COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 22 JUIN 2023
N° 2023/466
Rôle N° RG 22/10148 N° Portalis DBVB-V-B7G-BJX4K
[O] [Y]
[C] [T] [P]
C/
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Gilles MATHIEU
Me Jean-Christophe STRATIGEAS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l’exécution de Marseille en date du 28 Juin 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 22/01461.
APPELANTS
Monsieur [O] [Y]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 7] (54)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 2]
Madame [C] [T] [P]
née le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 6] (Portugal)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 2]
Tous deux représentés et assistés par Me Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Karine DABOT RAMBOURG de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMÉE
S.A. CRÉDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
immatriculée au RCS de PARIS sous le n° B 379 502 644
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège [Adresse 4]
venant aux droits de la S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE MÉDITERRANÉE (anciennement dénommée CIF SUD), société anonyme à Conseil d’Administration, immatriculée au RCS de MARSEILLE sous le n° B 391 654 399 ayant son siège social [Adresse 5], en vertu de la fusion par voie de l’absorption à effet du 1er décembre 2015 attestée suivant déclaration de régularité et de conformité du 1er décembre 2015 enregistrée au SIE de [Localité 9] EUROPE-ROME) le 02 décembre 2015 bordereau n° 2015/4 013 case n° 51, étant précisé que la S.A. CRÉDIT IMMOBILIER DE FRANCE MÉDITERRANÉE (anciennement dénommée CIF SUD), venait elle-même aux droits du CRÉDIT IMMOBILIER DE FRANCE MÉDITERRANÉE, Société Anonyme, inscrite au RCS de MARSEILLE sous le N° B391 799 764, par suite de la fusion absorption approuvée suivant procès-verbal d’Assemblée Générale extraordinaire du 15 décembre 2009
représentée et assistée par Me Jean-Christophe STRATIGEAS de la SELARL CADJI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Evelyne THOMASSIN, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2023,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure et prétentions des parties :
Monsieur et madame [Y] avaient souscrit, le 24 mai 2011 auprès de la société CIFM un prêt à taux variable de 472 000 euros, réitéré en la forme authentique le 31 août de la même année en l’étude de Me [E], notaire à [Localité 8], destiné au financement de l’acquisition d’un terrain à bâtir et à la réalisation sur celui-ci d’une construction à usage de résidence principale. Ils ont contesté la validité du TEG devant le tribunal de Grasse qui par une décision du 4 septembre 2018 a retenu une prescription de leur action et refusé de prononcer une déchéance du droit aux intérêts.
Appel a été interjeté de ce décision qui est toujours pendant devant la cour devant une autre chambre.
Le 28 janvier 2022, le CIFD qui vient aux droits du CIFM à la suite d’une fusion absorption en décembre 2015, leur a fait délivrer un commandement de payer aux fins de saisie vente pour la somme de 50 618.40 euros au titre de l’acte de prêt ci dessus. Ils ont alors contesté cet acte devant le juge de l’exécution de Marseille qui par un jugement du 28 juin 2022 a :
– déclaré irrecevable une demande de sursis à statuer,
– débouté monsieur et madame [Y] de leurs demandes,
– les a condamnés solidairement à payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Il retenait que nonobstant l’appel, le jugement du 4 septembre 2018 avait autorité de chose jugée, de sorte que le calcul des intérêts ne pouvait, en l’état être discuté alors que la demande de sursis à statuer avait été présentée après une défense de fond, de sorte qu’elle était irrecevable. Il refusait des délais de paiement dans l’ignorance, faute de justificatif, de la situation financière des époux [Y].
Les époux [Y] ont fait appel de la décision par déclaration au greffe le 13 juillet 2022.
Leurs moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions du 31 mars 2023 auxquelles il est renvoyé, ils demandent à la cour de :
– Les recevoir en leur appel et les dire bien fondés,
– Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– Juger que la déchéance du terme est irrégulière ;
– Ordonner la nullité du commandement ;
A titre subsidiaire,
– Accorder un report du paiement des sommes dues dans la limite de deux années,
En tout état de cause,
– Condamner le CIFD à leur verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner le CIFD aux entiers dépens.
Ils relatent les difficultés rencontrées avec le CIFD dans le déroulement du prêt, car ils ne pouvaient obtenir de tableau d’amortissement clair, n’ont pu voir aboutir leur diverses démarches de médiation, et trouvaient particulièrement confuses les dates de déchéance du terme variables que leur opposait l’établissement financier. Leur procédure en contestation du TEG est toujours pendante devant la cour d’appel, mais ils ont vendu leur immeuble et versé son prix, soit 502 900 euros au CIFD, ce qui laisse cependant subsister une dette avec notamment les intérêts qu’ils contestent. Des pénalités exorbitantes et non contractuelles leur ont été appliquées. Une mise en demeure préalable à la déchéance du terme doit exister, elle date du 21 novembre 2014, ce qui ne permet la déchéance que le 29 novembre 2014 au plus tôt. Or, le CIFD la fixe au 21 novembre 2014, au 10 décembre 2014 voire au 10 février 2020 selon les actes, ce qui sème la confusion et ils n’ont donc pas bénéficié du délai de 8 jours pour régulariser en novembre 2014. Ainsi la déchéance du terme étant irrégulière, le commandement de saisie vente ne peut être validé, d’autant que son décompte ne respecte pas les dispositions légales et vise un capital restant dû au 10 février 2020 qui serait alors la date de déchéance du terme, des impayés de 106 935.08 euros qui ne correspondent pas aux échéances impayées, somme qui n’est donc pas compréhensible et identifiable. Le commandement doit être annulé par application notamment de l’article R221-1 du code des procédures civiles d’exécution.
De plus le CIFD ne peut réclamer une indemnité de remboursement anticipé, ce qui n’est pas le cas, pas davantage la cumuler avec une indemnité au titre de la déchéance du terme. La créance n’est pas liquide et certaine. Les frais de procédure de 51.07 euros ne sont pas explicités. Un nouveau décompte très différent, enfin produit par le CIFD le 13 octobre 2022 ne fait que confirmer les erreurs et irrégularités du précédent. Ils disposent d’un revenu après prélèvement à la source de 8 159 euros et de charges fixes de 4 026 euros les frais alimentaires sont de 1 200 euros par mois. Ils demandent le report à deux ans de leurs dettes, monsieur [Y] ayant perdu son emploi alors que l’absence de versement depuis plusieurs années résulte des procédures en cours, et du refus d’issue amiable lorsque, il y a trois ans, ils essayaient d’apurer le solde du prêt.
Sesmoyens et prétentions étant exposés dans des conclusion du 3 avril 2023 auxquelles il est ici renvoyé, la société CIFD demande à la cour de :
Vu les articles L.111-2, L.211-1, R.121-1 du code des procédures civiles d’exécution,
Vu les articles 1343-5, 1355 du code civil,
– Rejeter l’appel de monsieur [Y] et madame [P] comme mal fondé,
– Les débouter de l’intégralité de leurs prétentions,
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
– Condamner solidairement monsieur [Y] et madame [P] à lui payer la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens d’appel.
Il soutient que les emprunteurs ont contesté sans raison, les interêts intercalaires mais que monsieur [Y] avait signé un accord d’apurement des retards ainsi accumulés à hauteur de 19 553.96 euros le 5 février 2014, accord qui n’a pas davantage été respecté de sorte que la déchéance du terme a été actée par courrier du 21 novembre 2014. Le dossier paralèlle sur la validité du TEG devrait être plaidé le 20 juin 2023 devant la chambre 3-3 de la cour d’appel. Selon le CIFD, la cour n’a pas à statuer en vertu de l’article 954 du code de procédure civile, sur le ‘juger que la déchéance du terme est irrégulière’ car il ne s’agit pas d’un moyen. De plus, le jugement du 4 septembre 2018 a autorité de chose jugée sur la déchéance du terme qu’elle a validé, alors que la Cour de cassation n’exige pas, après la lettre de mise en demeure de payer, qu’une nouvelle notification de la déchéance du terme intervienne, elle est acquise dès l’expiration du délai qui avait été accordé. Les emprunteurs n’ont pas payé dans les 8 jours de la mise en demeure, c’est indiscutable. Selon décompte actualisé au 13 octobre 2022, il lui reste dûe une somme de 73 217.02 €. Il n’y a pas de grief et donc pas de nullité sur le décompte du commandement qui leur a été délivré puisque la somme due actualisée est supérieure à celle visée au commandement critiqué. Soulignant les revenus confortables dont disposent les emprunteurs qui n’ont rien acquitté depuis trois ans, il s’oppose à des délais de paiement.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 4 avril 2023.
Lors des débats, la cour a invité les parties à lui faire parvenir les accusés de réception accompagnant la lettre de mise en demeure de payer de novembre 2014 et ses accusés de réception postaux. Il a été satisfait à cette demande, ces documents ne figurant pas dans les pièces et sur les bordereaux de communication de pièces devant la chambre 1-9 mais ayant sans doute été produits lors des débats devant la chambre 3-3 de la cour d’appel.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, en son alinéa 3, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions exposées au dispositif des conclusions récapitulatives et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Dans leurs dernières conclusions, les appelants sollicitent à la fois de la juridiction ‘juger que la déchéance du terme est irrégulière et ordonner la nullité du commandement ‘ et le corps de leurs développements argumente effectivement la non exigibilité de la créance et un commandement de payer qui ne serait pas valide. La cour est donc saisie de ces chefs de demandes.
Concernant l’irrégularité de la déchéance du terme, il ressort des motifs du jugement prononcé par le tribunal de Grasse le 4 septembre 2018, actuellement soumis à la cour d’appel dans une autre composition qui examinera le bien fondé du recours en juin prochain, que la déchéance du terme a été validée au regard des conditions générales du prêt, de sorte que l’autorité de chose jugée attachée à cette décision ne permet pas de statuer sur ce point. Le juge de l’exécution a d’ailleurs statué en ce sens à bon droit.
Selon l’article L312-39 du code de la consommation, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt.
Concernant la validité du commandement de payer aux fins de saisie vente en date du 28 janvier 2022, qui ressort de la compétence de la présente chambre saisie des voies d’exécution, la discussion se présente désormais sous un jour sensiblement différent qu’en première instance, car ne portant pas seulement sur la déchéance du droit aux intérêts mais sur les incohérences du décompte présenté qui n’aurait été clarifié qu’à l’occasion du débat devant la cour par un nouveau décompte produit par le CIFD en octobre 2022.
L’article 221-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que le commandement aux fins de saisie vente contient à peine de nullité :
– mention du titre exécutoire en vertu duquel les poursuites sont exercées avec le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, ainsi que l’indication du taux des intérêts,
– commandement d’avoir à payer la dette dans le délai de huit jours faute de quoi le débiteur peut y être contraint par la vente forcée de ses biens meubles.
Cette nullité pour être mise en oeuvre, est soumise à la nécessité de démontrer un grief, en particulier, ce que soutiennent les appelants, qui peut résulter d’incoherences, d’incompréhensions ne permettant pas à tout le moins de vérifier les sommes réclamées.
Une mise en demeure de payer les arriérés dûs a été adressée à monsieur [Y] et madame [P] le 21 novembre 2014, les invitant à régulariser la situation dans les 8 jours par le paiement d’une somme de 18 389,55 €. Ces courriers ainsi qu’il est désormais justifié ont été receptionnés le 22 novembre 2014 et par courrier du 6 janvier 2015, tandis qu’il n’est pas discuté qu’aucune régularisation n’a été faite, le CIFD a fait savoir que le dossier était transmis au contentieux.
Dans ses conclusions récapitulatives, le CIFD indique une déchéance du terme notifiée le 21 novembre 2014 (cf page 4/22) qui ne tient donc pas compte du délai de 8 jours.
Quoiqu’il en soit, le commandement de saisie vente du 28 janvier 2022 énonce au titre de la créance :
– Solde prêt à taux fixe 4.60 % au 01.01.2020 106 935.08 euros
– echéance impayée 01.2020 2 632.08 euros
– 4 versements janvier 2020 10 000.00 euros
– remboursement anticipé/déchéance du terme 450 948.59 euros
– échéance impayée 02.2020 2 632.08 euros
– virement du 11.02.2020 502 900.00 euros
– actes de procédure 51.07 euros
296.92 euros
– complément droit proportionnel 22.58 euros
——————————
Reste dû 50 618.40 euros
Il ressort de ces mentions que :
– sont invoquées à la fois une déchéance du terme et un remboursement anticipé, deux notions contractuelles tout à fait différentes,
– décompter des échéances impayées alors que la déchéance du terme est intervenue en novembre 2014 selon le créancier, parait surprenant,
– le tableau d’amortissement produit ne permet pas de retrouver ce qui serait un capital restant dû à hauteur de 450 948.59 euros, les chiffres ne concordent pas,
– on ignore à quoi correspond exactement la somme de 106 935.08 euros qui serait un solde de prêt portant intérêt à 4.60 %.
L’approximation du décompte et ses erreurs est confirmée par le dernier décompte du CIFD en date du 13 octobre 2022 (pièce 19) dont les calculs sont totalement différents indiquant notamment un capital restant dû au 21 novembre 2014 de 490 160.95 euros et des intérêts échus du 22 novembre 2014 au 11 février 2020 à hauteur de 109 041.57 euros qui n’ont donc rien de commun avec le décompte du commandement de payer critiqué par les époux [Y].
Le décompte intégré au commandement de payer du 28 janvier 2022 ne respecte donc pas les exigences de rigueur de l’article R 221-1 du code des procédures civiles d’exécution et causait grief aux débiteurs ne leur permettant pas de comprendre et de vérifier les sommes réclamées. A cet égard il est inopérant qu’ils soient débiteurs ou non d’une somme supérieure comme l’avance le CIFD pour contester l’existence d’un grief. Il sera donc annulé.
Il est inéquitable de laisser à la charge des appelants les frais irrépétibles engagés dans l’instance, une somme de 3 000 euros leur sera allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge du CIFD qui succombe en ses prétentions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe,
INFIRME la décision déférée,
Statuant à nouveau,
DECLARE irrecevable la contestation de la déchéance du terme actuellement discutée devant une autre composition de la cour d’appel à la suite du jugement du 4 septembre 2018,
DECLARE nul et de nul effet, le commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 28 janvier 2022,
CONDAMNE le CIFD à payer aux époux [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE le CIFD aux entiers dépens de première instance et d’appel .
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE