Données confidentielles : 25 mai 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/00206

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Données confidentielles : 25 mai 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/00206
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 21/00206 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FNLJ

Minute n° 23/00091

S.A.S. LUSTRAL

C/

[Y], S.A.S. MELZER PATRICK ET

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 03 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 17/02423

COUR D’APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 25 MAI 2023

APPELANTE :

S.A.S. LUSTRAL Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Agnès BIVER-PATE, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et Me Carlos DE CAMPOS, avocat au barreau de REIMS, avocat plaidant

INTIMÉES :

Madame [J] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ

S.A.S. MELZER PATRICK prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Laurent ZACHAYUS, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 02 Février 2023 tenue en double rapporteurs par Mme Catherine DEVIGNOT, et Mme Claire DUSSAUD, Magistrats, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l’arrêt être rendu le 25 Mai 2023.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Jocelyne WILD

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme DEVIGNOT, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre

ASSESSEURS : Mme BIRONNEAU,Conseillère

Mme DUSSAUD, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme DEVIGNOT, conseillère faisant fonction de présidente de chambre et par Mme Jocelyne WILD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La SAS C’Net dont l’objet social était le nettoyage industriel, a conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec Mme [J] [Y] le 24 octobre 2005 au terme duquel Mme [Y] était employée comme cadre en qualité de technico-commerciale.

La SAS Lustral vient désormais aux droits de la SAS C’Net.

Par courrier du 14 mars 2013, Mme [Y] a démissionné.

Elle a ensuite conclu un contrat de travail avec la SAS Melzer Patrick.

Par acte d’huissier signifié le 9 août 2017, la SAS Lustral a fait assigner la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] devant le tribunal de grande instance de Metz et a demandé, selon ses dernières conclusions récapitulatives du 10 janvier 2020, au tribunal de:

– la déclarer recevable et bien fondée,

– dire et juger que la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] ont fait acte de concurrence déloyale à son encontre,

En conséquence,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] à lui payer la somme de 272.156,97 euros,

– ordonner l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution, de la décision à intervenir,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] aux entiers dépens.

Par conclusions en réponse du 14 octobre 2019, la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] ont demandé au tribunal de:

– constater, au visa des articles 30 et 31 et suivants du code de procédure civile, que la SAS Lustral ne justifiait pas venir aux droits de la SARL C’Net,

En conséquence,

– accueillir comme bien fondée la fin de non-recevoir qu’elles soulèvent, y faire droit,

– dire et juger que la SAS Lustral n’a pas qualité et intérêt à agir,

– débouter la SAS Lustral de toutes ses demandes,

Quant au fond, au visa des articles 1382, 1383 du code civil,

– dire et juger la demande formée par la SAS Lustral irrecevable et mal fondée,

– débouter la SAS Lustral de toutes ses demandes,

Reconventionnellement,

– condamner la SAS Lustral à payer la somme de 5.000 euros à Mme [Y] au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamner la SAS Lustral à payer la somme de 5.000 euros à la SAS Melzer au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamner la SAS Lustral à payer la somme de 2.500 euros à Mme [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SAS Lustral à payer la somme de 2.500 euros à Mme [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers frais et dépens.

Par ordonnance du 17 janvier 2019, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Metz a rejeté les exceptions d’incompétence présentées par Mme [Y] et par la SAS Melzer Patrick.

Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Metz a:

– rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [Y] et par la SAS Melzer Patrick tirées du défaut de qualité à agir de la SAS Lustral,

– déclaré en conséquence parfaitement recevable la SAS Lustral à agir en concurrence déloyale,

Sur le fond,

– débouté la SAS Lustral de son action en concurrence déloyale formée à l’encontre de la SAS Melzer Patrick et de Mme [Y] et de sa demande de condamnation solidaire évaluée à 272.156,97 euros,

– débouté Mme [Y] et la SAS Melzer Patrick de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamné la SAS Lustral, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens ainsi qu’à régler à la SAS Melzer Patrick, prise en la personne de son représentant légal, une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à Mme [Y] une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la SAS Lustral de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Le tribunal a tout d’abord retenu qu’en raison de la publication légale des informations justifiant que la SAS Lustral venait aux droits de la SAS C’Net, celles-ci étaient opposables à la SAS Melzer Patrick et à Mme [Y], et que la SAS Lustral justifiait de son intérêt et de sa qualité à agir.

Sur le fond, le tribunal a relevé que la SAS Lustral n’avait fait procéder à aucun constat au siège de la SAS Melzer Patrick alors que cette dernière était présentée comme étant à l’origine d’actes de concurrence déloyale. Il a retenu que les pièces produites par la SAS Lustral étaient insuffisantes pour caractériser des man’uvres de détournement de clientèle qui seraient imputables à Mme [Y] ou à la SAS Melzer Patrick, bien qu’elles puissent établir un déplacement de clientèle de son entreprise vers une entreprise concurrente dont l’activité était de même nature que la sienne. Il a ajouté qu’en l’absence de connaissance des circonstances ayant amené certains clients de la SAS C’Net à s’adresser à la SAS Melzer Patrick il ne pouvait donc vérifier et affirmer que Mme [Y] ou la SAS Melzer Patrick avaient usé de man’uvres déloyales, lesquelles ne sauraient se présumer par le simple changement de prestataire. Il a souligné que certains contrats avaient été résiliés en raison de la mauvaise exécution de prestations de nettoyage par la SAS C’Net.

Le tribunal a également observé qu’il n’était pas rapporté la preuve d’actes de dénigrement ou des imputations malveillantes pratiquées à l’encontre du concurrent et dont l’objet aurait été de jeter le discrédit sur ce dernier pour capter ses anciens clients. Il a retenu que l’embauche de Mme [Y] par la SAS Melzer Patrick, n’était pas constitutive d’un acte de concurrence déloyale, celle-ci n’étant d’ailleurs pas tenue d’une clause de non-concurrence.

Il a ajouté que la SAS Lustral ne démontrait nullement que Mme [Y] avait procédé à un détournement de fichiers de clientèle puisque les investigations pratiquées chez Mme [Y] avaient été vaines et qu’aucune investigation n’avait été faite au sein de la SAS Melzer Patrick, de sorte que la SAS Lustral n’établissait aucune faute des parties défenderesses.

Sur la demande reconventionnelle, le tribunal a estimé que Mme [Y] et la SAS Melzer Patrick ne se livraient à aucune démonstration et n’apportaient pas la preuve du préjudice qu’elles auraient subi du fait du comportement prétendument abusif de la SAS Lustral.

Par déclaration au greffe de la cour d’appel de Metz du 21 janvier 2021, la SAS Lustral a interjeté appel aux fins d’infirmation de ce jugement en ce qu’il l’a : déboutée de son action en concurrence déloyale formée à l’encontre de la SAS Melzer Patrick et de Mme [Y] et de sa demande de condamnation solidaire évaluée à 272.156,97 euros, condamnée aux dépens ainsi qu’à régler à la SAS Melzer Patrick et à Mme [Y] une somme de 2.500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutée de sa demande sur ce même fondement.

Par conclusions déposées le 12 novembre 2021, auxquelles il sera référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SAS Lustral demande à la cour de :

– la déclarer la SAS Lustral recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement en ce qu’il :

*l’a déboutée de son action en concurrence déloyale formée à l’encontre de la SAS Melzer Patrick et de Mme [Y] et de sa demande de condamnation solidaire évaluée à 272.156,97 euros,

*l’a condamnée aux dépens ainsi qu’à régler à la SAS Melzer Patrick et à Mme [Y] une somme de 2.500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*l’a déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

Vu le détournement des dossiers clients de la SAS C’Net au profit de la SAS Melzer Patrick par Mme [Y] ayant abouti au départ de 14 clients soit 10% de son chiffre d’affaires à son profit,

Vu les mails de sollicitations adressés à la clientèle de la SAS C’Net par Mme [Y] alors qu’elle était encore sa salariée sous entête de la SAS Melzer Patrick,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] à lui payer la somme de 272.156,97 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

– débouter la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] de leurs demandes formées par appel incident,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la SAS Melzer Patrick et Mme [Y] aux entiers dépens.

La SAS Lustral fait valoir que le détournement de fichiers de clientèle est constitutif d’un acte de concurrence déloyale, que la concurrence d’un ancien salarié peut être considérée comme répréhensible si les moyens employés sont jugés déloyaux et que l’ancien salarié ne doit pas désorganiser son ancienne entreprise par des actes de dénigrement ou même en utilisant des listings de clientèles.

Elle considère que les deux constats d’huissier réalisés révèlent que de nombreux devis, factures et contrats ont été trouvés au siège social de la SAS Melzer Patrick, tout comme de nombreux fichiers et mails de sollicitation ont été trouvés au domicile de Mme [Y].

Elle souligne que le tribunal judiciaire de Metz a confondu la SAS C’Net et la SAS Melzer Patrick en retenant à tort que c’était la SAS C’Net qui avait fait faire un constat à son propre siège social et non pas au siège de la SAS Melzer Patrick et que le second constat avait bien été réalisé au siège de la SAS Melzer Patrick. Elle conclut que le jugement attaqué est fondé sur une erreur matérielle du procès-verbal de constat. Elle constate que le tribunal fait grief à la SAS C’Net de n’avoir rien fait constater chez la SAS Melzer Patrick alors que ce constat a eu lieu et précise qu’étaient présents au sein de cette dernière société des documents appartenant à la SAS C’Net qui ont été emportés par Mme [Y] ainsi que des courriers datés de certains clients adressés à la SAS C’Net ou encore des devis émanant de la SAS C’Net revêtus d’une mention «à faire sur entête Melzer Patrick». Elle estime que les lettres de résiliation et anciens contrats des clients de la SAS C’Net ont été pris par Mme [Y] et déposés au sein de la SAS Melzer Patrick, qui a pu établir des offres à des prix inférieurs et s’accaparer la clientèle de la SAS C’Net.

Elle estime que les annexes du constat permettent de démontrer que, pour certains clients, les offres ont été réévaluées après prise de connaissance du montant du devis émis par la SAS C’Net et que, concernant d’autres clients, la SAS Melzer Patrick était en possession de dossiers clients ou de devis établis en 2006 et 2008 par Mme [Y] elle-même.

L’appelante soutient que Mme [Y] a demandé au client «Dental Services » de faire une «lettre de résiliation à C’Net le plus rapidement pour respecter le délai de trois mois» et que cette sollicitation personnalisée sous l’en-tête de la SAS Melzer Patrick alors qu’elle était toujours liée par un contrat de travail à la SAS C’Net constitue un détournement de clientèle.

Elle en conclut que la faute de la salariée est constituée par le démarchage pour le compte de son futur employeur alors qu’elle était encore salariée de la SAS C’Net, mais aussi par l’appréhension des fichiers clients détournés au profit du futur employeur et par la remise d’offres de prix à ces clients en se fondant sur des informations qu’elle avait collectées alors qu’elle était encore salariée de la SAS C’Net. De même, elle considère que la faute de la SAS Melzer Patrick est constituée par le recrutement en toute connaissance de cause de Mme [Y], par la fourniture d’une adresse mail professionnelle à celle-ci alors qu’elle était toujours en poste au sein de la SAS C’Net et par la détention des fichiers clients de la SAS C’Net.

Sur le lien de causalité, la SAS Lustral considère que les données prises par Mme [Y] et transférées au profit de la SAS Melzer Patrick lui ont permis d’avoir connaissance des dates d’expiration des contrats, de mener les résiliations et d’obtenir le client en ayant une connaissance intégrale du profil client et du prix précédemment pratiqué.

Sur le dommage, l’appelante considère que la SAS Melzer Patrick, par l’intermédiaire de Mme [Y], est parvenue à faire résilier à différents clients de la SAS C’Net leurs contrats représentant plus de 10% du chiffre annuel de C’Net. Elle considère que les dommages et intérêts doivent être fixés à la valeur de la perte de la marge brute moyenne sur le chiffre d’affaires des trois dernières années d’exécution du contrat.

Sur les appels incidents, la SAS Lustral considère ne pas agir abusivement puisqu’elle estime qu’il existe une connivence entre la SAS Melzer Patrick et Mme [Y], cette dernière s’étant vue attribuer une adresse e-mail professionnelle alors qu’elle était encore salariée de la SAS C’Net.

Par conclusions déposées le 3 février 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SAS Melzer Patrick demande à la cour de  :

– recevoir en la forme l’appel principal interjeté par la SAS Lustral ainsi que son appel incident,

rejetant l’appel principal de la SAS LUSTRAL mais, accueillant au contraire son seul appel incident de la SAS Melzer Patrick,

Y faisant droit,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la SAS Melzer Patrick de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Infirmant le jugement entrepris sur ce seul point,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

– condamner la SAS Lustral à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, le cas échéant, en réparation de son préjudice moral, outre 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

– condamner la SAS Lustral à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel ainsi qu’aux entiers frais d’appel.

La SAS Melzer Patrick fait valoir que la SAS Lustral doit apporter la preuve d’une faute délictuelle, d’un préjudice et d’un lien de causalité mais elle rappelle que l’exercice d’une activité concurrente par un ancien salarié ne saurait constituer une faute délictuelle de nature à engager sa responsabilité ou celle de son nouvel employeur en l’absence de toute clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail qui liait Mme [Y] à la SAS C’Net.

Sur le détournement du fichier clients de la SAS C’Net, la SAS Melzer Patrick soutient que les deux constats d’huissier réalisés n’apportent pas la preuve d’un détournement du fichier clients de la SAS C’Net par Mme [Y] puisque aucun fichier client ou document appartenant à la SAS C’Net n’a été retrouvé au domicile de Mme [Y]. Elle ajoute que le procès-verbal de constat réalisé le 26 mai 2014 n’a pas de valeur probante puisqu’elle considère que celui-ci aurait été réalisé au siège de la SAS C’Net et non dans le sien et que les actes dressés par officiers ministériels valent jusqu’à inscription de faux. Elle souligne que ce procès-verbal de constat ne fait état d’aucun détournement de fichier clients et qu’il n’est pas prouvé que les documents retrouvés dans l’armoire métallique auraient été emportés par Mme [Y] et déposés au sein de la SAS Melzer Patrick, d’autant plus que, pour certaines sociétés, les courriers de résiliation des relations contractuelles avec la SAS C’Net sont postérieurs au départ effectif de Mme [Y] de cette dernière, de sorte que ces documents ne lui étaient pas accessibles et ont été adressés directement par les clients concernés à la SAS Melzer Patrick.

S’agissant du client Heppner, la SAS Melzer Patrick fait valoir que les courriers électroniques des 12 et 19 avril 2013 démontrent que la résiliation du contrat liant l’entreprise Heppner et la SAS C’Net trouve sa cause dans une mauvaise exécution contractuelle de la SAS C’Net et que cette entreprise a fait son choix à partir d’offres concurrentielles différentes, tout comme le client dénommé Rega.

S’agissant du client Millauto, l’intimée rappelle que Mme [Y] n’a jamais pris avec elle le moindre document appartenant à la SAS C’Net et qu’aucun fichier client n’a été retrouvé chez elle ou au siège de la SAS Melzer Patrick.

S’agissant du client Dental services, elle souligne que Mme [Y] n’a pas écrit au client le 13 janvier 2013, soit en cours d’exécution du contrat de travail qui la liait à la SAS C’Net, mais le 13 juin 2013, date à laquelle elle travaillait déjà pour le compte de la SAS Melzer Patrick, de sorte qu’aucune adresse e-mail professionnelle n’a été fournie à Mme [Y] par la SAS Melzer Patrick alors qu’elle était encore salariée de la SAS C’Net.

La SAS Melzer Patrick estime qu’aucune des pièces produites par la SAS Lustral ne démontre la réalité d’un détournement de clientèle.

L’intimée ajoute que l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute alléguée et la perte des contrats à son profit n’est pas établie, que la SAS Lustral ne démontre pas la perte du chiffre d’affaires pour la période postérieure au départ de Mme [Y] et que les procès-verbaux de constats ne contiennent aucune pièce concernant les sociétés dénommées Aydal, Foncia et Remy & Godard.

Par ailleurs, la SAS Melzer Patrick considère que la SAS Lustral fait preuve d’une intention de nuire à son encontre et que la procédure engagée est abusive. Elle ajoute que celle-ci n’a pas agi avec célérité pour faire interdire les agissements dont elle estime avoir été victime et prétend que la SAS Lustral a attendu une décision du 2 mai 2017 rendue par le tribunal administratif de Strasbourg s’agissant d’une passation de marché concernant le musée [6] de [Localité 8] pour introduire la présente instance. Elle ajoute avoir subi un préjudice matériel et moral du fait de la saisie par voie d’huissier de documents confidentiels.

Par conclusions déposées le 14 septembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [Y] demande à la cour de  :

– rejeter l’appel de la SAS Lustral,

– recevoir son seul appel incident,

– confirmer le jugement du 3 décembre 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Statuant uniquement sur ce point,

– infirmer le jugement,

– condamner la SAS Lustral à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Ajoutant au jugement,

– condamner la SAS Lustral à payer à Mme [Y] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

En tout état de cause,

– débouter la SAS Lustral de l’intégralité de ses demandes,

– confirmer le jugement quant aux frais et dépens de première instance,

– condamné la SAS Lustral aux entiers frais et dépens d’appel,

– condamner la SAS Lustral à payer à Mme [Y] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.

Mme [Y] fait valoir qu’elle n’était pas liée à la SAS C’Net par une clause de non-concurrence et que la SAS Lustral ne démontre pas qu’elle aurait commis des actes déloyaux dépassant les actes normaux de concurrence dans l’exercice de ses fonctions. Elle considère que la SAS Lustral ne démontre pas d’actes de dénigrement de sa part, et que, en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le démarchage de la clientèle de l’ancien employeur n’est pas constitutif de concurrence déloyale s’il n’est pas réalisé par des moyens critiquables et contraires aux usages loyaux de commerce et qu’il ne s’accompagne pas d’un acte déloyal. L’intimée rappelle qu’elle n’était plus tenue d’un devoir de loyauté envers la SAS C’Net une fois son contrat de travail rompu, qu’elle n’a pas employé de procédés déloyaux ou frauduleux, d’autant plus que la SAS Lustral ne prouve pas qu’elle l’aurait désorganisée par ces actes.

Elle affirme ne pas avoir emporté le moindre dossier ou fichier client de la SAS C’Net, ce qu’a constaté l’huissier, et que les lettres de résiliations émanant de clients ont été transmises par lesdits clients à la SAS Melzer Patrick en vue de la conclusion de leur nouveau contrat auprès de cette dernière. Elle ajoute que la SAS Lustral ne démontre pas qu’elle se serait procurée frauduleusement des fichiers clients et aurait détourné sa clientèle.

S’agissant du second constat d’huissier, elle relève que la SAS Lustral produit un courriel émanant de l’huissier de justice antidaté au 23 avril 2021, que le seul procès-verbal dressé par l’huissier fait foi jusqu’à inscription de faux et que ce courrier est contraire aux mentions figurant sur le procès-verbal, énonçant expressément la visite de l’huissier au siège de la SAS C’Net, de sorte qu’aucune visite n’a été opérée au sein des locaux de la SAS Melzer Patrick.

Elle déclare que certaines des sociétés visées par la SAS C’Net pour évaluer son dommage n’ont pas rejoint la SAS Melzer Patrick, à savoir les sociétés dénommées Opteor, Transpelor, B57 et que, pour les autres sociétés, aucun agissement déloyal n’est invoqué ou démontré par la SAS Lustral, la résiliation provenant notamment d’une mauvaise exécution du contrat par la SAS C’Net ou encore d’une mise en concurrence par le client de plusieurs offres.

Elle affirme également qu’elle n’aurait pas pu disposer d’une adresse e-mail au sein de la SAS Melzer Patrick avant de travailler pour elle et que, concernant la société dénommée Dental services, le mail est en réalité daté du 13 juin 2013 et non du 13 janvier 2013.

L’intimée conteste avoir démarcher des clients de la SAS C’Net avant la fin de son contrat de travail et rappelle que la SAS Lustral ne prouve, ni que la SAS Melzer Patrick se serait servie de documents pour proposer des offres tarifaires plus avantageuses, ni qu’elle aurait commis des faits pouvant revêtir la qualification d’actes de concurrence déloyale. Mme [Y] rappelle également que les clients insatisfaits de la SAS C’Net étaient libres de résilier ou non leur contrat et de solliciter toute autre entreprise de ménage.

Elle souligne que la SAS Lustral ne prouve pas qu’elle aurait appréhendé des fichiers clients au sein de la SAS C’Net, alors que le constat produit démontre que seuls certains courriers étaient en sa possession, et ne prouve pas plus qu’elle aurait remis des offres de prix plus avantageuses que ceux de la SAS C’Net aux clients.

L’intimée ajoute qu’elle n’a pas pu désorganiser la SAS C’Net par son travail au sein de la SAS Melzer Patrick puisque la SAS Lustral a acheté la SAS C’Net pour réaliser une opération de croissance externe, démontrant que la SAS C’Net n’avait pas vocation à continuer son activité. Elle considère que la SAS Lustral ne démontre pas en quoi l’équilibre de son acquisition se serait trouvé bouleversé, les chiffres réalisés ensuite prouvant le contraire, et que la SAS Lustral a attendu plus de trois ans avant d’engager une action à son encontre.

Sur le préjudice, Mme [Y] soutient que la SAS Lustral ne démontre pas que la conclusion des contrats litigieux par la SAS Melzer Patrick aurait généré des pertes pour la SAS C’Net, aucune pièce comptable n’étant produite, alors même que le chiffre d’affaires de la SAS Lustral a progressé entre 2013 et 2015. Mme [Y] affirme donc que la SAS Lustral n’a pas été déstabilisée par la perte des contrats litigieux et qu’il ne lui appartient pas de répondre des mauvais résultats de la SAS C’Net. Au surplus, l’intimée souligne que le chiffrage effectué par la SAS Lustral des dommages et intérêts qu’elle sollicite concerne des sociétés pour lesquelles il n’existe pas le moindre commencement de preuve de man’uvres déloyales et que la marge brute n’est qu’une estimation dont la SAS Lustral ne justifie pas, tout comme celle-ci ne justifie pas du fondement juridique de sa demande de condamnation solidaire.

Sur l’appel incident tendant à condamner la SAS Lustral à payer une indemnité pour procédure abusive, Mme [Y] fait valoir que la SAS Lustral a introduit son action en justice plus de 3 années après les constats d’huissier qu’elle a fait réaliser sans expliquer la tardiveté de sa demande, que l’action vient à la suite d’une requête rejetée par le tribunal administratif de Strasbourg concernant une mise en concurrence sur un marché public proposé par le musée [6] de [Localité 8] et que l’action introduite devant le tribunal de grande instance de Metz aurait été engagée en représailles de cette perte de marché et lui aurait causé un stress du fait d’une procédure judiciaire infondée, tout comme la procédure d’appel au sein de laquelle la SAS Lustral se contente de reprendre ses prétentions de première instance et ne qualifie pas les man’uvres fautives reprochées.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la portée de l’appel

Il convient au préalable de relever que la cour n’est pas saisie par la déclaration d’appel des dispositions du jugement ayant rejeté les fins de non-recevoir présentées par Mme [Y] et la SAS Melzer Patrick tirées du défaut de qualité et d’intérêt à agir de la SAS Lustral et ayant en conséquence déclaré cette dernière recevable à agir. Il ne sera donc pas statué sur ces points.

Sur l’existence d’actes de concurrence déloyale

L’ancien article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et devenu depuis l’article 1240 du même code dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’action en concurrence déloyale de la SAS Lustral fondée sur les dispositions de cet article, implique ainsi l’existence d’une faute. Il appartient donc à l’appelante de rapporter la preuve des agissements déloyaux qu’elle invoque.

Sur la valeur probante du procès-verbal de constat établi le 26 mai 2014 au 3 boucle de la Bergerie à [Localité 10]

L’article 1 de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers modifié par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 (version applicable au litige) dispose que les huissiers de justice «peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire».

Il résulte de ces dispositions que, contrairement aux affirmations des intimées, les constatations effectuées par un huissier dans un procès-verbal de constat n’ont pas un caractère authentique et ne font donc pas foi jusqu’à inscription de faux, mais seulement jusqu’à preuve contraire.

Dans le procès-verbal de constat du 26 mai 2014 il est indiqué en première page que le constat a eu lieu au 3 boucle de la Bergerie à [Localité 10]. Me [W] indique ensuite page 3 qu’il s’est rendu pour ces constatations au «siège de la société C’Net à [Localité 10]». Toutefois, il convient de relever que [Localité 10] n’est pas la commune du siège de la SAS C’Net, situé à [Localité 7], mais celle du siège de la SAS Melzer Patrick, comme le démontrent les autres documents établis par cette dernière versés aux débats.

D’ailleurs, dans un courrier du 23 avril 2021 adressé au conseil de la SAS Lustral, Me [W] confirme que ce constat comporte une erreur matérielle concernant le nom de la société au siège de laquelle il s’est rendu et qu’il s’agit bien de la SAS Melzer Patrick à [Localité 10].

Il est ainsi rapporté la preuve que si ce constat indique par erreur qu’il a eu lieu au siège de la SAS C’Net, l’huissier instrumentaire s’est bien déplacé au siège social de la SAS Melzer Patrick et les constations mentionnées ont bien été effectuées au siège de cette dernière.

Les constatations effectuées n’ont donc pas à être écartées au motif qu’elles auraient été faites au siège social de la SAS C’Net et il y a lieu de considérer qu’elles concernent bien le siège social de la SAS Melzer Patrick.

Sur les fautes invoquées contre Mme [Y]

*Sur le démarchage de clients pour la SAS Melzer Patrick alors qu’elle était toujours salariée de la SAS C’Net

Par application du principe de la liberté du commerce, le démarchage de la clientèle d’autrui est licite, dès lors qu’il ne s’accompagne d’aucun acte déloyal tel que le démarchage accompli par un salarié pour un futur employeur avant le terme de son contrat de travail.

Dans sa lettre de démission datée du 14 mars 2013 et reçue le 15 mars 2013 Mme [Y] indique que sa «démission prend effet à compter de la réception de la présente» et

que «son contrat viendra à terme le 14 juin 2013 à l’issue de son préavis». Par ailleurs, il résulte de l’avenant à la convention de cession de parts produit par la SAS Melzer Patrick que Mme [Y] a conclu un nouveau contrat de travail avec la SAS Melzer Patrick le 2 avril 2013.

Dans son procès-verbal de constat dressé au domicile de Mme [Y] le 26 mai 2014, l’huissier indique avoir trouvé un mail daté du 11 juin 2013 adressé par M. [V] [D] pour la société Millauto à l’intimée à son adresse [Courriel 9] ayant pour objet «résiliation C’Net du 11 juin 2013» comportant en pièces jointes les courriers adressés par les sociétés Millauto de [Localité 8] et [Localité 12] à la SAS C’Net le 24 mai 2013 l’informant de leur intention de résilier leur contrat d’entretien et les réponses de cette dernière.

L’huissier a relevé un second mail, daté du 22 avril 2014, adressé par Mme [I] [R] pour la société Heppner à l’intimée à l’adresse mail susvisée, comportant en objet «fin des prestations C’Net» et en pièces jointes, le courrier adressé par la société Heppner à la SAS C’Net l’informant de la résiliation de son contrat et la réponse de la SAS C’Net fixant la dernière prestation au 30 juin 2014.

Lors de l’analyse de l’ordinateur de Mme [Y] il a été aussi retrouvé 3 fichiers contenant les courriers de résiliation de contrat adressés par les sociétés Millauto à la SAS C’Net ainsi que les réponses de cette dernière.

Si la SAS Lustral invoque l’existence d’un mail adressé par Mme [Y] à Dental Services le 13 janvier 2013 par lequel elle indique qu’il faut que ce dernier fasse sa lettre de résiliation à la SAS C’Net «le plus rapidement afin de respecter le délai de trois mois  », il résulte des copies d’écran relevées par l’expert informatique et jointes au procès-verbal de constat que ce message a été adressé non le 13 janvier 2013 mais le 15 juin 2013, soit postérieurement à la fin du contrat de travail de Mme [Y] avec la SAS C’Net.

Il résulte de ces constatations que si des courriers de résiliation de contrats ont bien été transmis par des clients de la SAS C’Net à Mme [Y] avant la fin de son contrat de travail avec la SAS C’Net, aucun des éléments constatés au domicile de Mme [Y] ne permet d’établir que cette dernière a sollicité la résiliation de ces contrats et a démarché des clients de la SAS C’Net alors qu’elle était encore salariée de celle-ci.

Par ailleurs, si lors de son constat du 26 mai 2014au siège social de la SAS Melzer Patrick, l’huissier a constaté la présence d’un document manuscrit comportant les mentions : «client Opteor à [Localité 11], lettre de résiliation à faire en mai 2013» ainsi que la mention « début 24.10.2014 » en haut à droite, il n’est pas établi que ce document a été rédigé par Mme [Y], ni qu’il a été établi de manière déloyale et qu’il provient d’une information confidentielle (fin du contrat avec la SAS C’Net) transmise par Mme [Y] et non par le client lui-même. Ce document ne rapporte donc pas la preuve de l’existence d’un démarchage déloyal de la part de Mme [Y].

Le même type de document établi en mentionnant au titre du nom de client : Longueville ne constitue pas davantage une preuve de démarchage pour les mêmes motifs que ceux relatés ci-dessus, étant précisé au surplus, qu’il est noté que la résiliation est à faire en octobre 2013, soit à une période où Mme [Y] n’était plus liée à la SAS C’Net par un contrat de travail.

Aucun acte déloyal ne peut donc être retenu contre Mme [Y] à ce titre.

*Sur l’appréhension de fichiers clients au profit de la SAS Melzer Patrick

La détention ou l’appropriation par des procédés déloyaux de documents appartenant à une entreprise par un ancien salarié et/ou une autre entreprise, ne constitue un acte de concurrence déloyale que si ces documents comportent des informations confidentielles ou des savoir-faire particuliers.

Le procès-verbal de constat dressé au domicile de Mme [Y] a permis de trouver sur l’ordinateur professionnel de cette dernière un fichier contenant le nom de clients sous format Excel ainsi que les budgets prévisionnels de plusieurs clients pour l’année 2015. Ces budgets prévisionnels sont établis pour une période postérieure à la résiliation de son contrat de travail avec la SAS C’Net et concernent des clients de la SAS Melzer Patrick. Il n’est pas démontré à ce titre l’existence d’un acte déloyal.

De même, il n’est pas établi que le fichier clients est celui de la SAS C’Net et que Mme [Y] l’aurait détourné, étant rappelé qu’au regard du principe de la liberté du commerce et en l’absence de clause de non-concurrence dans le contrat de travail de Mme [Y], la SAS Melzer Patrick pouvait conclure des contrats avec d’anciens clients de la SAS C’Net.

Le procès-verbal de constat dressé le 26 mai 2014 au siège social de la SAS Melzer Patrick démontre qu’il a été trouvé dans une armoire des dossiers suspendus contenant des documents émanant de la SAS C’Net et relatifs à 10 clients (Heppner, Rega, [C] [L], Longueville, Opteor, Transpelor, B57, Agco, Activa et Richard &Merz).

Ces documents sont des devis ou contrats établis par la SAS C’Net, des fiches de travail et des lettres de résiliation, des factures émises par la SAS C’Net en mars et avril 2013, des courriers de présentation de la SAS C’Net et des prestations qu’elle propose ainsi que des courriers ou échanges de mails émanant de Heppner (en avril 2013) d’une part, et de Transpelor (en septembre 2011) d’autre part, faisant part de leur insatisfaction sur l’exécution de certaines prestations par la SAS C’Net, et enfin les documents manuscrits évoqués plus hauts relatifs aux clients Opteor et Longueville.

Aucun élément ne permet d’établir que les devis, contrats, fiches de travail, lettres de résiliation et factures datées de mars et avril 2013 ont été appréhendés ou détournés de manière fautive par Mme [Y] au bénéfice de la SAS Melzer Patrick lorsqu’elle était salariée de la SAS C’Net et qu’ils n’ont pas été transmis directement par ces clients à la SAS Melzer Patrick afin de faire jouer la concurrence et que la SAS Melzer Patrick leur établisse un devis sur ces mêmes prestations.

S’agissant des documents manuscrits relatifs aux clients Opteor et Longueville, il ne s’agit pas de documents émanant de la SAS C’Net et ne peuvent être concernés par un détournement ou une appréhension fautive. En outre, ainsi qu’il l’a été indiqué plus haut, il n’est pas justifié que les informations qu’ils comportent sur la date à laquelle doivent être résiliés les contrats conclus avec la SAS C’Net ont été données par Mme [Y].

Aucun élément ne permet d’établir avec certitude que les courriers et échanges de mails entre la société Heppner et la SAS C’Net sur la mauvaise exécution de prestations effectuées en avril 2013 ont été transmis par Mme [Y] à la SAS Melzer Patrick. En effet, la société Heppner a indiqué dans son courrier de résiliation que ces mauvaises exécutions étaient la cause de la résiliation et elle a pu vouloir en informer la SAS Melzer Patrick afin que celle-ci ne fasse pas les mêmes erreurs.

A supposer en revanche, compte tenu de son ancienneté (septembre 2011) et de son absence de lien avec la demande d’une nouvelle prestation, que le mail de la société Transpelor à la SAS C’Net se plaignant du comportement d’une salariée de la SAS C’Net ait bien été conservé et transmis par Mme [Y] à la SAS Melzer Patrick, cet acte ne serait constitutif d’un acte de concurrence déloyale que s’il s’agissait d’un document confidentiel comportant des indications utiles sur le fonctionnement de la SAS C’Net et de nature à faciliter la concurrence de la SAS Melzer Patrick. Or la SAS Lustral n’invoque pas expressément le fait que ce document serait confidentiel, ni le démontre, étant souligné que les faits relatés sont anciens, ponctuels et ne concernent qu’une salariée de la SAS C’Net.

De même, les courriers de présentation générale de la SAS C’Net que cette dernière destinait à de nouveaux clients n’ont aucun caractère confidentiel.

Il résulte de ces éléments qu’aucune appréhension déloyale de fichiers ou documents confidentiels ne peut être imputée à Mme [Y].

*Sur la remise d’offres de prix à partir d’informations recueillies lorsqu’elle était salariée de la SAS C’Net

Il convient de relever qu’après sa démission de la SAS C’Net, Mme [Y] est devenue salariée de la SAS Melzer Patrick et n’a pas travaillé en son nom personnel. Dès lors, la SAS Lustral ne peut invoquer un acte de concurrence déloyale à l’encontre de Mme [Y] puisque c’est la SAS Melzer Patrick qui a fait les propositions de prix aux clients ou anciens clients de la SAS C’Net.

Au surplus, il sera rappelé qu’en application de l’article L410-2 du code de commerce, sauf lorsque la loi en dispose autrement, les prix des biens produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

La seule pratique d’un prix inférieur ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale dès lors qu’il n’est pas démontré que ce prix est dérisoire ou excède les usages. Or il n’est pas invoqué par la SAS Lustral une pratique par la SAS Melzer Patrick de prix dérisoires ou hors des usages habituels dans ce secteur d’activité.

Par ailleurs, il n’est pas démontré que Mme [Y] a, pendant son contrat de travail avec la SAS C’Net, recueilli de manière déloyale des informations sur les prix pratiqués par la SAS C’Net afin d’en faire bénéficier la SAS Melzer Patrick.

Le fait que la SAS Melzer Patrick détienne les contrats que les anciens clients de la SAS C’Net avaient conclus avec cette dernière ainsi que des informations sur les prix qu’elle pratiquait ne suffit pas à établir que c’est Mme [Y] qui transmis ces éléments en ayant agi de manière déloyale vis-à-vis de la SAS C’Net.

Aucune faute ne sera donc retenue à l’encontre de Mme [Y]. Le jugement sera donc confirmé à ce titre.

Sur les fautes invoquées contre la SAS Melzer Patrick

*Sur le recrutement «en toute connaissance de cause» de Mme [Y]

Aucune clause de non-concurrence n’étant incluse dans le contrat de travail conclu entre Mme [Y] et la SAS C’Net, la SAS Melzer Patrick n’a pas commis de faute en recrutant Mme [Y] comme salariée, même en qualité de concurrente de la SAS C’Net.

Si la SAS Lustral dans ses conclusions soutient que la démission de Mme [Y] «s’inscrivait en réalité dans le cadre d’un débauchage par la SAS Melzer Patrick qui l’avait déjà recrutée» elle n’invoque aucun moyen à l’appui de cette affirmation, ni aucun acte déloyal qui aurait été commis par la SAS Melzer Patrick à cette fin. De plus, pour qu’un débauchage (à supposer qu’il soit établi) constitue un acte déloyal, il faut rapporter la preuve que celui-ci a désorganisé l’entreprise concernée. Or il n’est invoqué aucune désorganisation de la SAS C’Net.

Il n’est pas non plus démontré que la SAS Melzer Patrick avait connaissance de la date exacte de fin du contrat de Mme [Y] auprès de la SAS C’Net.

Les moyens invoqués doivent donc être rejetés.

*Sur la fourniture d’une adresse mail à Mme [Y]

La SAS Lustral soutient dans ses conclusions que la SAS Melzer Patrick a commis une faute en fournissant une adresse mail à l’intimée alors qu’elle «était toujours en poste chez C’Net», sans autre précision.

Le procès-verbal dressé au domicile de Mme [Y] a permis de constater qu’elle disposait dès avril 2013 d’une adresse mail rattachée à la SAS Melzer Patrick ([Courriel 9]).

Comme il l’a été relevé précédemment, Mme [Y] a été embauchée par la SAS Melzer Patrick le 2 avril 2013, ce qui explique la création d’une adresse internet à son nom. A supposer que les relations contractuelles entre Mme [Y] et la SAS C’Net ne se soient terminées que le 14 juin 2013 et non le 15 mars 2013, le seul fait d’avoir créé une adresse mail à Mme [Y] avant la fin de son contrat de travail avec la SAS C’Net ne serait fautif que s’il était établi que cette adresse avait été utilisée de manière effective et active à des fins déloyales par la SAS Melzer Patrick.

Or, les constatations de l’huissier n’établissent pas que la boîte mail correspondante n’ait eu une autre activité que la simple réception, et seulement à partir du 11 juin 2013, de courriers de résiliation des contrats conclus avec la SAS C’Net adressés par la société Millauto.

Aucune faute n’est donc imputable à la SAS Melzer Patrick à ce titre.

* Sur la détention de fichiers clients de la SAS C’Net

Dans son procès-verbal de constat dressé au siège social de la SAS Melzer Patrick le 26 mai 2014 l’huissier instrumentaire précise avoir trouvé dans les dossiers suspendus d’une armoire des documents concernant 9 clients de la SAS C’Net.

Ainsi qu’il l’a été dit précédemment, aucun élément ne permet d’établir que les devis, contrats, fiches de travail, lettres de résiliation et factures datées de mars et avril 2013 ont été appréhendés ou détournés de manière fautive par Mme [Y] lorsqu’elle était salariée de la SAS C’Net et que ces documents n’ont pas été transmis directement par ces clients à la SAS Melzer Patrick afin de faire jouer la concurrence et obtenir un devis sur ces mêmes prestations.

En outre, il résulte de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, reprenant un accord du 29 mars 1990, intégré à l’article 7 (anciennement Annexe 7) par un arrêté du 23 juillet 2012, que lorsqu’une entreprise de nettoyage obtient un marché appartenant précédemment à une autre entreprise du même secteur, cette entreprise bénéficiaire du nouveau marché est dans l’obligation de reprendre tous les salariés de l’entreprise qui le détenait auparavant lorsque le marché dévolu à la nouvelle entreprise a le même objet et porte sur les mêmes locaux.

Ces exigences justifient le fait que la SAS Melzer Patrick sollicite et détienne un exemplaire des contrats que leurs nouveaux clients avaient précédemment conclu avec la SAS C’Net, ainsi que les fiches de travail pour certains, et les lettres de résiliation des contrats avec la SAS C’Net afin de vérifier si les prestations sollicitées étaient les mêmes et s’il y avait lieu de reprendre les salariés de la SAS C’Net. D’ailleurs, il est produit aux débats plusieurs courriers adressés par la SAS Melzer Patrick à la SAS C’Net par lesquels, en application de cette convention collective, elle sollicite divers documents concernant les salariés affectés sur le site des clients concernés.

Aucun acte déloyal ne peut donc être imputé à la SAS Melzer Patrick de ce fait.

Par ailleurs, il résulte des motifs susvisés qu’il n’est pas établi que Mme [Y] ait appréhendé de manière déloyale et transmis à la SAS Melzer Patrick des documents confidentiels de la SAS C’Net.

En conséquence, aucune faute ne peut être imputée à la SAS Melzer Patrick.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la SAS Lustral de son action en concurrence déloyale formée à l’encontre de Mme [Y] et de la SAS Melzer Patrick et de sa demande de condamnation solidaire de ces derniers à lui payer la somme de 272.156,97 euros de dommages-intérêts.

Sur les demandes formées par Mme [Y] et la SAS Melzer Patrick

Pour procédure abusive

Par application de l’ancien article 1382 du code civil devenu l’article 1240 du même code, une partie ne peut être condamnée au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive que s’il est établi l’existence d’une faute de nature à faire dégénérer en abus son droit

d’agir en justice.

En l’espèce il n’est pas démontré que le seul objectif de la SAS Lustral en introduisant la présente instance était de nuire à Mme [Y] et la SAS Melzer Patrick ni que son intention était dilatoire ou relevait d’une erreur grossière.

Dès lors il convient de confirmer le jugement en ce qu’il les a déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Pour préjudice moral

La SAS Melzer Patrick ne justifie par ailleurs pas que les documents qui ont été saisis par l’huissier lors de son procès-verbal de constat ont été ensuite utilisés par la SAS Lustral à son bénéfice. Dès lors elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.

Pour appel abusif

L’article 559 du code de procédure civile ne permet de condamner l’appelant à des dommages-intérêts que s’il est établi qu’il a agi dans un but dilatoire ou abusif.

En l’espèce, il n’est pas établi que la SAS Lustral a interjeté appel par pure mauvaise foi, dans un but malveillant ou dilatoire.

Dès lors, les intimées seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé également dans ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS Lustral qui succombe en appel sera condamnée aux dépens.

Par application de l’article 700 du code de procédure civile, l’équité commande de laisser à chacune des parties la charge des frais engagés par elle en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement du 3 décembre 2020 du tribunal judiciaire de Metz dans toutes ses dispositions, dans les limites de l’appel,

Y ajoutant,

Déboute Mme [J] [Y] et la SAS Melzer Patrick de leurs demandes de dommages-intérêts pour appel abusif ;

Déboute la SAS Melzer Patrick de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Condamne la SAS Lustral aux dépens de l’appel ;

Laisse à chacune des parties la charge des frais engagés par elle en appel et non compris dans les dépens.

Le Greffier La Présidente de Chambre

 


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