REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 22/14337 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGIFO
Décision déférée à la cour
Jugement du 21 avril 2022-Juge de l’exécution de PARIS-RG n° 22/80098
APPELANTE
S.A. HERMITAGE INTERNATIONAL, société anonyme de droit luxembourgeois
[Adresse 1]
[Adresse 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me David CHIJNER, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A. LABINI INVESTMENTS LIMITED, société anonyme de droit chypriote
[P] [D], [Adresse 2]
[Localité 4]-RÉPUBLIQUE DE CHYPRE
Représentée par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053
Ayant pour avocat plaidant Me Sandra GRASLIN-LATOUR, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 17 mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Selon contrat du 2 août 2019, la SA de droit chypriote Labini Investments Limited (ci-après la société Labini) a accordé un prêt de 14 millions d’euros à la SA de droit luxembourgeois Hermitage International (HIL) en vue de la réalisation d’un projet immobilier à La Défense, dont le terme, initialement fixé au 2 août 2020, a été prorogé d’un commun accord au 2 novembre suivant.
Selon un autre contrat du même jour la SA HIL a consenti un prêt intragroupe dit « miroir » à la SNC Les Locataires, sa sous-filiale, elle-même dirigée par la SAS Hermitage, sa filiale française, d’un montant maximum en principal de 14 millions d’euros.
Par trois ordonnances du 22 juillet 2021, sur requêtes présentées le même jour, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a autorisé la société Labini à pratiquer :
une saisie conservatoire de la créance détenue par la SA HIL entre les mains de la SNC Les Locataires (sa sous-filiale française),
une saisie conservatoire des parts sociales détenues par la SA HIL dans la SAS Hermitage (sa filiale française),
une saisie conservatoire du compte courant détenu par la SA HIL dans les livres de la SAS Hermitage,
l’ensemble de ces trois saisies conservatoires étant autorisées pour garantie de sa créance fixée à 19.637.596,45 euros.
Par actes d’huissier du 29 juillet 2021, la société Labini a fait pratiquer ces trois saisies conservatoires. Elles ont été dénoncées à la société HIL le 5 août 2021 puis, par voie de signification internationale, le 19 août 2021.
Par assignation du 26 août 2021, la société Labini a saisi le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir un titre exécutoire.
Par jugement du 14 avril 2023, frappé d’appel par la société HIL, le tribunal de commerce de Paris a condamné la SA HIL à payer à la société Labini la somme de 23.802.025 euros en principal, arrêtée au 9 juin 2022, outre les intérêts de retard conventionnels au taux de 12,57% et 14% à compter du 9 juin 2022 jusqu’à complet paiement, outre les frais et honoraires, ainsi qu’une somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par requête du 16 novembre 2021, la SA HIL a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris afin de contester les trois saisies conservatoires susvisées.
Par jugement du 21 avril 2022, le juge de l’exécution a :
dit n’y avoir lieu d’écarter les pièces produites par la société Labini ni d’en ordonner la traduction assermentée ;
dit recevable la contestation des deux saisies conservatoires de créances du 29 juillet 2021 ;
rejeté la demande d’annulation des trois requêtes en mesure conservatoire du 22 juillet 2021;
rejeté la demande de rétractation des trois ordonnances du 22 juillet 2021 ;
rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance du 22 juillet 2021 autorisant la saisie conservatoire de créances entre les mains de la société Les Locataires ;
rejeté les demandes d’annulation des trois dénonciations du 5 août 2021 ;
rejeté la demande d’annulation des trois saisies conservatoires ;
donné mainlevée de la saisie conservatoire du 29 juillet 2021 entre les mains de la SNC Les Locataires ;
rejeté la demande de mainlevée de la saisie conservatoire du compte courant d’associé entre les mains de la SAS Hermitage ;
– dit irrecevables les prétentions par lesquelles la SA HIL demande au juge d’ordonner la communication par la SA Labini Investments Limited des éléments de calcul des montants réclamés, de réduire la clause pénale prévue à l’article 7.4 du contrat de prêt, de dire qu’aucun intérêt de retard n’est exigible, d’annuler la clause de capitalisation des intérêts du contrat de prêt, d’ordonner la production par le prêteur des sommes dues excluant toute capitalisation des intérêts à compter de la renégociation du prêt, de désigner un expert pour déterminer le TEG applicable au prêt et calculer les montants payés en excès, de prononcer la déchéance du droit aux intérêts courus depuis le 7 août 2020 et de constater que la créance du prêteur n’est pas certaine ;
dit irrecevable la demande de report de la date d’échéance des sommes dues au titre du prêt ;
rejeté les demandes de dommages-intérêts ;
condamné la SA HIL à verser à la SA Labini Investments la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu :
sur la recevabilité de la contestation des deux saisies infructueuses, que la SA HIL avait un intérêt à les contester parce qu’elles lui avaient occasionné des frais ;
s’agissant de la validité des requêtes en mesure conservatoire, que si elles avaient été déposées par la SA Labini Investments Limited « agissant poursuites et diligence de son représentant légal en exercice », contrairement aux dispositions de l’article 54 du code de procédure civile exigeant la mention de l’organe représentant légalement la personne morale demanderesse, la requérante avait ensuite précisé le nom de son représentant légal en exercice, notamment en première page de ses conclusions, faisant ainsi disparaître le grief invoqué par la SA HIL tenant à l’impossibilité d’apprécier et de discuter la qualité de l’organe représentant la société, et régularisant le vice initial des requêtes ;
s’agissant de la demande de rétractation des trois ordonnances, que cette prétention était présentée par voie de conséquence de la demande d’annulation des requêtes, elle-même rejetée ;
sur la demande d’annulation de l’ordonnance n°RG 21/1165, que si celle-ci autorisait la saisie conservatoire des parts sociales détenues par la SA HIL dans sa filiale française, alors que cette SAS ne pouvait pas être constituée de parts sociales, la SA HIL n’alléguait aucun grief au soutien de sa demande, d’autant plus que l’ordonnance ne laissait subsister aucune ambiguïté quant à l’identité du tiers saisi ;
sur la demande d’annulation des dénonciations, que ces actes mentionnaient à juste titre la compétence du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris en application du principe de territorialité des mesures d’exécution, des dispositions de l’article R.121-2 du code des procédures civiles d’exécution, de la localisation du siège de la SA HIL à l’étranger et des saisies à Paris ;
s’agissant de la demande d’annulation des saisies conservatoires, que les actes mentionnaient le montant global pour conservation duquel ils étaient pratiqués tandis que le détail de ce montant figurait de manière circonstanciée aux ordonnances du juge de l’exécution, avec lesquelles les requêtes de la société Labini faisaient corps ;
sur la demande de mainlevée des saisies de créances, qu’il y avait lieu de donner mainlevée de la saisie des créances qu’aurait détenues la société HIL dans les livres de la société Les Locataires, dans la mesure où HIL n’était pas associée de la société Les locataires ; qu’en revanche, le caractère infructueux de la saisie du compte courant dans les livres de la société Hermitage n’était pas un motif de mainlevée ;
sur les demandes relatives au contrat de prêt, que ces prétentions excédaient ses pouvoirs, au regard des dispositions de l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, et qu’il ne lui incombait pas, en matière de saisie conservatoire, de dire si la créance invoquée avait un caractère certain ;
sur la demande de dommages-intérêts, que la seule saisie dont il était donné mainlevée, ayant été infructueuse, n’avait entraîné aucune diminution d’actifs, même temporaire ;
sur la demande de report, que cette demande pouvait être interprétée soit comme tendant à l’octroi de délais de paiement et, partant, irrecevable dès lors que l’instance avait pour seul objet la contestation de mesures conservatoires, soit comme tendant à la modification de la date d’exigibilité prévue au contrat de prêt en cause et n’entrant pas dans les pouvoirs du juge de l’exécution ;
s’agissant de la demande reconventionnelle de dommages-intérêts, que la procédure engagée par la SA HIL ne pouvait être déclarée abusive, dès lors qu’au moins une de ses prétentions était accueillie.
Par déclaration du 27 juillet 2022, la SA HIL a formé appel de ce jugement.
Par conclusions du 10 mai 2023, elle demande à la cour de :
infirmer le jugement du 21 avril 2022, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu d’écarter les pièces produites par la SA Labini Investments Limited et d’en ordonner la traduction assermentée, dit recevable la contestation des deux saisies conservatoires de créances du 29 juillet 2021 et donné mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 29 juillet 2021 entre les mains de la SNC Les Locataires ;
Statuant à nouveau,
À titre principal,
prononcer la nullité pour vice de forme des requêtes adressées au juge de l’exécution le 22 juillet 2021 ;
rétracter les ordonnances du 22 juillet 2021 sur le fondement de requêtes nulles ;
ordonner la mainlevée des saisies conservatoires de créances, de valeurs mobilières et de droits d’associés, pratiquées entre les mains de la société Hermitage ;
À titre subsidiaire,
ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances entre les mains de la société Hermitage faute de créance d’associé à saisir ;
prononcer la nullité de l’ordonnance ayant autorisé la saisie des parts sociales dans sa filiale, la SAS Hermitage ;
ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de droits d’associés ou valeurs mobilières ;
prononcer la nullité des trois procès-verbaux de saisies conservatoires de créances et de saisie de valeurs mobilières et de droits d’associés du 29 juillet 2021 pour absence de décompte ;
prononcer la nullité des trois actes de dénonciation du 5 août 2021 pour défaut de mention du juge compétent ;
ordonner la mainlevée des trois saisies conservatoires de créances et de valeurs mobilières pratiquées ;
À titre très subsidiaire,
ordonner la communication par la société Labini des éléments de calcul des montants réclamés et le versement des relevés de compte détaillant les opérations de crédit et de débit relatives au prêt ;
se déclarer compétente pour trancher les différends au fond ;
prononcer la réduction de la clause pénale prévue au contrat de prêt comme manifestement excessive ;
dire qu’aucun intérêt de retard n’est à ce jour exigible ;
prononcer la nullité de la stipulation relative à la capitalisation trimestrielle des intérêts ;
ordonner à la société Labini de produire un décompte précis, juste et vérifiable du montant des sommes dues excluant toute capitalisation trimestrielle et annuelle à compter de la renégociation du prêt ;
désigner un expert ayant pour mission de collecter l’ensemble des éléments de l’opération entrant dans l’assiette du taux effectif global et d’avoir tout pouvoir à cet effet afin d’obtenir communication de ces éléments auprès des parties, de déterminer de façon précise le taux effectif global applicable à l’opération de prêt initiale, et dans l’hypothèse où il serait constaté que des paiements ont été faits qui viendraient à excéder le taux effectif global calculé par le prêteur, calculer les montants ayant été payés en excès de ce taux lesquels viennent en déduction des sommes dues à titre principal ;
prononcer à l’encontre de la société Labini la déchéance totale du droit aux intérêts courus depuis le 7 août 2020 ;
constater que le montant de la créance en principal et en intérêts n’est pas certain ;
condamner la société Labini à lui verser la somme de 1.000.000 euros en réparation du préjudice subi en raison des saisies pratiquées abusivement ;
À titre infiniment subsidiaire,
ordonner le report d’un délai de deux ans de la date d’échéance des sommes dues au titre du contrat de prêt et la fixer à la date du 2 novembre 2023 ;
En tout état de cause,
rejeter toutes demandes contraires au présent dispositif ;
condamner la SA Labini Investments Limited au paiement de la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de son avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions du 15 mai 2023, la société Labini demande à la cour de :
confirmer le jugement du 21 avril 2022, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau,
condamner la SA HIL à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause,
confirmer les ordonnances sur requêtes du 22 juillet 2021 ;
débouter la SA HIL de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
condamner la SA HIL à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de son avocat.
MOTIFS
Sur les demandes tendant à voir prononcer la nullité des actes
Sur la régularité des requêtes à fin d’autorisation de saisie conservatoire
L’appelante soulève la nullité des requêtes pour vice de forme en l’absence de désignation, exigée par l’article 54 du code de procédure civile, de l’organe représentant légalement la société Labini, vice lui causant préjudice comme l’empêchant d’apprécier la capacité à ester en justice de son adversaire et le pouvoir des personnes physiques supposées la représenter, en portant atteinte à sa capacité de lever les fonds nécessaires au financement de son projet immobilier et au remboursement du prêt et, par suite, à la poursuite de ce projet.
L’intimée rétorque que les requêtes précisent sa forme sociale et ont été complétées en cours de première instance par la précision de l’identité de son représentant légal, Mme [H] [B], dont elle produit, à hauteur de cour, le pouvoir revêtu du certifcat chypriote. Elle relève l’absence de tout grief découlant de la prétendue irrégularité.
Selon l’article 54 du code de procédure civile, à peine de nullité, la demande initiale mentionne ‘ 3°b) pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l’organe qui les représente légalement.
Mais d’une part, l’indication de la forme sociale de la société, en l’espèce une société anonyme, permet à elle seule de déterminer l’organe habilité à la représenter. D’autre part, le défaut de désignation de l’organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu’un vice de forme, dont la sanction est subordonnée à la démonstration d’un grief, conformément à l’article 114 alinéa 2 du code de procédure civile. Or le lien de causalité entre la prétendue impossibilité pour la débitrice d’apprécier la capacité d’ester en justice du créancier, au moment où celui-ci requiert l’autorisation de pratiquer des mesures conservatoires, et l’atteinte à sa capacité de lever les fonds nécessaires au refinancement de son projet immobilier n’est nullement démontré. En outre, l’appelante a pu vérifier l’identité et la qualité de représentant légal de Mme [B] sur les documents produits et diriger utilement sa contestation des saisies conservatoires contre la personne morale idoine.
Au surplus, la prétendue irrégularité résultant de l’absence de précision, lors du dépôt des requêtes, de l’organe représentant la société Labini, a été couverte conformément aux dispositions de l’article 115 du même code, par la précision en première instance de l’identité du représentant légal de la société Labini et, à hauteur de cour, par la justification de ce que le représentant légal de la société, Mme [H] [B], est l’un des administrateurs de la société, ce par la production des certificats chypriotes et de leur traduction assermentée.
Sur la régularité des ordonnances autorisant les saisies conservatoires
La nullité des ordonnances, par voie de conséquence de la prétendue nullité des requêtes, n’est donc pas encourue.
L’appelante soutient encore que l’ordonnance ayant ordonné la saisie des parts sociales dans la SAS Hermitage doit être annulée en raison de l’impossibilité d’une société par actions simplifiée d’émettre des parts sociales.
L’intimée réplique qu’il s’agit d’une erreur de plume sans portée, la saisie tendant évidemment à geler les actions détenues par la société HIL dans la société Hermitage et non des parts sociales.
Quoi qu’il en soit, la saisie autorisée par ordonnance n°21/1165 présente la nature d’une saisie conservatoire de droits d’associé et valeurs mobilières visée aux articles R. 524-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution. Et comme l’a retenu à juste titre le premier juge, l’inexactitude des termes employés par le juge de l’exécution pour viser les valeurs mobilières n’a pu causer aucun grief à la société HIL, dès lors que la forme sociale du tiers saisi, la SAS Hermitage, y était clairement précisée. En l’absence de démonstration d’un grief au sens de l’article 114 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu, là encore, d’annuler ladite ordonnance.
Sur la régularité des procès-verbaux de saisie conservatoire
L’appelante reproche encore l’absence de décompte mentionné sur les procès-verbaux de saisie, ceux-ci ne visant qu’un montant global.
Certes, selon les articles R. 523-1 et R. 524-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’acte de saisie conservatoire, qu’il soit de créances ou de droits d’associé et de valeurs mobilières, contient, à peine de nullité, le décompte des sommes pour lesquelles la saisie est pratiquée.
Cependant, si l’ordonnance du juge de l’exécution vise un montant global, et dès lors qu’une saisie conservatoire est autorisée en garantie d’une créance paraissant fondée en son principe et non pas d’une créance certaine, liquide et exigible, le procès-verbal qui vise, à l’instar de l’ordonnance du juge, un montant global, satisfait à l’exigence d’un décompte.
En outre, en l’absence, à nouveau, de tout grief puisque les ordonnances font corps avec les requêtes, lesquelles comportent le détail des sommes constitutives de la créance alléguée, ce moyen de nullité doit également être écarté.
Sur la régularité des actes de dénonciation des saisies conservatoires
L’appelante soulève encore la nullité des actes de dénonciation faute de mention du tribunal légalement compétent, l’indication du tribunal judiciaire de Paris comme étant compétent pour connaître des demandes de mainlevée de saisie, alors que les articles R.523-3 et R.524-2 du code des procédures civiles d’exécution prévoient la compétence du juge de l’exécution du domicile du débiteur, lui ayant causé un grief en entravant l’organisation de ses moyens de défense.
Mais comme le rappelle l’intimée, à l’instar du premier juge, l’article R. 121-2 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que si le débiteur demeure à l’étranger, le juge de l’exécution compétent est celui de l’exécution de la mesure, en l’occurrence à [Localité 5]. Par conséquent c’est exactement que les actes de dénonciation critiqués désignaient le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris en qualité de juge compétent pour connaître de toute contestation. La demande d’annulation à ce titre a donc été à bon droit rejetée par le premier juge.
Sur la demande de mainlevée de la saisie conservatoire de compte courant d’associé de la société HIL dans la société Hermitage
L’appelante est mal fondée à solliciter la mainlevée de la saisie conservatoire de créances autorisée sur un compte courant d’associé que détiendrait la société HIL dans les livres de la société Hermitage, au motif qu’il s’est avéré n’en exister aucun. En effet, la mainlevée d’une saisie au motif qu’elle est infructueuse est dépourvue de toute utilité. Aussi y a-t-il lieu de confirmer la décision de ce chef.
Sur les demandes subsidiaires tendant à la détermination du montant de la créance
L’appelante soutient le juge de l’exécution est bien compétent, en application de l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, pour trancher les contestations au fond relatives au calcul de la créance et, par suite, pour désigner un expert aux fins de détermination du taux effectif global applicable au prêt consenti le 2 août 2019, enfin pour constater que la créance n’est pas certaine en cas de constatation du caractère manifestement excessif de la clause pénale, d’inexigibilité des intérêts de retard et/ou de nullité de la stipulation relative à la capitalisation trimestrielle des intérêts.
Cependant aux termes de l’article L. 213-6 alinéa 1er du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
L’alinéa 2 du même texte dispose que le même juge autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en ‘uvre.
En l’espèce, les contestations portent sur des saisies conservatoires et non pas sur des actes d’exécution forcée.
Or aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation prise pour l’application de ces dispositions, le juge de l’exécution n’a pas à rechercher si la créance alléguée est certaine et, encore moins, à déterminer le montant exact de la créance paraissant fondée en son principe. Comme l’a retenu le premier juge, les contestations relatives au montant exact de la dette de la société HIL ou à la validité des clauses du contrat excèdent les pouvoirs du juge de l’exécution et, partant, ceux de la cour statuant avec les mêmes pouvoirs.
Sur la demande subsidiaire tendant à voir ordonner le report de la date d’échéance des sommes dues au titre du contrat de prêt
De même, la demande tendant à voir ordonner le report de deux ans de la date d’échéance des sommes dues au titre du contrat de prêt et la voir fixer à la date du 2 novembre 2023, qui ne s’analyse pas comme une demande en délais de paiement, laquelle serait en tout état de cause irrecevable en matière de mesures conservatoires, excède les pouvoirs du juge de l’exécution comme tendant à voir modifier les stipulations conventionnelles du contrat de prêt du 2 août 2019, et ne relève que de ceux du juge du fond.
Sur la réunion des conditions prévues à l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution
Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe
L’intimée soutient justifier de l’existence d’une créance, s’élevant à la somme de 27.372.220,90 euros selon décompte arrêté au 28 février 2023, fondée en son principe puisque le prêt est arrivé à échéance sans que les sommes dues aient été remboursées, et qui a été reconnue certaine, liquide et exigible par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 14 avril 2023.
L’appelante ne conteste pas le principe d’une créance détenue par la société HIL à son encontre, mais le caractère certain et le montant de celle-ci.
Or comme il a été dit supra, il résulte des dispositions de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution que le juge de l’exécution n’a pas à rechercher l’existence d’un principe certain de créance et encore moins à établir la preuve du montant d’une créance existante, la mise en place d’une mesure conservatoire nécessitant seulement l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe. (Cass. Civ., 13 oct. 2016, n°15-13.302)
Au surplus, en l’espèce, l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe est confirmée par l’obtention le 14 avril 2023 par la société Labini d’un titre exécutoire à l’encontre de la société HIL, que constitue le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris ayant condamné l’appelante à payer à l’intimée la somme de 23.802.025,33 euros outre intérêts contractuels. La circonstance que ce jugement soit frappé d’appel ne suffit pas à contredire le caractère apparemment fondé en son principe de la créance qu’il consacre.
Sur l’existence de circonstances menaçant le recouvrement de la créance
L’appelante soutient que les saisies diligentées par la société Labini sont illégitimes et illégales dans la mesure où il n’existe pas de circonstances susceptibles de mettre en péril le recouvrement de sa créance, notamment parce que la réalisation du projet de « term sheet », dont les discussions ont donné lieu à la signature de documents précontractuels et qui devrait aboutir au cours du mois de mai 2023, permettrait largement de la désintéresser.
L’intimée invoque, à ce titre, l’infructuosité des mises en demeure adressées pour obtenir le règlement de sa créance, les difficultés financières invoquées par la SA HIL elle-même, l’insuffisance de son hypothèque à garantir le montant de la dette, l’absence de dépôt par la société HIL de ses comptes depuis plusieurs années au RCS luxembourgeois, l’expiration des permis de construire obtenus et les modifications statutaires des sociétés HIL, Hermitage et Les Locataires, laissant craindre que leurs actifs soient cédés ou donnés en garantie.
Outre le caractère infructueux des démarches entreprises par la société Labini pour obtenir le règlement de sa créance et notamment des négociations en vue du renouvellement du prêt, ainsi qu’il ressort de l’ensemble des mises en demeure et courriels échangés par les parties et/ou leurs conseils, l’intimée justifie de ce que les lots sur lesquels elle bénéficie d’une hypothèque ont été estimés selon pré-rapport d’expertise judiciaire du 3 mai 2023 à 7.200.000 euros seulement alors que sa créance excède 23 millions d’euros et qu’ils font l’objet d’une procédure de saisie immobilière, qui lui a été dénoncée en sa qualité de créancier inscrit le 8 février dernier. Il est également justifié aux débats par la société HIL que celle-ci a publié ses comptes relatifs aux exercices 2018 et 2019 en juillet et septembre 2022 seulement, soit avec un retard de 4 et 3 ans. Aucune des pièces produites par l’appelante (n°40 à 42) ne justifie qu’elle ait déposé ses comptes pour les exercices ultérieurs à 2019, l’extrait d’Infogreffe (qui ne mentionne d’ailleurs que la publication des comptes des exercices 2019 et 2020) concernant la SAS Hermitage, qui est seulement la filiale de l’appelante. Au surplus, le montant de la dette demeurant impayée depuis novembre 2020, et qui s’élève, à la date du 9 juin 2022, à la somme 23.802.025,33 euros en principal, selon le jugement du tribunal de commerce du 14 avril 2023, suffit à lui seul à caractériser l’existence d’un péril sur le recouvrement de la créance.
Sur les demandes en dommages-intérêts
L’appelante soutient que les saisies multiples et disproportionnées pratiquées par la société Labini sont constitutives d’une faute, puisqu’elle s’est fait consentir de nombreuses garanties couvrant une somme supérieure au montant en principal du prêt, et lui ont causé un préjudice en diminuant les actifs qu’elle pouvait donner en garantie d’un refinancement de son endettement et de son projet immobilier.
Mais l’issue du litige et le fait que les nombreuses garanties prises par la société Labini se sont avérées insuffisantes pour assurer le recouvrement de sa créance démontrent que la prise des présentes saisies conservatoires, dont au surplus deux ont été infructueuses, n’est nullement fautive.
Pour sa part, la société Labini soutient que la SA HIL, qui n’a pas respecté ses engagements, a participé à l’inefficacité des garanties octroyées et manifeste, par son opposition aux saisies conservatoires, sa volonté de lui nuire, doit être condamnée à des dommages-intérêts pour procédure abusive.
Cependant, le droit d’exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s’il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l’appréciation de ses droits qui ne saurait résulter du seul mal fondé de ses moyens et du rejet consécutif de ses prétentions. Faute pour l’intimée d’établir un tel abus, sa demande de dommages-intérêts est rejetée.
Sur les demandes accessoires
L’issue du litige justifie de confirmer le jugement entrepris sur les demandes accessoires, de condamner l’appelante aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement à l’intimée d’une indemnité de 3000 euros en compensation de ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
Condamne la SA de droit luxembourgeois Hermitage International à payer à la SA de droit chypriote Labini Investments Limited la somme de 3000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour,
Condamne la SA de droit luxembourgeois Hermitage International aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,