Saisine du juge de l’exécution : 20 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02702

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Saisine du juge de l’exécution : 20 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/02702

ARRET N°292

N° RG 21/02702 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GLS2

[P]

[E]

C/

S.C.P. [O]-GIRAUDET OUET-PHILIPPE GIRAUDET

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 20 JUIN 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02702 – N° Portalis DBV5-V-B7F-GLS2

Décision déférée à la Cour : jugement du 01 juin 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de la rochelle.

APPELANTS :

Monsieur [Z] [V] [P]

né le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 10]

[Adresse 6]

[Localité 9]

Madame [M] [K] [E] épouse [P]

née le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 10]

[Adresse 6]

[Localité 9]

ayant tous les deux pour avocat Me Alisson CURTY-ROBAIN, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMEES :

S.C.P. [O]-GIRAUDET OUET-PHILIPPE GIRAUDET

[Adresse 3]

[Localité 2]

S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

[Adresse 1]

[Localité 8]

ayant toutes les deux pour avocat Me Nicolas GILLET de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

– Contradictoire

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

[Z] [P], artisan maçon, et son épouse [M] [E], artisan coiffeuse, ayant fait l’acquisition le 17 décembre 2004 d’une maison d’habitation sise à [Localité 9] (Charente-Maritime) sur une parcelle cadastrée [Cadastre 13] et [Cadastre 7], ont procédé à une déclaration d’insaisissabilité de ce bien immobilier par un acte reçu le 23 décembre 2005 par maître [I], publiée le 10 février 2006 au service de la publicité foncière.

Ils ont par la suite acquis pour 105.000 euros selon acte dressé le 30 janvier 2007 par maître [O] une parcelle de terrain à bâtir sise à [Adresse 11], cadastrée [Cadastre 14], achat financé au moyen de deux prêts souscrits auprès de la caisse régionale du Crédit Agricole Charente-Maritime – Deux-Sèvres,

-un prêt investissement immobilier de 150.000 euros par une hypothèque conventionnelle de second rang sur leur bien de [Localité 9] en garantie d’une somme de 150.000 euros

-un prêt habitat de 300.000 euros garanti par un privilège de prêteur de deniers à hauteur de la somme de 105.000 euros et une hypothèque conventionnelle de premier rang prise sur le bien acquis pour sûreté d’une somme de 195.000 euros.

Cet acte authentique contient une clause aux termes de laquelle les époux [P], désignés ensemble au singulier sous le terme d »emprunteur’, déclaraient :

‘L’emprunteur déclare expressément sous sa seule responsabilité que ladite déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable au prêteur ci-dessus dénommé, le prêt objet des présentes n’ayant aucun caractère professionnel et la créance résultant des présentes n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle et n’est pas et ne sera pas lié à sa profession ; le prêteur est donc un créancier non professionnel de l’emprunteur’.

[Z] [P] a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de La Rochelle du 29 avril 2008.

Le Crédit Agricole a déclaré sa créance à la procédure collective.

La juridiction consulaire a homologué le 14 avril 2019 le plan de redressement par voie de continuation de M. [P], plan ensuite résolu par un jugement du 13 septembre 2011 qui a prononcé sa liquidation judiciaire.

Le Crédit Agricole a obtenu selon arrêt du 10 novembre 2015 de la cour d’appel de Poitiers la condamnation de Mme [P] à lui payer 81.039,03 euros au titre de trois prêts, distincts, consentis sous-seings-privés.

Le Crédit Agricole a fait délivrer aux époux [P] par acte du 21 octobre 2016 un commandement valant saisie sur le bien de la [Localité 9] afin d’obtenir paiement d’une somme totale de 816.497,49 euros en vertu de l’acte du 30 janvier 2007 et de l’arrêt du 10 novembre 2015.

Les époux [P] ont assigné la banque et le liquidateur judiciaire devant le juge de l’exécution de [Localité 10] en contestation de la procédure d’exécution en arguant de l’insaisissabilité de ce bien. Ils soutenaient que les emprunts constatés dans l’acte du 30 janvier 2007 avaient été contractés pour les besoins de l’activité professionnelle de M. [P] savoir acheter un terrain et y construire trois maisons ; que la banque ne pouvait poursuivre la saisie immobilière sur leur maison d’habitation ayant fait l’objet de la clause d’insaisissabilité qu’à concurrence de la dette de Mme [P] consacrée par l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 10 novembre 2015 et pour le recouvrement du prêt ‘investissement immobilier’ de 150.000 euros car la clause de l’acte du 30 janvier 2007 portant selon eux renonciation au bénéfice de la clause d’insaisissabilité ne s’appliquait qu’à ce seul prêt.

Le Crédit Agricole les a lui-même fait assigner devant ce même juge de l’exécution à l’audience d’orientation.

Le juge de l’exécution a joint les deux instances et a, par jugement du 5 septembre 2017, débouté les époux [P] de leurs demandes, ordonné la vente forcée du bien de [Localité 9] et constaté que la créance du Crédit Agricole s’élevait en principal, intérêts et frais à 816.497,49 euros.

Pour statuer ainsi, il a considéré que la renonciation au bénéfice de la déclaration d’insaisissabilité de 2005 que contenait l’acte du 30 janvier 2007 avait été consentie par les époux [P] pour tous les prêts contractés dans cet acte.

Sur appel des époux [P], la cour d’appel de Poitiers a, par arrêt du 13 mars 2018, confirmé ce jugement sauf à ramener à 815.658,35 euros le montant de la créance mentionnée.

Les époux [P] ont formé contre cet arrêt un pourvoi qui a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 11 avril 2019. Pour statuer ainsi, la Haute juridiction a dit qu’ils n’étaient pas fondés à faire grief à l’arrêt d’ordonner la vente forcée de la maison d’habitation de La Jarrie, dès lors que c’était sans dénaturer l’acte du 30 janvier 2007, dont les termes ambigus nécessitaient une interprétation, que la cour d’appel avait retenu que la renonciation à la déclaration d’insaisissabilité s’appliquait aux deux prêts consentis par la banque dans cet acte, qui était relatif à une opération immobilière unique.

Soutenant que l’interprétation du juge de l’exécution puis de la cour d’appel était la conséquence d’une mauvaise rédaction de la clause de l’acte de vente qui engageait à ce titre la responsabilité du notaire rédacteur, les époux [P] ont fait assigner, par actes des 16 et 17 octobre 2019, devant le tribunal de grande instance de La Rochelle la SCP [J] [O] – Philippe GIRAUDET, venant aux droits de la SCP Martial BARCQ – [J] [O], et son assureur de responsabilité professionnelle la compagnie MMA Iard, pour les voir condamner in solidum à leur payer, dans le dernier état de leurs conclusions, la somme d’1 million d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et patrimonial, outre celle de 4.000 euros au titre de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

En réponse au moyen adverse de prescription, ils soutenaient que leur action n’était pas irrecevable car le point de départ de la prescription quinquennale pour agir en responsabilité contre le notaire se situait non pas à la date de signature de l’acte litigieux mais à celle du premier acte d’exécution forcée et de l’interprétation de l’acte par le juge de l’exécution soit le 5 septembre 2017.

Sur le fond, ils soutenaient que les prêts contractés le 30 janvier 2007 auprès du Crédit Agricole étaient des prêts professionnels et que le notaire le savait, comme le démontrait sa démarche d’interrogation du prêteur.

Ils indiquaient que le préjudice que leur causait la faute de rédaction du notaire était d’avoir perdu leur maison d’habitation alors qu’ils voulaient la protéger par la déclaration d’insaisissabilité et qu’une bonne rédaction de la clause leur aurait permis d’éviter la saisie et de garder leur maison, et soit de la revendre avec plus-value soit de la mettre en location.

Le notaire et son assureur invoquaient à titre principal l’irrecevabilité de l’action pour cause de prescription en soutenant que celle-ci avait couru dès l’acte puisque les époux [P] étaient informés du jour où ils l’avaient signé que la déclaration d’insaisissabilité n’était pas opposable à la banque, affirmant qu’ils le savaient d’ailleurs avant de signer cet acte puisque l’offre de prêt visait en objet la résidence principale, et le code de la consommation.

Ils concluaient subsidiairement au rejet des demandes adverses au motif que le prêt bancaire étant un prêt personnel et non professionnel, la question de la rédaction de la clause mise dans le débat devant le juge de l’exécution pour les besoins de leur cause par les époux [P] était sans lien de causalité avec le préjudice qu’ils invoquaient puisque le prêteur pouvait saisir et faire vendre la maison de [Localité 9].

Ils soutenaient très subsidiairement que le préjudice indemnisable si une faute était retenue ne pourrait excéder la somme de 470.754,79 euros correspondant à la différence entre les dettes des époux et le prix auquel a été vendue leur maison.

Par jugement du 1er juin 2021, le tribunal, entre-temps devenu tribunal judiciaire, de La Rochelle a :

* déclaré l’action des époux [P] irrecevable comme prescrite

* débouté M. et Mme [P] de leur demande d’indemnité de procédure

* condamné M. et Mme [P] aux dépens de l’instance.

Pour statuer ainsi le premier juge a retenu que les époux [P] avaient connaissance dès la signature de l’acte authentique que les emprunts souscrits auprès du Crédit Agricole n’étaient pas soumis à la déclaration d’insaisissabilité qu’ils avaient établie en 2005, de sorte qu’ils devaient engager leur action en responsabilité au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription, soit avant le 20 juin 2013, alors qu’ils l’avaient introduite le 16 octobre 2019.

M. et Mme [P] ont relevé appel le 10 septembre 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 20 février 2023 par les époux [P]

* le 3 mars 2022 par la SCP [J] [O]-Philippe GIRAUDET et MMA Iard.

Les époux [P] demandent à la cour de les dire recevables en leur appel, de réformer le jugement entrepris, de dire que leur action est parfaitement recevable, de juger que la SCP Martial BARCQ-[J] [O] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, de la condamner in solidum avec la SA MMA Iard à les indemniser à hauteur d’1 million d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial et moral subi et de les condamner aux entiers dépens et à leur payer 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que leur action en responsabilité est recevable car le point de départ du délai quinquennal de prescription courait à compter de la réalisation du dommage qui est, en l’occurrence, la date de la décision de justice qui leur a révélé le dommage.Ils soutiennent que profanes, ils n’ont pas eu conscience de la portée de l’acte qu’ils signaient, pas compris qu’ils renonçaient au bénéfice de l’insaisissabilité de leur maison d’habitation.

Sur le fond, ils rappellent que le notaire est tenu d’éclairer les parties sur la portée des actes qu’il dresse, attirer leur attention sur les conséquences et les risques qui s’attachent à l’acte, et que les clauses des actes qu’il dresse doivent être claires et précises, en termes aisément compréhensibles.

Ils soutiennent que la condition de clarté suppose une double vérification, de texte et de contexte, de sorte qu’elle ne puisse avoir qu’un seul sens à sa lecture, et que son conteste ne permette pas de douter de ce sens.

Ils affirment que les deux emprunts souscrits le 30 janvier 2007 auprès du Crédit Agricole correspondaient à une opération professionnelle réalisée dans le cadre de l’activité de [Z] [P], artisan maçon.

Ils prétendent que, la renonciation à un droit, en l’espèce l’insaisissabilité de la maison, devait obligatoirement être claire et non équivoque, notamment en ses conséquences.

Ils affirment que tel n’est pas le cas de l’acte dressé par l’intimée, et font valoir que l’avis émis par l’avocat général dans le cadre de l’examen du pourvoi en cassation fait état des ‘maladresses de rédaction de la clause’, et que l’arrêt rendu le 11 avril 2019 par la Cour de cassation qualifie expressément d »ambiguë’ la clause de renonciation au bénéfice de l’insaisissabilité.

Ils font valoir que l’acte comporte deux sous-parties correspondant aux deux prêts contractés ; que chacune de ces sous-parties comporte un paragraphe relatif aux garanties du prêt; que la clause litigieuse apparaît dans une sous-partie clairement identifiée comme relative au second prêt après une première sous-partie relative au premier prêt.

Ils indiquent avoir certes su et compris que la banque prenait une hypothèque conventionnelle sur leur bien de [Localité 9] pour sûreté d’une somme de 150.000 euros, mais affirment que les prêts étant professionnels, ils n’ont jamais entendu renoncer au bénéfice de l’insaisissabilité. Ils considèrent qu’en raison de la rédaction de la clause, qui nécessitait une interprétation, la déclaration d’insaisissabilité a été totalement privée d’effets, ce qui engage la responsabilité du notaire rédacteur.

Ils soutiennent que le préjudice que leur cause la faute du notaire tient à ce que la saisie de leur maison a pu avoir lieu, alors qu’elle était impossible du fait de la déclaration d’inaliénabilité, et qu’il était impossible pour la banque d’inscrire une hypothèque conventionnelle. Ils soutiennent que c’est en raison de l’interprétation de la clause, rendue possible par son libellé équivoque, que le Crédit Agricole a pu solliciter une mesure de saisie immobilière et ce, pour l’ensemble des prêts ; que le lien de causalité est établi; que leur préjudice est très important, s’agissant du logement du couple et des trois enfants ; que le bien a été adjugé 357.000 euros alors qu’il était évalué à 600.000 euros ; qu’ils sont épuisés moralement ; doivent se reloger ; et restent encore redevables de 827.754,79 euros, ce qui détermine toutes causes confondues un préjudice d’un million d’euros.

La SCP [J] [O] – Philippe GIRAUDET et la MMA demandent à la cour :

* À titre principal, de confirmer le jugement entrepris et donc de dire prescrite l’action en responsabilité engagée par les époux [P] à leur encontre

* À titre subsidiaire, de juger que la SCP [O] – GIRAUDET n’a pas commis de faute en relation de causalité avec un préjudice indemnisable

En conséquence : débouter les époux [P] de l’ensemble de leurs demandes

* À titre plus subsidiaire : de dire si la responsabilité recherchée était néanmoins retenue qu’elle ne pourrait l’être qu’à hauteur de a somme de 470.754,79 euros.

Les intimés soutiennent que le délai quinquennal de prescription de l’action en responsabilité, qui est délictuelle, courait à compter du jour de l’acte et a expiré le 19 juin 2013.

Ils affirment que l’acte querellé du 30 janvier 2007 énonçait la cause du dommage puisque les époux [P] y déclaraient que la clause d’insaisissabilité qu’ils avaient souscrite sur leur immeuble de [Localité 9] n’était pas opposable à la banque, de sorte qu’ils savaient à cette date que le prêt était qualifié de personnel et que la déclaration d’insaisissabilité n’était pas opposable au prêteur, et qu’ils pouvaient donc dès le jour de sa signature agir en responsabilité contre le notaire rédacteur si ces énonciations ne correspondaient pas à la réalité, ou à leur volonté. Ils considèrent que dès la date de signature de cet acte, les appelants connaissaient le dommage dont ils se plaignent, puisque ces clauses impliquaient que leur bien de [Localité 9] pourrait faire l’objet d’une saisie sans que la déclaration d’inaliénabilité y fasse obstacle.

Ils estiment que le fait que les terrains situés à [Localité 12] ont été vendus dans le cadre de la liquidation judiciaire ne caractérise à aucun titre le caractère personnel ou le caractère professionnel du prêt, dès lors que M. [Z] [P] exerçant à titre individuel, l’ensemble de son patrimoine répondait du gage des créanciers.

Les intimés contestent toute faute du notaire rédacteur de l’acte du 30 janvier 2007.

Ils font valoir que l’acte du 30 janvier 2007 ne contient aucune renonciation de la part des emprunteurs à l’insaisissabilité du bien de [Localité 9]. Ils font valoir que la clause litigieuse énonce, ce qui est différent, que les emprunteurs déclarent que le prêt souscrit n’est pas professionnel et que la déclaration d’inopposabilité de leur bien n’est pas opposable au prêteur qui n’est pas un créancier professionnel.

Ils indiquent que ceci correspondait exactement à la réalité, puisque le prêteur avait émis une offre de prêt personnel, visant les articles du code de la consommation et disant que ceux-ci étaient inapplicables à un crédit professionnel, et qu’il avait expressément indiqué au notaire l’interrogeant à ce titre qu’il agissait d’un prêt professionnel.

Ils en déduisent qu’aucune faute n’a été commise à ce titre.

Ils récusent l’absence de clarté de la clause dont il est fait état, en redisant que ne s’agissant pas d’une clause de renonciation, la question de savoir si la renonciation y était clairement formulée ne se pose pas. En réponse à l’argumentation adverse, ils considèrent que la référence par l’arrêt de la Cour de cassation à une clause de renonciation tient à ce que les juridictions répondent aux moyens qui leur sont soumis, mais qu’il n’en reste pas moins qu’il s’agissait d’une déclaration sur la nature personnelle du prêt et sur l’absence d’opposabilité de ce fait, au prêteur, de la déclaration d’insaisissabilité. Ils observent que le moyen de cassation sur lequel l’avocat général a été amené à conclure dans les termes dont les appelants tirent argument a été déclaré non admis par la Cour de cassation.

Ils en infèrent que le notaire n’a pas davantage commis de faute à ce titre.

Très subsidiairement, ils soutiennent qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le prétendu défaut de clarté de l’acte du 30 janvier 2007 et le préjudice invoqué par les demandeurs, puisqu’à suivre les époux [P] en leur propre thèse selon laquelle ils n’auraient levé l’insaisissabilité qu’à hauteur de 150.000 euros, montant du prêt  »investissement immobilier’, il en résulte que le bien de La Jarrie pouvait donc être grevé d’une sûreté à hauteur de cette somme, et donc qu’il aurait pu faire l’objet d’une saisie de la part du Crédit Agricole, à ce titre et pour ce montant, outre qu’il le pouvait aussi en exécution de l’arrêt du 10 novembre 2015 ayant condamné Mme [P] à lui payer 81.039,03 euros, la créance de la banque étant demeurée en toute hypothèse celle arrêtée dans l’arrêt de la cour d’appel du 13 mars 2018.

Ils indiquent très subsidiairement que le préjudice ne peut excéder le montant de la dette des époux [P] qui, diminuée du prix de vente de l’immeuble, est de 470.754,79 euros.

L’ordonnance de clôture est en date du 6 mars 2023.

À l’audience, la cour a invité les parties à faire toutes observations éventuelles sur la nature de perte de chance qu’est susceptible de revêtir éventuellement le préjudice allégué.

Le conseil des époux [P] a transmis à la cour le 4 avril 2023 une note contradictoire indiquant que si leur préjudice est analysé en une perte de chance, celle-ci est de 100%.

Le conseil de la SCP Martial BARCQ-[J] [O] et la SA MMA Iard a répondu par note contradictoire du 27 avril 2023 que la notion de perte de chance est extrêmement rare en matière de responsabilité notariale ; qu’un tel préjudice n’existait pas en l’espèce, où les époux [P] n’auraient pas pu contracter à d’autres conditions que celles de l’acte du 30 janvier 2007 ; et que le bien aurait été pareillement vendu en raison de leurs autres dettes.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

* sur la recevabilité de l’action des époux [P]

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Il résulte de ce texte que la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la manifestation du dommage et non de la commission de la faute alléguée.

Les époux [P] fondent leur action en responsabilité contre le notaire sur le grief de mauvaise rédaction de l’acte du 30 janvier 2007.

Ils soutiennent que les prêts contractés auprès du Crédit Agricole étaient des prêts professionnels pour lesquels la déclaration d’inaliénabilité précédemment souscrite sur leur résidence familiale de [Localité 9] soustrayait ce bien au gage du prêteur ; que l’acte rédigé par Me [O] contenait une clause de renonciation à l’insaisissabilité de ce bien ; que leur volonté était de n’y renoncer que pour l’un des deux prêts, le prêt ‘investissement immobilier’ de 150.000 euros en garantie duquel ils avaient accepté de consentir au prêteur une hypothèque conventionnelle de second rang sur cet immeuble ; mais que la clause a été mal rédigée ; et que l’interprétation qu’a nécessitée son ambiguïté a permis à la banque de faire juger que la renonciation avait été donnée pour les deux prêts.

Les faits qui ont permis aux époux [P] d’exercer l’action en responsabilité contre le notaire sont les contestations sur l’étendue du gage du prêteur de deniers qui se sont élevées à la suite des poursuites de saisie immobilière engagées à leur encontre par le Crédit Agricole selon commandement du 21 octobre 2016 pour parvenir à la vente forcée de leur immeuble de [Localité 9].

Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge au vu de considérations de fond, il ne peut être inféré de l’issue du litige qui les a opposés au Crédit Agricole relativement à la portée des stipulations contenues dans l’acte du 30 janvier 2007 quant à l’étendue du gage du prêteur, que les époux [P] savaient dès la signature de cet acte que leur bien de [Localité 9] pourrait faire l’objet d’une saisie sans que la déclaration d’inaliénabilité y fasse obstacle, et qu’ils étaient donc en mesure d’agir dès cette date en responsabilité contre le notaire alors qu’à tort ou à raison, ce qui relève du fond du présent litige, ils soutiennent que leur volonté était contraire, et que c’est la mauvaise rédaction de l’acte qui a permis la saisie cause de leur préjudice.

C’est la décision de justice passée en force de chose jugée tranchant la contestation qui caractérise la manifestation du dommage et constitue le point de départ de l’action en responsabilité contre le notaire (cf Cass. 1° civ 09.09.2020 P n°18-26390).

Engagée le 16 octobre 2019, dans les cinq ans de cette décision de justice -comme d’ailleurs aussi dans les cinq ans de la délivrance du commandement de saisie immobilière- l’action des poux [P] n’est donc pas irrecevable pour cause de prescription.

Le jugement sera ainsi infirmé de ce chef.

* sur la responsabilité recherchée du notaire et la garantie de son assureur

Les époux [P] reprochent au notaire une rédaction de l’acte du 30 janvier 2007 n’ayant pas traduit et exprimé la nature professionnelle des prêts qu’il contractaient auprès du Crédit Agricole, et assuré l’efficacité de la déclaration antérieure d’insaisissabilité de leur bien de [Localité 9].

La faute qu’ils imputent au notaire est une faute dans l’exécution de son mandat et non dans l’exercice de son devoir de conseil.

Les clauses de l’acte du 30 janvier 2007 n’ont ni la nature, ni l’objet, ni la portée que leur prêtent les époux [P] pour les besoins de leur argumentation.

L’acte ne contient de leur part aucune renonciation à la déclaration d’insaisissabilité souscrite le 23 décembre 2007 sur le bien de [Localité 9].

Les décisions de justice, rendues en une instance à laquelle ni la SCP [J] [O] – Philippe GIRAUDET, venant aux droits de la SCP Martial BARCQ – [J] [O], ni la société MMA Iard n’étaient parties, ne leur sont pas opposables, et il est sans incidence sur le présent litige qu’il y ait été fait état d’une renonciation de M. et Mme [P] à la déclaration d’insaisissabilité.

La clause qui nourrit le litige est ainsi libellée :

‘L’emprunteur déclare expressément sous sa seule responsabilité que ladite déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable au prêteur ci-dessus dénommé, le prêt objet des présentes n’ayant aucun caractère professionnel et la créance résultant des présentes n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle et n’est pas et ne sera pas lié à sa profession ; le prêteur est donc un créancier non professionnel de l’emprunteur’.

Par cette clause, les époux [P], désignés ensemble sous le terme ‘l’emprunteur’, déclaraient que l’emprunt qu’ils souscrivaient était un prêt personnel, que le prêteur était donc pour eux un créancier non professionnel, et que la déclaration d’insaisissabilité de leur bien ne lui serait pas opposable en l’absence de caractère professionnel de ce prêt.

Ces déclarations consignées dans l’acte correspondent à la réalité ; elles ne procèdent de la part du rédacteur d’aucune méconnaissance, dénaturation ou mauvaise appréciation avérée de leur situation ni volonté ; et elles ne caractérisent aucune faute de la part du notaire.

Les deux prêts souscrits par les époux [P], un prêt ‘investissement immobilier’ de 150.000 euros et un prêt ‘habitat’ de 300.000 euros, avaient fait l’objet antérieurement à l’établissement de l’acte authentique d’une offre de prêt immobilier énonçant expressément qu’elle était soumise aux articles L312-1 et suivants du code de la consommation et que ces prêts avaient pour objet l’opération suivante : ‘achat d’une résidence principale individuelle logement achat terrain et construction locatif’

Les époux avaient accepté cette offre, à l’issue du délai légal de 10 jours avant l’expiration duquel elle ne pouvait l’être.

Ils avaient souscrit en garantie de ces prêts une ‘assurance des prêts aux particuliers et à l’habitat’.

L’offre de prêt, son acceptation, l’assurance, sont annexées à l’acte dressé par le notaire.

Ce régime exclut légalement de son champ d’application le financement d’une activité professionnelle.

Le notaire rédacteur a, néanmoins, pris soin de vérifier la conformité de cette nature non professionnelle des prêts à la volonté des cocontractants.

S’agissant du prêteur, il l’a interrogé à cet effet au stade de la rédaction de l’acte, par télécopie du 23 janvier 2007 (pièce n°1 des intimés) et le Crédit Agricole lui a répondu par un courrier du 30 janvier 2007, qu’il a annexé à son acte :

‘..nous vous précisions…que nous considérons que les prêts n°70003735921 et n°700003735930 accordés à Monsieur et Madame [P], emprunteurs, comme non professionnel, et en tant que de besoin que la déclaration d’insaisissabilité faite par l’emprunteur ne nous est pas opposable en tant que créancier personnel’.

S’agissant des emprunteurs, ils ont répondu par la déclaration consignée en page 17 de l’acte, selon laquelle le prêt n’avait et n’aurait jamais aucun caractère professionnel, que le prêteur avait pour eux la qualité de créancier non professionnel, et que la déclaration d’insaisissabilité ne lui était pas opposable.

Il est définitivement jugé dans les rapports entre les parties à l’acte que cette déclaration s’appliquait tant au prêt ‘investissement immobilier’ en garantie de la bonne fin duquel ils consentaient au prêteur une hypothèque conventionnelle à hauteur de 150.000 sur leur immeuble de [Localité 9] que sur le prêt ‘habitat’.

L’acte authentique, selon un usage très commun comparable à celui qui fait qualifier au singulier d’emprunteur’ plusieurs souscripteurs, qualifiait les deux emprunts de ‘prêt’ au singulier en page 12 dans son chapitre dédié au financement de l’achat (‘CONDITIONS DU PRÊT’) avant de détailler dans les pages suivantes leur objet et caractéristiques respectives.

L’affirmation des époux [P] qu’il s’agissait de deux prêts professionnels n’est qu’une allégation qui ne repose sur aucun élément.

Elle est contraire à la réalité de l’opération qu’ils ont conclue en connaissance de cause et dont l’acte rappelle en pages 12 et 13 la nature, l’objet et le régime soumis au code de la consommation.

Elle contredit les déclarations explicites, très claires même pour des profanes en matière juridique et/ou financière, qu’ils ont faites dans l’acte sur l’objet de l’opération financée par l’un et l’autre de ces deux prêts.

L’argument d’une mauvaise compréhension de ces mentions, et l’affirmation qu’à leurs yeux, seul le prêt ‘investissement immobilier’ aurait été un prêt personnel, n’est pas compatible avec l’indication, à la suite de la clause litigieuse à laquelle ils prétendent avoir attribué ce sens et cette portée : ‘le tout ainsi confirmé par le prêteur aux termes d’un courrier en date du 30 janvier 2007, dont une copie demeure ci-jointe et annexée aux présentes après mention’, puisqu’il a été vu que dans ce courrier, le Crédit Agricole indiquait en termes explicites, clairs même pour un emprunteur profane, que c’étaient les deux prêts, dont il rappelait la référence respective, qu’il considérait comme non professionnels.

Cette allégation des appelants est, au demeurant, dépourvue de vraisemblance, les deux prêts finançant ensemble une opération unique d »achat d’une résidence principale individuelle logement achat terrain et construction locatif’ et les appelants n’expliquant pas comment ils auraient pu les vouloir, ou les croire, et comment ils auraient pu être, l’un personnel et l’autre professionnel.

Il n’existe au demeurant aucune chance que le prêteur ait signé un acte comportant une clause ayant pour objet ou pour effet d’attribuer une nature professionnelle à un prêt qu’il disait quant à lui considérer comme un prêt personnel et qui avait fait l’objet d’une offre de prêt personnel, qui plus est acceptée.

La nature personnelle des deux prêts excluant en vertu de la loi elle-même, en l’occurrence l’article L.526-1, alinéa 2 du code de commerce l’opposabilité au prêteur de la déclaration d’insaisissabilité qu’ils avaient précédemment souscrite sur leur immeuble de [Localité 9], les époux [P] ne sont pas fondés à prétendre en arguant d’une clause de renonciation qui n’existe pas et qui n’aurait pu être à ce titre opérante s’il en avait été stipulée une, que la saisie pratiquée en 2016 sur ce bien par le Crédit Agricole puis la vente forcée qui s’en est suivie auraient pu être évitées, ni seulement même avoir une ampleur moindre, si le notaire avait rédigé son acte différemment, en y stipulant l’opposabilité de cette insaisissabilité au prêteur fût-ce pour le seul prêt ‘habitat’.

Ainsi, les époux [P] ne sont pas fondés à reprocher au notaire la mauvaise rédaction d’une clause de renonciation qui n’a pas de réalité, et ils ne rapportent la preuve, qui leur incombe, d’aucune faute du notaire instrumentaire.

Ils ne justifient d’aucun préjudice en lien de causalité avec la rédaction de l’acte du 30 janvier 2007.

Ils seront donc déboutés de tous leurs chefs de prétentions.

* sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Bien que le jugement soit infirmé en ce qu’il a déclaré prescrite l’action des époux [P], ceux-ci doivent supporter les dépens de première instance, comme ceux d’appel, puisqu’ils succombent en leurs prétentions.

L’équité justifie de ne pas mettre d’indemnité pour frais irrépétibles de première instance à la charge des époux [P].

Au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel par les intimés, ils leur verseront une somme de 2.000 euros à la SCP Martial BARCQ – [J] [O] et aux MMA, ensemble.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il condamne aux dépens les époux [P]

statuant à nouveau :

DÉCLARE recevable, comme non prescrite, l’action des époux [P]

DÉBOUTE les époux [P]/[E] de tous leurs chefs de prétentions

DIT que l’équité justifie de ne pas allouer d’indemnité de procédure en première instance

CONDAMNE les époux [P]/[E] aux dépens d’appel

CONDAMNE les époux [P]/[E] à payer à la SCP Martial BARCQ – [J] [O] et à la société MMA Iard, ensemble, la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à la Selarl MADY – GILLET – BRIAND – PETILLION, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l’article 699 du code de procédure civile..

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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