de ce texte de l’établir en tous ses éléments.

Si rien ne s’oppose légalement à ce qu’un empêchement de nature technique, notamment un dysfonctionnement informatique, puisse constituer un cas de force majeure, encore faut-il, pour celui qui l’invoque, en établir certainement la matérialité.

5. En l’espèce, l’existence d’une impossibilité technique de transmettre les conclusions de M. [J] dans la soirée du 14 novembre 2022 n’est pas certainement rapportée.

Ainsi, en l’état des pièces produites aux débats, il est constant qu’aucun incident majeur n’a affecté le système e-barreau le 14 novembre 2022.

Selon les éléments adressés par le conseil de M. [J] à la structure d’assistance e-barreau du conseil national des barreaux (CNB), soit des captures d’écran, la difficulté alléguée n’est d’ailleurs pas liée à un incident e-barreau mais serait liée à un problème de reconnaissance de la clé de cet avocat sur son ordinateur.

Cependant, rien ne démontre que les captures d’écran transmises sont des captures du 14 novembre 2022. Les pièces produites indiquent la date du 15 novembre à 17h06.

Ces pièces ne sont donc pas révélatrices de l’existence certaine d’une difficulté technique du même ordre dans la soirée du 14 novembre 2022.

En l’état, il ne paraît pas possible de considèrer que la difficulté révélée par ces captures d’écran du 15 novembre 2022 à 17h06 (« sécurité Windows » « la carte à puce ne peut pas effectuer l’opération demandée ou l’opération nécessite une autre carte à puce ») n’a été que la continuation sans interruption de la difficulté alléguée de la soirée du 14 novembre 2022. Dans ce cas, en effet, on ne s’explique pas comment le conseil de M. [J] a pu régulièrement transmettre ses écritures par la voie électronique le 15 novembre à 9h52.

Si ce conseil a pour ce faire utilisé un autre poste informatique du cabinet (ce qui n’est pas allégué), alors il n’est pas justifié en quoi ce qui était possible le 15 novembre à 9h52 ne l’était pas dans la soirée de la veille. C’est dès lors le caractère insurmontable de la difficulté technique rencontrée par son conseil qui n’est dans ce cas pas démontrée par M. [J].

Aucun autre élément de preuve utile n’est produit.

6. M. [J] fait valoir que l’avocat n’est pas un spécialiste nécessaire de l’informatique et que le règlement avant 24H00 de la difficulté technique rencontrée apparue en début de soirée était impossible, les moyens d’assistance n’étant pas disponibles à cette heure.

Un tel moyen ne serait opérant que si M. [J] rapportait la preuve certaine d’une difficulté informatique rencontrée par conseil dans la soirée du 14 novembre 2022.

En l’espèce, s’il ne peut être reproché au conseil de M. [J] de ne pas avoir été en capacité technique de régler la difficulté informatique dont il allègue l’existence, il peut toutefois lui être opposé le fait de ne pas s’être pré-constitué la preuve de son existence, notamment dans la perspective possible d’un litige à venir.

En sa qualité d’avocat, son conseil connaissait par hypothèse l’intérêt de se préconstituer des éléments de preuve, surtout dans cette hypothèse précise où il ne pouvait pas manquer de savoir que la difficulté alléguée allait l’empêcher de respecter son obligation de transmettre ses conclusions dans le délai d’un mois réglementaire imposé et aller faire encourir à la déclaration d’appel de son client la sanction de caducité.

La preuve est naturellement libre à cet égard.Un constat internet d’huissier de justice n’est en rien imposé, le juge pouvant être convaincu par un faisceau de présomptions diverses. Le conseil de M. [J] n’était pas sans possiblité à cet égard, ce malgré l’heure tardive.

Il n’est produit aucune capture d’écran datée certainement de la soirée du 14 novembre 2022, alors même qu’il s’agit d’une man’uvre informatique particulièrement banale. D’ailleurs, le conseil de M. [J] a été en capacité d’en adresser immédiatement plusieurs à la structure d’assistance e-barreau du CNB le lendemain pour répondre à la demande de cette sutructure.

De même, il n’est justifié d’aucun message adressé à cette même structure dans la soirée du 14 novembre 2022. Si un tel message n’aurait pas nécessairement été de nature à permettre un règlement rapide du problème allégué (qui en toute hypothèse ne provenait pas du système e-barreau), il aurait été de nature, le cas échéant avec d’autres éléments comme les captures d’écran, à justifier l’existence de la difficulté technique à ce moment précis.

7.  Par ailleurs, M. [J] justifie, par la production des messages RPVA correspondant, que son conseil a régulièrement transmis et notifié par la voie électronique des conclusions, bordereau et pièces au greffe de la cour d’appel et à son contradicteur dans un autre dossier dans la soirée du 14 novembre 2022 entre 19h19 et 19h22 (trois messages).

Suivre M. [J] dans ses allégations revient donc à retenir qu’il n’existait aucun problème de reconnaissance de la clé sur l’ordinateur de son avocat à ce moment de la soirée, qu’il en est survenu un postérieurement, ce jusqu’à 24 heures au moins, puis que ledit problème a disparu puisque son conseil a pu transmettre sans difficulté ses conclusions litigieuses le 15 novembre 2022 à 9h52 et, qu’enfin, il est réapparu pour permettre les captures d’écran de 17H06.

Or, aucune cause technique n’est justifiée, ni même simplement alléguée, pour expliquer ses apparition et disparition spontanées.

En réalité, le dysfonctionnement technique du 14 novembre 2022 n’est tout simplement pas établi matériellement.

8. Surabondamment, il est observé que l’impossibilité du conseil de M. [J] de remédier à la difficulté (à considérer celle-ci avérée pour l’hypothèse) n’est pas davantage établie.

Notamment, il n’est pas établi qu’un seul ordinateur du cabinet du conseil de M. [J] était disponible dans la soirée du 14 novembre 2022.

Il n’y a pas d’offre de justification de l’absence au sein du cabinet d’autres postes informatiques connectés à internet compatibles avec l’usage de sa clé.

Le caractère insurmontable de la difficulté n’est donc pas justifié.

9. M. [J] n’a donc pas transmis ses conclusions d’appelant dans le délai d’un mois imposé, sans pouvoir justifier d’une impossibilité relevant de la force majeure.

Ses développements en lien avec la nouvelle jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sont inopérants.

En effet, la caducité de la déclaration d’appel de M. [J] résultant de ce manquement ne restreint pas l’accès au juge d’appel d’une manière ou à un point tel que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même. Cette sanction poursuit un but légitime au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en l’occurrence une bonne administration de la justice et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé.

10. La caducité de la déclaration d’appel de M. [J] emporte extinction de l’instance d’appel.

11. M. [J] est condamné aux dépens.

Il est par ailleurs condamné à payer à la banque la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le Président de chambre statuant publiquement, par ordonnance susceptible de déféré,

Prononce la caducité de la déclaration d’appel de M. [K] [J] en date du 21 septembre 2022,

Constate que cette caducité entraîne extinction de l’instance et le dessaisissement de la cour,

Condamne M. [K] [J] à payer à au Crédit agricole mutuel Brie Picardie la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [K] [J] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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