L’obligation de motiver les décisions de justice

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L’obligation de motiver les décisions de justice

Mention du nom des juges

En application de l’article 458 du code de procédure civile, ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 alinéa 1 et 456 doit être observé à peine de nullité.

Prétentions respectives des parties et leurs moyens

Et, en vertu de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé.

L’obligation de motiver les décisions de justice

L’obligation de motiver les décisions de justice, garantie implicite de l’article 6§1 de la CESDH, n’emporte pas celle d’apporter une réponse détaillée à chaque argument (CEDH, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, n° 18390/91, §29). La motivation doit permettre de montrer aux parties que leur cause a réellement été entendue et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision (CEDH, Magnin c. France, 10 mai 2012, n° 26219/08, §29).

Ainsi, une décision sera valablement motivée si elle permet aux parties de faire un usage effectif de leur droit d’appel (CEDH Hirvisaari c. Finlande, 27 septembre 2011, n° 49684/99, §30 in fine) et le juge n’est tenu d’examiner que leurs arguments principaux, soit les points spécifiques, pertinents et importants ainsi que, avec une rigueur et un soin particuliers, les moyens visant les droits et libertés garantis par la CESDH ou ses protocoles (CEDH, Donadze c. Georgie, 7 mars 2006, n° 74644/01, §35, et Fabris c. France, 7 février 2013, n° 16574/08, §72).

En l’espèce, le tribunal a, il est vrai fort brièvement mais réellement, examiné toutes les conditions d’application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable aux faits, le jugement était donc valide en sa forme.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 17 MAI 2023

(n° 93 , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/17785 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYQO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Octobre 2020 – Tribunal de Commerce de BORDEAUX, 1ère chambre – RG N° 2019F01082

APPELANTE

S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DES BOIS DU SUD-OUEST (SEBS O) agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de TOULOUSE sous le numéro 545 780 074

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant

Assistée Denis BORGIA, du Cabinet BORGIA ‘ CO, avocat au barreau de BORDEAUX

avocat plaidant

INTIMEE

S.A.R.L. VALOR agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège.

immatriculée au RCS de TOULOUSE sous le numéro 440 810 828

[Adresse 2].

[Localité 1]

Représentée par Me Caroline DUCHESNE, avocat au barreau de PARIS, toque B0816, avocat postulant

Assistée de Me Benjamin ECHALIER de la SELARL ALPHA CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX, toque 476, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de la chambre 5.4

Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère

Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller.

Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre et par Monsieur MARTINEZ, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest (ci-après, « la SAS SEBSO »), filiale du groupe Fibre Excellence qui exploite en France deux usines de production de pâte à papier situées à [Localité 4] et [Localité 5], a pour activité principale l’achat et l’exploitation de propriétés boisées et de coupes de bois, le façonnage et le transport de ces bois en vue de leur utilisation, en particulier dans l’industrie de la pâte de bois, ainsi que leur négoce. Elle assure, directement ou en ayant recours à des transporteurs indépendants, le transport de bois depuis les zones de récolte jusqu’aux installations des industriels de la filière, dont les usines de fabrication de pâte de [Localité 4] et [Localité 5].

La SARL Valor exerce une activité principale déclarée de transport routier de fret de proximité.

Cette dernière a entretenu avec la SAS SEBSO des relations commerciales à compter de 2006, les relations étant formalisées par un contrat conclu le 20 mars 2008 pour une durée de 5 ans renouvelable.

Alléguant une baisse brutale et imprévisible du chiffre d’affaires réalisé avec la SAS SEBSO de près de 45 % sur l’exercice 2018/2019, la SARL Valor a, par courrier du 21 mai 2019, mis en demeure cette dernière de l’indemniser de son préjudice.

C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier signifié le 10 octobre 2018, la SARL Valor a assigné la SAS SEBSO devant le tribunal de commerce de Bordeaux en réparation du préjudice causé par la rupture brutale partielle des relations commerciales établies.

Par jugement du 26 octobre 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné la SAS SEBSO, dont les demandes étaient rejetées, à payer à la SARL Valor la somme de 95 686 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale partielle des relations commerciales établies, outre celle de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 8 décembre 2020, la SAS SEBSO a interjeté appel de ce jugement en sollicitant son annulation et, à défaut, sa réformation.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 juillet 2021, la SAS SEBSO demande à la cour, au visa des articles 16, 11, 14, 15, 27, 138 à 142, 432, 455, 865 et 866 du code de procédure civile, 5 et 10 du code civil et 2 et 4 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale :

– à titre principal :

* d’annuler dans son intégralité le jugement entrepris ;

* statuant à nouveau, de rejeter l’action de la SARL Valor et de débouter la SARL Valor de l’ensemble de ses demandes ;

– subsidiairement, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

* condamne la SAS SEBSO à payer à la SARL Valor la somme de 95 686 euros ;

* déboute la SAS SEBSO de l’ensemble de ses demandes ;

* condamne la SAS SEBSO à payer à la SARL Valor la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* ordonne l’exécution provisoire ;

* condamne la SAS SEBSO aux dépens ;

– statuant à nouveau, de rejeter l’action de la SARL Valor et de la débouter de l’ensemble de ses demandes ;

– infiniment subsidiairement, de réformer le jugement entrepris en ce qu’il :

* condamne la SAS SEBSO à payer à la SARL Valor la somme de 95 686 euros ;

* déboute la SAS SEBSO de l’ensemble de ses demandes ;

* condamne la SAS SEBSO à payer la SARL Valor la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* ordonne l’exécution provisoire ;

* condamne la SAS SEBSO aux dépens.

– statuant à nouveau, de dire que le préjudice allégué ne saurait excéder la somme de 4 626 euros et de débouter la SARL Valor du surplus de ses demandes ;

– sur l’appel incident, de le dire non fondé et, par conséquent, de le rejeter ;

– en tout état de cause, de condamner la SARL Valor à payer à la SAS SEBSO la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 avril 2021, la SARL Valor demande à la cour, au visa des articles 1240 du code civil et L 442-6 I 5° du code de commerce, de :

– confirmer le jugement rendu le 26 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu’il a :

* dit et jugé que la SAS SEBSO a rompu partiellement et sans préavis suffisant les relations commerciales établies la liant à la SARL Valor à compter du mois de septembre 2018 ;

dit et jugé que la SAS SEBSO a gravement manqué à ses obligations extracontractuelles et a engagé sa responsabilité extracontractuelle vis-à-vis de la SARL Valor ;

* condamné en conséquence la SAS SEBSO à payer à la SARL Valor les sommes de 95 686 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

* débouté la SAS SEBSO de l’ensemble de ses demandes ;

– statuant à nouveau et réformant le jugement sur le quantum des condamnations, condamner la SAS SEBSO à verser à la SARL Valor la somme de 161 181 euros, correspondant à vingt mois de marge qui aurait été générés si la SAS SEBSO avait respecté un préavis suffisant ;

– y ajoutant :

* condamner la SAS SEBSO à régler à la SARL Valor la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SAS SEBSO aux entiers dépens.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2022. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur l’annulation du jugement

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS SEBSO expose, au visa des articles 11, 15 et 16 du code de procédure civile et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après,  » la CESDH « ), que  » l’injonction de produire les pièces requises est la règle  » et que  » le droit de [la] refuser est [une] exception  » d’interprétation restrictive. Elle ajoute que le refus injustifié de la SARL Valor de produire ses comptes sociaux pour les exercices clos les 31 mars 2019 et 31 mars 2020 était doublé d’une conduite déloyale de la procédure caractérisée par son insistance pour que l’affaire soit plaidée au fond à l’audience de mise en état du 27 juillet 2020 alors qu’une requête en production forcée avait été déposée le 10 juillet 2020 faute de réponse favorable à sa sommation de communiquer du 24 juin 2020. Elle en déduit une atteinte à son droit de se défendre et au principe de l’égalité des armes en première instance fondant tant une fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de la contradiction que l’annulation du jugement, le tribunal, qui n’a pas répondu à ses moyens, n’ayant pu valablement se prononcer sur le fond en l’absence de l’éclairage apporté par les pièces sollicitées et de décision de son président sur le fondement de l’article 866 du code de procédure civile. Elle ajoute que la production tardive des comptes sociaux dans le cadre de l’instance introduite devant le premier président en suspension de l’exécution provisoire est indifférente et que la possibilité de leur examen en cause d’appel ne répare pas l’irrégularité dénoncée, le recommencement de la procédure étant nécessaire. Elle prétend par ailleurs sur le fond que le tribunal n’a ni répondu à ses moyens ni motivé sa décision qui comporte de surcroît des contradictions tenant à son refus d’appliquer le contrat bien qu’il ait visé l’article 1134 du code civil et à l’exploitation de l’attestation comptable produite sans examen préalable des bilans correspondants.

En réponse, la SARL Valor expose qu’elle a communiqué les pièces sollicitées en temps utile, le dernier bilan ayant été déposé le 19 novembre 2020, postérieurement au prononcé du jugement. Elle ajoute que le calendrier fixé en première instance a été respecté par le tribunal, l’affaire ayant été renvoyée pour plaidoiries au fond, après deux reports successifs, à l’audience du 22 juin 2020 puis à celle du 27 juillet 2020, la demande de production forcée présentée par la SAS SEBSO étant ainsi manifestement dilatoire. Elle en déduit que le principe de la contradiction a été respecté, le jugement ayant écarté cette dernière en répondant aux moyens qui la soutenaient comme à ceux, contradictoires, opposés à sa demande principale.

Réponse de la cour

Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.

Les causes d’annulation d’un jugement ne sont pas limitées à celles visées à l’article 458 du code de procédure civile et comprennent notamment, outre la partialité du tribunal, la violation du principe de la contradiction.

– Sur la violation du principe de la contradiction et du droit au procès équitable

Conformément à l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Par ailleurs, en vertu des articles 15 et 16 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense, le juge, qui doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne pouvant retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Enfin, en application de l’article 6§1  » Droit à un procès équitable  » de la CESDH, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Au sens ce dernier texte, le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes, étroitement liés entre eux et valant tant au civil qu’au pénal, sont des éléments fondamentaux de la notion de procès équitable et exigent un juste équilibre entre les parties : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuves dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires. Toutefois, les droits découlant de ces principes ne sont pas absolus, les Etats contractants jouissant en la matière d’une certaine marge d’appréciation (CEDH, Régner c. République Tchèque, 19 septembre 2017, n° 35289/11, §146 à 148). Ainsi, le principe du contradictoire n’exige pas que chaque partie communique à son adversaire des documents qui n’ont pas davantage été présentés au juge (CEDH, Yvon c. France, 24 avril 2003, n° 44962/98, §38).

En outre, la CEDH juge que la recevabilité des preuves relève au premier chef du droit interne, qu’il appartient en règle générale aux juridictions nationales d’apprécier les preuves dont elles disposent et qu’elle a pour tâche de juger du caractère équitable de la procédure dans son ensemble, et notamment de la manière dont les preuves ont été recueillies (CEDH, Elsholz c. Allemagne, 13 juillet 2000, n° 25735/94, §66). A cet égard, la CESDH ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et tant leur admissibilité que leur appréciation relèvent en principe du droit interne et des juridictions nationales qui examinent les éléments qu’elles ont obtenus et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production (CEDH, Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, n° 21497/93, §34). Il en est de même de la force probante et de la charge de la preuve : le juge national apprécie seul l’utilité d’une offre de preuve (CEDH, Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c. Italie, 7 juin 2012, n° 38433/09, §198) et le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu (CEDH, Adomaitis c. Lituanie, 18 janvier 2022, n° 14822/18, §70 à 73).

La procédure devant le tribunal du commerce de Bordeaux s’est déroulée ainsi :

– l’affaire était appelée le 9 mars 2020 pour une audience dont l’objet n’est pas déterminé par les pièces produites, le conseil de la SARL Valor sollicitant une retenue pour plaidoiries (pièce 2 de la SAS SEBSO) tandis que la SAS SEBSO demandait un délai pour conclure et permettre la production, pour le 30 avril 2020, des comptes de l’exercice clos le 31 mars 2020 par la SARL Valor ainsi que la fixation d’une date de plaidoiries fin mai 2020 (pièce 3 de la SAS SEBSO) ;

– par ordonnance du 14 mai 2020, le président du tribunal expliquait, dans le contexte de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, que les chambres contentieuses reprenaient leurs audiences à compter du 2 juin 2020 et que les affaires programmées pendant la période d’interruption des audiences seraient rappelées par le greffe, les calendriers de procédure déjà établis faisant l’objet d’un « réexamen systématique » (pièce 4 de la SAS SEBSO) ;

– par avis du 20 mai 2020, le greffe informait les parties que l’affaire était renvoyée « en rubrique plaidoiries » à l’audience du 22 juin 2020, date à laquelle le conseil de la SAS SEBSO ne comparaissait pas en raison d’un mauvais adressage du bulletin, nouveau renvoi étant alors ordonné au 27 juillet 2020 (ses pièces 5 et 7) ;

– le 24 juin 2020, le conseil de la SAS SEBSO faisait sommation de communiquer ses comptes 2019 et 2020 à la SARL Valor. Cette dernière, soutenant que le dossier était en état depuis le mois d’avril et que le bilan 2020 n’était pas encore déposé, annonçait le lendemain par courrier officiel qu’elle s’opposerait à cette demande (pièces 7 à 9 de la SAS SEBSO) ;

– le 10 juillet 2020, le conseil de la SAS SEBSO adressait au greffe du tribunal de commerce, au visa notamment des articles 862 et 865 du code de procédure civile, une  » requête en production forcée de pièces  » de même objet que sa sommation à laquelle s’opposait l’avocat de la SARL Valor le 13 juillet 2020 (pièces 10 et 11 de la SAS SEBSO) ;

– dans son jugement du 26 octobre 2020, le tribunal de commerce a, dans la partie consacrée à l’énoncé des moyens mais néanmoins de manière univoque, rejeté la demande au motif que la sommation de communiquer était postérieure à la mise en état et que les pièces réclamées étaient sans incidence sur sa décision. Il déboutait dans son dispositif la SAS SEBSO de « l’ensemble de ses demandes ».

Ainsi, l’affaire a été expressément renvoyée au 22 juin 2020 pour plaidoiries par avis du 14 mai 2020 porté à la connaissance de la SAS SEBSO le jour de l’audience (sa pièce 7 mentionnant bien la  » rubrique plaidoiries « ). Elle a été à nouveau reportée en l’état à raison de son défaut justifié de comparution. La phase d’instruction au sens de l’article 861 du code de procédure civile était achevée le 22 juin 2020 au plus tard. Aussi, la requête en production forcée, particulièrement tardive au regard de la date de l’assignation, était mal dirigée en application de l’article 869 du code de procédure civile. Et, la SAS SEBSO, qui avait connaissance de la date de plaidoiries, était représentée à l’audience dans la perspective de laquelle elle avait déposé des écritures (pièce 11 de la SARL Valor) : l’article 14 du code de procédure civile a été respecté.

En outre, le tribunal, pleinement renseigné sur l’intérêt probatoire de la production sollicitée par la seule lecture du libellé des pièces réclamées, a examiné les moyens de la SAS SEBSO et, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces spontanément produites par la SARL Valor, a rejeté sa prétention dans les motifs et le dispositif du jugement. La motivation adoptée, peu important que le jugement évoque la « sommation de communiquer » et non la requête de même objet, n’est sur ce point pas critiquable, la SAS SEBSO postulant l’existence d’un droit à production forcée ignoré du droit positif et ne justifiant d’aucun motif sérieux au soutien de sa demande, en réalité vouée à l’échec. En effet, si les articles 142, 138 et 139 du code de procédure civile permettent à une partie de solliciter la production d’une pièce détenue par une autre, le juge ne faisant droit à la demande que s’il l’estime fondée, le choix des pièces que la SARL Valor entend produire pour justifier du bien-fondé de ses demandes n’appartient qu’à elle et s’opère à ses risques et périls : le défaut de preuve des faits soutenant une prétention sous une qualification déterminée commandant son rejet conformément à l’adage idem est non esse et non probari et à l’article 9 du code de procédure civile, une partie n’a aucun intérêt à solliciter une pièce étrangère au succès de ses moyens de défense mais uniquement de nature à fonder une prétention adverse. Or, les comptes sociaux étaient sollicités pour établir l’absence de perte de chiffre d’affaires subie par la SARL Valor (pièce 10 de la SAS SEBSO), preuve négative pour elle inutile quand celle du principe et de la mesure du préjudice incombe à la SARL Valor qui l’allègue. De plus, les pièces sont désormais produites au débat : le respect du principe de la contradiction s’appréciant à l’aune de la procédure dans son ensemble et le double de degré juridiction n’étant pas garanti, comme tel, en matière civile par la CESDH (CEDH, Association des personnes victimes du système SC Rompetrol SA et SC Geomin SA et autres c. Roumanie, 25 juin 2013, n° 24133/03, §68), la connaissance de ces documents en cause d’appel est suffisante.

Enfin, même en admettant que la requête ait été présentée régulièrement devant le magistrat chargé d’instruire l’affaire au sens des articles 861 et 865 du code de procédure civile, ses ordonnances ne sont pas susceptibles d’appel indépendamment du jugement sur le fond au sens de l’article 868 du même code : en cas de rejet de la demande, qui constitue l’hypothèse soumise à la Cour, aucun recours n’était envisageable pour la SAS SEBSO hors appel du jugement. Aussi, le tribunal ayant par ailleurs tranché sa demande, cette dernière n’a pas été privée du double de degré juridiction.

En conséquence, la SAS SEBSO, qui n’avait aucun droit acquis à la production forcée, qui a été entendue en ses arguments, pourtant développés très tardivement dans une perspective à l’évidence dilatoire ainsi que le révèle le délai mis pour présenter la requête dont les motifs étaient connus dès l’assignation et au plus tard le 25 juin 2020, et qui invoquait des motifs impropres à fonder sa prétention, ne justifie ni d’une violation des dispositions internes ni d’une atteinte à ses droits et libertés garantis par la CESDH. Sa demande d’annulation sera rejetée de ce chef. Et, en l’absence de toute violation du principe de la contradiction imputable à la SARL Valor, sa fin de non-recevoir sera rejetée.

– Sur le défaut de motivation

En application de l’article 458 du code de procédure civile, ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 alinéa 1 et 456 doit être observé à peine de nullité.

Et, en vertu de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé.

L’obligation de motiver les décisions de justice, garantie implicite de l’article 6§1 de la CESDH, n’emporte pas celle d’apporter une réponse détaillée à chaque argument (CEDH, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, n° 18390/91, §29). La motivation doit permettre de montrer aux parties que leur cause a réellement été entendue et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision (CEDH, Magnin c. France, 10 mai 2012, n° 26219/08, §29). Ainsi, une décision sera valablement motivée si elle permet aux parties de faire un usage effectif de leur droit d’appel (CEDH Hirvisaari c. Finlande, 27 septembre 2011, n° 49684/99, §30 in fine) et le juge n’est tenu d’examiner que leurs arguments principaux, soit les points spécifiques, pertinents et importants ainsi que, avec une rigueur et un soin particuliers, les moyens visant les droits et libertés garantis par la CESDH ou ses protocoles (CEDH, Donadze c. Georgie, 7 mars 2006, n° 74644/01, §35, et Fabris c. France, 7 février 2013, n° 16574/08, §72).

La SAS SEBSO poursuit l’annulation du jugement à raison d’un défaut général de motivation et de deux contradictions de motifs. Cependant, le tribunal a, il est vrai fort brièvement mais réellement, examiné toutes les conditions d’application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable aux faits en :

– caractérisant l’existence d’une relation commerciale établie par sa durée et sa stabilité en considération de l’espérance raisonnable que pouvait en retirer la SARL Valor sur la poursuite des relations, aucune pièce ne prouvant les variations effectives d’activité opposées par la SAS SEBSO ;

– établissant la réalité de la rupture partielle et de sa brutalité au regard de l’absence de préavis, peu important le défaut de réponse explicite à l’argument inopérant tenant à l’absence de minimum garanti stipulé par la convention liant les parties ou à la survenance lointaine du terme du contrat puisque la rupture alléguée était partielle et qu’une relation commerciale établie peut exister indépendamment de tout contrat (en ce sens, Com. 9 mars 2010, n° 0-10.216), la notion étant plus économique que juridique et dépendant de l’existence d’un flux d’affaires. Il en est de même de l’argument tiré de l’information donnée en février 2018 d’une baisse prochaine des commandes : cette assertion ne renvoyait à aucune pièce dans les écritures soumises à l’appréciation du tribunal (pièce 11 de la SARL Valor) et dans le bordereau de pièces désormais communiqué, et le tribunal a précisé à ce titre que la SAS SEBSO ne démontrait pas avoir fait précédé la rupture d’un courrier « informant son fournisseur de ses insatisfactions ou de son intention de réaliser elle-même ses prestations de transport » ;

– fixant souverainement à 12 mois la durée du préavis en considération de l’état de dépendance économique de la SARL Valor et de la durée de la relation ;

– calculant le quantum de l’indemnisation en s’appuyant sur l’attestation produite par la SARL Valor qui était certes établie par sa gérante mais était certifiée conforme par son expert-comptable, constat qui à lui seul privait de pertinence l’argument tiré de la constitution d’une preuve à soi-même opposé par la SAS SEBSO.

En conséquence, le moyen tiré du défaut de réponse à la demande de production forcée de la SAS SEBSO étant infondé, le jugement est suffisamment motivé et n’encourt pas l’annulation de ce chef.

Enfin, l’autonomie de la notion de relation commerciale établie par rapport au contrat liant les parties suffit à écarter le moyen tiré du refus d’application par le tribunal de ce dernier, aucune contradiction ne se déduisant par ailleurs des visas successifs des articles 1134 du code civil et L 442-6 I 5° du code de commerce. Et, le tribunal n’a pas manqué de cohérence en retenant l’attestation certifiée par un expert-comptable et en rejetant la demande de production forcée dès lors que, souverainement, il estimait les pièces qui lui étaient soumises par la SARL Valor probantes.

En conséquence, la demande d’annulation du jugement présentée par la SAS SEBSO sera rejetée.

2°) Sur la réformation du jugement

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SARL Valor expose avoir entretenu avec la SAS SEBSO des relations commerciales établies durant 13 ans, le flux d’affaires ayant généré entre avril 2013 et mars 2018 un chiffre d’affaires moyen de 145 560 euros pour une marge brute annuelle moyenne de 107 762 euros, soit un taux de marge brute moyen de 50,8%. Elle explique que la SAS SEBSO a partiellement rompu sans préavis ces relations en septembre 2018 (baisse de 45 % du chiffre d’affaires) avant d’y mettre un terme définitif en 2019, peu important que le contrat prenne théoriquement fin le 20 mars 2023 et qu’il ne stipule aucun minimum garanti. Elle ajoute que la SAS SEBSO ne justifie d’aucune cause fondant objectivement cette rupture, les variations de son activité n’étant, comme les fautes qu’elle lui reproche désormais, pas prouvées. Elle estime que le préavis dont elle a été privée était de 20 mois.

En réponse, la SAS SEBSO expose que les relations commerciales n’étaient pas établies car le contrat ne comportait aucune garantie de volumes et stipulait la possibilité de réduire ces derniers librement, faculté mise en ‘uvre pour lui permettre de prendre en charge une part de ses transports et pour faire face aux surfacturations frauduleuses pratiquées par la SARL Valor. Elle ajoute que, le contrat se poursuivant jusqu’à son terme fixé au 19 avril 2023, aucune rupture n’est caractérisée, toute brutalité étant exclue par l’annonce en février 2018 d’une baisse des commandes à intervenir. Elle précise subsidiairement que, au regard de la précarité de la relation et des fautes de la SARL Valor, un préavis de trois mois était suffisant, l’indemnité devant être calculée avec un taux de marge de 13 %.

Réponse de la cour

En application de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »).

Par ailleurs, L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu’une modification contractuelle négociable et non imposée n’est pas la marque d’une rupture partielle brutale).

Ainsi qu’il a été dit, seule un rupture brutale partielle étant alléguée et la relation commerciale établie existant indépendamment de toute référence à un contrat, les moyens tirés de la poursuite, en réalité théorique et non effective, du contrat jusqu’à son terme fixé au 19 avril 2023 et de l’absence de stipulation de minima garantis sont inopérants. Il en est de même de l’argument tenant à la stipulation de la faculté pour la SAS SEBSO de réduire à son gré le volume de ses commandes. Celle-ci est inexistante, la seule référence à l’engagement du loueur de transporter les marchandises  » selon la demande du locataire  » (article 2  » obligations du loueur « ) ne créant pas une faculté discrétionnaire au bénéfice de la SAS SEBSO mais renvoyant simplement à la nécessité pour la SARL Valor de respecter les consignes de cette dernière qui avait la charge des opérations de transport. De plus, la possibilité contractuelle d’une variation des commandes n’est pas exclusive de l’application des dispositions d’ordre public de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce si une rupture brutale dans le flux d’affaires est constatée (en ce sens, Com. 16 décembre 2014, n° 13-21.363).

Il ressort des pièces 2 et 3 produites par la SARL Valor et des écritures de la SAS SEBSO au sens de l’article 1383-2 du code civil (page 2, §4) que les parties entretiennent des relations commerciales non exclusives depuis octobre 2006 peu important leur formalisation plus tardive par le contrat du 20 mars 2008. Elles ont ainsi duré près de 11 ans au jour de la rupture partielle alléguée et plus de 12 ans au jour de la rupture totale invoquée.

L’attestation communiquée par la SARL Valor (pièce 3) est compatible avec les bilans produits et le récapitulatif des factures (ses pièces 3 bis et 5 à 7) et est certifiée conforme par son expert-comptable. Elle est de ce fait pleinement probante faute de toute contradiction utile opposée par la SAS SEBSO qui se contente de verser au débat des chiffres clés publiés par l’Insee mentionnant un taux de marge moyen pratiqué dans le transport de fret (sa pièce 13) qui est distinct de l’activité en cause et ne dit rien de la réalité de celui effectivement pratiqué par la SARL Valor. Elle précise les éléments suivants :

– les chiffres d’affaires réalisés pour les exercices 2013 à 2017 atteignaient respectivement les sommes de 127 932 euros, 134 672 euros, 128 096 euros, 169 750 euros et 167 350 euros, soit un chiffre d’affaires moyen sur la période, qui apparaît pertinente au regard de la durée de la relation, de 145 560 euros pour un taux de marge brute moyen de 50,8 % ;

– de 2013 à 2017, la part du chiffre d’affaires réalisé par la SARL Valor avec la SAS SEBSO représentait entre 46 % et 60 % de son chiffre d’affaires global ;

– le chiffre d’affaires généré en 2018/2019 était réduit à 95 159 euros, soit une baisse de près de 45 % qui n’a été suivie d’aucune reprise rééquilibrant le flux d’affaires.

Il résulte de ces données ainsi que de la durée des relations, de leur stabilité, qui contredit les variations alléguées mais non démontrées par la SAS SEBSO, et du caractère significatif du flux d’affaires entretenu par les parties, qui était en hausse constante sur les années 2015 à 2017, que la relation commerciale était établie et que la SARL Valor pouvait raisonnablement espérer leur poursuite dans des conditions équivalentes. A ce titre, si la non-survenance du terme est indifférente à l’appréciation de la réalité de la rupture partielle alléguée, la stipulation d’un terme lointain dans le contrat qui sert d’unique support à la relation commerciale, tel celui en débat, est un élément pertinent pour apprécier la légitimité des projections de la victime de la rupture. Aussi, la fixation d’un terme au 19 avril 2023 était de nature à conforter les anticipations de la SARL Valor que rien ne modérait puisque la SAS SEBSO ne démontre pas l’avoir informée d’une baisse prochaine des commandes en février 2018, que ce soit à raison de ses surfacturations frauduleuses, que rien n’étaye, ou de son désir de satisfaire personnellement une partie de ses besoins en transport.

Dans ce cadre, alors que le flux d’affaires ne connaissait aucune variation notable, la chute exceptionnelle du chiffre d’affaires constatée en septembre 2018 puis sa réduction à une part dérisoire à compter de février 2019 (pièce 9 de la SARL Valor), caractérise une modification substantielle et durable de la relation commerciale caractéristique de sa rupture partielle. Celle-ci est exclusivement imputable à la décision unilatérale de la SAS SEBSO qui ne justifie d’aucune circonstance objective l’expliquant. Et, en l’absence de tout préavis écrit, elle est brutale.

Les parties fournissent peu d’éléments sur la structure du marché. Aux termes des extraits du site internet de la SAS SEBSO (pièces 1 et 1 bis de la SARL Valor non contestées en leur teneur), cette dernière se présente comme  » la première entreprise nationale de récolte de bois « . Fruit de la fusion en 2005 des  » deux exploitants forestiers historiques du sud de la France « , elle est implantée dans  » 32 départements du Grand sud « . Son chiffre d’affaires, en constante croissance depuis 2014, était compris entre 18 059 797 euros en 2014 et 24 645 953 euros en 2017, pour un résultat systématiquement négatif mais néanmoins en forte progression (-720 067 euros 2014 à – 56 760 euros en 2017) selon ses comptes déposés (pièce 1 ter de la SARL Valor). La SARL Valor, ainsi que le précisait la SAS SEBSO dans son assignation devant le Premier président pour souligner le risque de non-restitution en cas d’annulation ou d’infirmation (pièce 13 de la SARL Valor), est une petite entreprise familiale gérée par l’épouse du chauffeur. Il est en outre constant que le transport de bois implique des transports exceptionnels de chargements pouvant peser 57 tonnes (page 21 des écritures de la SARL Valor), ce qui nécessite des investissements spécifiques dédiés et le distingue nettement du transport traditionnel de marchandises qui autorise une diversification plus aisée et rapide de la clientèle. Aussi, il est certain que la SAS SEBSO, acteur majeur du secteur dans la zone d’activité de la SARL Valor, implantée comme elle dans la région toulousaine, bénéficiait d’un rapport de forces économique qui lui était nettement favorable.

Par ailleurs, cette dernière livre des informations utiles pour apprécier l’état de dépendance économique qu’elle allègue. Celui-ci est pour l’essentiel défini pour les besoins de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce qui n’est pas en débat. Pour autant, en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d’indice constitutif avec d’autres d’un faisceau caractérisant une présomption de fait au sens de l’article 1382 du code civil, il doit être apprécié de manière uniforme. Il s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires, de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Au regard de la part que représentait sa relation commerciale avec la SAS SEBSO dans son chiffre d’affaires global et de l’absence de débouché équivalent rapidement identifiable qu’induit la place occupée sur le marché par cette dernière, l’état de dépendance économique de la SARL Valor est avéré dès 2013.

Enfin, la SARL Valor démontre avoir acquis le 29 mai 2018, soit avant la rupture brutale partielle, une grue forestière pour un montant de 66 000 euros TTC (sa pièce 4). Si cet investissement doit être pris en compte pour apprécier la durée du préavis qui lui était dû, sa portée doit néanmoins être significativement tempérée, un tel matériel étant utile à son activité qu’elle ne conteste pas avoir poursuivi avec des tiers.

En considération de ces éléments combinés (ancienneté des relations, volume d’affaires réalisé et progression du chiffre d’affaires généré, déséquilibre du rapport de forces économique, état de dépendance économique, investissement réalisé mais absence d’exclusivité de la relation) et de l’absence de pertinence des usages en matière de transports routiers ou de l’article 12.2 du contrat type figurant à l’annexe I du décret 2003-1295 du 26 décembre 2003 qui ne permettent pas d’intégrer la spécificité du secteur en cause et de la relation particulière unissant les parties, la durée de préavis dont a été injustement privée la SARL Valor sera fixée à 15 mois, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a retenu un préavis de 12 mois.

Comme la SARL Valor, la Cour n’adopte pas les calculs du tribunal, qui, pour déterminer son chiffre d’affaires de référence, a retenu la moyenne des deux dernières années, période trop restreinte pour être représentative au regard de la durée des relations, et a appliqué un taux de marge brute de 75 %, contre 50,8 % réclamé par l’appelante, à la perte de chiffre d’affaires.

En effet, le préjudice causé à la SARL Valor s’analyse en un gain manqué qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture (ici, le coût du carburant), appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. La rupture n’étant néanmoins que partielle, la perte de marge doit être affectée du coefficient de 45 % correspondant à l’ampleur de la modification substantielle et durable du chiffre d’affaires, les développements de la SAS SEBSO relatifs au résultat brut d’exploitation négatif de la SARL Valor entre 2015 et 2020 ou sur l’évolution de son chiffre d’affaires étant en revanche étrangers aux débats.

Au regard du montant annuel du chiffre d’affaires, qui s’établit à 145 560 euros, soit 12 130 euros par mois, et du taux de marge brute moyen de 50,8 % pratiqué par la SARL Valor, ainsi que du chiffre d’affaires généré par la poursuite temporaire de la relation amputée (23 692 euros selon les pièces 3 et 9 de la SARL Valor) et du montant des charges non supportées du fait de la baisse constatée (54 727 euros selon la même pièce qui permet ainsi l’application de la marge sur coûts variables), la SAS SEBSO sera condamnée à payer à la SARL Valor la somme de 103 531 euros en réparation intégrale de son préjudice.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant en son appel, la SAS SEBSO, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à payer à la SARL Valor la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

REJETTE la demande d’annulation du jugement entrepris présentée par la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest ;

REJETTE la fin de non-recevoir opposée par la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu’il a fixé le montant de la condamnation de la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest à la somme de 95 686 euros ;

Statuant à nouveau de ce chef,

CONDAMNE la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest à payer à la SARL Valor la somme de 103 531 euros en réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale partielle de leurs relations commerciales établies en septembre 2018 ;

Y ajoutant,

REJETTE la demande de la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest à payer à la SARL Valor la somme de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Société d’Exploitation des Bois du Sud-Ouest à supporter les entiers dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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