République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 15/06/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/03846 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TXUC
Jugement (N° 19/06707)
rendu le 27 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTS
Monsieur [S] [M]
né le 17 mars 1967 à [Localité 4])
[Adresse 1]
[Localité 6]
Monsieur [E] [M]
né le 03 novembre 1969 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentés par Me Julie Penet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué substitué par Me Juliette Cousin, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
La SARL Moncheaux 13
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Delphine Nowak, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
DÉBATS à l’audience publique du 20 mars 2023 tenue par Céline Miller magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 février 2023
****
Le 15 juillet 2015, MM. [S] et [E] [M] (ci-après, ‘les consorts [M]’) ont vendu à la SARL Moncheaux 13 treize parcelles de terrain situées [Adresse 9], à [Localité 8], issues de la division d’un terrain leur appartenant et dont ils ont conservé six parcelles. La vente a été conclue moyennant un prix de 266 245 euros, à régler selon les modalités suivantes :
– une première somme de 136 245 euros devait être versée le jour de la vente ;
– le solde restant, d’un montant de 130 000 euros, devait être acquitté au moyen de l’exécution, par l’acquéreur, de travaux de viabilisation des six terrains conservés par les consorts [M] et la réalisation d’un enrobé sur l’accès au terrain n° 9, faisant partie de ces six terrains.
L’acquéreur s’engageait à démarrer les travaux au mois de juillet 2015 et à livrer les terrains viabilisés le 30 septembre au plus tard pour le terrain n°9 et le 31 octobre 2015 pour les autres terrains.
Ces délais n’ont pas été respectés.
Arguant de ce que les travaux n’avaient pas été réalisés par l’acquéreur selon les conditions prévues au contrat, les consorts [M] ont fait assigner celui-ci devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille aux fins, notamment, de voir exécuter cette obligation sous astreinte et de se voir verser une provision à valoir sur des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par ordonnance en date du 28 juin 2016, le juge des référés saisi a :
– fait injonction à la société Moncheaux 13 d’achever les travaux de viabilisation et d’enrobé tels que prévus par l’acte de vente dans un délai de cinq jours à compter de la signification de l’ordonnance,
– dit que, faute de justifier, par un procès-verbal de constat établi par un huissier de justice, de la réalisation de l’intégralité des travaux prévus sur l’ensemble des lots, l’acquéreur devrait payer une astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant une durée de soixante jours,
– condamné ce dernier à payer aux consorts [M] la somme provisionnelle de 6 000 euros à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice, outre une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt en date du 19 janvier 2017, la cour d’appel de céans a confirmé cette ordonnance sauf en ce qu’elle a fait injonction à la société Moncheaux 13 de réaliser les travaux sous astreinte compte tenu de la réception sans réserve des travaux intervenue suivant procès-verbal signé le 8 juillet 2016.
Par jugement en date du 5 décembre 2016, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Lille a débouté la société Moncheaux 13 de sa demande tendant à voir annuler le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 15 juillet 2016 par les consorts [M], dit que les frais relatifs à ce commandement resteraient à la charge de la société Moncheaux 13, que ceux relatifs à la saisie-attribution pratiquée le 22 juillet 2016 à la demande des consorts [M] resteraient à leur charge, condamné ces derniers in solidum à payer à la société Moncheaux la somme de 600 euros à titre de dommages-intérêts pour abus de saisie, celle de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, et les a déboutés de leur demande de liquidation de l’astreinte ordonnée par le juge des référés.
Par arrêt en date du 5 juillet 2018, la cour d’appel de céans a confirmé ce jugement.
Par exploit d’huissier en date du 5 septembre 2019, les consorts [M] ont fait assigner la société Moncheaux 13 devant le tribunal de grande instance de Lille en responsabilité contractuelle et délictuelle et en indemnisation de leurs préjudices matériel et moral.
Par jugement en date du 27 mai 2021, le tribunal judiciaire de Lille a dit recevables les demandes formées par les consorts [M], condamné la société Moncheaux 13 à leur payer, ensemble, la somme de 6 000 euros en réparation de leur préjudice moral, dit que cette somme serait versée sous déduction de la provision ordonnée par le juge des référés le 28 juin 2016, débouté les consorts [M] de leurs autres demandes, laissé à leur charge les dépens et dit n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles.
Les consorts [M] ont interjeté appel de ce jugement et, aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 février 2023, demandent à la cour, au visa de l’article 1103 du code civil, des articles 1231 et suivants du même code, de l’article 1240 du même code, de l’article L. 121-2 du code de la consommation, de l’article 4 de la loi de finance pour 2015 du 29 décembre 2014, de l’article 257 du code général des impôts et de l’article 700 du code de procédure civile, d’infirmer le jugement dont appel et de :
– déclarer irrecevable comme nouvelle la demande formulée devant la cour de céans par la société Moncheaux 13 tendant à leur condamnation au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamner cette dernière au paiement des sommes de 88 612 euros au titre de leur préjudice matériel et 10 000 euros au titre de leur préjudice moral,
– déduire de ces sommes celle de 6 000 euros versée par provision,
– la débouter de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner, outre les frais et dépens, à leur verser les sommes de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés dans le cadre de la première instance et devant la cour de céans, soit un total de 8 000 euros.
Ils sollicitent, en outre, qu’il soit dit et jugé qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, le montant des sommes retenues par l’huissier en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, fixant le tarif des huissiers, sera supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils soutiennent principalement que c’est à bon droit que le tribunal judiciaire a jugé que la société Moncheaux 13 avait engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard dès lors que les travaux qu’elle s’était engagé à réaliser ont été livrés le 8 juillet 2016, soit avec 8 à 9 mois de retard, après de multiples relances de leur part et une procédure judiciaire ; que la société Moncheaux 13 a également engagé sa responsabilité délictuelle à leur égard par le biais de pratiques commerciales trompeuses visant à empêcher la vente des lots qui étaient restés leur propriété ; que ces manquements contractuels et délictuels sont tous deux la cause de la vente tardive des terrains dont ils étaient restés propriétaires, à un prix inférieur à celui du marché, avec une perte estimée à 59 500 euros ; que du fait de cette vente tardive de la plupart de leurs terrains, ils ont perdu l’avantage fiscal correspondant à l’abattement de 30 % sur la plus-value avant impôt, qu’ils chiffrent à 29 112 euros ; qu’enfin, compte tenu des désagréments que leur a imposés la société Moncheaux 13, ils sont fondés à obtenir l’indemnisation de leur préjudice moral.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 25 avril 2022, la société Moncheaux 13 demande à la cour, au visa des articles 1103, 1240, 1231 et suivants du code civil, de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article L. 121-2 du code de la consommation, de confirmer le jugement entrepris, débouter les appelants de l’intégralité de leurs demandes et, en tout état de cause, de :
– déduire des condamnations prononcées la somme de 6 000 euros qu’elle a d’ores et déjà payée à titre de provision conformément à l’ordonnance de référé en date du 28 juin 2016 et à l’arrêt rendu par la cour d’appel de céans le 19 janvier 2019,
– condamner les consorts [M] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil et celle de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner aux entiers dépens.
Elle fait essentiellement valoir que le retard de livraison ne lui est pas uniquement imputable et résulte également du fait que des travaux d’installation des réseaux privés en sous-oeuvre devaient être réalisés au préalable, mais que les consorts [M] ont refusé de les effectuer et lui ont demandé de les prendre en charge en plus des travaux prévus dans l’acte de vente, ce qu’elle a finalement accepté au terme de longues discussions avec les vendeurs. Elle ajoute que les consorts [M] sont défaillants dans l’administration de la preuve de la réalité du préjudice qu’ils prétendent avoir subi du fait du retard des travaux de viabilisation, lequel ne les empêchait nullement de signer avec des tiers une promesse de vente ou un compromis, le cas échéant assorti de conditions suspensives.
Elle soutient par ailleurs que le fait d’avoir implanté un panneau d’affichage et d’avoir mentionné des informations prétendument erronées sur son site internet n’est pas constitutif de pratiques commerciales trompeuses de sa part au détriment des consorts [M], dès lors qu’elle n’était pas chargée de la commercialisation de leurs lots et qu’ils pouvaient tout à fait procéder eux-mêmes à la publicité de leurs lots en informant les éventuels acquéreurs que d’autres lots étaient disponibles. Elle ajoute qu’il ne peut lui être reproché d’avoir commercialisé ses terrains alors qu’ils ne lui appartenaient pas encore dès lors qu’elle est devenue propriétaire peu de temps après, qu’il s’agit d’une pratique courante et que celle-ci ne peut être assimilée à une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L121-2 du code de la consommation. Elle souligne que les informations qu’elle a mises sur son site internet concernaient l’ensemble du lotissement dont elle devait indiquer la composition et que s’agissant des lots des consorts [M], elle a indiqué le terme ‘vendu’ pour montrer qu’ils n’étaient pas disponibles à la vente par ses soins, seules trois indications étant autorisées par son logiciel, à savoir ‘disponible’, ‘réservé’ et ‘vendu’.
Elle fait valoir enfin que les consorts [M] ne démontrent aucun préjudice en lien avec son retard dans l’exécution des travaux, ce retard n’ayant pas été à l’origine d’une privation de jouissance pour eux ; qu’ils ne démontrent d’ailleurs pas qu’ils auraient mis en vente leurs lots, notamment par la publication d’une annonce ou un mandat donné à une agence immobilière, ni que l’absence de viabilisation aurait été la cause de la renonciation d’achat de potentiels acquéreurs, ni enfin que le retard dans la viabilisation serait la cause de la perte de l’avantage fiscal et d’une vente de leurs lots à un moindre prix ; que les consorts [M] ont déjà été indemnisés de leur préjudice résultant du retard des travaux à hauteur de 6 000 euros en application de l’ordonnance de référé du 28 juin 2016 et de l’arrêt de la cour d’appel de céans en date du 19 janvier 2019, ce qui semble parfaitement suffisant, cette somme devant être déduite des sommes qui pourraient leur être allouées dans le cadre de la présente instance.
Elle ajoute que ni le panneau d’affichage ni les informations disponibles sur le site de Proteram n’empêchaient les consorts [M] les potentiels acquéreurs d’obtenir les informations nécessaires sur les terrains des consorts [M] auprès de ceux-ci ou d’une agence immobilière qu’ils auraient mandaté à cet effet.
Elle soutient enfin qu’elle est recevable et bien-fondée à obtenir l’indemnisation du préjudice résultant pour elle de la multiplication des procédures par les consorts [M] à son encontre.
L’ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 27 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Liminaire
Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Par ailleurs, en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
En l’espèce, si les consorts [M] ont interjeté appel du jugement entrepris en ce qui concerne le débouté de leurs demandes formées sur le fondement de la responsabilité délictuelle et l’évaluation de leur préjudice, il convient d’observer que la société Moncheaux 13 n’a pas formé appel incident et ne conteste donc pas le jugement dont appel en ce que celui-ci a déclaré recevables les demandes formées par MM. [S] et [E] [M] sur le double fondement des responsabilités contractuelles et délictuelles et en ce qu’il l’a condamnée à leur payer la somme de 6 000 euros en réparation de leur préjudice moral sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.
Il apparaît donc qu’elle reconnaît le principe de sa responsabilité contractuelle liée à son retard dans l’exécution des travaux de viabilisation et de réalisation d’enrobé sur les terrains restés la propriété des consorts [M], quand bien même le corps de ses conclusions comporte des développements tendant à minimiser cette responsabilité.
Le principe de la responsabilité contractuelle de la société Moncheaux 13 étant donc acquis, il ne fera pas l’objet de nouveaux développements, les points restant en litige concernant l’existence d’une faute délictuelle de la société Moncheaux 13 à l’égard des consorts [M], distincte de sa faute contractuelle et la question de la preuve et de l’évaluation d’un ou plusieurs préjudices pouvant être reliés à ces fautes.
Sur la faute délictuelle
L’article 1382 ancien du code civil, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable en l’espèce, dispose que tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Par ailleurs, aux termes de l’article L121-1 du code de la consommation, ‘Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.
(…)
Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.’
L’article L121-2 ajoute qu’ ‘une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ;
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, notamment au regard des règles justifiant l’apposition des mentions ‘ fabriqué en France ‘ ou ‘ origine France ‘ ou de toute mention, signe ou symbole équivalent, au sens du code des douanes de l’Union sur l’origine non préférentielle des produits, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix notamment les réductions de prix au sens du I de l’article L. 112-1-1, les comparaisons de prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ;
e) La portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en ‘uvre n’est pas clairement identifiable ;(…)’
C’est à juste titre que le premier juge a considéré que le fait, pour la société Moncheaux 13, d’apposer une affiche à l’en-tête de son enseigne Proteram mentionnant ‘Moncheaux Le Domaine de la Clorière (…) 31 lots de 451 m² à 916 m² à partir de 75 000 euros (…) reste 10 lots’ n’était pas une allégation mensongère de la part du promoteur dès lors qu’il n’était effectivement vendeur que de dix lots, que cette assertion n’était pas de nature à induire en erreur le consommateur normalement informé, raisonnablement attentif et avisé dès lors qu’il était loisible pour les consorts [M] de procéder également à l’information du public sur les lots qu’ils vendaient, cette publicité n’étant pas du ressort de la société Moncheaux 13.
C’est également à juste titre que ce juge a estimé que l’occupation illégale de la propriété des consorts [M] n’était pas établie au regard des pièces versées aux débats.
En revanche, s’agissant de la présentation des lots sur le site internet de la société Moncheaux 13, s’il est entendable, d’une part, que cette dernière ne pouvait sans devenir leur commercialisateur, indiquer que les terrains des consorts [M] étaient disponibles à la vente, et d’autre part, que l’ensemble des lots devaient figurer, aux fins d’information du public, dans la description du nouveau lotissement créé, pour autant la mention ‘vendu’ apposée à côté des lots des consorts [M] alors que tel n’était pas le cas ne peut qu’être qualifiée de mensongère, alors que la société Moncheaux 13 ne démontre pas qu’elle se serait trouvée dans l’impossibilité technique d’indiquer simplement sur son site que ces lots n’étaient pas disponibles à la vente par ses soins.
Cette mention, correspondant à une présentation fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur et portant sur la disponibilité du bien, doit être qualifiée de pratique commerciale trompeuse au sens de l’article L121-2 précité et est donc constitutive d’une faute de nature délictuelle commise par la société Moncheaux 13 au préjudice des consorts [M].
Sur le préjudice et le lien de causalité
Si les fautes de nature contractuelle et délictuelle imputables à la société Moncheaux 13 peuvent l’une et l’autre avoir concouru à la réalisation d’un même préjudice, ainsi qu’allégué par les consorts [M], il leur appartient de rapporter la preuve de ce préjudice et du lien de celui-ci avec chacune des fautes précédemment établies conformément aux règles des responsabilités contractuelles et délictuelles.
* Sur le préjudice en lien avec la faute contractuelle
En matière contractuelle, l’article 1147 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En vertu des articles 1149 et 1150 du même code, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ; le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée.
Enfin, il résulte de l’article 257 du code général des impôts et de l’article 4 de la loi de finances pour 2014 datée du 29 décembre 2014 que les vendeurs pouvaient bénéficier d’un abattement de 30 % de la taxe sur la plus-value immobilière si la vente était précédée d’une promesse régularisée entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2015 et qu’elle était réalisée au plus tard le 31 décembre 2017 pour les promesses régularisées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015.
En l’espèce, alors que selon les dispositions contractuelles, la livraison des terrains viabilisés devait intervenir le 30 septembre 2015 au plus tard pour le terrain n° 9 et le 31 octobre 2015 au plus tard pour les autres terrains, les travaux de viabilisation ont en réalité été réceptionnés le 8 juillet 2016, soit avec neuf mois et une semaine de retard par rapport à la date convenue s’agissant du terrain n° 9, et huit mois et une semaine pour les autres terrains, et après plusieurs mises en demeure et engagement d’une procédure de référé, la société Moncheaux 13 devant être tenue pour responsable de ce retard.
Les consorts [M] sollicitent l’indemnisation de leur préjudice matériel résultant de ce retard à hauteur du montant de l’abattement fiscal manqué sur la taxe sur la plus-value, soutenant que ce retard dans l’exécution des travaux n’a pas permis la commercialisation des terrains.
Cependant, ils ne démontrent pas en quoi l’absence de viabilisation des terrains auraient empêché la commercialisation de ceux-ci ou, à tout le moins, la signature d’avant-contrats avant le 31 décembre 2015.
Il résulte d’ailleurs à cet égard des éléments versés aux débats qu’ils ont effectivement conclu une promesse de vente dès le 29 décembre 2015 portant sur le lot n° 15 du lotissement, ainsi qu’une promesse de vente le 11 avril 2016 portant sur le lot n° 5 du lotissement, soit avant la livraison des terrains viabilisés.
Par ailleurs, alors que les consorts [M] ont conclu le contrat litigieux avec la société Moncheaux 13 le 15 juillet 2015, soit seulement cinq mois et demi avant la fin de l’avantage fiscal qu’ils convoitaient, ils ne démontrent pas avoir entrepris les démarches nécessaires en vue de la commercialisation immédiate des lots (publicité, mandat de vente donné à une agence immobilière) que rien n’empêchait, les avant-contrats pouvant tout à fait inclure une condition suspensive relative à l’exécution des travaux, ainsi que l’ont d’ailleurs stipulé les promesses de vente des 29 décembre 2015 et 11 avril 2016 précitées.
Dès lors, c’est à juste titre que le premier juge a considéré que les consorts [M] n’établissaient pas la preuve du lien de causalité entre le retard dans la livraison des travaux de viabilisation par la société Moncheaux 13 et le retard dans la commercialisation des lots des consorts [M] ayant entraîné la perte de l’avantage fiscal qu’ils déplorent.
C’est également de manière pertinente qu’il a été jugé qu’il n’était pas davantage établi que le retard pris dans la viabilisation des terrains avait conduit les consorts [M] à vendre à moindre prix, la perspective du bénéfice de l’abattement fiscal étant éteinte depuis plusieurs mois et ne pouvant dès lors conduire à un quelconque empressement.
En revanche, le préjudice moral des consorts [M], qui ont été confrontés aux relances de leurs acquéreurs et au stress lié à la perspective d’une possible annulation de ventes, est avéré et a été justement évalué par le premier juge à la somme de 6 000 euros.
La décision entreprise sera confirmée sur ce point, ainsi que sur la déduction à opérer des sommes allouées par le juge des référés.
* Sur le préjudice en lien avec la faute délictuelle
Le préjudice résultant, pour les consorts [M], de l’indication fausse, sur le site internet de la société Moncheaux 13, de ce que leurs lots étaient vendus alors que cela n’était pas le cas, ne peut consister qu’en une perte de chance de commercialiser leurs lots, le lien de causalité n’étant pas établi entre cette indication fausse et un retard effectif de commercialisation ou une perte effective de clients potentiels, pas plus qu’avec une baisse du prix de vente des terrains.
Cependant, cette perte de chance est difficilement quantifiable dès lors qu’il est malaisé de démontrer le nombre d’acquéreurs potentiels qui auraient été découragés dans leur démarche à la seule lecture du site, seul un courriel de Mme [H] [X] étant versé en ce sens (pièce n° 50), attestant ‘effectivement je vous confirme que nous pensions que le lot 17 était vendu comme l’indiquait le site proteram’, sans que cette pièce ne soit établie dans les formes prescrites par l’article 202 du code de procédure civile, sa valeur probante étant donc réduite.
Par ailleurs, les consorts [M] ne démontrant pas avoir, pour leur part, engagé des démarches publicitaires et de commercialisation de leurs lots, il n’est pas établi que la seule faute de la société Moncheaux 13 soit responsable du retard de commercialisation qu’ils allèguent.
Dès lors, il convient d’indemniser leur préjudice de perte de chance à hauteur de 10 000 euros, la décision entreprise étant infirmée en ce qu’elle les avait purement et simplement déboutés de leur demande d’indemnisation sur le fondement délictuel.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive
* Sur la recevabilité de la demande
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 567 précise cependant que les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
La société Moncheaux 13, intimée, est recevable en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
* Sur le bien-fondé de la demande
La société Moncheaux 13 ne démontre pas qu’en faisant appel d’une décision leur faisant partiellement grief, les consorts [M] aient fait dégénérer leur droit d’appel en abus, cela d’autant qu’ils sont accueillis partiellement en leurs demandes.
Il ne peut par ailleurs être reproché aux consorts [M] d’avoir utilisé les diverses procédures applicables aux fins d’obtenir la reconnaissance de leurs droits, que ce soit devant le juge des référés, le juge de l’exécution puis le juge du fond.
Aussi, la société Moncheaux 13 sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les demandes accessoires
La société Moncheaux 13 sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à MM. [S] et [E] [M] la somme de 2 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et celle de 2 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles d’appel.
Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l’appel,
Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société à responsabilité limitée Moncheaux 13 à payer à M. [S] [M] et M. [E] [M], ensemble, la somme de 6 000 euros en réparation de leur préjudice moral et dit que cette somme serait versée sous déduction de la provision ordonnée par le juge des référés le 28 juin 2016, la cour précisant que cette condamnation est effectuée sur le fondement de la responsabilité contractuelle,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société à responsabilité limitée Moncheaux 13 à payer à M. [S] [M] et M.'[E] [M] la somme de 10 000 euros, ensemble, au titre de leur préjudice de perte de chance sur le fondement de la responsabilité délictuelle,
Déboute M. [S] [M] et M. [E] [M] du surplus de leur demande d’indemnisation,
Condamne la société Moncheaux 13 aux dépens de première instance,
La condamne à verser à M. [S] [M] et M. [E] [M] la somme de 2 500 euros, ensemble, au titre de leurs frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant,
Déclare la société Moncheaux 13 recevable en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
La déboute de cette demande,
Condamne la société Moncheaux 13 aux dépens d’appel,
La condamne à verser à M. [S] [M] et M. [E] [M], ensemble, la somme de 2 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles d’appel.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet