Your cart is currently empty!
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 1er MARS 2023
(n°028/2023, 23 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/00558 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4SG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Novembre 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 17/12393
APPELANTE
S.A.S.U. TERPAN,
Société au capital de 316 950 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CHARTRES sous le numéro 338 868 763,
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocate au barreau de PARIS, toque : D1119,
Assistée de Me Emmanuel DE MARCELLUS de la SELARL DE MARCELLUS & DISSER Société d’Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : A0341,
INTIMÉES
Madame [Y] [U], exerçant sous forme d’entreprise individuelle sous la dénomination ‘ACTION SOLIDAIRE DÉVELOPPEMENT’,
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 414 999 557
Née le 06 Octobre 1955 à NANCY
De nationalité française
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Pierre-François ROUSSEAU de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026,
ASSOCIATION SAFE,
Association déclarée, inscrite au répertoire SIRENE sous le numéro 395 065 436 depuis mai 1994,
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée et assistée de Me Stanislas ROUX-VAILLARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J033,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, et Madame Françoise BARUTEL, conseillère.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,
Madame Françoise BARUTEL, conseillère,
Madame Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société TERPAN, fondée en 1986, se présente comme intervenant dans le domaine de la prévention des infections sexuellement transmissibles, notamment dans la prévention et la sensibilisation liées à la toxicomanie, et travaillant en lien avec les pouvoirs publics et les associations pour tenter de contenir les pathologies liées à la consommation de drogues.
Elle expose avoir conçu et mis au point, à la demande du collectif inter-CAARUD (centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) et en concertation avec sept associations parisiennes, un kit de réduction des risques chez les fumeurs de crack, afin de prévenir les infections transmissibles par le sang comme le VIH et l’hépatite C, composé d’un tube et d’un élément filtrant et distribué sous le nom de ‘Kit Base’ aux usagers de drogue par inhalation, par le biais d’associations de prévention.
Ce dispositif a fait l’objet d’un brevet français déposé le 4 février 2014 sous le n° FR 3 002 724, sous priorité d’une demande de brevet FR 1 351 896 déposée le 4 mars 2013, et délivré le 22 janvier 2016, ayant pour titre ‘Kit pour la consommation par inhalation’ (ci-après, le brevet FR 724). Les annuités ont été régulièrement payées. Ce brevet a ultérieurement fait l’objet d’une requête en limitation, acceptée par l’INPI le 4 décembre 2019.
Mme [Y] [U] se présente comme engagée, d’abord à titre bénévole puis à travers l’entreprise individuelle ACTION SOLIDAIRE DÉVELOPPEMENT (ci-après, l’entreprise ASD) qu’elle a créée en 1998, dans la réduction des risques auxquels sont exposés les usagers de drogues et agissant comme centrale d’achat pour des associations intervenant dans le domaine de la réduction des risques, notamment l’association SAFE, auxquelles elle distribue le matériel acheté auprès de différents fournisseurs.
L’association SAFE, créée en 1989, se présente comme une association de santé publique, financée par des fonds publics et privés, ayant notamment pour objet de développer et promouvoir les outils et les modalités d’intervention les plus adaptés en matière de lutte contre les contaminations virales, bactériennes et fongiques chez les usagers de drogue, et dans ce cadre, de distribuer gracieusement à ces derniers des kits de consommation à moindres risques. Elle expose avoir participé, avec d’autres associations engagées dans le programme de réduction des risques, dit ‘RdR’, et des équipes de recherche, et grâce aux retours d’usagers de drogues, à la conception du ‘Kit Base’.
Ayant appris sur un salon que l’association SAFE et l’entreprise ASD distribuaient un kit dénommé ‘Kit Crack’ qu’elle estime reproduire les caractéristiques de son brevet FR 724, la société TERPAN a fait diligenter, le 10 juillet 2017, une saisie-contrefaçon au siège de l’association SAFE située dans le 15e arrondissement de Paris, au cours de laquelle ont été saisis trois exemplaires du ‘Kit Crack’ sous blister et trois autres emballés dans des boîtes en plastique et destinés aux distributeurs automatiques, produits dont la directrice de l’association a indiqué qu’ils provenaient de l’entreprise ASD.
Par acte extrajudiciaire du 25 juillet 2017, la société TERPAN a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris l’entreprise ASD et l’association SAFE en contrefaçon de brevet et en concurrence déloyale et parasitaire.
Dans son jugement rendu le 6 novembre 2020, le tribunal, devenu tribunal judiciaire de Paris, a :
– dit que le brevet FR 724 n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs ;
– dit nul le brevet FR 724 pour défaut de nouveauté ;
– débouté en conséquence la société TERPAN de ses demandes en contrefaçon de brevet ;
– débouté la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ;
– dit que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD ;
– dit que ces actes de dénigrement sont également constitutifs d’une faute au préjudice de l’association SAFE ;
– condamné en conséquence la société TERPAN à verser en réparation du préjudice subi :
– à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, la somme de 7 000 euros ;
– à l’association SAFE la somme de 4 000 euros ;
– dit n’y avoir lieu à amende civile ;
– condamné la société TERPAN à verser à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, et à l’association SAFE la somme de 10 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société TERPAN aux entiers dépens ;
– ordonné l’exécution provisoire.
Le 31 décembre 2020, la société TERPAN a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 2 et transmises le 16 septembre 2021, la société TERPAN demande à la cour :
En application des articles L.611-1 et suivants, L.613-1 et suivants, et plus particulièrement de l’article L.613-3 a) du code de la propriété intellectuelle, L.615-1 et suivants et 613-24 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 1240 du code civil, de l’article 3121-4 du code de la santé publique et des articles 30 et suivants, 561 et suivants, 699 et suivants du code de procédure civile,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a :
– jugé que le brevet FR 724 n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes m’urs,
– débouté l’entreprise ASD et l’association SAFE de leur demande de condamnation à une amende civile,
– débouté les intimées de leur demande de condamnation au titre de la procédure abusive,
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– jugé nul le brevet FR 724 pour défaut de nouveauté,
– débouté la société TERPAN de ses demandes en contrefaçon des revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet FR 724,
– débouté la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire,
– jugé que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD et l’association SAFE,
– condamné en conséquence la société TERPAN à verser en réparation du préjudice subi :
– à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, la somme de 7 000 euros,
– à l’association SAFE la somme de 4 000 euros,
– condamné la société TERPAN à verser à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD et à l’association SAFE, la somme de 10 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société TERPAN aux entiers dépens,
– statuant à nouveau :
– de juger que le tribunal judiciaire de Paris a statué ultra petita en condamnant la société TERPAN à indemniser l’association SAFE sur le fondement du dénigrement,
– de juger que les demandes de l’association SAFE devant la cour d’appel sur le fondement du dénigrement sont nouvelles et donc irrecevables en cause d’appel sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile,
– de juger valables l’ensemble des revendications du brevet FR 724,
– de juger que l’entreprise ASD, prise en la personne de Mme [U], et l’association SAFE, en distribuant et commercialisant en France des Kits Crack reproduisent les caractéristiques des revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet français FR 724 et commettent des actes de contrefaçon,
– et à titre subsidiaire, et dans l’hypothèse où le brevet FR 724 serait déclaré nul,
– de juger qu’en reproduisant les caractéristiques techniques et innovantes du Kit Base, l’entreprise ASD et l’association SAFE ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l’encontre de la société TERPAN,
– de juger, à titre principal, que l’entreprise ASD et l’association SAFE, commettent également des actes de concurrence déloyale et parasitaire indépendants des agissements contrefaisants,
– en conséquence,
– d’interdire à l’entreprise ASD et à l’association SAFE de poursuivre les actes de contrefaçon de brevet et de concurrence déloyale et parasitaire et ce, sous une astreinte de 2.000 euros par jour de retard, passé un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– d’ordonner la confiscation et la destruction par huissier des produits jugés contrefaisants en quelques lieux et en quelques mains qu’ils se trouvent, aux frais de l’association SAFE et de l’entreprise ASD et ce, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard, passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir,
– de juger que la cour se réservera la liquidation des astreintes ainsi prononcées,
– d’ordonner à l’entreprise ASD et à l’association SAFE, en application de l’article L. 615-5-2 du code la propriété intellectuelle, de communiquer les informations permettant de déterminer le montant exact des dommages subis par l’appelante, dans un délai de 30 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jours de retard, et en particulier :
– les noms et adresses des fabricants, fournisseurs, revendeurs et autres détenteurs du Kit
Crack contrefaisant en France,
– tous documents (et en particulier bons de commande, bons de livraison, factures, états des ventes, états des stocks) établissant le nombre de Kits Crack, importé, offert à la vente, vendu, ou distribué par tout moyen en France, ainsi que les prix d’achat et de vente, le tout certifié conforme par un commissaire aux comptes,
– la date de première diffusion du Kit Crack contrefaisant,
– le chiffre d’affaires généré par les ventes du Kit Crack contrefaisant en France depuis son lancement, certifié conforme par un expert-comptable,
le tout sur une période débutant trois ans avant la date du 25 juillet 2017,
– de désigner, le cas échéant, tel expert qu’il plaira avec mission de se faire remettre tous les documents comptables, factures, bons de livraison, états des ventes et toutes les pièces utiles à la détermination de l’entier préjudice subi par la société TERPAN du fait de la contrefaçon de brevets dont elle est victime,
– de juger que pour la détermination du préjudice total subi, il sera tenu compte des faits commis
jusqu’à la date de la décision définitive à intervenir,
– de condamner in solidum, à titre provisionnel, l’entreprise ASD et l’association SAFE à payer à la société TERPAN la somme de 86.897,93 euros en réparation de l’ensemble des chefs de préjudices causés par la contrefaçon de brevet ou, à titre subsidiaire, de concurrence déloyale, quitte à parfaire à dire d’expert,
– de condamner in solidum, à titre provisionnel, l’entreprise ASD et l’association SAFE à payer à la société TERPAN la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire, quitte à parfaire à dire d’expert,
– d’ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans 5 journaux ou magazines au choix de la société TERPAN, aux frais in solidum de l’entreprise ASD et de l’association SAFE dans la limite de 5.000 euros (HT) par insertion,
– de juger que la société TERPAN n’a commis aucun acte de dénigrement ni aucune faute au préjudice de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD,
– de juger que la société TERPAN n’a commis aucun acte de dénigrement ni aucune faute au préjudice de l’association SAFE,
– de débouter l’association SAFE et l’entreprise ASD de l’ensemble de leurs demandes reconventionnelles, et en particulier de leurs demandes en nullité du brevet FR 724, en procédure abusive et de la demande de l’entreprise ASD en dénigrement,
– de condamner in solidum l’entreprise ASD et l’association SAFE à verser à la société TERPAN la somme de 20.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner in solidum l’entreprise ASD et l’association SAFE aux entiers dépens, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon et d’expertise, dont distraction au profit de la SELARL de MARCELLUS & DISSER, représentée par Me DE MARCELLUS, avocat au barreau de Paris, par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 24 janvier 2022, l’association SAFE demande à la cour :
Vu les articles L. 611-11, L. 611-13, L. 611-14, L. 611-17, L. 613-2 alinéa 1er, L. 613-3, L. 615-1, L. 615-7, L. 615-7-1 et L. 615-8 du code de propriété industrielle,
Vu les articles 1240 et 2222 alinéa 1er du code civil,
Vu les articles 32-1 et 700 du code de procédure civile,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit nul le brevet FR 724 pour défaut de nouveauté,
– débouté en conséquence la société TERPAN de ses demandes en contrefaçon de brevet,
– débouté la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire,
– dit que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD,
– dit que ces actes de dénigrement sont également constitutifs d’une faute au préjudice de l’association SAFE,
– condamné en conséquence la société TERPAN à verser en réparation du préjudice subi :
– à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, la somme de 7 000 euros,
– à l’association SAFE la somme de 4 000 euros,
– condamné la société TERPAN à verser à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, et à l’association SAFE la somme de 10 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société TERPAN aux entiers dépens,
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que le brevet FR 724 n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes m’urs,
– dit n’y avoir lieu à amende civile au titre du caractère abusif de la saisie-contrefaçon réalisée le 20 juillet 2017 dans les locaux de l’association SAFE et de la présente procédure,
– et, statuant à nouveau :
– de dire que le brevet FR 724 est contraire à l’ordre public et aux bonnes m’urs et en conséquence nul,
– de condamner la société TERPAN à payer à l’association SAFE la somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, au titre du caractère abusif de la saisie-contrefaçon réalisée le 20 juillet 2017 dans les locaux de l’association SAFE et de la présente procédure ;
– en tout état de cause,
– de juger que les revendications 1 et 2 et 5 à 7 du brevet FR 724 ne sont pas nouvelles,
– de juger que les revendications 1 à 2 et 5 à 7 du brevet FR 724 sont privées d’activité inventive,
– de juger que l’association SAFE ne contrefait pas les revendications 1 à 2 et 5 à 7 du brevet FR 724,
– de juger que l’association SAFE n’a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitisme en distribuant le Kit Crack,
– en conséquence,
– de prononcer l’annulation des revendications 1 à 2 et 5 à 7 du brevet FR 724,
– de débouter la société TERPAN de sa demande en contrefaçon des revendications 1 à 2 et 5 à 7 du brevet FR 724 à l’encontre de l’association SAFE,
– de juger que le jugement rendu sera transmis à l’INPI à l’initiative de la plus diligente des parties en vue de son inscription au Registre National des Brevets,
– de débouter la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme à l’encontre de l’association SAFE,
– de débouter la société TERPAN de l’ensemble de ses autres demandes notamment des demandes de réparation, d’interdiction, de confiscation, de destruction, d’astreinte, de communication d’information, d’expertise, de publication judiciaire et d’exécution provisoire,
– en tout état de cause,
– de condamner la société TERPAN à payer une amende civile d’un montant de 5 000 euros au titre du caractère abusif de la saisie-contrefaçon réalisée le 20 juillet 2017 dans les locaux de l’association SAFE et de la présente procédure,
– de condamner la société TERPAN à payer à l’association SAFE la somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, au titre du caractère abusif de la saisie-contrefaçon réalisée le 20 juillet 2017 dans les
locaux de l’association SAFE et de la présente procédure,
– de condamner la société TERPAN à payer à l’association SAFE la somme de 4 000 euros, sauf à parfaire, au titre du dénigrement en raison de l’envoie des messages par la société TERPAN aux associations de RdR
– de condamner la société TERPAN à payer à l’association SAFE la somme de 20 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner la société TERPAN aux entiers dépens, par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses uniques conclusions transmises le 25 juin 2021, Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ACTION SOLIDAIRE DEVELOPPEMENT (ASD), demande à la cour :
– sur la nullité du brevet français FR 724 après limitation :
– à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu’il a annulé le brevet FR 724 pour défaut de nouveauté,
– à titre subsidiaire, de juger que la nullité du brevet FR 724 est encourue en raison du défaut d’activité inventive des revendications n°1 à 2 et 5 à 7,
– à titre infiniment subsidiaire, de juger que la nullité du brevet FR 724 est encourue en raison de la contrariété de l’invention à l’ordre public et aux bonnes m’urs,
– y ajoutant, d’ordonner la transmission de la décision à intervenir, à l’initiative de la partie la plus diligente, à l’INPI en vue de son inscription au Registre National des Brevets,
– sur la contrefaçon et les actes de concurrence déloyale et parasitaire :
– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société TERPAN de ses demandes en contrefaçon de brevet,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale ou parasitaire,
– sur le dénigrement au préjudice de l’entreprise ASD :
– de confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD,
– y ajoutant, de condamner la société TERPAN à verser en réparation du préjudice subi à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, la somme de 20 000 euros,
– en tout état de cause :
– de condamner la société TERPAN à payer à Mme [U] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif conformément à l’article 559 du code de procédure civile,
– condamner la société TERPAN à payer à Mme [U] la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus des frais irrépétibles accordés par le tribunal,
– de condamner la société TERPAN aux entiers dépens, dont distraction au profit de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les demandes de la société TERPAN en contrefaçon du brevet FR 724
Sur la présentation du brevet
Le brevet FR 724 décrit un kit pour la consommation de solides par inhalation destiné à limiter, pour l’usager, les risques de blessure lors de la fabrication du filtre et de contamination lors du partage du matériel d’inhalation. L’invention a pour objet de proposer ‘une pipe pour l’inhalation de solides ou semi-solides dans les conditions optimales d’inhalation et de sécurité sanitaire’, et elle concerne ‘un kit pour la consommation de solides par inhalation, comportant un tube à faible conductibilité thermique, un embout de prévention interchangeable ainsi qu’un élément filtrant’.
Après limitation intervenue au cours de la procédure de première instance, le brevet FR 724 se compose de 7 revendications dont seules les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 suivantes sont opposées dans le cadre du présent litige. Les revendications 2 et 5 sont dépendantes de la revendication principale 1, et la revendication 7 est dépendante de la revendication 6 qui concerne le seul filtre.
Revendication n° 1
Kit pour la consommation de solides ou semi-solides par inhalation, comportant un tube ainsi qu’un élément filtrant susceptible d’être introduit dans ledit tube (1) caractérisé en ce que ledit tube d’inhalation est formé par une pipe et un embout (2) escamotable, ledit élément filtrant (3) est constitué par un cylindre formé par une compression de fil de métal en acier inoxydable (4) d’une section comprise entre 150 et 300 micromètres, ledit élément présentant une section extérieure sensiblement identique à la section intérieure du tube d’inhalation.
Revendication n° 2
Kit pour la consommation de solides ou semi-solides par inhalation selon la revendication 1, caractérisé en ce que la hauteur du filtre (3) est de 5 millimètres et la section du fil d’acier est de 180 micromètres.
Revendication n° 5
Kit pour la consommation de solides ou semi-solides par inhalation selon l’une au moins des revendications précédentes caractérisé en ce que la pipe (1) est formée par un tube en verre, droit ou coudé, et l’embout (2) par un élément en silicone.
Revendication n° 6
Elément filtrant (3) pour pipe destinée à la consommation de solides ou semi-solides par inhalation caractérisé en ce qu’il est constitué par un cylindre formé par une compression de fil d’acier inoxydable (4) d’une section comprise entre 150 et 300 micromètres, ledit élément présentant une section extérieure sensiblement identique à la section intérieure du tube d’inhalation et une hauteur comprise entre 2 et 10 millimètres.
Revendication n° 7
Elément filtrant (3) selon la revendication 6 caractérisé en ce que sa hauteur est de 5 millimètres et la section du fil d’acier de 180 micromètres.
Sur la validité du brevet
Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, poursuit la nullité :
– des revendications 1, 2 et 5 à 7 du brevet pour défaut de nouveauté,
– à titre subsidiaire, des mêmes revendications pour absence d’activité inventive au regard du brevet américain US 3 461 880 (ci-après, le brevet US 880) déposé le 2 août 1967 et délivré le 19 août 1969,
– à titre infiniment subsidiaire, du brevet pour contrariété de l’invention à l’ordre public et aux bonnes moeurs.
L’association SAFE conclut à la nullité des revendications 1, 2 et 5 à 7 du brevet pour absence de nouveauté et, à défaut, pour absence d’activité inventive au regard du brevet US 880. Elle demande en outre et en tout état de cause, l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit que le brevet n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes et poursuit sa nullité de ce chef.
Sur la contrariété du brevet FR 724 à l’ordre public ou aux bonnes moeurs
L’entreprise ASD soutient que le brevet FR 724 est contraire à l’ordre public et aux bonnes moeurs en ce que le brevet décrit précisément les éléments composant un kit de consommation de drogue alors que l’usage de stupéfiants est interdit et pénalement répréhensible en France.
L’association SAFE soutient que le brevet de la société TERPAN est contraire à l’ordre public et aux bonnes moeurs en ce que la finalité commerciale de la vente d’un produit servant à être utilisé pour la consommation de drogue va à l’encontre de la volonté politique de lutte contre les dangers liés à la consommation de drogues.
La société TERPAN répond que le brevet FR 724 n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs puisque l’objet de l’invention n’est pas de promouvoir ou d’encourager la consommation de drogues mais de protéger les consommateurs contre les conséquences de cette consommation liées à l’utilisation d’instruments dangereux ou conducteurs de maladies qui ne sont pas à usage personnel. Ainsi, l’appelante affirme que le dispositif objet du brevet s’inscrit dans le cadre de la politique de réduction des risques (RdR) définie par les pouvoirs publics et est destiné uniquement à être utilisé dans des centres de type CAARUD ou autres associations de santé publique alors que l’entreprise ASD de Mme [U] vend des kits à la société SAFE qui les propose, entre autres, en livraison par correspondance, sans passer par des intermédiaires spécialisés, de sorte que l’usage qui est fait de ces kits n’est lui pas contrôlé.
Ceci étant exposé, l’article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle dispose que ‘Ne sont pas brevetables les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, cette contrariété ne pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une disposition législative ou réglementaire’.
C’est pour de justes motifs, tant en droit qu’en fait, adoptés par la cour, que le tribunal a rejeté le moyen de nullité et dit que le brevet FR 724 n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs, en retenant que si le brevet porte sur un dispositif permettant la consommation de produits stupéfiants actuellement prohibée, son exploitation ne peut se faire qu’à travers la distribution du kit aux usagers de drogue par les seuls CAARUD et associations de santé publique opérant dans un cadre légal dans un objectif prépondérant de santé publique, et non dans celui de la promotion et de l’incitation à la consommation de drogues.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur le défaut de nouveauté
Pour conclure à l’infirmation du jugement de ce chef, la société TERPAN soutient que le tribunal a commis trois erreurs de droit. De première part, elle fait valoir que le tribunal s’est basé sur une version erronée du brevet FR 724 en se fondant sur le contenu de la requête principale en limitation qui avait été soumise à l’INPI, mais qui n’a pas été retenue par cet Institut, et qui ne correspond pas à la rédaction limitée du brevet en vigueur au jour du jugement. De deuxième part, elle argue que le tribunal a prononcé la nullité du brevet dans son intégralité, alors que l’entreprise ASD et l’association SAFE demandaient la nullité des seules revendications qui leurs étaient opposées au titre de la contrefaçon, à l’exclusion de la revendication 3. Enfin, elle soutient que le tribunal a annulé le brevet sur la base de simples présomptions insuffisantes pour caractériser un défaut de nouveauté et au mépris du principe selon lequel ‘provision est due au titre’ et que l’objet du brevet n’a pas été divulgué avant sa date de priorité par la mise sur le marché de l’invention dans la mesure où il n’est pas démontré que le kit qu’elle a commercialisé en avril 2012 correspond à celui de l’invention, ce kit ayant fait l’objet de nombreuses modifications.
L’entreprise ASD demande la confirmation de la nullité prononcée par le tribunal ou, à tout le moins, celle des revendications 1, 2 et 5 à 7 qui sont, selon elle, dépourvues de nouveauté. Elle fait valoir que si le tribunal a repris dans les motifs de son jugement une rédaction erronée des revendications après limitation, cela n’emporte aucune conséquence sur le bien-fondé de la décision, la fusion des revendications 2 et 6 au sein de la revendication 1 n’ayant aucune incidence sur le sens de la décision et l’appréciation du défaut de nouveauté ; que pour être nouvelle, l’invention ne devait pas être divulguée avant la date de priorité interne du brevet, soit avant le 4 mars 2013 (l’article L. 611-13 visé par le jugement n’étant pas applicable au cas d’espèce et la date du 4 septembre 2012 ayant été retenue par erreur par le tribunal) ; que la société TERPAN reconnaît qu’elle exploite le brevet FR 724 depuis avril 2012 en commercialisant le ‘Kit Base’, dont les composants n’ont pas évolué et correspondent en tous points aux revendications 1, 2, 5 à 7 du brevet tel que limité ; qu’en outre, il est formellement établi que la société TERPAN a divulgué l’invention au public, dans toutes ses caractéristiques revendiquées, avant le 4 mars 2013.
L’association SAFE soutient également que les revendications 1, 2, 5 à 7 du brevet sont privées de nouveauté du fait de la divulgation faite par la société TERPAN de l’objet de son brevet, dans toutes ses caractéristiques revendiquées, plus de six mois avant la demande initiale fondant sa priorité interne, soit avant le 4 septembre 2012, et en toute hypothèse avant le dépôt de cette demande initiale, le 4 mars 2013.
Ceci étant exposé, l’article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
‘Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique.
L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.
Est également considéré comme compris dans l’état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demandes de brevet européen ou international désignant la France, telles qu’elles ont été déposées, qui ont une date de dépôt antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n’ont été publiées qu’à cette date ou qu’à une date postérieure (…)’.
Pour être comprise dans l’état de la technique et privée de nouveauté, l’invention doit se retrouver toute entière et dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent, dans la même forme, avec le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique.
L’article L. 611-13 du code précité dispose quant à lui que: ‘Pour l’application de l’article L. 611-11, une divulgation de l’invention n’est pas prise en considération dans les deux cas suivants :
– si elle a lieu dans les six mois précédant la date du dépôt de la demande de brevet ;
– si elle résulte de la publication, après la date de ce dépôt, d’une demande de brevet antérieure et si, dans l’un ou l’autre cas, elle résulte directement ou indirectement :
a) D’un abus évident à l’égard de l’inventeur ou de son prédécesseur en droit ;
b) Du fait que l’invention ait été présentée par eux dans une exposition officielle ou officiellement reconnue au sens de la convention révisée concernant les expositions internationales signée à Paris le 22 novembre 1928.
Toutefois, dans ce dernier cas, l’exposition de l’invention doit avoir été déclarée lors du dépôt et une justification produite dans les délais et conditions fixés par voie réglementaire’.
C’est à juste raison que la société TERPAN plaide que le tribunal a examiné le moyen tiré de l’absence de nouveauté des revendications du brevet sur la base d’une version des revendications ne correspondant pas à la rédaction limitée du brevet telle qu’adoptée en septembre 2019, au cours de la procédure de première instance, mais à une rédaction contenue dans une requête principale en limitation présentée par la société TERPAN, rejetée par l’INPI au profit d’une requête subsidiaire, et que le tribunal a en outre annulé les revendications dans leur totalité alors que l’entreprise ASD et l’association SAFE demandaient la nullité des seules revendications 1, 2, 5 à 7 (l’association SAFE demandant, certes, celle de la revendication ‘3″ mais du fait d’une erreur – celle précisément reprise par le tribunal – quant à la rédaction désormais limitée du brevet).
Par ailleurs, l’entreprise ASD fait valoir également à juste raison que le tribunal a fait, à tort, application de l’article L.611-13 précité et fixé en conséquence au 4 septembre 2012 la date avant laquelle il est nécessaire que l’invention objet du brevet n’ait pas été divulguée pour remplir la condition de nouveauté. Cette disposition, qui vise à écarter la divulgation de l’invention survenue moins de 6 mois avant le dépôt de la demande de brevet, n’est en effet applicable que si cette divulgation résulte directement ou indirectement d’un abus évident à l’égard de l’inventeur ou si elle a eu lieu dans le cadre d’une exposition officielle, circonstances qui sont étrangères à la présente espèce. Il y a donc lieu de retenir, en application de l’article L. 611-11, que pour que la condition de nouveauté soit remplie, il est nécessaire que l’invention n’ait pas été divulguée avant le 4 mars 2013, date du dépôt de la demande de brevet FR 896 revendiquée comme priorité lors du dépôt du brevet FR 724.
Il n’est pas contesté qu’en avril 2012, la société TERPAN a commercialisé un ‘Kit Base’ référencé 7822 (pièce 12 de SAFE).
Au soutien de sa thèse selon laquelle le kit ainsi commercialisé a ensuite subi de nombreuses modifications, la société TERPAN produit l’attestation de Mme [B], présidente de l’association CHARONNE, de laquelle il résulte qu’entre 2012 et 2014, le kit a fait l’objet d’expérimentations et de modifications successives à partir des évaluations sur le terrain, s’agissant en particulier du filtre, jusqu’à obtenir une version stabilisée en 2014 ; Mme [B] précise que plusieurs matériaux et modèles ont été testés pour s’orienter vers ce qui paraissait le plus proche du filtre utilisé spontanément par les usagers de crack, que la société TERPAN a livré aux CAARUD de nombreux modèles de filtres différents (en taille, diamètre, matière) pour essais et validation sur le terrain avant que la version stabilisée du ‘Kit Base’ soit validée par le comité inter-CAARUD et la société TERPAN au début 2014 ; que de 2012 à 2014, le kit a ainsi été ‘en évolution’.
Cependant, l’association SAFE produit au débat :
– des factures adressées par la société TERPAN à l’association CHARONNE, datées de 2010 à 2011, portant sur des filtres ou ‘blocs compressés’ en fil d’inox de section de 0,18 mm (soit 180 micromètres), d’une hauteur de 5 mm et d’un diamètre de 10,45 mm, de 10,90 mm ou de 10,95 mm, ce qui correspond aux caractéristiques des revendications 1, 2, 6 et 7 du brevet (pièces 26a à 26d) ; la société TERPEN objecte que ces factures ne mentionnent pas des tubes d’inhalation, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer que les filtres présentent une section extérieure sensiblement identique à la section intérieure du tube d’inhalation au sens de la revendication 1 ; mais le tribunal a exactement relevé qu’il ne peut être raisonnablement contesté que ces filtres aient eu pour unique finalité d’être adaptés sur des tubes destinés à la consommation de crack par inhalation étant donné leur fourniture dans le contexte de création d’un ‘Kit Base’, la société TERPAN elle-même reconnaissant qu’il s’agissait de livraisons visant à tester différents diamètres de filtres, et qu’ils étaient donc adaptables sur des tubes dont la section intérieure est sensiblement identique à celle desdits filtres, en l’espèce de 10,95 mm ;
– une facture du 27 octobre 2011 adressée à l’association CHARONNE, concernant à la fois des tubes en verre borosilicate et des filtres en fil d’inox (pièce 27), ce qui conduit à considérer que ces tubes étaient destinés à une utilisation sous forme de kits de consommation comme l’a retenu le tribunal ;
– des factures de la société TERPAN à différents CARRUD datées d’avril, mai, juin, septembre 2012 montrant la livraison d’un ‘Kit Base’ référencé 7822, cette référence commune laissant à penser, comme l’a jugé le tribunal, que les kits ainsi livrés provenaient tous d’un même lot offrant une composition identique (pièces12 et 32a à 32f) ;
– l’attestation de M. [I], chef de service éducatif, qui indique que le kit a été distribué dès 2012, qu’il en a commandé à la société TERPAN par l’intermédiaire de l’association CHARONNE et les a distribués aux usagers, que le ‘Kit Base’ contenait un tube en verre, un filtre inox, deux embouts individuels et une crème hydratante et était fait à partir d’une grille de fil inox compressé, qu’à sa connaissance, le diamètre du fil inox n’a pas évolué, diverses épaisseurs et densités du fil ayant été testées (pièce 6) ;
– un procès-verbal de constat d’huissier du 29 septembre 2017 sur le site www.terpan.fr de septembre 2013 montrant que la société TERPAN faisait état de la mise à disposition du public d’une version définitive du ‘Kit Base’ dès avril 2012 (‘Kit BASE® in its final version is available on the market since April 2012″) (pièce 8 page 36) ;
– une copie d’écran de la page Facebook de la société TERPAN en date du 11 mai 2017 montrant qu’elle présente le ‘Kit Base’ comme ayant été lancé en 2012 (pièce 9) ;
– une copie d’écran du site lebienetrepourtous.com de mai 2017 qui fait état du lancement du ‘Kit Base’ en 2012 par le laboratoire TERPAN (pièce 10) ;
-un extrait du site internet www.psychoactif.org/blogs/Nouveau-Kit-Base-Crack-et-free-base-73-1.html de juin 2012 faisant état d’un nouveau ‘Kit base’, expérimenté par les CAARUD parisiens et pouvant être commandé dès maintenant à TERPAN (pièce 11) ;
– un procès-verbal de constat d’huissier du 29 mars 2018 et ses annexes, établi dans les locaux du CARUUD de [Localité 8] (77), duquel il ressort que la société TERPAN a livré en mai 2012 des échantillons d’un ‘Kit Base’ au Réseau Ville Hôpital [6] portant la référence 7822, composé d’un tube droit en verre dont, selon les mesures effectuées par l’huissier de justice, la section intérieure est de 11,01 millimètres, de deux embouts cylindriques en silicone, d’un filtre de forme cylindrique composé d’un fil métallique d’un diamètre de 180 micromètres, la section extérieure du filtre étant de 10,93 millimètres et sa hauteur de 4,99 millimètres (pièce 34) ; tous ces composants mettent en oeuvre les revendications du brevet, puisque sont retrouvés le tube formé d’une pipe et d’un embout escamotable et l’élément filtrant adaptable sur ce tube ; si, comme le relève pertinemment la société TERPAN, il ne peut être exclu que les éléments qui composaient ce kit au jour de sa livraison puissent avoir été substitués par d’autres, aucun kit 7822 de cette livraison n’ayant été conservé intact, celui objet du procès-verbal d’huissier étant ouvert et l’attestation de Mme [J], rédigée plusieurs années après les faits ayant une valeur probante limitée, ce procès-verbal de constat constitue néanmoins un élément à prendre en considération parmi ceux produits au débat par l’association SAFE.
La cour estime que ces différents éléments, pris dans leur ensemble, ne sont pas utilement contrebattus par l’attestation précitée de Mme [B] et constituent, ainsi que l’a jugé le tribunal, un faisceau d’indices matériels suffisant pour considérer comme établi que le ‘Kit Base’ référencé 7822 commercialisé dès le printemps 2012 était déjà composé, à cette époque, des éléments correspondants à l’actuelle version du ‘Kit Base’ mettant en oeuvre le brevet FR 724.
Le ‘Kit Base’ commercialisé dès le printemps 2012 par la société TERPAN divulgue l’ensemble des revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet tel que limité : un kit pour la consommation de solides ou semi-solides par inhalation comportant (i) un tube d’inhalation formé par une pipe et par un embout escamotable, (ii) un élément filtrant destiné à être introduit dans ce tube, constitué par un cylindre formé par une compression de fil de métal en acier inoxydable d’une section comprise entre 150 et 300 micromètres et présentant une section extérieure sensiblement identique à la section inférieure du tube d’inhalation (revendication 1) ; la hauteur du filtre est de 5 millimètres et la section du fil d’acier de 180 micromètres (revendication 2) ; la pipe est formée par un tube en verre, droit ou coudé, et l’embout par un élément en silicone (revendication 5) ; le filtre est constitué par un cylindre formé par une compression de fil d’acier inoxydable d’une section comprise entre 150 et 300 micromètres et présente une section extérieure sensiblement identique à la section intérieure du tube d’inhalation et une hauteur entre 2 et 10 millimètres (revendication 6) ; plus précisément, le filtre a une hauteur de 5 millimètres et la section du fil d’acier de 180 micromètres (revendication 7).
La pièce 19 de la société TERPAN qui montre qu’en décembre 2012/janvier 2013, la société envisageait de soumettre un ‘test filtres’ à l’association CHARONNE, ne remet pas en cause cette analyse, ne démontrant pas, au vu des éléments qui viennent d’être exposés, que ce ‘questionnaire sur l’appréciation du filtre’ portait sur un produit encore en évolution plutôt que sur un produit considéré comme abouti et à ce titre largement commercialisé pour lequel le fabricant souhaitait seulement évaluer le degré de satisfaction d’une association utilisatrice.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit nul ‘le brevet FR 724″ pour défaut de nouveauté et il sera jugé que seules les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 de ce brevet sont nulles pour ce motif.
Sans qu’il y ait lieu d’examiner le surplus de l’argumentation des parties relative à la validité du brevet, la société TERPAN sera donc déboutée de l’ensemble de ses demandes en contrefaçon.
Sur les demandes de la société TERPAN en concurrence déloyale et parasitaire
A titre subsidiaire des agissements de contrefaçon de brevet, mais également à titre principal, la société TERPAN soutient que les actes de commercialisation et de distribution du ‘Kit Crack’ qu’elle reproche à l’entreprise ASD et à l’association SAFE sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire. Elle fait valoir que les caractéristiques du ‘Kit Base’, telles qu’elles ont été brevetées, sont le fruit d’importants travaux de recherche et développement et d’essais qui ont permis de mettre au point un dispositif sûr, fiable et conforme à l’objectif recherché de prévention des risques et qu’en reprenant à l’identique et pour leur propre profit, sans modification majeure et sans effort de recherche, les éléments innovants du ‘Kit Base’, l’entreprise ASD et l’association SAFE ont un comportement fautif. Elle invoque, à titre principal, la reprise des caractéristiques du ‘Kit base’ par le ‘Kit Crack’, en toute connaissance de cause par l’association SAFE ainsi qu’il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon : le fait que le ‘Kit Crack’ comprend les mêmes éléments (tube en verre, deux embouts en silicone, filtre constitué d’une compression de fils de métal, sachet de crème apaisante), la seule présence d’un tampon alcoolisé dans le kit litigieux n’étant pas de nature à exclure tout risque de confusion, et le fait que le ‘Kit Crack’ sous blister se présente dans un emballage de même forme et de même taille que celui du ‘Kit Base’ dont il reprend par ailleurs la couleur prune dominante ainsi qu’un dessin du kit assemblé dans la même orientation ; l’arrêt de toute commande par l’association SAFE à partir du 13 février 2017 ; le fait que l’entreprise ASD n’hésite pas à présenter sur son site internet un kit comprenant la crème cicatrisante Hydramyl© fabriquée et commercialisée par TERPAN ; que la confusion ainsi créée et entretenue est avérée au vu de sites institutionnels tels que Drogues-Info-Service.fr ; que l’association SAFE tente en outre de faire croire que le kit qu’elle distribue a été élaboré en concertation avec les associations qui sont à l’origine du ‘Kit Base’, alors qu’elle ne faisait pas partie du groupe de travail à l’origine de ce ‘Kit Base’ ; qu’elle-même n’a pas déposé le brevet FR 724 de façon opportuniste mais a consenti d’importants investissements pour la conception et le développement du ‘Kit Base’ que les intimées ont captés sans avoir pris aucun risque ni rien dépensé ; que l’association SAFE allègue vainement un défaut de qualité de ses produits pour tenter de justifier ses agissements.
La société ASD répond qu’elle n’a pas commis d’acte de concurrence déloyale ou parasitaire en commercialisant les kits litigieux. Elle argue tout d’abord que la société TERPAN invoque les mêmes faits au soutien de son action en concurrence déloyale et parasitisme que ceux invoqués au titre de son action en contrefaçon du brevet FR 724 et qu’en l’absence de faits distincts, l’action en concurrence déloyale portant sur la distribution du kit litigieux est irrecevable. Elle soutient qu’en tout état de cause, les actes qui lui sont reprochés ne sont pas établis. Elle précise ne pas avoir commis de faute en réunissant dans un même kit des éléments qui composent depuis près de 20 ans divers kits d’inhalation distribués par de nombreuses associations oeuvrant pour la réduction des risques et que le conditionnement des kits litigieux diffère du ‘Kit Base’ de la société TERPAN.
L’association SAFE conteste également avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme. Elle soulève l’irrecevabilité de la demande compte tenu de l’identité des faits invoqués au titre de la concurrence déloyale et de la contrefaçon et soutient qu’en tout état de cause, le ‘Kit Crack’ sous blister ne constitue pas la copie du ‘Kit Base’ compte tenu de différences quant à la forme et la taille des emballages et aux composants des produits (absence de tampon alcoolisé dans le kit litigieux) et que le site internet sur lequel est promu le kit litigieux exclut tout risque de confusion entre les produits. Elle conteste le parasitisme reproché, faisant valoir notamment que la société TERPAN ne rapporte pas la preuve des investissements qu’elle allègue. Elle argue enfin que si elle s’est détournée de la société TERPAN, c’est en raison de ses prix plus élevés et de la moindre qualité de ses produits.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale comme le parasitisme, pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, présentent la caractéristique commune d’être appréciés à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce. Dans les deux cas doivent être relevé des actes fautifs à l’origine d’un préjudice.
Le tribunal a retenu à juste raison que la société TERPAN, dont l’action en contrefaçon n’a pas prospéré en raison de l’annulation de son brevet, n’a pas besoin de fonder son action en concurrence déloyale sur des faits nécessairement distincts de ceux de contrefaçon et peut s’appuyer sur des faits matériellement identiques, de sorte que les intimées arguent vainement de l’irrecevabilité de la demande en concurrence déloyale et parasitaire au motif, au demeurant inexact, qu’elle reposerait sur des faits identiques à ceux invoqués à l’appui de la demande en contrefaçon.
Sur le fond, comme le tribunal l’a retenu, la société TERPAN reproche vainement aux intimées la reprise à l’identique des caractéristiques de son ‘Kit Base’ dès lors qu’en l’absence de titre portant sur les caractéristiques des revendications annulées du brevet, le seul fait de rassembler au sein d’un kit les éléments nécessaires à la confection d’une pipe à crack (filtre constitué d’une compression de fils de métal, tube en verre, embouts en silicone) – la constitution de ce type de kits étant antérieure au développement du ‘Kit Base’ comme le révèle le ‘Rapport d’évaluation du ‘Kit-Base’ de l’association ESPOIR GOUTTE D’OR (EGO) de novembre 2004 produit par l’association SAFE (pièce 16, pages 17 et 18) – n’est pas en soi fautif quand bien même ces éléments reproduisent à l’identique ceux commercialisés par la société TERPAN, le principe étant celui de la liberté de copie en l’absence de comportements fautifs, tels la recherche d’un risque de confusion ou l’appropriation des efforts d’investissements d’autrui.
Or en l’espèce, les premiers juges ont relevé à juste raison que les conditionnements des kits sous blister en présence comportent des appellations distinctes inscrites en majuscules et gros caractères (‘KIT BASE’ / ‘KIT CRACK’) et des formats différents (pochette rectangulaire et plate en papier de dimensions 13 x 9,5 cm pour le ‘Kit Base’ / pochette blanche semi-transparente au recto et totalement transparente au verso de dimensions 6 x 7,5 cm pour le ‘Kit Crack’), et que le ‘Kit Crack’ comprend un tampon alcoolisé absent du ‘Kit Base’. Il sera relevé en outre que le recto du conditionnement du ‘Kit Crack’ est beaucoup plus dépouillé que celui du ‘Kit Base’ qui comporte de nombreuses mentions et les logos des associations de l’Inter-CAARUD.
La cour estime que malgré la présence sur le blister du kit litigieux de la couleur prune et de la représentation d’un kit assemblé vu de profil et incliné, éléments que l’on retrouve également sur le blister du ‘Kit Base’ – étant cependant observé que la représentation d’un kit assemblé se justifie par la nécessité d’utiliser une illustration aisément compréhensible par l’ensemble des populations concernées par l’usage de crack, parfois non francophones ou illettrées, et que le kit représenté sur le blister de SAFE est un croquis et non pas une photographie comme sur celui de TERPAN -, l’examen visuel des deux conditionnements fait ressortir une impression d’ensemble distincte, exclusive d’un risque de confusion, d’autant que le kit litigieux fait apparaître de façon très visible la mention ‘Distribué par : ASD’. Le risque de confusion est encore moins possible entre le ‘Kit Base’ (qui est présenté sous blister) et la version du ‘Kit Crack’ présentée en boîtier plastique destinée aux distributeurs automatiques, tant les deux contenants diffèrent matériellement et visuellement.
La présence d’une crème apaisante dans le ‘Kit Crack’ ne peut contribuer à un risque de confusion entre les deux kits qui ne résulte pas des conditionnements, la mise à disposition d’une telle crème étant connue dans les kits distribués aux usagers (pièce 16 précitée de SAFE).
Le fait que depuis le site www.safe.asso.fr, on puisse accéder à un site internet www.rdr-a-distance.fr, géré par un collectif d’associations et non par la seule association SAFE, sur lequel est présenté un ‘Kit crack’ – donc distinct du ‘Kit Base’ de la société TERPAN – comportant un sachet de la crème Hydramyl commercialisée par la société TERPAN ne peut accréditer la thèse du risque de confusion, dès lors que la marque ‘TERPAN’ n’est pas lisible sur ce sachet et que lorsque l’on clique sur le visuel du sachet, la phrase suivante apparaît : ‘Il s’agit de pommades à appliquer après l’injection, pour aider à cicatriser : cicatryl, reparyl…’ qui n’oriente donc pas spécialement l’utilisateur vers une crème de la société TERPAN (procès-verbal de constat du 21 juillet 2021 produit par la société TERPAN).
La société TERPAN ne peut non plus tirer utilement argument du fait que le site institutionnel
drogues-info-service.fr ait orienté un usager cherchant à se procurer ‘un kit ou 2 kits de base pendant le confinement’ vers l’association SAFE, les termes ‘kit de base’ (et non ‘Kit Base’) étant ici manifestement utilisés dans un sens générique et l’intéressé se renseignant sur la possibilité d’un envoi du kit par courrier alors que l’association SAFE indique, sans être démentie, être une des rares associations à livrer les kits pour les usagers de crack par courrier.
La société TERPAN fait encore grief aux intimées d’avoir fait figurer sur la notice insérée dans le ‘Kit Crack’ présenté en boîtier plastique la mention ‘Le contenu de ce kit a été défini par les associations Aides, Charonne, EGO, GAIA, Proses, PSA, La Terrasse’, ce qui montre, selon elle, que l’association SAFE prétend faussement distribuer un kit élaboré avec les mêmes associations que celles qui ont co-développé son ‘Kit Base’ et qui sont donc mentionnées sur l’emballage de ce produit, alors qu’elle n’a pas participé au groupe de travail à l’origine du projet ayant donné naissance au ‘Kit Base’. Mais le tribunal a pertinemment retenu que ce comportement ne préjudicie pas à la société TERPAN qui ne commercialise pas ses kits auprès d’utilisateurs finaux mais seulement auprès des associations effectivement membres du collectif à l’origine du ‘Kit Base’, qui ne peuvent donc être abusées par cette mention.
L’association SAFE justifie avoir adressé à plusieurs reprises des messages à la société TERPAN pour se plaindre de défauts affectant la qualité des ‘Kit Base’, notamment des tubes (avril, mai, novembre 2016, janvier 2017) et que d’autres associations avaient parallèlement déploré des problèmes quant au diamètre de ces tubes (pièces 47 et 48). Sa décision de cesser ses commandes auprès de la société TERPAN en février 2017 ne peut donc s’analyser comme un comportement fautif.
Enfin, la société TERPAN se plaint de la captation indue par les intimées des importants investissements qu’elle a consentis pour la conception et le développement du ‘Kit Base’. Toutefois, alors qu’il ressort des pièces au dossier que, comme les premiers juges l’ont retenu, la mise au point du ‘Kit Base’ a été conduite avec la participation active d’un collectif inter-CAARUD regroupant sept associations qui ont été fortement prescriptrices dans le choix des matériaux et des dimensions des composants du kit grâce à leurs contacts avec les utilisateurs et qui ont elles-mêmes oeuvré pour la promotion et la diffusion du kit, les pièces produites par l’appelante ne sont pas des pièces comptables certifiées attestant de la réalité et de l’importance des investissements allégués, mais seulement : quelques courriels échangés avec l’association CHARONNE ayant participé au groupe de travail à l’origine du projet ayant donné naissance au ‘Kit Base’ qui, s’ils montrent une collaboration entre les associations du collectif inter-CAARUD et la société TERPAN aux fins d’amélioration d’un kit destiné aux usagers de crack et l’intervention de la société sur des points techniques (‘casse’ et ‘chauffe’ des tubes, essai de filtres, étude sur les types de verre…), ne donnent aucune indication sur les investissements effectivement réalisés par cette dernière ; un mail internet de novembre 2011 concernant un ‘essai de filtres’ et une étude de deux pages sur la comparaison de deux types de verre qui ne peuvent être considérés comme suffisants pour établir la réalité de ‘nombreux essais réalisés’ ; un échange de mails et un document interne ‘Historique du développement des tubes en verre’ (pièces 43 et 45) faisant état de dépenses pour l’achat de matériels auprès de fournisseurs et échanges de mails avec deux fabricants NEGOFILTRES et VHP qui ne sont assortis d’aucune facture. Ne se trouve ainsi pas démontrée l’existence des investissements allégués qui auraient été indûment détournés par l’association SAFE dont il convient de rappeler qu’elle est une association à but non lucratif qui ne commercialise pas les ‘Kits Crack’ mais les distribue gratuitement.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la société TERPAN de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire.
Sur les demandes de l’entreprise ASD et de l’association SAFE
Sur les demandes relatives au dénigrement
La société TERPAN soutient qu’en la condamnant à verser des dommages et intérêts à l’association SAFE sur le fondement d’actes de dénigrement, le tribunal a statué ultra petita puisque l’association n’avait pas formé de demande indemnitaire de ce chef, et que la demande de l’intimée de confirmation du jugement sur ce point doit s’analyser par conséquent comme une prétention nouvelle en appel au sens de l’article 564 du code de procédure civile, partant irrecevable. Elle fait valoir, sur le fond, que le tribunal n’a caractérisé ni l’existence d’actes de dénigrement ni le préjudice qui en serait résulté pour les intimées ; qu’en transmettant les courriers incriminés, sans jamais mentionner l’entreprise ASD, elle a uniquement fait valoir ses droits de propriété industrielle, sans porter atteinte à la réputation des intimées ; que le fait d’informer un tiers de l’existence d’un droit de propriété industrielle n’est pas en soi sanctionnable sur la base du dénigrement ; qu’en outre, l’entreprise ASD est mal venue de lui reprocher d’avoir mis en connaissance de cause le fabricant des tubes et les associations, alors qu’elle lui a reproché devant le tribunal de ne pas l’avoir informée assez tôt de l’existence du brevet ; qu’enfin, l’entreprise ASD ne démontre pas avoir perdu des clients suite à cette campagne, comme l’ont relevé les premiers juges, et que la perte d’un de ses fournisseurs n’est pas plus établie.
L’entreprise ASD soutient avoir été victime de dénigrement et de désorganisation de la part de la société TERPAN qui a adressé à plusieurs associations clientes et à des fournisseurs de composants du kit litigieux, notamment au fabricant du filtre de ce kit, des lettres d’avertissement insinuant que les produits commandés ou vendus seraient contrefaisants, et ce dans le but de dissuader ces clients et fournisseurs de poursuivre les relations commerciales et de tenter de les détourner. Elle affirme qu’en raison du discrédit qui a ainsi été jeté sur elle et de l’atteinte à sa réputation commerciale, elle a perdu des clients et dû rechercher d’autres fournisseurs, subissant ainsi un préjudice moral qui doit être réparé par le versement d’une somme plus substantielle que celle allouée par le tribunal.
L’association SAFE demande la confirmation du jugement, faisant valoir que l’envoi par la société TERPAN de lettres aux associations dans lesquelles elle faisait état de son brevet, affirmait que son comportement serait constitutif d’actes de contrefaçon et que les produits distribués seraient de mauvaise qualité, est constitutif de dénigrement à son encontre.
Sur la recevabilité de la demande de l’association SAFE
C’est à juste raison que la société TERPAN relève qu’en première instance l’association SAFE n’avait pas formé de demande fondée sur le dénigrement, de sorte qu’en la condamnant à verser à cette dernière une somme de 4 000 €, le tribunal a statué ultra petita et que la demande formée en appel par la société SAFE sur ce fondement est nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile, selon lequel à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, et est dès lors irrecevable.
Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu’il a dit que la société TERPAN a commis des actes de dénigrement au préjudice de l’association SAFE et l’a condamnée à verser à cette dernière la somme de 4 000 € à titre de dommages et intérêts, et la société SAFE sera déclarée irrecevable en sa demande présentée en appel au titre du dénigrement.
Sur le bien fondé de la demande de Mme [U] exerçant sous forme d’entreprise individuelle sous la dénomination ASD
La divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur l’activité d’un tiers ou les produits qu’il fabrique ou commercialise, notamment d’une information qualifiant ces produits de contrefaçons alors qu’aucune décision de justice n’a encore été rendue en ce sens, constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
En l’espèce, la société TERPAN, par l’intermédiaire de son conseil en propriété industrielle, a adressé, par lettre du 20 juillet 2017, le courrier suivant à plusieurs associations de réduction des risques (RdR) : ‘Par ce présent courrier, nous portons à votre connaissance les droits de la société Terpan. En effet, la société Terpan est titulaire du brevet FR 3 002 724 déposé le 4 février 2014. Ce brevet porte sur un kit adapté à la consommation de crack par inhalation et comportant notamment un tube, un embout et un filtre en acier inoxydable, ainsi que sur l’élément filtrant en tant que tel. Vous trouverez en annexe une copie du texte dudit brevet délivré. Ce kit résulte d’un long travail de mise au point qui a été démarré par la société Terpan, en coordination avec 7 associations (…) courant 2012 et a permis d’aboutir (…) au kit actuel commercialisé sous le nom de KitBase®, conditionné dans une enveloppe et comprenant : – Une pipe en verre (…). Depuis quelque temps, un kit concurrent est proposé aux usagers, composé des mêmes éléments que le KitBase®. Or, en application de l’article L-615-1 du Code la Propriété Intellectuelle, nous tenons à rappeler que tout tiers qui fabriquerait et/ou diffuserait un kit reprenant les caractéristiques de ce Kit Base breveté commettrait des actes de contrefaçon. Nous vous rappelons les dispositions de l’article L-615-1 du Code la Propriété Intellectuelle (…) Nous vous suggérons de vous rapprocher de votre conseil pour qu’il vous éclaire sur la situation, notamment sur la portée des droits conférés par le brevet susvisé. La persistance des actes présumés contrefaisants tels que mentionnés ci-dessus engagera à l’avenir votre responsabilité, et nous nous réservons toutes les voies judiciaires pour obtenir le respect de ces droits’.
Par ailleurs, la société TERPAN a adressé directement, le 3 octobre 2017, à plusieurs associations RdR le courrier suivant : ‘Vous avez reçu un courrier daté du 25 septembre 2017, à en tête du cabinet IP-TRUST (notre conseil en propriété industrielle). Ce courrier, à titre purement informatif, a pour objectif de vous expliquer comment le KitBase® a été élaboré. Pour mémoire nous avons effectué, à la demande des CAARUDS, d’innombrables phases de tests, qui nous ont conduit, dans l’intérêt supérieur des usagers, à breveter notre invention. Le KitBase® est aujourd’hui victime d’une contrefaçon, ce qui explique la procédure dans laquelle nous sommes engagés, et que ce courrier vous relate. Soyez convaincu que notre objectif dans le RdR a toujours été de mettre à la disposition des usagers des produits fiables, testés, et éprouvés’.
La société TERPAN a manifestement adressé un tel courrier à la société SADEVINOX, fabricant du filtre en inox du ‘Kit Crack’, puisque celle-ci s’est ensuite, par courrier du 2 août 2017, adressée à l’entreprise ASD pour lui demander de justifier que le filtre qu’elle lui avait commandé n’était pas une contrefaçon du filtre protégé par le brevet TERPAN et ne violait pas les droits de cette dernière, indiquant que dans l’attente de ces justificatifs, elle se trouvait contrainte de suspendre ses livraisons.
Les courriers de la société TERPAN rappellent l’existence et les principales caractéristiques du brevet dont elle est titulaire et font état de la procédure engagée en contrefaçon, sans mettre en cause l’entreprise ASD qui n’est pas nommée (pas plus que l’association SAFE), ni même désigner le ‘Kit Crack’ litigieux, et ils sont libellés en des termes mesurés (‘actes présumés contrefaisants’…), nonobstant la maladresse dans le courrier adressé directement par la société le 3 octobre 2017 dans lequel elle se dit ‘victime d’une contrefaçon’. Ils revêtent un caractère informatif reposant sur une base factuelle suffisante et constituent des courriers de mise en connaissance de cause admissibles, traduisant seulement la volonté du titulaire du brevet de protéger ses droits de propriété industrielle. Ils ne permettent pas de caractériser le dénigrement et la tentative de détournement de clients et fournisseurs dénoncés.
En outre, comme l’a relevé le tribunal, l’entreprise ASD ne démontre pas avoir perdu des clients ou des fournisseurs, la société SADEVINOX indiquant seulement suspendre ses commandes dans l’attente des justificatif demandés.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a dit que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, et en ce qu’il l’a condamnée à lui verser des dommages et intérêts. Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, sera déboutée de sa demande sur le fondement du dénigrement.
Sur les demandes pour procédure abusive
L’association SAFE soutient que la procédure initiée par la société TERPAN n’a d’autre but que de faire pression sur elle afin qu’elle s’approvisionne exclusivement auprès d’elle pour les composants des kits qu’elle distribue aux usagers de drogues ; que le brevet qui lui est opposé a été déposé à l’insu des associations RdR et des instituts de recherche qui ont mis au point le ‘Kit Base’ mettant en oeuvre le brevet et dont la société TERPAN savait qu’elle en avait divulgué le contenu avant son dépôt ; que la société TERPAN a ainsi instrumentalisé le droit des brevets pour obtenir un titre lui permettant de s’arroger un monopole commercial sur un outil de santé publique inventé par des tiers au détriment des inventeurs et des usagers ; que cette tentative d’instrumentalisation perdure avec l’appel ; que la saisie-contrefaçon a été ordonnée sur la base d’informations erronées selon lesquelles le ‘Kit Base’ aurait été ‘développé par le laboratoire TERPAN’et dans le seul but d’accéder à des informations confidentielles ; que ce comportement caractérise la mauvaise foi de la société TERPAN et sa volonté de nuire.
L’entreprise ASD reprend pour l’essentiel cette argumentation, ajoutant que la société TERPAN a rallongé la procédure de première instance en déposant le 13 septembre 2019, juste avant la clôture, une requête en limitation de la portée de la revendication 1 du brevet et qu’elle a cru devoir interjeter appel espérant une remise en cause du jugement pourtant peu probable, imposant à ses adversaires de nouveaux frais à exposer.
La société TERPAN conteste tout abus, arguant qu’elle était fondée à agir en justice, tant en première instance qu’en appel, pour faire valoir son brevet, délivré et en vigueur, à l’encontre de tout agissement contrefaisant et qu’elle n’a nullement abusé de son droit à limiter son brevet qui lui est reconnu par le code de la propriété intellectuelle.
La cour rappelle que l’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus. Les intimées ne démontrent pas en l’espèce la faute commise par la société TERPAN qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, en première instance comme en appel, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits de brevet, et ainsi faire procéder à des saisies-contrefaçons dûment autorisées par un juge, limiter son brevet en cours de procédure pour tenter de le consolider, ce droit à la limitation étant consacré par l’article L.613-24 du code de la propriété intellectuelle qui autorise le propriétaire du brevet ‘à tout moment’ à limiter la portée de son brevet en modifiant une ou plusieurs revendications, et interjeter appel pour voir infirmer le jugement de première instance l’ayant entièrement déboutée de ses demandes et condamnée pour dénigrement, son appel s’avérant au demeurant partiellement fondé.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes pour procédure abusive formées en première instance par l’association SAFE et Mme [U] (ASD) et les intimées se verront déboutées également de leurs demandes présentées en appel.
Sur la demande de l’association SAFE relative à l’amende civile
La mise en oeuvre de l’amende civile n’appartient pas aux parties et la cour estime que les conditions d’application de ces dispositions ne sont, en l’espèce, pas réunies.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté l’association SAFE de ce chef et sa demande présentée sur ce même fondement en appel sera également rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société TERPAN, partie perdante pour l’essentiel, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI PHI, avocats, pour la part qui la concerne, en application de l’article 699 du code de procédure civile, et elle gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
Les sommes qui doivent être mises à la charge de la société TERPAN au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l’association SAFE et par Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, peuvent être équitablement fixées à 6 000 € pour chacune, ces sommes complétant celles allouées en première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement en ce qu’il a :
– dit nul ‘le brevet FR 724″ pour défaut de nouveauté,
– dit que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de l’association SAFE et l’a condamnée à ce titre à lui verser la somme de 4 000 € à titre de dommages et intérêts,
– dit que la société TERPAN s’est rendue coupable de dénigrement vis-à-vis de Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, et l’a condamnée à ce titre à lui verser la somme de 7 000 € à titre de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Dit nulles les revendications 1, 2, 5, 6 et 7 du brevet FR 724 dont est titulaire la société TERPAN pour défaut de nouveauté,
Constate que l’association SAFE n’a pas formé de demande fondée sur le dénigrement en première instance et la dit irrecevable en sa demande présentée en appel à ce titre,
Déboute Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, de sa demande fondée sur le dénigrement,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute l’association SAFE et Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, de leurs demandes présentées en appel au titre de la procédure abusive,
Déboute l’association SAFE de sa demande présentée en appel au titre de l’amende civile,
Ordonne la transmission de cet arrêt, à l’initiative de la partie la plus diligente, à l’INPI en vue de son inscription au registre national des brevets,
Condamne la société TERPAN aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI PHI, avocats, pour la part qui la concerne, en application de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société TERPAN à payer à l’association SAFE et à Mme [U], exerçant sous la forme de l’entreprise individuelle ASD, la somme de 6 000 € pour chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE