Affichage publicitaire : 26 janvier 2021 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/05496

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26 janvier 2021
Cour d’appel de Versailles
RG n°
19/05496

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35C

13e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 JANVIER 2021

N° RG 19/05496 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TLP7

AFFAIRE :

[H] [W]

C/

[P] [K]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Juin 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 2018F01351

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 26.01.2021

à :

Me Joséphine COLIN

Me Stéphanie ARENA

TC de NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [H] [W]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 7]

Monsieur [B] [F] [S]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentés par Maître Joséphine COLIN, avocat postulant au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701 et par Maître Gayané BALEKIAN, avocat plaidant au barreau de PARIS

APPELANTS

****************

Madame [P] [K]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Maître Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et par Maître François NORDMANN, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 Novembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN,

Mme [P] [K] détenait 93 des 210 parts du capital social de la SARL Société des Grands Garages Duchemin (la société SGGD) qu’elle a créée avec M. [L] qui en détenait 117 parts et qui en était le gérant; cette société, d’après ses statuts, a notamment pour activité la réalisation de toutes opérations de garage et de parking, l’achat, la vente et la location de véhicules neufs ou d’occasion, l’exécution de tous travaux de réparations de véhicules, la vente de tous carburants et lubrifiants ainsi que de façon générale toutes activités se rattachant, directement ou indirectement, au commerce de l’automobile.

La société SGGD, aux termes de trois autorisations d’occupation, conclues respectivement les 11 juin et 7 juillet 1987 et le 2 octobre 1995 avec la SNCF, exerçait son activité à [Localité 9] dans le 15ème arrondissement, d’une part sur des emplacements d’une surface de 1 700 m² formant le dessous des voûtes et les parties latérales du viaduc de Vaugirard, dans la partie comprise entre la [Adresse 10], et dans des locaux de 100 m² [Adresse 10], d’autre part sur un emplacement de 8,32 m² situé au sud de la culée du viaduc de Vaugirard au niveau du [Adresse 3] et enfin sur un emplacement de 12 m² environ situé [Adresse 2], ces immeubles bâtis ou non bâtis dépendant tous du domaine public du chemin de fer.

Par deux conventions de cession de parts sociales en date du 1er février 2016, Mme [K] a cédé d’une part 17 parts sociales de la société SGGD à M. [H] [W] au prix de 23 476,32 euros, payable en 42 mensualités de 550 euros et une dernière de 376,32 euros, et d’autre part 76 parts sociales de la société à M. [B] [F] [S] au prix de 104 952,96 euros, payable en 42 mensualités de 2 450 euros et une mensualité de 372,96 euros.

Par une convention du même jour, M. [L] a cédé 60 des 117 parts sociales qu’il détenait dans la société à M. [W] au prix de 82 857,60 euros, payable en 42 mensualités de 1 950 euros et une mensualité de 957,60 euros.

Par lettre recommandée du 30 octobre 2017, le gestionnaire du patrimoine immobilier de l’établissement public SNCF réseau, la société Nexity property management (la société Nexity), a adressé à la société SGGD une mise en demeure de quitter les lieux au plus tard le 31 mars 2018 et de les restituer libres de toute occupation, en lui indiquant dans ce courrier que ‘la convention d’occupation temporaire à effet du 1er juin 1987 a été résiliée le 31 octobre 2011 par la SNCF’, ce qui était confirmé par mail du 13 novembre 2017 adressé au conseil de MM. [W] et [S].

Par courriel du 16 mai 2018, la société Nexity a informé la société SGGD qu’elle pourrait se maintenir dans les lieux jusqu’au 15 novembre 2018.

Par lettres recommandées avec accusé de réception du 22 février 2018, le conseil de Mme [K], observant que MM. [W] et [S] n’avaient chacun réglé qu’un total de 10 000 euros sur les 12 650 euros et 56 350 euros alors exigibles, les a vainement mis en demeure de régler les sommes dont ils restaient redevables.

Par ordonnance de référé en date du 27 juin 2018, le président du tribunal de commerce de Nanterre, saisi par Mme [K] à l’effet de condamner MM. [W] et [S] à lui verser respectivement les sommes en principal de 5 400 euros et de 58 600 euros, a dit n’y avoir lieu à référé en raison de la contestation sur la validité de l’obligation.

La société SGGD a quitté les lieux le 5 mars 2019.

Par jugement contradictoire rendu le 20 juin 2019, le tribunal de commerce de Nanterre, saisi par Mme [K], a :

– débouté MM. [W] et [S] de leurs demandes de condamnation de Mme [K] à restituer à chacun d’eux la somme de 5000 euros et à payer à chacun d’eux la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

– condamné M. [W] à payer à Mme [K] la somme de 10 350 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement en exécution de la cession de parts sociales du 1er février 2016, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

– condamné M. [S] à payer à Mme [K] la somme de 80 650 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement en exécution de la cession de parts sociales du 1er février 2016, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

– débouté Mme [K] de sa demande de condamnation de MM. [W] et [S] à lui payer la somme de 1500 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

– condamné MM. [W] et [S] à lui payer la somme de 1500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné MM. [W] et [S] à supporter les dépens.

Un second jugement a été rendu le même jour entre M. [L] et M. [W].

Par déclaration du 23 juillet 2019, MM. [W] et [S] ont interjeté appel du jugement, étant précisé que M. [W] a également relevé appel du jugement rendu le même jour à propos de la cession des parts détenues par M. [L].

Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 mars 2020, MM. [W] et [S] demandent à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes, condamnés respectivement au paiement des sommes en principal de 10 350 euros et 80 650 euros majorées des intérêts, au titre de l’article 700 euros et des dépens et ordonné la capitalisation des intérêts ;

Statuant à nouveau,

– constater que Mme [K] a manqué à son obligation d’information précontractuelle et a volontairement dissimulé la résiliation des conventions d’occupation intervenue en 2011 ;

– constater que cette dissimulation est constitutive d’un dol et que, de ce fait, leur consentement a été vicié ;

– subsidiairement, constater que les actes de cession conclus entre chacun et Mme [K] le 1er février 2016 sont entachés d’une erreur sur la substance ;

En conséquence,

– déclarer les cessions de parts sociales conclues le 1er février 2016 nulles ;

– débouter Mme [K] de ses demandes de condamnation en paiement ;

– condamner Mme [K] à restituer à chacun la somme 5000 euros ;

– condamner Mme [K] à payer à MM. [W] et [S] la somme 10 000 euros à chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [K] de sa demande de condamnation à lui verser chacun la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

En tout état de cause,

– condamner Mme [K] à leur payer à chacun la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [K] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 décembre 2019, Mme [K] demande à la cour :

– la recevoir en ses conclusions et l’y déclarer bien fondée ;

– confirmer le jugement sauf à actualiser sa créance et en conséquence,

– condamner M. [W] à lui payer la somme de 13 476,32 euros arrêtée au 31 août 2019 en exécution de la cession de parts sociales du 1er février 2016 et 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [S] à lui payer la somme de 94 952,96 euros arrêtée au 31 août 2019, en exécution de la cession de parts sociales et 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonner la capitalisation des intérêts à compter des mises en demeure du 22 février 2018 ;

– condamner les appelants aux dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 octobre 2020.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

MM. [W] et [S], après avoir rappelé les dispositions de l’article 1134 ancien du code civil, l’obligation d’information précontractuelle ainsi que les textes et la jurisprudence sur le dol, soutiennent que Mme [K] qui devait leur donner une informations pertinente pour leur permettre de s’engager en toute connaissance de cause et mesurer la portée de leur engagement, a manqué à cette obligation d’information précontractuelle et qu’elle a fait preuve d’une réticence dolosive en leur remettant les autorisations d’occupation dont bénéficiait la société SGGD et qu’ils ont cru toujours valables. S’ils ne contestent pas le caractère précaire de ces conventions, ils expliquent en effet que ce n’est qu’en novembre 2017 qu’ils ont eu connaissance de la réalité de la situation locative lorsque la société gestionnaire du patrimoine de la société SNCF réseau a fait part à la société SGGD, en la personne de M. [W], de la résiliation intervenue depuis 2011, date depuis laquelle la société se maintenait dans les lieux sans droit ni titre, information que la cédante leur a volontairement dissimulée pour les encourager à acquérir les parts sociales. Ils précisent qu’une copie des lettres de résiliation a été adressée à leur conseil à sa demande par la société Nexity en soulignant que l’expert-comptable qui a rédigé les actes de cession s’est basé sur les éléments qui lui ont été remis par Mme [K] qui n’est pas en mesure de prouver qu’elle leur aurait remis ces lettres de résiliation comme elle le prétend ; ils ajoutent qu’il ne leur appartenait pas de se rapprocher de la SNCF pour vérifier la situation locative de la société et la véracité des dires de Mme [K] et que la dissimulation de cette dernière est constitutive d’un dol qui a vicié leur consentement et d’un manquement à son obligation de loyauté ; que de plus, les termes des courriers de résiliation adressés par lettre recommandée sont très clairs de sorte que Mme [K] ne peut prétendre qu’elle pensait, après avoir reçu les deux courriels adressés par la société Nexity postérieurement au congé délivré en 2011, que l’occupation des lieux était redevenue régulière et qu’elle avait parfaitement connaissance du risque d’expulsion qu’elle leur faisait courir.

Ils exposent qu’une autorisation d’occupation précaire résiliée depuis plusieurs années ne peut être assimilée à une autorisation d’occupation précaire dès lors qu’elle n’en a pas les mêmes conséquences de sorte que s’ils avaient eu connaissance de cette résiliation, ils n’auraient pas acquis les parts au prix qu’ils ont payé.

Ils précisent qu’ils ont cherché en priorité à trouver un accord avec la SNCF, ce qui aurait permis de diminuer leur préjudice tandis que de son côté, Mme [K], dans un but stratégique et afin de faire croire qu’elle serait ‘la vraie victime’, a multiplié les procédures à leur encontre.

Subsidiairement, si la cour ne retenait pas d’élément intentionnel, ils lui demandent de retenir l’erreur sur la substance dans la mesure où l’activité principale exercée par la société SGGD était une activité de parking de véhicules, le local principal mis à sa dispositions par la SNCF ayant une superficie de 1 700 m² et que la société, dépourvue de ces locaux, ne présente ni valeur ni intérêt. Ils prétendent que les ‘muliples’ recherches effectuées pour retrouver un local du même type ont été infructueuses et que malgré leurs démarches auprès de la société Nexity, il n’a pu être conclu une nouvelle convention d’occupation mais seulement obtenu un délai supplémentaire pour quitter les lieux.

Ils concluent à l’infirmation du jugement en ce qu’il les a déboutés de leur demande en nullité de la cession de parts sociales alors même qu’ils n’ont pas donné un consentement libre et éclairé et au rejet de la demande en paiement de Mme [K] et sollicitent la restitution de la somme de 5 000 euros à chacun.

Ils soutiennent que la nullité de la cession, exclusivement due au fait que Mme [K] a omis fautivement de leur indiquer que les conventions d’occupation précaire étaient résiliées depuis 2011, leur cause un préjudice direct et leur ouvre droit à réparation, qu’ils ont perdu une chance d’acquérir des parts dans une autre société viable et occupant des locaux de façon régulière et qu’ils ont tous deux subi un préjudice moral incontestable dès lors qu’ils pensaient s’engager dans une société occupant régulièrement les locaux, soulignant qu’en sus des sommes importantes réglées pour l’achat des parts sociales, ils se sont énormément investis pour redynamiser et développer l’activité existante.

M. [W] invoque également un préjudice d’ordre professionnel dès lors qu’il a quitté un emploi stable pour intégrer cette société alors qu’il dirigeait la société Groupe automobile services (G.A.S) exploitant un fonds de commerce dans le cadre d’une location gérance, société qui a fait l’objet depuis d’une liquidation judiciaire, M. [W] précisant être sans emploi depuis la restitution des locaux en mars 2019.

Mme [K] souligne que MM. [W] et [S] ont cessé tout règlement au titre de la cession de parts après un dernier versement du 16 octobre 2017 portant ainsi les sommes réglées à 10 000 euros au lieu des 12 650 et 56 350 euros exigibles respectivement au 31 janvier 2018 et qu’ils ne se sont pas exécutés à la suite de la mise en demeure qui leur a été délivrée en lui opposant alors une prétendue réticence dolosive. Elle soutient que ses créances, au titre des cessions de parts sociales dont toutes les échéances sont désormais exigibles, sont en outre certaines et liquides à hauteur des sommes totales de 13 476,32 euros et 94 952,96 euros actualisées en appel.

Après avoir rappelé que le dol qui ne se présume pas doit être prouvé dans toutes ses composantes et que n’étant pas gérante de la société SGGD, elle ne disposait pas d’informations relatives à l’exploitation des lieux puis relevé que les actes de cession de parts ont été rédigés par l’expert-comptable des cessionnaires qui s’est procuré les pièces relatives à la situation locative de la société SGGD, elle fait valoir qu’il a pu ainsi constater que la société ne disposait pas d’un bail commercial et occupait le domaine public de sorte que la convention d’occupation, consentie pour des périodes d’un an, était affectée d’une précarité caractérisée, les bilans de la société ne valorisant d’ailleurs le fonds de commerce que pour une somme symbolique par rapport à la valorisation des parts lors de la cession et que les cessionnaires, ayant en outre le devoir de se renseigner en particulier en vérifiant la situation locative auprès du gestionnaire du bien, ne peuvent valablement soutenir avoir ignoré le caractère précaire des autorisations d’occupation.

Elle souligne que l’affirmation de MM. [W] et [S] selon laquelle il ne leur a pas été communiqué les notifications de 2011 mettant fin aux conventions d’occupation, outre qu’elle n’est pas prouvée, est démentie dès lors que les cessionnaires ont produit ces éléments lors de la procédure de référé et que les appelants, parfaitement au fait de la situation de la société dont ils acquéraient les parts, ont tout au contraire pris en compte cet aléa. Elle ajoute que si cet aléa a pu paraître limité dès lors qu’aucune procédure de libération forcée des lieux n’avait été mise en oeuvre plus de cinq ans après les notifications de 2011 et que dans les échanges avec la société SGGD, la société Nexity faisait référence à la situation de locataire et non d’occupant sans droit ni titre, il n’en demeure pas moins que les candidats à la reprise, habitués du monde des affaires dès lors qu’ils dirigeaient chacun une autre société, ne pouvaient ne pas connaître la précarité de l’occupation en l’absence d’actes de reconduction et qu’à tout le moins, il leur appartenait de s’enquérir auprès du propriétaire des lieux de ce qui permettrait de pérenniser l’occupation de la société ; qu’en outre si les cessionnaires avaient découvert ces notifications postérieurement à la cession des parts comme ils le prétendent, ils n’auraient pas manqué d’interpeller M. [L], le précédent gérant, et d’initier une action en nullité des cessions de parts sociales, ce qu’ils se sont bien gardés de faire, la prétendue dissimulation des lettres de résiliation n’étant qu’un prétexte pour tenter de justifier a posteriori leur défaillance précoce à honorer le paiement des échéances réglées avec retard avant que cesse tout paiement.

Mme [K], tout en rappelant qu’elle n’avait pas à fournir d’informations relevant de la gérance, précise que M. [L] n’avait aucune raison de dissimuler les notifications de 2011 alors qu’il était persuadé que celles-ci étaient obsolètes de sorte que le caractère intentionnel de la dissimulation n’est pas établi.

Elle fait en outre valoir que la dissimulation alléguée, à la supposer avérée, n’a pu être déterminante de l’engagement des cessionnaires au vu en premier lieu du décalage entre le prix payé pour la cession des parts et la valorisation minime du fonds de commerce ; qu’en second lieu, la société SGGD n’a finalement quitté les lieux que le 5 mars 2019, soit plus de trois ans après la date de la cession de parts, ce qui représente trois fois la durée prévue par les conventions d’occupations précaire, les notifications de 2011 n’ayant pas ainsi aggravé l’aléa résultant de la précarité inhérente à ces conventions de sorte qu’il n’est pas démontré que les acquéreurs auraient proposé un prix moindre en ayant connaissance des notifications de 2011.

Elle observe enfin que lorsque la société SNCF réseau a manifesté sa volonté de reprendre les lieux occupés en novembre 2017, elle ne l’a pas fondée sur les notifications de 2011 même si elle s’en est prévalue, celle-ci invoquant la valorisation du bien dans le projet de Petite ceinture en lien avec la ville de Paris et dans le mémoire aux fins d’expulsion devant le tribunal administratif, son inquiétude générée par les manquements à ses obligations de la société SGDD exploitée depuis près de trois ans par les cessionnaires, de sorte que les conditions légales pour que la cession de parts soit annulée font toutes défaut.

Subsidiairement, Mme [K] expose que l’erreur, à supposer qu’elle existe, ne porte pas sur les qualités substantielles de la chose vendue, les acquéreurs, détenteurs des parts de la société SGDD, pouvant toujours l’exploiter dans d’autres locaux en région parisienne d’autant qu’elle n’avait pas exclusivement une activité de parking ; qu’en outre l’erreur n’a pas été déterminante du consentement des acquéreurs puisqu’ils savaient que l’occupation de la société pouvait cesser moyennant le respect d’un préavis d’une année et qu’ils étaient ainsi conscients de l’aléa affectant l’occupation des locaux qu’ils ont accepté.

Mme [K] soutient enfin qu’en tout état de cause et à supposer établie une faute de la part des cédants, celle-ci ne constitue pas le fait générateur du préjudice invoqué qui, au demeurant, n’est aucunement justifié par les cessionnaires des parts qui exerçaient un autre mandat social et ne se sont pas retrouvés dépourvus après leur départ des lieux précédemment occupés.

Aux termes de l’ancien article 1109 du code civil, applicable aux cessions de parts sociales signées entre Mme [K] et MM. [W] et [S] antérieurement au 1er octobre 2016, il n’y a pas de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été surpris par dol.

Le dol, selon l’ancien article 1116 du code civil, est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par une partie sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, doit être prouvé et exige, en outre, la preuve de l’intention de tromper son cocontractant. Aux manoeuvres sont assimilés le mensonge et la réticence destinés à provoquer une erreur de nature à vicier le consentement du cocontractant.

Pèse en outre sur le vendeur une obligation précontractuelle d’information destinée à pleinement éclairer le consentement de l’acquéreur ; il lui appartient de le prévenir de toute circonstance ayant un rôle déterminant dans la décision de contracter, étant rappelé que conformément aux dispositions de l’ancien article 1134 du code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi par ceux qui les ont faites.

Il est constant que lorsque MM. [W] et [S] ont acquis les parts sociales de la société SGGD, la cédante leur a remis une copie des autorisations d’occupation relatives aux sites exploités par la société SGGD, en particulier l’emplacement de 1 700 m² destiné à être affecté d’après la convention à ‘usage de garage-parking, à la vente et la location de voitures neuves et d’occasion et au maintien de diverses installations (bureaux, vestiaires, douches pour le personnel, magasin)’.

Si les appelants ne contestent nullement que ces conventions étaient précaires dans la mesure où elles portaient sur des emplacements et locaux appartenant au domaine public et étaient données pour une durée limitée d’une année, il est cependant constant qu’après leur signature à l’été 1987 elles ont été renouvelées annuellement à compter de l’été 1988, étant précisé que l’autorisation relative à l’emplacement de 12 m², signée le 2 octobre 1995 et également renouvelée annuellement, a été établie en remplacement d’une précédente convention signée les 11 juin et 7 juillet 1987 comme celles relatives aux autres emplacements.

Alors que MM. [W] et [S] soutiennent qu’aucune autre information relative à l’occupation des lieux ne leur a été donnée par la cédante préalablement à la cession de parts et que ce n’est qu’à réception de la mise en demeure de libérer les lieux datée du 30 octobre 2017 que la société SGGD a été informée de la résiliation de ces conventions, Mme [K] n’en apporte pas la preuve contraire ; celle-ci, tenue en sa qualité de cessionnaire des parts de la société SGGD dont elle était associée à hauteur de 44 % du capital d’informer complètement l’acquéreur des parts sociales de la situation de la société SGGD, quand bien même elle n’en était pas la gérante, est défaillante à démontrer s’être acquittée de cette obligation, le fait que l’acte de cession aurait été rédigé par l’expert-comptable des cessionnaires, comme le prétend l’intimée, ne permettant pas pour autant d’en déduire que la cédante a informé le rédacteur de l’acte des conditions dans lesquelles la société, lors de la cession, occupait les lieux dans lesquelles elle exploitait son activité.

MM. [W] et [S] versent de surcroît aux débats un mail du 13 novembre 2017 justifiant que c’est à la demande de leur conseil que les lettres de ‘congé’ à effet du 31 mai 2011 et du 31 octobre 2011 ont été adressées en pièces jointes de ce message.

En outre, dans le cadre de la loyauté des rapports contractuels entre les parties, il ne saurait être reproché aux acquéreurs de parts sociales auxquels la cédante a remis les conventions d’occupation relatives aux lieux exploités par la société de ne pas en avoir vérifié les conditions d’occupation auprès du propriétaire des lieux ou de son mandataire.

Ce n’est donc que bien postérieurement à la cession de parts sociales que MM. [W] et [S] ont découvert que, par lettres recommandées avec accusé de réception des 14 février et 11 mai 2011, l’établissement public à caractère industriel et commercial Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF réseau, a adressé à la société SGGD ‘un congé ferme et définitif’ à effet du 31 mai 2011 pour le terrain de 1 700 m² et l’emplacement de 100 m² et à effet du 31 octobre 2011, pour les terrains bâtis de 12 m² et 8 m², tout en se disant disposée à étudier les termes et conditions d’une nouvelle convention lui permettant de maintenir son activité dans les lieux.

La cédante qui ne discute pas en avoir eu connaissance même si ces lettres ont été adressée à la la société SGGD en la personne de son gérant et qui en tout état de cause avait l’obligation en sa qualité de cédante de s’assurer de la poursuite des conventions d’occupation dont elle avait informé les cessionnaires, n’a pu se méprendre sur la portée de ces courriers particulièrement explicites, laquelle n’a pas été modifiée en l’absence de conclusion de nouvelles conventions ; d’ailleurs à l’occasion d’une mise en demeure adressée le 10 mai 2012 à propos de la dépose de panneaux publicitaires implantés sur le domaine de la société RFF, la gestionnaire de ces biens, la société Nexity, a rappelé à la société SGGD qu’elle se maintenait ‘ sur site sans droit ni titre’. Le fait que le 30 septembre 2014 un message électronique confirmant à la société SGGD, occupante sans droit ni titre, que le ‘compte locataire’ était à jour et qu’aucune mesure d’expulsion n’ait été entreprise pendant plus de quatre ans n’a pu sérieusement faire croire à l’associée de la société SGGD que la poursuite de l’occupation des lieux pouvait être régulière et que la cession des parts sociales pouvait intervenir sans informer les cessionnaires de cette difficulté.

Ce défaut d’information n’a ainsi pu être qu’intentionnel.

Quand bien même le fonds de commerce n’a été valorisé qu’à la somme de 3 049 euros d’après les écritures de Mme [K], sans que le bilan correspondant ait été versé aux débats, ce défaut d’information a incontestablement eu des conséquences sur le consentement de MM. [W]  et [S] : en effet, ceux-ci, alors qu’ils croyaient acquérir une société exploitant son activité dans des locaux et emplacements s’étendant sur plus de 1 700 m² dans le 15ème arrondissement de [Localité 9], dans le cadre d’une convention d’occupation certes précaire mais annuellement renouvelée depuis plus de 25 ans, ont acquis une société, occupante sans droit ni titre des emplacements et locaux où elle poursuivait son activité, la résiliation étant intervenue plus de quatre ans avant la cession de parts sociales. L’aléa était ainsi beaucoup plus important qu’ils ne le pensaient et ils ont été privés d’une information déterminante de leur consentement. Il est certain que MM. [W] et [S] n’auraient pas acquis les parts sociales de la société SGGD aux conditions dans lesquelles ils ont contracté s’ils avaient eu connaissance de ce congé intervenu depuis plus de quatre ans. En effet, faute de disposer d’emplacements aussi étendus, la poursuite de l’activité de parking se trouvait particulièrement compromise, quand bien même la société avait d’autres activités.

Par conséquent, le dol étant caractérisé, il convient, infirmant le jugement, de prononcer la nullité des deux cessions de parts sociales consenties par Mme [K].

La nullité étant prononcée, Mme [K] ne pourra qu’être déboutée de sa demande en paiement du solde des parts sociales et le jugement infirmé de ce chef, de même qu’il sera infirmé en ce qu’il a débouté MM. [W] et [S] de leur demande de condamnation de Mme [K] à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros qui correspond à une partie des sommes déjà réglées au titre de cessions de parts sociales. Il convient de faire droit à leur demande à ce titre.

Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu’il a débouté Mme [K] de ses demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive, celle-ci ne relevant pas appel incident du jugement à cet égard.

S’agissant de la demande en dommages et intérêts, M. [W] qui sollicite la réparation d’un préjudice moral et d’ordre professionnel n’a versé aucun avis d’imposition aux débats pour justifier de l’étendue du préjudice professionnel allégué et notamment des revenus perçus dans le cadre de l’activité de la société G.A.S (Groupe auto service) dont il était le président.

En outre, si d’après les pièces communiquées par les appelants, cette société bénéficiait d’un contrat de location-gérance depuis le 1er février 2015, il est cependant établi que celui-ci a été résilié par anticipation le 30 novembre 2016, la société G.A.S expliquant à cette occasion être dans l’impossibilité d’acquitter les redevances de la location-gérance en raison de l’importance des loyers du bail commercial, ’emportant impossibilité de son exploitation commerciale’.

Il n’en demeure pas moins que le manquement de Mme [K] à son obligation d’information, à l’origine de la nullité de la cession de parts, a affecté moralement MM. [W] et [S] qui se sont trouvés dans l’impossibilité de poursuivre l’exploitation de la société SGGD dans les locaux initiaux alors même qu’ils se sont investis dans cette société dont ils étaient gérant et associés ; ils justifient avoir entrepris des démarches pour tenter de trouver d’autres locaux, les appelants expliquant que ces recherches sont demeurées infructueuses. A ce jour, d’ailleurs, d’après l’extrait Kbis versé aux débats, à la suite de la demande de la cour à l’audience, aucune modification du siège social de la société SGGD n’a été opérée. M. [W] justifie que depuis le 27 mars 2020, il est inscrit comme demandeur d’emploi auprès de Pôle emploi ; M. [S] n’a pas contesté les affirmations de Mme [K] qui précise qu’il est toujours gérant de la société TR parquet qui exploite une activité de commerce de bois et matériaux de construction.

Au regard de ces éléments, il sera alloué à chacun la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les indemniser de leur préjudice moral consécutif à la réticence dolosive de la cédante des parts sociales de la société SGGD et à la nullité de la cession des parts sociales.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du 20 juin 2019 sauf en ce qu’il a débouté Mme [P] [K] de sa demande de condamnation de MM. [H] [W] et [B] [F] [S] à des dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Prononce la nullité des cessions de parts sociales conclues le 1er février 2016 entre d’une part Mme [P] [K] et M. [H] [W] et d’autre part entre Mme [P] [K] et M. [B] [F] [S] ;

Condamne Mme [P] [K] à payer à M. [H] [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5 000 euros en restitution des sommes versées au titre de la cession du 1er février 2016 ;

Condamne Mme [P] [K] à payer à M. [B] [F] [S] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5 000 euros en restitution des sommes versées au titre de la cession du 1er février 2016 ;

Déboute Mme [P] [K] de toutes ses demandes à l’encontre de M. [H] [W] et de M. [B] [F] [S] ;

Condamne Mme [P] [K] à payer à M. [H] [W] la somme de 3 000 euros et à M. [B] [F] [S] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [P] [K] aux dépens de première instance et d’appel .

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente et par Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,La présidente,

 


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