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2 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/19141
Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRET DU 02 JUIN 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19141 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETHI
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 01 Septembre 2021 -Président du TJ de PARIS – RG n° 21/55090
APPELANTE
Mme [R] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assistée par Me Audrey CHELLY-SZULMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1406
INTIMEE
S.A. ROSSINI dénomination GROUPE ROSSINI, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Défaillante, signifiée le 17.11.2021 à personne morale
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 avril 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre
Thomas RONDEAU, Conseiller
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– REPUTE CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Thomas RONDEAU, Conseiller pour la Présidente empêchée et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSE DU LITIGE
Exposant être propriétaire d’un tableau attribué au peintre flamand [Y] [W] dit Le jeune (1610-1690), avoir le 30 mai 2019 confié un mandat de vente de ce tableau à la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques Rossini, laquelle l’a fait évaluer avant la vente par M. [C], commissaire-priseur, entre 1.500 et 2.000 euros puis l’a vendu aux enchères publiques au prix de 1.700 euros, avoir appris après la vente par son fils qu’il existait un aléa concernant l’authenticité de cette oeuvre alors que la société de vente aux enchères lui a assurée qu’il ne s’agissait pas d’une oeuvre originale, par acte du 14 mai 2021, Mme [H] a fait assigner la société Groupe Rossini devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir désigner un expert judiciaire sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, avec pour mission d’examiner ce tableau afin d’en déterminer l’authenticité et la valorisation, sollicitant aussi qu’il soit ordonné à la défenderesse de produire le contrat de vente mentionnant les coordonnées de l’acheteur du tableau litigieux lui ayant appartenu, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision.
Par ordonnance réputée contradictoire du 1er septembre 2021, la société défenderesse n’ayant pas comparu ni constitué avocat, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a débouté Mme [H] de ses demandes et l’a condamnée aux dépens de l’instance, considérant que les éléments produits ne permettaient pas de présumer que le tableau vendu avait été sous-évalué et qu’il n’existait aucun indice plausible relatif à l’existence d’un aléa sur l’authenticité de l’oeuvre.
Par déclaration du 3 novembre 2021, Mme [H] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 novembre 2021, elle demande à la cour de :
A titre principal,
– infirmer l’ordonnance entreprise et faire droit à ses demandes ;
En conséquence,
– ordonner à la société Rossini de produire le contrat de vente comportant les coordonnées de l’acquéreur du tableau litigieux ayant appartenu à Mme [H] sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la signification de l’ordonnance de référé ;
– ordonner la désignation d’un expert judiciaire, lequel sera chargé de la mission suivante :
‘ entendre les parties en leurs explications,
‘ se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission, entendre si besoin est, tous sachant,
‘ examiner le tableau litigieux,
‘ en décrire l’état,
‘ se prononcer sur l’authenticité de l’oeuvre et sur l’éventuel aléa,
‘ se prononcer sur la valorisation du tableau et rechercher si l’évaluation dressée par la société Rossini n’était pas sous-évaluée,
‘ rechercher si la société Rossini a manqué à son devoir d’information et de conseil,
‘ fournir tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilité encourues et évaluer les préjudices subis,
‘ faire toutes observations utiles au règlement du litige,
‘ dire que l’expertise sera mise en oeuvre et que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,
‘ dire que l’expert en cas de nécessité pourra se faire assister par un technicien de son choix, inscrit sur la liste des experts près la Cour d’appel, dans une spécialité différente de la sienne,
‘ dire qu’il en sera référé au juge en cas de difficulté,
‘ fixer la provision à consigner au greffe, à titre d’avance sur les honoraires de l’expert, dans le délai qui sera imparti par l’ordonnance à intervenir,
– débouter la société Rossini de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions contraire ;
– condamner la société Rossini en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Etevenard, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
En substance, Mme [H] soutient qu’elle produit en appel des éléments rendant plausible le fait que le tableau, vendu comme étant de l’atelier de [Y] [W] dit Le jeune, soit une oeuvre originale ; qu’elle pense avoir été victime en raison de son âge d’une erreur sur la substance cause de nullité du contrat de vente, dès lors qu’il semble qu’il existait un aléa quant à l’authenticité du tableau et que cet aléa lui a été masqué ; et que la responsabilité du commissaire priseur est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L 321-17 du code de commerce pour avoir sous-évalué le tableau.
Mme [H] a fait signifier la déclaration d’appel et ses conclusions à la société Rossini par acte d’huissier de justice du 23 novembre 2021, délivré à personne.
La société Rossini n’a pas constitué avocat.
SUR CE, LA COUR
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L’article 145 suppose l’existence d’un motif légitime c’est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. Elle doit être pertinente et utile.
Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
En l’espèce, au soutien de sa demande d’expertise et de communication des coordonnées de l’acquéreur du tableau via la production du contrat de vente, Mme [H] argue à la fois :
– d’une possible authenticité du tableau vendu, aléa non porté à sa connaissance au moment de la vente, en sorte que la vente serait annulable pour erreur sur une qualité essentielle ;
– d’une sous-évaluation manifeste du tableau, susceptible d’engager la responsabilité du commissaire priseur sur le fondement de l’article L 321-17 du code de commerce.
Pour accréditer ses doutes, Mme [H] fait valoir les éléments suivants :
– juste après la vente, son fils s’est étonné de ce qu’elle ait pu vendre un tel tableau à un prix aussi modique ;
– la consultation des ventes aux enchères pour des oeuvres comparables met en évidence des prix de vente bien plus élevés ;
– la société Rossini n’a jamais répondu à sa lettre du 9 décembre 2020, par laquelle elle a soulevé la nullité de la cession et mentionné son intention de saisir le juge des référés aux fins d’expertise ; elle a en outre refusé de communiquer les coordonnées de l’acquéreur et refusé l’offre de son fils de racheter le tableau au double du prix d’adjudication, et ne s’est pas déplacée à l’audience ni n’a constitué avocat.
Le simple étonnement de son fils, qui n’est étayé par aucun élément sur l’authenticité potentielle du tableau vendu, n’est pas de nature à rendre plausible l’éventualité d’une oeuvre authentique.
Les quelques exemples de vente de tableaux similaires qui lui ont été communiqués par Mme [E], expert, à des prix de 5.000 à 6.860 euros, ne rendent pas plus crédibles une potentielle sous-évaluation, alors que l’expert a répondu à la demande de Mme [H] sur la base d’une photographie du tableau vendu qu’elle a qualifiée de très mauvaise, et que les exemples de vente de tableaux que cet expert a transmis ne concernent pas le peintre [Y] [W] mais [P] [W], peintre né en 1629 et mort en 1670 alors que [Y] [W] dit Le jeune est né en 1610 et mort en 1690.
Mme [H] produit d’autres photographies, issues du site internet de la maison de vente aux enchères Rossini, de tableaux qu’elle dit similaires au sien :
– un tableau de l’école de [Y] [W] évalué entre 4.000 et 6.000 euros,
– un tableau d’un disciple de [Y] [W] évalué entre 3.000 et 4.000 euros,
– un tableau de l’école flamande dans le goût de [Y] [W] évalué entre 2.000 et 3.000 euros,
– un autre tableau de l’école de [Y] [W] évalué entre 1.000 et 2.000 euros, vendu 8.000 euros.
Force est de constater que ces évaluations, qui vont de 1.000 à 6.000 euros, ne rendent pas crédible la sous-évaluation manifeste alléguée par Mme [H], son tableau ayant été évalué entre 1.500 et 2.000 euros, soit dans la fourchette des évaluations de comparaison. Quant au prix de 8.000 euros pour une évaluation de 1.000 à 2.000 euros, d’ailleurs conforme à celle du tableau de Mme [H], elle n’est que le résultat des enchères et de l’intérêt que les enchérisseurs ont porté au tableau concerné.
Enfin, affirmer que le défaut de réaction de la société Rossini aux réclamations et à l’action en justice de Mme [H] constitue un indice de la crédibilité de ses doutes, relève de la pure interprétation.
Il en résulte que Mme [H] ne justifie pas d’éléments rendant suffisamment crédibles ses suppositions, en sorte que le motif légitime n’est pas caractérisé et que les demandes d’expertise et de communication de pièces doivent être rejetées.
L’ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.
Partie perdante, l’appelante sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel.