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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 28 JUIN 2023
(n° 096/2023, 20 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général 21/14744 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGOU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juin 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS -3ème chambre – 2ème section – RG n° 16/05526
APPELANTE
SAS 3DPLUS
Société au capital de 1 554 867 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de VERSAILLES sous le numéro 402 523 088
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Alexandre JACQUET de la SELARL CABINET BENECH, avocat au barreau de PARIS, toque : P0324
INTIMEE
S.A.R.L. SPACEKEY EUROPE
Société au capital de 5 000 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro 491 213 153
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Mélanie VION de la SELEURL Mélanie Vion Avocat, avocat au barreau de PARIS, toque : D1488
Assistée de Me Camille BREHIER, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère, et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société 3D PLUS, immatriculée le 11 octobre 1995, se présente comme une société dite « spin-off » de la société THOMSON-CSF devenue THALES, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de composants électroniques destinés à l’industrie, à l’informatique et aux télécommunications, plus particulièrement dans les domaines de l’aérospatial et du nucléaire. Elle précise concevoir et fabriquer des circuits intégrés en trois dimensions, et revendique la position de première entreprise dont les produits ont été qualifiés pour l’usage spatial.
Elle était titulaire notamment des deux brevets suivants qui sont arrivés à expiration respectivement les 9 mai 2013 et 9 mai 2014 :
1°- un brevet européen EP 0 584 349 dont la demande a été déposée le 10 mars 1993 sous une priorité française du 13 mars 1992, délivré le 2 janvier 2002 et intitulé « Procédé d’interconnexion en trois dimensions de boîtiers de composants électroniques, et dispositif obtenu par ce procédé » ;
2°- un brevet français FR 9 405 729 dont la demande a été déposée le 10 mai 1994, délivré le 7 juin 1996 et publié sous le numéro n°2 719 967, intitulé « Interconnexion en trois dimensions de boîtiers de composants électriques utilisant des circuits imprimés ».
La société SPACEKEY EUROPE (ci-après, la société SPACEKEY), immatriculée le 27 juillet 2006, a pour activité l’achat et la revente de composants et de sous-ensembles électroniques de tous types, incluant les connecteurs, circuits imprimés et les produits semi-conducteurs, ainsi que les services d’ingénierie s’y rapportant. Elle a été créée notamment par M. [F] [N] qui est un ancien salarié de la société 3D PLUS, recruté par celle-ci en 2004 en qualité d’ingénieur commercial et licencié pour motif économique le 15 mars 2006, et par M. [M] [C] qui a été également salarié de la société 3D PLUS, ayant été recruté le 19 novembre 1997 en qualité de responsable commercial et ayant quitté l’entreprise, le 18 janvier 2012, à la suite d’un accord transactionnel faisant suite à plusieurs procédures contentieuses, alors qu’il exerçait en dernier lieu les fonctions de ‘manager business développement pour le secteur Défense et Aéronautique en France’.
La société 3D PLUS indique qu’au début de l’année 2012, elle a appris la disponibilité sur le marché de produits semi-conducteurs 3D dont elle a estimé qu’ils ressemblaient étrangement à ses propres composants, proposés par la société chinoise ZHUHAI ORBITA CONTROL ENGINEERING CO, qui était l’un de ses anciens distributeurs, et par ailleurs que ces produits étaient commercialisés en France par la société ISOTOPE ELECTRONICS et importés par une société singapourienne D3CI, dirigée par M. [N] et ayant pour directeur régional M. [C].
C’est dans ce contexte que la société 3D PLUS a obtenu, par ordonnances rendues le 11 mars 2014, l’autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon et de constat fondées sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, effectuées le 26 mars suivant au domicile de M. [N] et au siège de la société SPACEKEY – établis à la même adresse -, ainsi qu’au domicile de M. [C] et au siège de la société ISOTOPE ELECTRONICS. Une expertise de tri des éléments appréhendés dans le cadre de ces mesures a été ordonnée le 10 octobre 2014 à la suite d’un référé-rétractation initié par l’ensemble des parties saisies, et l’expert désigné a déposé son rapport le 15 octobre 2018, suivi d’un complément de rapport le 8 novembre 2018.
Sur la base des éléments ainsi obtenus, la société 3D PLUS a, par acte du 25 avril 2014, fait assigner M. [N] et les sociétés SPACEKEY et ISOTOPE ELECTRONICS en contrefaçon de ses brevets et en concurrence déloyale.
En cours de procédure, elle a mis un terme amiable au litige l’opposant à la société ISOTOPE ELECTRONICS et un sursis à statuer a été ordonné dans l’attente de l’issue du pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt rendu dans le cadre de l’appel visant l’ordonnance de référé précitée.
La cause du sursis ayant disparu suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 janvier 2018 rejetant le pourvoi, la société 3D PLUS a sollicité la reprise de l’instance en complétant les demandes et moyens figurant dans son acte introductif d’instance, ce au regard des éléments recueillis dans le cadre de l’expertise de tri ordonnée.
Dans un jugement rendu le 11 juin 2021, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :
– rejeté la demande de mise hors de cause de M. [N] ;
– écarté la fin de non-recevoir tirée de l’absence de titularité des droits [de brevet] invoqués ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 4 et 7 du brevet FR 94 05729 procèdent d’une activité inventive ;
– dit que la revendication 8 du brevet FR 94 05729 est suffisamment décrite ;
– rejeté la demande tendant à voir juger que la revendication 8 du brevet FR 94 05729 est dépourvue de nouveauté ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 5 et 9 du brevet EP 0 584 349 ne sont pas privées de nouveauté ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 5 et 9 du brevet EP 0 584 349 sont dépourvues d’activité inventive ;
En conséquence :
– écarté la demande tendant à la nullité des revendications 1,2,3,4,7 et 8 du brevet FR 9 405 729 ;
– dit nulles les revendications 1,2,3,5 et 9 du brevet EP 0 584 349 ;
– dit n’y avoir lieu à transmission de la décision à intervenir à l’Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d’inscription au Registre National des Brevets, les titres étant expirés ;
– débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la contrefaçon ;
– dit que les procédures de saisie-contrefaçon et de constat réalisées le 26 mars 2014 ne sont affectées d’aucune cause de nullité ;
– débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
– rejeté les demandes reconventionnelles de la société SPACEKEY fondées sur la procédure abusive ;
– condamné la société 3D PLUS à verser à la société SPACEKEY et à M. [N] ensemble la somme de 50 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société 3D PLUS aux dépens et dit qu’ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.
Le 27 juillet 2021, la société 3D PLUS a interjeté appel de ce jugement, sa déclaration d’appel indiquant que les chefs du jugement critiqués sont ceux par lesquels le tribunal l’a déboutée de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 5 et transmises le 24 mars 2023, la société 3D PLUS demande à la cour de :
Vu l’article 1240 du code civil,
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que les procédures de saisie-contrefaçon et de constat réalisées le 26 mars 2014 ne sont affectées d’aucune cause de nullité ;
– réformer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 11 juin 2021 en ce :
– qu’il a débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;
– qu’il a condamné la société 3D PLUS à verser à la société SPACEKEY et à M. [N], ensemble la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
– et statuant à nouveau :
– recevoir la société 3D PLUS en ses actions et la déclarant bien fondée ;
– débouter la société SPACEKEY de l’ensembles de ses demandes, et notamment celles formées dans le cadre de son appel incident ;
– juger que la société SPACEKEY a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’égard de la société 3D PLUS ;
– condamner la société SPACEKEY à verser à la société 3D PLUS la somme de 825.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par l’intimé ;
– autoriser la publication, en entier ou par extrait, du jugement à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la société 3D PLUS et aux frais exclusifs de la société SPACEKEY pour un montant à sa charge qui ne saurait être inférieur à 5.000 euros H.T. par insertion, et ce éventuellement à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
– ordonner la destruction, aux frais de la société SPACEKEY de l’ensemble de la documentation 3D PLUS en sa possession, ladite destruction devant intervenir sous contrôle d’huissier de justice, qui en rendra compte par procès-verbal ;
– assortir cette mesure de destruction d’une astreinte de 3.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, la cour de céans se réservant la liquidation de l’astreinte ;
– juger les demandes de la société SPACEKEY irrecevables et mal fondées ;
– condamner la société SPACEKEY à verser à la société 3D PLUS la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel ;
– condamner la société SPACEKEY aux entiers dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions, numérotées 5 et transmises le 30 mars 2023, la société SPACEKEY demande à la cour de :
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu les articles 117 et 119 du code de procédure civile,
– infirmer partiellement le jugement entrepris,
– réformer le jugement en ce qu’il a dit que les procédures de saisie-contrefaçon et de constat réalisées le 26 mars 2014 ne sont affectées d’aucune cause de nullité,
– réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de SPACEKEY de voir condamner la société 3D PLUS pour procédure abusive et saisies-contrefaçon et opérations de constat abusives ;
– et statuant à nouveau :
– annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon réalisé le 26 mars 2014 par Mes [B] ;
– annuler le procès-verbal de constat sur le fondement de l’article 145 réalisé le 26 mars 2014 par Me [B] ;
– annuler le procès-verbal de constat sur le fondement de l’article 145 réalisé le 26 mars 2014 par Me [Z] ;
– en conséquence :
– ordonner le retrait des débats du procès-verbal de saisie-contrefaçon de Me [B] et de toutes ses annexes ;
– ordonner le retrait des débats du procès-verbal de constat de Me [B] et de toutes ses annexes ;
– ordonner le retrait des débats du procès-verbal de constat de Me [Z] et de toutes ses annexes ;
– ordonner la restitution de tous les éléments saisis au cours de ces mesures ;
– rejeter toute preuve et pièce tirées de ces procédures de saisie-contrefaçon et de constat réalisés le 26 mars 2014 ;
– écarter en particulier des débats toutes pièces adverses collectées dans le cadre des opérations de saisie et de constat ou établies sur la base d’éléments saisis, à savoir les pièces adverses 39.1, 39.2, 39.4, 42, 43, 44, 51, 52 ;
– annuler le rapport d’expertise de M. [Y] établi à la suite des opérations de saisie-contrefaçon et de constat ;
– condamner la société 3D PLUS à verser la somme de 120.000 € de dommages et intérêts à la société SPACEKEY pour procédure abusive et saisies-contrefaçon et opérations de constat abusives ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné la société 3D PLUS au paiement d’une somme de 50.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance,
– en toutes hypothèses,
– débouter la société 3D PLUS de son appel et de l’intégralité de ses demandes,
– y ajoutant,
– condamner la société 3D PLUS à verser à la société SPACEKEY la somme de 30.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel ;
– condamner la société 3D PLUS aux dépens de l’appel conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les chefs non contestés du jugement
La cour constate que le jugement n’est pas critiqué en ce qu’il a :
– rejeté la demande de mise hors de cause de M. [N] ;
– écarté la fin de non-recevoir tirée de l’absence de titularité des droits [de brevet] invoqués ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 4 et 7 du brevet FR 94 05729 procèdent d’une activité inventive ;
– dit que la revendication 8 du brevet FR 94 05729 est suffisamment décrite ;
– rejeté la demande tendant à voir juger que la revendication 8 du brevet FR 94 05729 est dépourvue de nouveauté ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 5 et 9 du brevet EP 0 584 349 ne sont pas privées de nouveauté ;
– dit que les revendications 1, 2, 3, 5 et 9 du brevet EP 0 584 349 sont dépourvues d’activité inventive ;
– écarté la demande tendant à la nullité des revendications 1,2,3,4,7 et 8 du brevet FR 9 405 729 ;
– dit nulles les revendications 1,2,3,5 et 9 du brevet EP 0 584 349 ;
– dit n’y avoir lieu à transmission de la décision à intervenir à l’Institut National de la Propriété Industrielle aux fins d’inscription au Registre National des Brevets, les titres étant expirés ;
– débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la contrefaçon.
Sur la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon et de constats
La société SPACEKEY sollicite in limine litis l’annulation des procès-verbaux de saisie-contrefaçon et de constat sur lesquels reposent les demandes de la société 3D PLUS. Elle fait valoir que ces actes sont entachés d’une nullité de fond qui doit être prononcée sans qu’il soit besoin pour elle de justifier d’un grief conformément à l’article 119 du code de procédure civile ; qu’en tout état de cause, elle justifie du grief qu’elle subit du fait des irrégularités invoquées dès lors que ces mesures probatoires tendent à apporter la preuve des faits qui lui sont reprochés et qu’il s’agit donc d’éléments à charge ; que les moyens de nullité pour irrégularité de fond peuvent être accueillis en tout état de cause ; que la nullité de ces procès-verbaux devra entraîner celle des pièces subséquentes, et notamment celle du rapport d’expertise qui leur fait suite.
La société 3D PLUS conclut au rejet des demandes en nullité de la société SPACEKEY et, en tout état de cause, à leur irrecevabilité dès lors que la société SPACEKEY a accepté sans réserve l’exploitation des scellés réalisés par l’huissier à l’issue des opérations de saisie-contrefaçon et de constat. Elle ajoute que les griefs invoqués constituent des irrégularités de forme et que l’intimée ne justifie d’aucun grief sérieux, ayant donné son accord sans réserve pour l’exploitation des scellés en cours d’expertise ; que l’intimée présente en outre des demandes de nullité nouvelles fondées sur des moyens nouveaux visant des irrégularités qui ont été nécessairement couvertes, l’intimée ayant fait valoir une défense au fond avant de les soulever ; que ces demandes de nullité nouvelles sont irrecevables, l’intimée ne les ayant pas invoquées simultanément à ses premiers moyens de nullité présentés en première instance ; qu’aucun grief n’est là encore justifié.
Sur les opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société SPACEKEY et au domicile de M. [N]
La société SPACEKEY soutient que la saisie-contrefaçon réalisée dans les locaux de la société SPACEKEY et au domicile de M. [N] est nulle ; que cette nullité résulte de :
– l’absence de délai suffisant laissé à M. [N] pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance, trois actes distincts (avec le brevet d’invention) représentant 74 pages lui ayant été signifiés en 25 minutes ;
– l’absence de mention de l’huissier selon laquelle il était porteur de l’original de l’ordonnance d’autorisation ;
– la partialité du conseil en propriété industrielle accompagnant l’huissier, M. N., qui n’est autre que l’ancien directeur de la propriété intellectuelle de THOMSON-CSF (dorénavant THALES), gérant de la société MARKS & CLERKS France et mandataire de 3D PLUS auprès de l’INPI, qui était salarié de THOMSON-CSF lors du dépôt des brevets par cette dernière, avec des fonctions décisionnelles, avant que ces actifs ne soient cédés à 3D PLUS, laquelle société a été créée avec l’accord et la participation de THOMSON-CSF ;
– du fait que l’huissier a outrepassé ses pouvoirs en procédant à l’interrogatoire de M. [N] ;
– du fait que l’huissier a délégué à l’expert informatique la recherche sur les systèmes d’information ;
– du fait que les supports de stockage ont été apportés par l’expert informatique et non par l’huissier ;
– de l’existence d’une dichotomie entre le nombre de disques saisis lors des opérations et ceux remis pour l’expertise.
Aux termes de l’article 117 du code de procédure civile, ‘Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :
Le défaut de capacité d’ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice’.
Lorsque l’huissier, dans ses opérations de saisie-contrefaçon ou de constat in futurum opère sans pouvoir ou excède les termes de l’ordonnance ayant autorisé les mesures d’investigation, la saisie ou le constat sont entachés d’une nullité de fond.
Hormis le moyen selon lequel l’huissier a outrepassé ses pouvoirs en procédant à l’interrogatoire de M. [N], les moyens de nullité invoqués par la société SPACEKEY n’entrent pas dans les cas de nullité de fond limitativement énumérés par l’article 117 et ne sauraient donc relever, le cas échéant, que des nullités de forme telles que prévues notamment par les articles 112, 113 et 114 du même code.
Or, l’article 112 prévoit que ‘La nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité’ ; l’article 113 dispose que ‘Tous les moyens de nullité contre des actes de procédure déjà faits doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été’ et l’article 114 qu”Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public’.
En l’espèce, les moyens relatifs à l’absence de délai suffisant laissé à M. [N], à l’absence de mention par l’huissier qu’il était porteur de l’original de l’ordonnance et au fait que les supports de stockage ont été apportés par l’expert informatique et non par l’huissier sont des moyens de nullité de forme et il ressort du jugement dont appel qu’ils n’ont pas été soulevés en première instance. Ces moyens doivent donc être déclarés irrecevables en application de l’article 113 du code de procédure civile.
La cour fait par ailleurs siens les motifs par lesquels les premiers juges ont écarté les moyens relatifs à (i) la prétendue partialité du conseil en propriété industrielle accompagnant l’huissier, (ii) au fait que l’huissier aurait outrepassé ses pouvoirs en procédant à l’interrogatoire de M. [N], alors sera t-il ajouté que l’ordonnance du magistrat délégataire du président du tribunal autorisait expressément l’huissier à ‘recueillir et consigner toutes déclarations des répondants et toutes paroles prononcées au cours de ces opérations en s’abstenant d’interpellations autres que celles strictement nécessaires à l’accomplissement de la mission confiée’ et que le fait que l’huissier instrumentaire ait interrogé M. [N] ‘sur l’étendue de la contrefaçon alléguée’ – ce à quoi M. [N] a répondu ‘On fait les mêmes produits que 3D PLUS, c’est de la refabrication de quelque chose qui est dans le domaine public. Nos produits sont vendus par ORBETA, D3CI et pourraient être vendus par SPACEKEY’-, n’excède pas les interpellations strictement nécessaires à l’accomplissement de la mission confiée, (iii) au fait que l’huissier aurait délégué à l’expert informatique la recherche sur les systèmes d’information et (iv) à une prétendue distorsion entre le nombre de disques saisis lors des opérations et ceux remis pour l’expertise.
Sur le constat au siège de la société SPACEKEY et au domicile de M. [N]
La société SPACEKEY soutient que la mesure de constat opérée à l’encontre de la société SPACEKEY et de M. [N] est nulle en raison :
– de l’absence de délai suffisant laissé à M. [N] pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance aux fins de constat,
– de l’incohérence entre les heures indiquées et les diligences effectuées,
– du fait que l’huissier a effectué simultanément des diligences uniques sur la base d’ordonnances distinctes et ne tendant pas aux mêmes fins,
– de la partialité du sachant accompagnant l’huissier,
– du fait que l’huissier a outrepassé sa mission en recherchant « tout préjudice »,
– du fait que les supports de stockage n’ont pas été apportés par l’huissier.
Les moyens relatifs à l’absence de délai suffisant laissé à M. [N] pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance autorisant les constats, à l’incohérence entre les heures indiquées et les diligences effectuées et au fait que les supports de stockage ont été apportés par l’expert informatique et non par l’huissier sont des moyens de nullité de forme et n’ont pas été soulevés en première instance. Ces moyens doivent être déclarés irrecevables en application de l’article 113 du code de procédure civile.
Comme il a été dit, la cour fait siens les motifs par lesquels les premiers juges ont écarté les moyens relatifs à la prétendue partialité du conseil en propriété industrielle accompagnant l’huissier du fait de sa qualité d’ancien salarié de la société THOMSON-CSF et de mandataire de la société 3D PLUS auprès de l’INPI.
C’est par ailleurs pour de justes motifs, que la cour adopte, que les premiers juges ont écarté le moyen par lequel il était soutenu que, les ordonnances ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon et de constat étant distinctes et ne tendant pas aux mêmes fins, l’huissier n’avait pu valablement procéder simultanément à ces opérations.
Enfin, il est fait reproche à l’huissier instrumentaire d’avoir outrepassé sa mission en recherchant ‘tout préjudice’, ce qui excéderait le champ de l’autorisation donnée par le juge. Il ressort du procès-verbal de constat établi par Me [B] au domicile de M. [N] qu’il a indiqué à ce dernier : ‘je vais faire procéder l’investigation [sic] des disques durs de l’ensemble des supports informatiques présentés afin d’établir notamment tout préjudice contre la société 3D PLUS, et ce parallèlement aux opérations de saisie contrefaçon se déroulant le même jour’.
Les intimés soutiennent que cette affirmation dépasse très largement la mission de l’huissier qui se limitait à la recherche et la constatation de « tout document et/ou élément de toute nature susceptible de provenir de 3D PLUS ou faisant référence à 3D PLUS, aux produits qu’elle développe et/ou commercialise, à ses techniques de fabrication et de commercialisation » (point 1) et « tout document et/ou élément de toute nature permettant d’établir : – une relation de travail entre Monsieur [F] [N] et la société ORBITA (‘) ; – la transmission par Monsieur [F] [N] d’informations appartenant à la société 3D PLUS à des sociétés concurrentes de la société 3D PLUS (‘) » (point 5). Cependant, il n’est pas démontré ni même explicité en quoi l’huissier instrumentaire aurait dépassé le périmètre de sa saisine, étant observé que la mesure de constat contestée, diligentée ‘à la demande de la société 3D PLUS’, visait à permettre à cette dernière d’établir la réalité et la consistance des faits délictuels et du préjudice qu’elle alléguait, de sorte que la formule de style employée (‘afin d’établir notamment tout préjudice contre la société 3D PLUS’) s’inscrit nécessairement dans le cadre de l’ordonnance d’autorisation.
Sur le constat opéré au domicile de M. [C]
La société SPACEKEY soutient que la procédure de constat est nulle (i) pour absence de délai suffisant, l’huissier n’ayant laissé que 17 minutes à M. [C] pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance présidentielle, soit 25 pages, (ii) pour absence de mention de l’huissier selon laquelle il était porteur de l’original de l’ordonnance, (iii) en raison du fait que l’huissier a délégué sa mission à l’expert informatique qui n’avait qu’une mission d’assistance, celui-ci ayant pris la décision de copier les disques durs des deux ordinateurs appartenant à M. [C], (iv) en raison du fait que reste inexpliquée la présence d’une étiquette ‘KROLL ON TRACK’ sur le disque dur TOURO neuf sur lequel l’huissier a procédé à une copie des supports informatiques, M. [C] ne connaissant pas de société d’expertise informatique ‘KROLL ON TRACK’, aucun des disques durs lui appartenant ne portant d’étiquette ‘KROLL ON TRACK’, et n’ayant aucun souvenir d’une telle apposition le jour de la saisie sur le disque copié.
Les moyens relatifs à l’absence de délai suffisant laissé à M. [C] pour prendre connaissance de la requête et de l’ordonnance autorisant le constat à son domicile et à l’absence de mention par l’huissier qu’il était porteur de l’original de l’ordonnance sont des moyens de nullité de forme et n’ont pas été soulevés en première instance. Ces moyens doivent être déclarés irrecevables en application de l’article 113 du code de procédure civile.
Comme les premiers juges l’ont retenu, il ne peut être prétendu que l’expert informaticien se serait substitué à l’huissier. Il ressort du procès-verbal de constat que l’huissier indique qu’il constate la présence des deux ordinateurs de M. [C] et des deux messageries qu’ils contiennent et qu’il constate également que l’expert informaticien ‘expose la démarche technique contenue dans l’ordonnance et qui sera suivie à partir de cet instant’, que M. [C] accepte cette démarche et ne s’oppose pas aux opérations de constat, que l’expert commence par entrer sur la messagerie OUTLOOK des ordinateurs les mots clé énumérés dans l’ordonnance et à obtenir des résultats. L’huissier indique ensuite qu’il constate que compte tenu du nombre important de résultats et du grand nombre d’archives de messageries, l’expert lui déclare qu’il n’est pas possible de procéder aux opérations de recherches informatiques sur site et qu’il convient d’appliquer le point 17 de l’ordonnance qui prévoit une copie complète des disques durs équipant les deux ordinateurs portables. L’huissier indique ensuite qu’il constate que M. [C] s’oppose au démontage des disques durs et souhaite que le procédé de reproduction prenne le temps qu’il faudra et que l’expert procède ensuite à la copie des disques durs sur des disques durs TOURO apportés par ses soins et dont il a vérifié au préalable qu’ils étaient vierges de toutes données. Il ne ressort de ces mentions aucune délégation à l’expert informaticien qui ne soit pas justifiée par des contraintes techniques qui ont paru suffisantes au juge quand il a autorisé l’huissier à se faire assister par un expert informatique, notamment pour l’aider à accéder aux documents présents sur les ordinateurs et à les copier.
Enfin, la société 3D PLS justifie que l’expert informatique ayant assisté l’huissier lors du constat chez M. [C], a travaillé pour la société KROLL ON TRACK, ce qui permet d’expliquer la présence du sticker ‘KROLL ON TRACK’. L’appelante souligne, sans être démentie, que les scellés ont été analysés par les conseils des parties et par les experts judiciaires durant la procédure d’expertise et qu’à aucun moment, leur intégrité et la paternité de leur contenu n’ont été remises en cause, la société SPACEKEY, ni M. [C] n’émettant pas de réserve sur l’origine du contenu analysé par l’expert judiciaire pendant plusieurs mois, pas plus qu’ils n’ont fait état de manipulations intervenues sur les scellés.
En conséquence, l’ensemble des moyens de nullité soulevés par la société SPACEKEY sera rejeté et le jugement confirmé en ce qu’il a dit que les procédures de saisie-contrefaçon et de constat réalisées le 26 mars 2014 ne sont affectées d’aucune cause de nullité.
Sur le fond
Sur la matérialité des actes de concurrence déloyale et parasitaire
La société 3D PLUS reproche à la société SPACEKEY :
– la participation de M. [C] à la création et à l’entreprise de la société SPACEKEY;
– l’appropriation déloyale de la documentation et de son savoir-faire, de très nombreux documents confidentiels et stratégiques ayant été retrouvés chez SPACEKEY ainsi qu’aux domiciles de MM. [C] et [N] ;
– des ventes dissimulées de composants 3D PLUS à la société chinoise ORBITA après la fin des relations entre cette société et la société 3D PLUS.
Sur le premier point, elle soutient que la société SPACEKEY a été constituée en juillet 2006 par M. [N], qui venait de quitter la société 3D PLUS quelques mois plus tôt (en mars 2006) et par M. [C] qui était, lui, toujours son salarié et qui le restera jusqu’en 2012 ; que le contrat de travail de M. [C] comportait deux clauses d’exclusivité ; que M. [C] a donc incontestablement violé les obligations de loyauté et d’exclusivité auxquelles il était tenu vis-à-vis de son employeur ; que M. [C] a dissimulé sa participation à la création et à l’activité de la société SPACEKEY et les intérêts qu’il détenait au sein de cette société ; qu’en acceptant la participation de M. [C] à sa création et à son activité, la société SPACEKEY a commis un acte de concurrence déloyale ; que la société SPACEKEY ne peut sérieusement prétendre avoir ignoré la clause d’exclusivité souscrite par M. [C] et a donc agi sciemment.
Sur le deuxième point, elle fait valoir que la société SPACEKEY a bénéficié du double jeu de son fondateur, M. [C], qui, employé par 3D PLUS jusqu’en 2012, a pu constituer et faire bénéficier sa société d’une très large documentation sur les produits, l’activité et les projets de 3D PLUS ; que les opérations probatoires et l’expertise réalisée ont permis de révéler que SPACEKEY bénéficiait d’un nombre considérable de documents de tout ordre et de toute date appartenant à l’appelante, révélant ainsi l’existence d’un véritable espionnage et pillage industriel sur près de 8 ans ; que cette très large documentation portant sur des informations confidentielles et stratégiques a permis à SPACEKEY d’acquérir une connaissance intime de son activité, de ses produits, process et projets, ce qui lui a permis de bénéficier d’un avantage concurrentiel indu pour disposer d’une documentation unique sur la technologie dont s’agit, concevoir sa propre offre de produits concurrents, promouvoir ses produits ; qu’ainsi, la société SPACEKEY s’est placée dans son sillage pour profiter de ses investissements sans bourse délier ; que les contrats de travail de MM. [N] et [C] comportaient des clauses de confidentialité et de restitution des documents en fin du contrat.
Sur le troisième point, elle argue que M. [C] a permis à la société SPACEKEY de désorganiser son activité en dissimulant un certain nombre de vente de composants 3D PLUS à la société chinoise ORBITA après la fin des relations entre cette société et l’appelante ; que compte tenu du caractère sensible de ses produits et de son activité, qui mettent en jeu la sécurité et la défense nationale, elle commercialise ses produits uniquement auprès du client final ou au travers de distributeurs contractuels, mais toujours en connaissance du client final et du projet auquel les produits sont destinés ; que cette connaissance de l’identité du client final (et de son pays d’établissement) est nécessaire pour des raisons techniques, le distributeur n’étant pas, a priori équipé pour résoudre les questions techniques qui nécessitent des échanges directs entre 3D PLUS et l’utilisateur final, et pour des considérations réglementaires et légales, notamment pour permettre le respect de la réglementation relative au contrôle des exportations des biens et technologies dits « à double usage » (BDU), mise en ‘uvre par le Ministère de l’Economie pour lutter contre l’accumulation d’armes dans certaines régions du monde (en application du Règlement (UE) 2021/821), les conditions d’exportation vers de nombreux pays, comme la Chine par exemple, nécessitant des licences et des autorisations spécifiques) et également pour gérer son propre réseau de distribution et les commissions dues à ses agents ; qu’après avoir mis fin au contrat de distribution de la société chinoise ORBITA en avril 2007, elle ne lui a plus vendu aucun module ; qu’à tout le moins jusqu’en novembre 2008, la société SPACEKEY a profité des fonctions de M. [C] au sein de 3D PLUS pour tromper cette dernière et acquérir des composants en s’interposant dans l’opération uniquement afin de dissimuler le véritable acquéreur, la société chinoise ORBITA ; que par ce stratagème particulièrement déloyal et ne relevant pas du jeu normal de la concurrence, la société SPACEKEY a commis des actes de désorganisation de l’appelante et de concurrence déloyale.
La société SPACEKEY demande la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu que les actes de concurrence déloyale et parasitaire n’étaient pas démontrés. Elle argue que les éléments recueillis lors des opérations de saisie et de constat sont dénués de force probante ; qu’en effet, la société 3D PLUS ne peut pas s’appuyer sur des éléments collectés lors d’opérations de saisie-contrefaçon pour prouver des faits de concurrence déloyale, dès lors qu’elle n’agit plus sur le terrain de la contrefaçon, les deux actions ayant des causes différentes et ne tendant pas aux mêmes fins, sauf à détourner la mesure de saisie-contrefaçon de sa finalité et de ses objectifs ; qu’en outre, comme l’a reconnu l’expert, les éléments saisis ont été manipulés en dehors de tout contrôle et ont donc perdu leur intégrité.
Sur le fond, elle fait valoir qu’un salarié est libre de prendre une participation dans une société concurrente sans en informer son employeur et que cette société concurrente est donc libre d’inclure ce salarié dans son actionnariat ; qu’au sein de SPACEKEY, M. [C] est toujours resté ultra minoritaire, n’a jamais exercé aucune responsabilité, n’a jamais travaillé et n’a perçu aucune rémunération lorsqu’il était salarié de 3D PLUS ; que les éléments saisis montrent tout au plus que M. [C] opérait pour le compte de la société D3CI qui, comme M. [C], n’est pas dans la cause ; qu’en outre, au moment de sa création, SPACEKEY n’était pas concurrente de 3D PLUS, mais plutôt un partenaire commercial via la société SPACEKEY COMPONENTS ; que 3D PLUS se garde d’expliquer en quoi la clause d’exclusivité incluse dans le contrat de travail de M. [C] lui aurait interdit de prendre une participation ultra minoritaire dans une société qui n’était pas directement concurrente de son employeur ni en quoi SPACEKEY aurait sciemment participé à la violation de cette clause en acceptant M. [C] dans son capital ; que M. [C] a été expressément dégagé de sa clause de non concurrence lors de la transaction intervenue en 2012 mettant un terme à son contrat de travail ; que la transaction mentionne expressément que : « la société 3D PLUS a dispensé M. [C] de la clause de non-concurrence et ne saurait par conséquent lui reprocher des actes de concurrence » ; qu’au demeurant, la clause d’exclusivité est nulle, portant une atteinte excessive à la liberté du travail ou à la liberté d’entreprendre, étant particulièrement vague et sans justification ; qu’elle ne peut donc servir de base à des prétentions ; qu’en outre, la connaissance de la clause par la société SPACEKEY n’est pas démontrée ; que les prétendues ventes dissimulées ne sont pas prouvées et n’ont jamais eu lieu ; que SPACEKEY n’a jamais vendu le moindre composant de 3D PLUS la société chinoise ORBITA ; qu’il n’y a pas plus de pillage ou d’appropriation déloyale de la documentation et du savoir-faire de 3D PLUS ; qu’en effet, 3D PLUS, qui fabrique ses produits ou les fait fabriquer à Taïwan, est spécialisée non pas dans la conception de produits semi-conducteurs sensibles mais simplement dans l’assemblage de composants, sous la forme de modules électroniques, dits modules « 3D » ou à interconnexion verticale ; que les mots-clé destinés à trouver des éléments de contrefaçon ou de copie servile étaient majoritairement relatifs aux matériaux de fabrication et aux composants électroniques dont les modules en ‘3D’ peuvent être faits et sont très largement utilisés dans l’industrie de l’électronique ; que d’autres mots clé portaient sur des noms et prénoms très communs et n’ont servi qu’à élargir artificiellement le champ des investigations ; que le fait que MM. [C] et [N] aient détenu un « nombre considérable de documents » relevant de mots-clés choisis n’est donc en soi aucunement illicite, d’autant qu’ils étaient en procédure contre 3D PLUS, que M. [C] était commercial pour 3D PLUS et que SPACEKEY COMPONENTS était un partenaire commercial de 3D PLUS ; qu’en dépit de l’importante quantité de documents saisis chez SPACEKEY, M. [N], ISOTOPE ELECTRONICS et M. [C], aucun secret de fabrication ni documents sensibles relatifs à la défense nationale n’ont été trouvé, ni plus généralement aucune pièce significative, pas plus que n’a été établi le moindre acte d’usage ; que les 44 documents 3D PLUS (dont 42 sont des fiches techniques de produits 3D PLUS et 2 sont des présentations commerciales 3D PLUS très anciennes de 2004 et 2005) qui ont été saisis chez M. [N] et SPACEKEY ne sont que des documents publics et/ou présentés à l’extérieur par 3D PLUS dans le cadre d’opérations de communication et/ou commerciales ; que MM. [C] et [N] n’ont eu accès à aucune donnée technique ou commerciale confidentielle de l’entreprise depuis 2006, M. [N] ayant été licencié cette année-là et M. [C] ayant perdu son accès à l’intranet “commercial sur serveur” à partir du 11 juillet 2006 et ayant été exclu des réunions commerciales depuis juin 2006 ; que comme l’a retenu le tribunal, il n’est pas démontré que les pièces saisies chez M. [C] auraient été mises à la disposition de SPACEKEY dès lors qu’elles n’ont pas été retrouvées à l’identique chez cette dernière ; qu’en tout état de cause, les documents cités par l’appelante ne démontrent pas la faute alléguée, leur nombre (44) étant peu élevé eu égard aux longues années de collaboration, au fait qu’ils n’ont pas été retrouvés au sein de SPACEKEY et qu’ils ne présentent aucun caractère de confidentialité.
Ceci étant exposé, les actes de concurrence déloyale et parasitaire sont sanctionnés au titre de la responsabilité de droit commun prévue à l’article 1240 du code civil lorsqu’ils excédent les limites admises dans l’exercice des activités économiques, au nom du principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
A ce titre, si le salarié d’une entreprise peut devenir actionnaire d’une société concurrente, c’est à la condition qu’il n’ait au sein de cette société aucune activité susceptible de contrarier celle de son employeur, que cela ne soit pas accompagné d’agissements déloyaux et sous réserve du respect de son obligation générale de loyauté et, le cas échéant, d’un engagement d’exclusivité ou de non-concurrence.
Il appartient à la partie qui invoque des actes de concurrence déloyale et parasitaire d’en rapporter la preuve.
A cet égard, il est précisé que l’expert avait pour mission notamment de procéder à l’ouverture des scellés en présence des parties et de leurs conseils, de recueillir les explications des parties, de rechercher parmi les documents saisis ceux susceptibles de présenter une utilité pour rapporter la preuve des agissements reprochés, après, le cas échéant, occultation des parties de ces documents ne présentant pas d’utilité.
L’expert a relevé dans son rapport que, le 15 mai 2017, les parties ont donné leur accord pour l’exploitation des scellés ‘en l’état et sans réserve’ (page 18 -rapport du 15 octobre 2018). La société 3D PLUS relève à juste raison qu’à aucun moment des opérations d’expertise, la société SPACEKEY n’a contesté l’origine et l’authenticité des informations contenues dans les scellés.
Face aux critiques émises ultérieurement par le conseil de la société SPACEKEY quant aux conditions dans lesquelles la conservation des éléments saisis ou des scellés avait été réalisée, l’expert a indiqué qu’il avait comparé la liste des scellés au constat des huissiers, constaté qu’il ne manquait pas de scellés à part un composant qui lui avait été adressé par le précédent expert et que les scellés avaient été ouverts dans le cadre des opérations menées par son prédécesseur, ce qui n’est nullement anormal et n’autorise pas la société intimée à affirmer que les scellés auraient été manipulés en dehors de tout contrôle et auraient donc perdu leur intégrité.
Par ailleurs, la très grande majorité des éléments saisis invoqués par la société 3D PLUS à l’appui de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire ont été recueillis dans le cadre des opérations de constat ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.
Sur la participation de M. [C] à la création et à l’entreprise de la société SPACEKEY EUROPE
Il est constant que la société SPACEKEY a été constituée en juillet 2006 par M. [N], qui venait de quitter la société 3D PLUS quelques mois plus tôt, en mars 2006,
et par M. [C] qui, lui, était alors toujours salarié de la société 3D PLUS et qui le restera jusqu’en janvier 2012.
Le contrat de travail de M. [C] contenait une clause de non concurrence par laquelle le salarié s’engageait ‘sur la durée de son contrat de travail et en cas de rupture de celui-ci, pour quelque motif que ce soit, y compris pendant la période d’essai :
– à ne pas créer, participer à la création ou travailler dans une société qui puisse faire concurrence à la Société 3D PLUS SA de quelque manière que ce soit ;
– à ne pas embaucher ou tenter d’embaucher toute personne qui est encore employée par la Société 3D PLUS SA ou qui l’était à un moment quelconque au cours de l’année précédant leur départ de la Société ;
– à ne pas prospecter ou solliciter les clients de la société 3D PLUS SA pour des produits ou des prestations analogues.
Cette interdiction de concurrence est applicable sur la durée du contrat de travail de l’intéressé. A compter du jour de départ effectif de M. [M] [C] de la société 3D PLUS SA, elle se poursuivra pour une durée d’un an en étant limitée aux départements suivants : 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95″.
Cette clause, limitée dans le temps et l’espace, était en outre assortie d’une compensation financière, M. [C] devant percevoir en contrepartie ‘sauf en cas de licenciement pour faute grave ou en cas de démission, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 50 % de la moyenne mensuelle du salaire perçu par lui au cours des 12 dernier mois de la présence dans la société’.
Le contrat de travail de M. [C] prévoyait en outre une clause d’exclusivité et de confidentialité selon laquelle le salarié s’engageait à ‘a) n’accepter, pendant toute la durée du présent contrat, aucune autre fonction professionnelle, rémunérée ou non, et à ne pas s’intéresser à aucune autre affaire sans une autorisation expresse et spéciale de la Direction ; b) ne rien divulguer de confidentiel de ce dont il pourrait avoir eu connaissance en raison de ses fonctions ; c) restituer, lors de la cessation de son engagement, tous les documents qui pourraient être en sa possession en raison de son emploi ; d) ne pas prendre de copies ou de reproductions de tous documents et matériels appartenant à la société, en vue de son usage personnel ou pour tout autre usage non autorisé expressément (…)’.
La société SPACEKEY conteste vainement la validité de ces clauses qui, dûment limitée et rémunérée pour ce qui concerne la clause de non concurrence, apparaissent toutes deux nécessaires à la préservation des intérêts légitimes de la société 3D PLUS et proportionnées à ces intérêts eu égard au caractère stratégique de son secteur d’intervention – ainsi que le révèlent à suffisance le courrier en date du 17 janvier 2014 de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services du ministère du redressement productif qui fait état du fait que la grande majorité des produits de la société 3D PLUS revêt ‘une sensibilité particulière’ justifiant des demandes de licence d’exportation délivrées par l’administration dans le cadre de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (pièce 4) et l’attestation en date du 5 décembre 2022 émanant de la direction générale de l’armement du ministère des armées qui indique notamment que la société 3D PLUS réalise des ‘activités sensibles, à savoir des activités essentielles aux intérêts de la défense nationale’ (pièce 57) – et aux fonctions de responsabilité exercées par M. [C], employé d’abord en qualité de responsable commercial, puis de ‘manager business développement pour le secteur Défense et Aéronautique en France’.
En tout état de cause, la nullité de la clause de non-concurrence ne fait pas obstacle à l’action en responsabilité engagée par l’employeur contre son ancien salarié en raison d’actes de concurrence déloyale de ce dernier lui portant préjudice (Cass. soc., 3 novembre 2010, n°09-42572).
La circonstance que M. [C] ait été délié de sa clause de non-concurrence par la transaction intervenue en 2012 mettant un terme à son contrat de travail et que cette transaction ait prévu que la société 3D PLUS ne saurait en conséquence reprocher des actes de concurrence à son ancien salarié est inopérante dès lors que la levée de la clause valait pour l’avenir seulement et que le renoncement de la société 3D PLUS ne concernait que son salarié, ce qui ne saurait donc la priver de la possibilité de rechercher la responsabilité de la société SPACEKEY, non partie à la transaction, à raison de comportements déloyaux de M. [C] commis pendant l’exécution de son contrat de travail et dont elle aurait pu bénéficier.
La modicité de l’apport de M. [C] dans le capital de la société SPACEKEY est également indifférente et au demeurant relative puisque, sur un capital social de départ de 5 000 €, M. [C] a fait apport de la somme de 750 €.
Il ne peut être sérieusement contesté que la société SPACEKEY, dont l’activité déclarée est au vu de l’extrait Kbis, la représentation commerciale et la distribution de composants et matériels électroniques, ainsi que la fourniture de services de conseils et d’ingénierie, et qui a développé une offre de produits alternatifs à ceux de la société 3D PLUS (cf. pièces 51 et 52 – notamment, documents 66, 112, 115, 677, 678 et 685), a exercé une activité concurrente de celle de la société 3D PLUS.
Il ne peut être davantage contesté que la société SPACEKEY, dont M. [C] était l’un des quatre co-fondateurs, connaissait nécessairement les engagements contractuels de son co-fondateur vis-à-vis de son employeur, la société 3D PLUS, notamment ses obligations de non concurrence et d’exclusivité.
Enfin, la société SPACEKEY soutient que M. [C] n’a exercé aucune activité pour elle du temps qu’il était encore dans les liens de la relation de travail avec la société 3D PLUS. Cependant, les opérations de constat menées le 26 mars 2014 ont permis la découverte dans un dossier dénommé ‘SPACEKEY’ contenu dans l’ordinateur de M. [C], d’un document type intitulé ‘contrat de représentation entre…. et SPACEKEY International SARL (…)’ portant à la place de la signature la mention ‘Pour SPACEKEY International – [M] [C]’, le siège social de la SARL ‘SPACEKEY INTERNATIONAL’ correspondant précisément à l’adresse de M. [C] ; ce document, qui constitue manifestement un projet de contrat, a été créé par M. [C] le 14 avril 2009, alors qu’il était encore le salarié de la société 3D PLUS (pièce 52 – document 1456). Le fait que la dénomination ‘SPACEKEY INTERNATIONAL’ ne corresponde pas exactement à celle de la société mise en cause est sans véritable emport dès lors que le document litigieux ne constitue qu’une trame, un projet de contrat destiné à être complété après d’éventuelles modifications et qu’il ne fait guère de doute que le document préparé par M. [C], trouvé dans un dossier intitulé ‘SPACEKEY’ dans son ordinateur, avec d’autres documents concernant la société SPACEKEY EUROPE (statuts…), l’a été dans l’intérêt de la société SPACEKEY EUROPE. Par ailleurs, dans un courriel daté du 14 mars 2012, M. [C], qui était encore le salarié de la société 3D PLUS, a transféré à M. [N] ‘pour lecture et commentaires’ des courriels concernant manifestement des demandes, traitées par M. [C], de clients recherchant des produits alternatifs à ceux de la société 3D PLUS (ex. M. [C] répond à un questionnaire envoyé précédemment par un client en le complétant : ‘ [traduction] D3CI peut-il fabriquer des modules analogues à 3D PLUS listes ci-dessous avec une qualité et une qualification au niveau spatial : 3DSR8MI6VS2505 ‘OUI’ ; 3DEE4M32VS4162 ‘OUI’ ; 3DSD2G32VS4280 ‘NON, puisque nous ne sommes pas en mesure de trouver des éléments de base, mais OUI si vous pouvez nous fournir les éléments de base’…’) (pièce 52 – document 159). En outre, le 6 juillet 2006, soit quelques jours avant l’immatriculation de la société SPACEKEY, M. [C] a adressé à M. [N], licencié le 15 mars 2006, un courriel avec le message ‘Ainsi que convenu’ comportant en pièce jointe un modèle de contrat de représentation de la société 3D PLUS (pièce 52 – document 1031).
L’ensemble de ces éléments montre que la société SPACEKEY a bénéficié du concours de M. [C], tant pour sa création que pour le développement de son activité, alors qu’elle savait nécessairement, M. [C] étant l’un de ses fondateurs, qu’il était le salarié de la société concurrente 3D PLUS et était lié à celle-ci par un engagement contractuel de non concurrence et d’exclusivité, outre par une obligation générale de loyauté du salarié à l’égard de son employeur, et que ce concours, à l’insu de la société 3D PLUS, n’était donc possible qu’au prix de comportements déloyaux. En cela, la société 3DLUS a commis des actes de concurrence déloyale.
Sur l’appropriation déloyale de la documentation et du savoir-faire de la société 3D PLUS
Au terme de son rapport déposé le 15 octobre 2018, M. [Y], l’expert désigné (en remplacement d’un premier expert) par l’ordonnance de référé rendue le 10 octobre 2014 pour effectuer un tri des éléments appréhendés dans le cadre des différentes mesures probatoires réalisées, a indiqué que le travail avait été ‘long et fastidieux compte tenu de la masse des documents appartenant à 3D PLUS qui ont été constatés dans cette affaire’, indiquant qu’il était incontestable que des documents techniques et commerciaux appartenant à cette société avaient été constatés dans les scellés et précisant que certains scellés n’avaient pu être exploités du fait du cryptage des données, M. [N], M. [C] ou les responsables de la société SPACEKEY ayant déclaré ne plus se souvenir des mots de passe.
Il apparaît en particulier qu’ont été saisis chez M. [N] ou dans les locaux de la société SPACEKEY, notamment :
– des fiches techniques relatives à des produits 3D PLUS (pièce 52 – documents 63,69, 139, 156), dont rien ne permet de dire, eu égard notamment au secteur sensible et stratégique de l’activité de la société 3D PLUS, qu’elles avaient vocation à être diffusées à des clients ou prospects sans restriction ;
– des documents intitulés ‘Exigences générales d’approvisionnement et de contrôle d’entrée des composants EEE’ (pièce 52 – documents 1091 à 1093) ;
– une liste de produits 3D PLUS vendus aux Etats-Unis comportant les prix des produit et le nom du programme spatial concerné (pièce 52 – document 64) ;
– une plaquette de présentation de produits industriels portant la mention ‘This document is COMPANY CONFIDENTIAL’ (pièce 52 – document 213) ;
– le compte-rendu d’une réunion avec la DGA (direction générale de l’armement) et la société THALES (pièce 52 – document 265) ;
– des plaquettes relatives à des réunions commerciales tenues en janvier 2012 portant la mention ‘This document is COMPANY CONFIDENTIAL’ (pièce 52 – documents 178 et 183) ;
– des propositions commerciales adressées à des clients (THALES, ISRO, KOREAN AEROSPACE, EPROM…), certains portant la mention ‘confidentiel’ (pièce 52 – documents 274, 1215, 1220, 1568…) ;
– des ‘dossiers de définition’ de produits portant la mention ‘confidentiel’ (pièce 52 – documents 248, 468…) ;
– un document ‘company confidential document’ portant sur des coûts de fabrication (pièce 52 – document 1285) ;
– des plannings de production (pièce 52 – documents 1289 à 1293) ;
– des listes de clients 3D PLUS (pièce 52 – document 700) ;
– des accords de confidentialité avec les clients ELOP et THALES (pièce 52 – documents 185 et 1615) ;
– des contrats signés avec des clients (CNES, CETP) (pièce 52 – documents 1556 et 1582) ;
– des calculs de fiabilité et de contrôle qualité de produits (ex. pièce 52 – document 1144) ;
– un rapport d’évaluation ESA des produits 3D PLUS (pièce 52 – document 1158) ;
– un document coût de revient (pièce 52 – document 1561 portant la mention ‘Il est rappelé que les informations ci-dessous sont confidentielles’).
Le caractère confidentiel de ces documents, qui sont pour certains expressément revêtus de la mention ‘confidentiel’, résulte de l’activité ‘sensible’ exercée par la société 3D PLUS, de l’objet ou de la nature même des documents (accords de confidentialité, coûts de fabrication, calcul de coûts de revient, propositions commerciales adressées à des clients…).
Comme il a été dit, le contrat de travail de M. [C] comportait une clause de confidentialité prévoyant des obligations de non-divulgation et de restitution de documents à la fin du contrat de travail. Le contrat de travail de M. [N] comportait la même clause.
La cour estime, contrairement au tribunal, que les informations précises et très nombreuses, détenues sous la forme de documents directement issus de la société 3D PLUS, qui étaient toutes susceptibles d’être ré-exploitées au détriment de la société 3D PLUS, ne relèvent pas de l’expérience et du niveau d’information nécessairement acquis et conservés par M. [N] au moment de son départ de la société 3D PLUS, indépendamment de tout support matériel, et qu’il ne pourrait lui être reproché d’avoir mis au service d’une autre société. Ces informations ne se sont trouvées en possession de M. [N] ou de la société SPACEKEY qu’à la suite d’une appropriation frauduleuse.
Il n’est pas nécessaire pour la société 3D PLUS de démontrer que ces informations ont été effectivement exploitées par la société SPACEKEY dès lors que le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié ou l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce concurrent et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.
Les actes de concurrence déloyale sont donc établis.
En revanche, le parasitisme n’est pas caractérisé dès lors qu’il ne ressort pas du dossier que la société SPACEKEY a cherché à s’approprier une valeur économique acquise par la société 3D PLUS en s’inscrivant dans son sillage.
Sur les ventes dissimulées
Dans un courriel adressé le 21 septembre 2007 à ‘[S]’ de la société chinoise ORBITA, M. [N] écrit : ‘Nous avons un problème avec 3D+ ; aujourd’hui SpaceKey US a reçu un email de [W] indiquant qu’il voulait un accord de client final pour fournir les composants ! C’est la première fois que nous recevons une telle requête de 3D+ !! Je pense que 3D+ a été informé que nous achetons pour vous ! La situation est compliqué mais SpaceKey va pousser pour obtenir les composants aujourd’hui !! Nous avons aussi des moyens de pressions et les utiliserons…’ (pièce 52 – document 1436). La société SPACEKEY reconnaît là une unique tentative de vente de pièces 3D PLUS à la société ORBITA, n’ayant pas abouti. Il est constant qu’en septembre 2007, M. [C] a reçu un avertissement de sa hiérarchie notamment pour n’avoir pas respecté les protocoles de commercialisation des produits 3D PLUS.
La société 3D PLUS ne démontre toutefois pas la continuation de ces agissements.
En conséquence des développements qui précèdent, le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale.
Sur les mesures réparatrices
La société 3D PLUS demande à la cour d’évaluer forfaitairement son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire à la somme de 825 000 €. Elle fait valoir que la société SPACEKEY l’a concurrencée déloyalement depuis sa création, en 2006 ; que grâce à des complicités internes, cette société a désorganisé la distribution de ses produits ; qu’elle a également porté gravement atteinte à ses secrets commerciaux et techniques, comme cela ressort clairement de l’expertise, en pillant littéralement son fond documentaire ; qu’elle a ainsi bénéficié de près de 10 ans de documentations confidentielles techniques et commerciales, ce qui lui a permis de disposer d’une documentation unique sur la technologie dont s’agit, d’économiser ainsi des investissements importants sur un certain nombre de process, notamment techniques, financiers, de qualité et/ou juridiques, de gagner autant d’années de recherche et de développements puisqu’elle a eu directement accès aux données concernant les produits élaborés et aboutis, permettant de les fabriquer et de les commercialiser et de les qualifier pour le domaine spatial, de concevoir, en partenariat avec les sociétés D3CI et ORBITA, des copies de ses produits et de les importer et de les offrir à la vente à partir de 2010, de parasiter son offre de produits en proposant systématiquement à ses clients des offres de produits « équivalents », de surveiller illicitement la stratégie à moyen terme d’un de ses concurrents ; que si la société SPACEKEY pouvait offrir à ses clients des « alternatives » aux produits 3D PLUS, en connaissant simplement les références des produits concernés, c’est bien qu’elle bénéficiait de l’ensemble des informations techniques et des procédés de fabrication relatifs à ces produits que détenait M. [C] ; qu’outre les dépenses d’amélioration de la qualité, la société 3D PLUS investit annuellement 8 à 10 % de son chiffre d’affaires en R&D, soit plus de 17 millions d’euros de dépenses sur la période 2006 à 2014 ; que la somme sollicitée, représentant 5 % des dépenses cumulées de qualité et de R&D, est dès lors parfaitement justifiée.
La société SPACEKEY oppose que les préjudices invoqués sont inexistants ; qu’aucune baisse de chiffre d’affaires ou perte de clientèle ou désorganisation n’est démontrée ; que les montants d’investissements invoqués, basés sur les déclarations de Crédit Impôt-Recherche de 3D PLUS, ne peuvent être considérés comme pertinents pour une technologie d’assemblage éculée, mise au point il y a 30 ans par une autre société sur la base d’un brevet d’invention américain de 1962 ; que de plus, ils n’apparaissent pas en adéquation avec le chiffre d’affaires et le taux de marge de 75% retenu par 3D PLUS pour estimer son préjudice ; qu’en sa qualité de simple revendeur, la société SPACEKEY ne réalise pas d’économies de R&D sur les produits qu’elle commercialise puisqu’elle n’est ni le concepteur ni le fabricant et que ses frais liés à la commercialisation d’un produit sont les mêmes quel que soit le produit ; que ses chiffres d’affaires et bénéfices sont sans commune mesure avec ceux de 3D PLUS ; que les mesures complémentaires sollicitées sont tout aussi disproportionnées.
Ceci étant exposé, des actes de concurrence déloyale causent nécessairement un préjudice, au moins moral, à celui qui en est victime. Ce préjudice peut être apprécié en tenant compte de l’économie injustement réalisée par l’auteur des pratiques déloyales.
En l’espèce, la société 3 D PLUS a subi un préjudice moral indéniable du fait que pendant 6 années, entre 2006 et 2012, l’un de ses salariés, pourtant tenu par un engagement de non concurrence, d’exclusivité et de confidentialité, a participé, à son insu, à la création et à l’activité d’une autre société, concurrente en ce qu’elle proposait à la vente le même type de composants électroniques qu’elle qualifiait elle-même de produits ‘alternatifs’ à ceux de la société 3D PLUS, du fait également qu’une partie de sa documentation, pour partie à caractère confidentiel, s’est retrouvée dans les locaux de la société SPACEKEY ou chez le dirigeant de celle-ci.
Il en est résulté également pour la société 3D PLUS un préjudice matériel, dès lors que la société SPACEKEY, ayant à sa disposition des informations techniques et commerciales de sa concurrente, a profité ainsi d’un avantage concurrentiel indu. Cet avantage concurrentiel est difficile à quantifier mais il a, pour le moins, permis à la société SPACEKEY d’être en mesure de proposer plus aisément et plus rapidement à sa clientèle des produits ‘alternatifs’. A cet égard, plusieurs pièces au dossier montrent que, notamment dans ses relations avec sa clientèle, la société SPACEKEY définit couramment ses produits par rapport à ceux de la société 3D PLUS (ex. mail de M. [N] du 25 avril 2013 : ‘si le client souhaite évaluer certains de nos produits, nous avons une solution immédiate : nous croyons fermement que notre produit NAND… serait une contrepartie majeure de leur produit 3DFN…. car il apporte une capacité de mémoire beaucoup plus élevée…’ ; mail de RF [[M] [C]] du 11 juillet 2013 : ‘je peux inclure une présentation de la technologie, mais cette partie peut ne pas avoir un grand intérêt pour les clients si ils sont déjà familiers de 3D PLUS…’ ; mail adressé à M. [N] le 21 juin 2012 ‘le pn sera également le même que celui de 3D plus, ou nous aurons un pn différent’ ; mail adressé à M. [N] le 10 mai 2012 : ‘Sur l’alternative à 3D PLUS, le client m’a demandé plus de détails et la proposition de prix pour mémoire’… – pièce 51).
Il n’est en revanche pas démontré une désorganisation de la distribution des produits de la société 3 D PLUS.
La société 3 D PLUS ne démontre pas plus, ni même n’invoque, une baisse de son chiffre d’affaires ou une perte de clientèle.
Il n’est pas établi que les investissements de recherche et développement dont elle justifie en produisant une attestation de la société KPMG, son expert-comptable, concernent exclusivement les composants électroniques dont s’agit dans la présente affaire.
En tenant compte de ces éléments, la cour est en mesure d’évaluer à la somme forfaitaire de 100 000 € le préjudice tant matériel que moral subi par la société 3D PLUS du fait des agissements de la société SPACEKEY.
Le préjudice de la société 3D PLUS étant ainsi suffisamment réparé, et au égard à l’ancienneté des faits, il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes complémentaires de destruction et de publication, le jugement étant confirmé de ces chefs.
Sur la demande de la société SPACEKEY EUROPE pour procédure, saisies-contrefaçon et constats abusifs
Le sens de la présente décision conduit à rejeter les demandes de la société SPACEKEY.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société SPACEKEY, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés par l’avocat de la société 3D PLUS dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant infirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société SPACEKEY au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société 3D PLUS peut être équitablement fixée à 30 000 € pour la première instance et l’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a :
– débouté la société 3D PLUS de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale,
– condamné la société 3D PLUS aux dépens et dit qu’ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamné la société 3D PLUS à verser à la société SPACEKEY EUROPE et à M. [N] ensemble la somme de 50 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que la société SPACEKEY EUROPE a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société 3D PLUS,
En conséquence, condamne la société SPACEKEY EUROPE à payer la somme de 100 000 € à la société 3D PLUS à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Dit irrecevables les moyens nouveaux de nullité de forme des procédures de saisie-contrefaçon et de constat présentés en appel par la société SPACEKEY,
Condamne la société SPACEKEY EUROPE aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés par l’avocat de la société 3D PLUS dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la société 3D PLUS de la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour la première instance et l’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE