Sécurité informatique : 13 octobre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/04011

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Sécurité informatique : 13 octobre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/04011

N° RG 20/04011 – N° Portalis DBV2-V-B7E-IT46

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 13 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 10 Novembre 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Valérie-Rose LEMAITRE de la SCP LEMAITRE, avocat au barreau de l’EURE

INTIMEE :

S.A. TRANSVIDEO

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE substituée par Me Caroline LEGRAS-DEZELLUS, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. CABRELLI, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 07 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 13 Octobre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [U] [R] a été engagé en contrat à durée indéterminée par la société Transvidéo en qualité d’ingénieur de développement électronique, statut cadre, à compter du 5 décembre 2005.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Il a été licencié pour faute grave le 27 juin 2014 dans les termes suivants :

‘(…) Vous avez été embauché par notre société courant novembre 2005 en qualité d’ingénieur développement électronique.

Très rapidement, vous avez fait preuve d’un caractère difficile et d’une attitude agressive, tant à mon égard, qu’à l’égard de vos collègues qui ont tendance à vous craindre. Cette situation s’est aggravée pendant les dernières années pour devenir insupportable depuis le début du mois de janvier 2014.

J’ai toujours fait preuve de beaucoup de patience à votre encontre, essayant d’occulter vos foucades aux fins de privilégier le travail et donc l’avenir de la société.

De même je me suis toujours efforcé d’ignorer vos défis et de conserver mon calme :

– Quand vous avez versé une cafetière de vieux café devant témoin dans le bassin du jardin de l’atelier où nous élevons des poissons tout en clamant ‘que vous faisiez ici ce que vous vouliez’,

– Quand en fin d’année 2013, vous m’avez tourné le dos du début à la fin d’une réunion, et qu’en janvier 2014 vous avez tapé du pied en ponctuant chacune de mes phrases au cours d’une autre réunion, dans le dessein exclusif de me ridiculiser vis-à-vis de mes salariés,

– Quand dans le courant d’une troisième réunion vous avez fait un scandale en demandant publiquement d’être licencié…

Depuis le début du mois de janvier 2014, force est de constater que ces humiliations, ces pressions et cet harcèlement permanent s’accélèrent.

Lorsque je vous croise, vous m’ignorez ou surgissez inopinément à mes côtés, sachant pertinemment qu’en raison de mon diabète, je ne bénéficie que d’un champ visuel réduit et que les situations de stress me sont contre-indiquées compte tenu de l’infarctus par moi subi fin 2009.

Vous vous adressez à moi avec une grande violence verbale et cherchez sans arrêt ‘le rapport physique’.

De plus vos demandes incessantes de sommes d’argent pour quitter la société sont absolument indécentes -d’autant plus que des efforts conséquents ont été consentis par les collaborateurs de la production, de l’administration et aussi moi-même pour pouvoir continuer à financer notre équipe de développement dans une période de tensions pour les entreprises travaillant à l’exportation.

Lorsque je vous ai rappelé ces faits lors de l’entretien du 23 courant, vous avez déclaré ‘je n’en ai rien à foutre, c’est votre problème’. Ce qui traduit bien votre personnalité et la réalité de votre implication au sein de l’entreprise que vous revendiquez par ailleurs si haut.

J’en suis arrivé à avoir peur de vous.

D’insomniaque par votre faute, je suis devenu dépressif.

J’ai dû cesser, courant mai, toutes activités pendant huit jours pour raisons médicales générées par vos agissements.

Le 23 mai dernier face à cette situation intenable, j’ai dû déposer plainte pour harcèlement moral sur le lieu de travail à la gendarmerie de [Localité 4] sur Avre.

L’instruction de cette plainte est en cours.

Parallèlement, depuis des semaines vous n’effectuez strictement plus aucun travail, en dépit de nos multiples demandes.

Contrairement à vos incantations, votre supérieur hiérarchique, M. [H] [M] vous a toujours assigné diverses tâches pour lesquelles curieusement vous refusez purement et simplement de vous investir -notamment dans le FPGA du projet Rainbow FHD.

Vous vous refusez à établir et à communiquer vos fiches hebdomadaires de travail, exception faite -étonnamment- de celle de la semaine 23/2014 selon laquelle vous ‘auriez’ diligenté rapports et études sur la colorimétrie et travaillé sur le Rainbow FHD.

Ces pseudos travaux avancés par vous sont purement fictifs et mensongers.

Pour preuve, l’analyse des logs de connexion de notre pare-feu que nous avons été contraints d’effectuer.

Cette analyse s’est avérée indispensable, au regard des anomalies de transactions enregistrées sur notre réseau en terme de taille de données véhiculées et du ralentissement de l’accès à Internet.

Après contrôle, nous avons été amenés à constater que le poste originaire de ces flux était le vôtre -poste dont vous avez l’utilisation exclusive.

Un rapport édité sur une dizaine de jours, fin mai/début juin 2014 démontre que vous développez une activité quotidienne impressionnante sur internet totalement incompatible avec votre activité professionnelle avancée -cette carence totale perdurant d’ailleurs depuis bien plus longtemps puisqu’il s’avère que vous ne travaillez plus depuis le mois de janvier.

Concrètement, en dehors de votre pause repas, vous êtes connecté en permanence sur Internet et visionnez des sites aussi divers que variés, citons notamment, sans que cette liste soit exhaustive:

– site d’information, le monde, le nouvel observateur, l’info en ligne, la Tribune, …

– site de travaux en bâtiment (en vue de l’extension de votre logement sans doute…)

– site de vente en ligne,

– site d’information sportives (avec une prédilection pour le football)

– sites de bourse en ligne,

– sites féminins… voire plus exotiques…

– sites de recherches d’emploi…

– sites concernant les syndicats,

– sites concernant le droit du travail (harcèlement moral, droit des brevets, d’où vous avez sûrement exhumé vos revendications fantaisistes, dont la dernière sur la paternité d’un de nos brevets… etc…)

En bref, ces logs représentent entre 5 000 et 10 000 lignes par jour et des durées d’utilisation correspondant à votre présence dans l’entreprise alors que vous revendiquez une activité productive équivalente sur vos rapports d’activité.

Vous comprendrez aisément que face à votre attitude, à vos provocations permanentes et à votre absence totale et volontaire de travail notre collaboration ne puisse perdurer.

Ces agissements extrêmement graves, s’avèrent très préjudiciables à notre société, et nous contraignent de procéder à votre licenciement pour faute grave. (…)’

Par requête du 4 mai 2016, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux en contestation du licenciement, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Après deux décisions de retrait du rôle à la demande des parties, par jugement du 10 novembre 2020, le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de M. [R] reposait sur une faute grave, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, a débouté la société Transvidéo de ses demandes reconventionnelles et a condamné M. [R] aux entiers dépens.

M. [R] a interjeté appel de cette décision le 8 décembre 2020.

Par conclusions remises le 7 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [R] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Transvidéo à lui payer les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 11 103 euros bruts,

congés payés afférents : 1110,30 euros bruts,

indemnité conventionnelle de licenciement : 9 207,37 euros nets,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 29 608 euros nets de CSG et CRDS,

– ordonner à la société Transvidéo de lui remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail et attestation Pôle emploi) rectifiés conformément à la décision ainsi qu’un bulletin de salaire pour celles des condamnations ayant le caractère de salaire ou accessoires de salaire,

– condamner la société Transvidéo à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 7 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Transvidéo demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et en conséquence de débouter M. [R] de l’intégralité de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 25 août 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Tout en contestant un quelconque harcèlement à l’égard de M. [B], dirigeant de la société Transvidéo, M. [R] relève qu’il ne lui a jamais été fait la moindre remarque sur son comportement durant huit ans, qu’il a au contraire toujours entretenu de bonnes relations avec ses collègues et que s’il a été envisagé une rupture amiable, cela ne saurait lui être reproché alors même que la société Transvidéo a accepté d’engager des pourparlers alors qu’elle pouvait lui opposer une fin de non-recevoir si elle le souhaitait. En ce qui concerne l’absence de travail, il s’étonne qu’il puisse lui être reproché cette situation alors que c’est la société Transvidéo elle-même qui est à l’origine de cette situation, ce qui est d’ailleurs confirmé par l’absence de toute relance contrairement à ce qu’elle affirme. En tout état de cause, il remet en cause l’ampleur des connexions personnelles qui lui sont reprochées mais aussi les conclusions de l’expert diligenté dès lors qu’il est impossible d’affirmer qu’il est à l’origine de ces connexions.

En réponse, la société Transvidéo met en avant les conclusions de l’enquête pénale diligentée suite à la plainte de son dirigeant, M. [B], pour harcèlement moral de la part de M. [R], et notamment les auditions de plusieurs salariés qui corroborent son attitude agressive et le rapport de l’expert psychiatre qui confirme l’état dépressif réactionnel de M. [B]. Par ailleurs, elle relève que M. [R] a cessé de travailler à compter du mois d’avril comme le démontrent ses relevés hebdomadaires, l’attestation de son responsable, M. [K], et les innombrables consultations de sites internet non professionnels.

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et l’employeur qui l’invoque doit en rapporter la preuve.

Il résulte de la lettre de licenciement qu’il est reproché deux séries de griefs à M. [R], d’une part son attitude agressive et harcelante à l’égard, notamment, du dirigeant de la société, et d’autre part, son absence de travail durant plusieurs semaines avant son licenciement.

A l’appui de la première série de griefs, la société Transvidéo produit essentiellement les différentes auditions réalisées par les services de gendarmerie suite à la plainte déposée par M. [B] le 27 mai 2014 pour harcèlement moral, des pièces médicales le concernant, mais aussi quelques attestations de salariés évoquant notamment les faits plus précis dénoncés dans la lettre de licenciement.

Ainsi, Mme [T], mais aussi, MM. [J], [F] et [L] expliquent avoir assisté à une réunion lors de laquelle M. [R] après avoir entendu que les tickets restaurant seraient supprimés compte tenu des difficultés de la société, a indiqué vouloir être licencié s’il devait y avoir des licenciements, ce qui leur a paru déplacé.

Par ailleurs, MM. [F] et [G] [B], fils de M. [O] [B], relatent également que lors d’une réunion, M. [R] est arrivé avec une chaise en prétextant un mal de dos et qu’ainsi, alors que tout le monde était debout, il est resté assis, M. [B] précisant qu’il ‘tapotait fort du pied’ durant la réunion, ce qu’il a confirmé lors de son audition devant les services de police, précisant qu’il tapotait du pied au sol lorsque le PDG parlait, sans savoir s’il s’agissait d’une provocation ou d’un état naturel, sachant qu’il était constamment en tension.

Outre qu’il n’est pas apporté d’éléments précis sur la datation de ces réunions qui, au vu des pièces du dossier, se situent fin 2013-début 2014, soit très antérieurement à l’engagement de la procédure de licenciement, ces faits ne sauraient être considérés comme fautifs dès lors que s’agissant de la première réunion, il s’agit d’un propos qui ne dépasse pas les limites de la liberté d’expression face à la perte d’un avantage et que, s’agissant de la deuxième réunion, M. [R] justifie, par des pièces médicales, rencontrer des problèmes de dos ne permettant pas la station debout prolongée et que la seule déclaration de M. [B], proche du gérant de la société Transvidéo, sans aucun autre témoignage le corroborant, quant au ‘tapotage’ du pied ne peut davantage être retenu, et ce, d’autant que M. [B] lui-même indique ne pas savoir s’il s’agissait d’une provocation ou d’un état naturel émanant d’un salarié constamment en tension.

Enfin, en ce qui concerne l’épisode de la cafetière, là encore non daté mais dont il résulte de l’entretien préalable au licenciement qu’il daterait de 2013, il s’agit manifestement d’un incident, immédiatement réglé, comme le déclare d’ailleurs M. [G] [B] lui-même qui indique avoir surpris M. [R] versant un restant de cafetière dans le bassin des poissons, qu’il lui a fait la remarque que ça ne se faisait pas et que si celui-ci lui a dit faire ce qu’il voulait, il n’a cependant pas insisté en voyant que l’histoire prenait de l’ampleur, précisant ne pas avoir eu d’autres conflits avec lui par la suite.

Or, au-delà de ces trois épisodes plus précisément décrits par des salariés de l’entreprise, aucune des attestations ou auditions devant les services de gendarmerie ne sont de nature à confirmer les faits dénoncés par M. [O] [B] lors de son dépôt de plainte et repris dans la lettre de licenciement.

En effet, s’il résulte des différentes auditions et attestations que M. [R] avait un fort caractère, une forte personnalité, jouant de sa taille et de sa voix, qu’il pouvait avoir une attitude négative envers la société ou être dans l’opposition, il n’est cependant pas évoqué de faits précis et datés, et notamment, aucune de ces personnes ne témoigne d’une quelconque agressivité physique envers M. [B], ni d’ailleurs d’aucune agressivité verbale, seuls des échanges houleux réciproques étant évoqués.

Ainsi, si M. [M], supérieur hiérarchique de M. [R], explique avoir eu du mal, au début, à se faire au caractère fort et orgueilleux de M. [R] qui pouvait profiter de son physique et se considérer comme le roi de l’entreprise, sans accepter les directives avec des réactions assez violentes, il précise néanmoins que lors d’une réunion fin janvier, M. [B] a ciblé M. [R] en lui adressant de nombreuses réflexions, en étant très dur quant aux reproches adressés, sans que cela ne soit forcément fondé, ce qui l’a affecté et a été la goutte d’eau faisant déborder le vase et qu’il lui a alors dit qu’il souhaitait partir. Il précise en outre qu’il était un bon élément, qu’il n’y avait vraiment que son caractère qui était délicat et que, pour sa part, il le mettait de côté car il faisait du bon boulot. Enfin, et surtout, même s’il conclut que M. [R] est quelqu’un d’impulsif et qu’il a véritablement un problème avec l’autorité, il relève néanmoins que les deux (M. [B] et M. [R]) ont un fort caractère et que ni l’un, ni l’autre n’est diplomate.

Quant à Mme [Z], directrice des opérations, elle indique qu’en février 2014, alors que M. [R] était venu les saluer dans le bureau qu’elle partageait avec M. [B], sa voix était fébrile et tremblante, il avait alors demandé au patron de lui faire une proposition et qu’il partirait, que M. [B], stupéfait, avait répondu ‘formidable’. Elle explique néanmoins le contexte de cette entrevue, au demeurant non fautive, en indiquant que le matin même lors d’une réunion, M. [B] avait dit aux salariés qu’il fallait adapter la façon de travailler à la situation économique et que les personnes qui n’étaient pas d’accord pouvaient quitter l’entreprise, ce qui avait affecté M. [R], orgueilleux, car il s’était senti concerné par les propos dans la mesure où au mois de janvier, M. [M] avait reçu des directives concernant son travail et les lui avait retransmises, ce qui ne lui avait pas plu.

Enfin, Mme [N], responsable sécurité informatique, évoque, sans autre précision, une conversation avec un ton bien plus élevé qu’à la normale, sans la dater et sans pouvoir en donner les termes.

Au-delà de l’absence d’éléments suffisants rapportés par la société Transvidéo pour justifier d’une agressivité physique ou verbale à l’égard du dirigeant de la société, M. [R] produit plusieurs attestations d’anciens salariés qui font état d’excellentes relations avec M. [R] et mettent en cause l’attitude de M. [B] lui-même, M. [A] expliquant avoir entendu M. [B] crier sur M. [R] dans les jours ayant suivi la réunion de janvier 2014 lors de laquelle il lui avait été fait de nombreux reproches et MM. [I] et [W] faisant état d’un management par la peur, de remarques publiques, n’hésitant pas à rappeler aux salariés qui exprimaient un désaccord qu’ils pouvaient prendre la porte.

Ainsi, au-delà du fort caractère de M. [R], existant manifestement depuis son embauche en 2005, il ne ressort pas suffisamment des éléments précités qu’il aurait agressé verbalement, et encore moins physiquement M. [B], sans que l’arrêt de travail de celui-ci du 12 au 18 mai 2014 ou les conclusions de l’expert psychiatre diligenté par la gendarmerie aux termes desquelles il est mentionné que ses propos sont crédibles et qu’il présente un syndrome dépressif réactionnel soient de nature à établir la réalité des faits dénoncés, étant au surplus relevé que cet expert a rendu ses conclusions alors même qu’il suivait manifestement M. [B] à titre privé pour lui avoir délivré un certificat de suivi quelques jours plus tôt.

Enfin, il ne saurait davantage être reproché à M. [R] d’avoir proposé d’engager des pourparlers quant à un départ de l’entreprise, et ce, d’autant qu’il ressort de l’audition de Mme [Z] que l’entreprise avait elle-même contacté son conseil pour envisager une transaction et faire des propositions à M. [R].

En ce qui concerne la deuxième série de griefs liée à l’absence de travail fourni durant la période précédant le licenciement, il est notamment produit aux débats des fichiers imprimés, présentés comme étant l’historique des connexions internet de M. [R] du 28 mai au 10 juin 2014, dont il se déduit que des sites non professionnels ont été consultés tout au long de la journée de travail et, parallèlement à ces imprimés, les fiches hebdomadaires de l’année 2014 remplies par M. [R] sur lesquelles sont notées les heures effectuées sur tel ou tel projet, et en l’occurrence, l’absence de remplissage de ces feuilles postérieurement au 4 avril 2014, à l’exception de la semaine du 2 au 6 juin, sur laquelle est à nouveau mentionné qu’un travail a été régulièrement réalisé.

M. [R] ayant contesté la fiabilité des données ressortant de ces imprimés, la société Transvidéo a contacté M. [E], expert de justice près la cour d’appel de Rouen, ingénieur de l’école centrale de [Localité 3] et conseil en organisation et systèmes d’information afin qu’il valide ou non la fiabilité des sources et le cas échéant qu’il en analyse le contenu et c’est dans ce contexte qu’il a dressé un rapport non contradictoire le 7 novembre 2018 aux termes duquel il explique que Mme [N], responsable informatique de la société Transvidéo, a reçu à l’époque la mission de tracer 24h/24 l’utilisation d’internet du micro-ordinateur correspondant à l’adresse IP 79, soit l’ordinateur mis à la disposition de M. [R], et de l’exporter dès que possible depuis le pare-feu Arkoon, alors utilisé, en imprimant l’intégralité de chaque fichier.

Précisant que la documentation du pare-feu Arkoon, et notamment les ‘logs systèmes’, sont gérés par rotation hebdomadaire, non manageables, compressés et purgés à six semaines, il indique qu’il est normal qu’il n’ait trouvé aucun fichier de logs dans le pare-feu mis à sa disposition pour la période du 2 au 6 juin 2014, aussi, relate t-il avoir analysé ces fichiers tels que transmis par Mme [N] à M. [B] les 4 juin à 10h15 et 18h09, le 5 juin à 18h22 et le 6 juin à 18h51.

Mettant en avant que pour les journées des 4, 5 et 6 juin, l’écart entre la dernière ligne enregistrée sur le pare-feu et la transmission à M. [B] est situé entre 30 et 45 minutes et que surtout l’écart entre l’heure de création du fichier et l’heure d’envoi à M. [B] varie de 2 à 10 minutes, il en conclut qu’il est impossible, en si peu de temps, que des intervenants de l’entreprise aient pu modifier de façon cohérente et préventive un ensemble de 6 500 pages ou de 10 000 000 de caractères et il déclare en conséquence que le contenu des cinq fichiers de logs est intègre et montre que de nombreux sites non-professionnels ont été consultés depuis l’adresse IP n°79.

Il note encore que si les ordinateurs de l’entreprise n’étaient pas protégés par un mot de passe personnel et qu’il était donc possible pour des tiers de l’utiliser, il considère au vu du nombre de requêtes lancées pour une durée minimale de 1h40, qui ne comprend pas le temps de consultation, que cette hypothèse n’est pas plausible car il s’agirait alors, non pas d’un poste de travail attribué mais d’un réel poste en ‘self-service’, ouvert et partagé, sachant qu’il ressort du compte-rendu d’activité dressé par M. [R] pour la semaine du 4 au 6 juin qu’il a travaillé sur des projets professionnels.

Face à ce rapport, M. [R] produit deux attestations émanant d’un ingénieur diplômé de l’école polytechnique, M. [Y], et d’un chef d’entreprise ayant exercé en qualité d’expert en cybersécurité dans l’armée, M. [P], titulaire des titres d’informaticien de développement, d’administration et d’exploitation des systèmes informatiques, diplômes dont il est justifié, aux termes desquelles ils expliquent que ce rapport est critiquable en ce qu’il n’est pas possible de démontrer de manière indiscutable que les fichiers de logs sont intègres dès lors que, ne ressortant pas directement du pare-feu, il est possible de modifier de manière très simple et quasi-immédiate un ensemble de données à l’intérieur d’un fichier texte, et ce, en quelques secondes, M. [Y] précisant qu’une des possibilités est également la substitution dans les logs de l’adresse d’un poste informatique ayant réellement consulté ces sites par l’adresse IP ’79”.

Pour autant, au-delà des possibilités de falsification ainsi mises en avant, il convient de relever que M. [B] n’est pas à l’origine de la récupération des fichiers, celle-ci ayant été faite par Mme [S], responsable informatique, qui n’avait aucun intérêt direct dans le litige et qui aurait engagé grandement sa responsabilité en falsifiant des données produites en justice, sachant que c’est elle qui a explicité à M. [E] les modalités de récupération des fichiers.

En outre, et alors que les consultations internet excessives opérées par M. [R] ont été dénoncées par M. [B] dans un courrier du 13 avril 2014 mais aussi lors de l’entretien préalable à licenciement, il doit être noté qu’il ne les a, à cette occasion, pas contestées, mettant simplement en avant l’absence de travail qui lui était fourni.

En outre, il résulte de l’attestation M. [M] que, si à compter de janvier 2014, M. [R] a été en charge de trouver la solution pour améliorer la colorimétrie du Rainbow HD suite aux tests faits en commun avec la direction, après la réunion générale du 21 janvier 2014, personnellement blessé par les propos tenus par la direction, M. [R] lui a fait part de son intention de quitter l’entreprise et fin avril, alors qu’il lui demandait de faire une synthèse de son travail sur la colorimétrie et de prendre en charge le développement FPGA du nouveau produit Stargate, M. [R] a refusé en lui précisant que cette tâche lui appartenait dorénavant, ce qui est corroboré par le mail de M. [R] du 1er avril 2014 aux termes duquel, au-delà de faire part des grandes difficultés relationnelles rencontrées avec M. [B], il indique avoir incité M. [M] à prendre la main sur le design du FPGA du nouveau projet Rainbow full HD car il lui est extrêmement difficile de s’y investir au vu du contexte mais aussi parce qu’il n’y a jamais été impliqué, à savoir absence d’invitation aux réunions mais aussi absence de cahier des charges ou de mails sur le projet.

Au-delà de cette attestation, au cours de son audition devant les services de gendarmerie, lors de laquelle M. [M] a fait preuve d’une réelle neutralité, faisant part des torts des uns et des autres et des qualités professionnelles de M. [R], il a confirmé que, les six derniers mois,

M. [R] ‘venait travailler sans travailler’.

Aussi, si M. [R] fait valoir qu’il ne lui était plus fourni de travail, ceci est démenti par M. [M], sans que le simple changement des mots de passe du logiciel SAGE ne soient suffisants à justifier d’un retrait des tâches de M. [R] à défaut d’éléments complémentaires, d’autant que cette coupure des mots de passe intervient le 20 mai 2014, soit très postérieurement après que M. [R] ait cessé de remplir ses feuilles d’heures hebdomadaires et peu de temps avant qu’il ne remplisse une nouvelle feuille d’heures à compter du 2 juin, laquelle démontre qu’il pouvait travailler.

Enfin, et s’il est justifié de la diffusion d’une annonce pour rechercher un nouvel ingénieur au mois de janvier 2014 par la société Transvidéo, cette annonce s’inscrit dans un contexte de pourparlers de départ, sachant qu’aucun ingénieur n’a été engagé antérieurement au départ de

M. [R], lequel ne cachait pas rechercher également un emploi dans une autre entreprise.

Néanmoins, s’il est suffisamment établi que M. [R] n’a pas fourni le travail attendu de la part d’un salarié, notamment sur la semaine du 2 au 6 juin, ce manquement est intervenu dans un contexte très particulier puisque les parties envisageaient une rupture et surtout, il ressort de toutes les pièces du dossier qu’antérieurement à ce différend ayant opposé M. [B] à M. [R] en janvier 2014, ce dernier a toujours donné entière satisfaction en terme de travail, tant en qualité qu’en quantité, plusieurs salariés évoquant qu’il ne comptait pas ses heures lorsqu’un projet en développement était à finaliser.

Par ailleurs, et si M. [B] lui a rappelé ce manquement dans deux courriers d’avril et juin 2014, il s’agissait davantage d’un constat que d’une mise en demeure de cesser cette attitude et, au regard de ce contexte très particulier, qui met également en cause l’attitude du dirigeant de la société Transvidéo à l’égard de M. [R], il convient de dire que si le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, il ne peut cependant être considéré que le manquement incriminé et retenu relèverait d’une faute grave.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement, de dire que le licenciement ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et de condamner la société Transvidéo à payer à M. [R] la somme de 11 103 euros à titre d’indemnité compensatrice correspondant à trois mois de salaire, ainsi que la somme de 1 110,30 euros au titre des congés payés afférents.

Par ailleurs, M. [R] a justement calculé l’indemnité conventionnelle de licenciement en retenant une ancienneté de 8 ans 9 mois et 23 jours et un salaire de 3 701 euros et il convient de condamner la société Transvidéo à lui payer la somme de 9 207,37 euros à ce titre.

Il convient au contraire de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la remise de documents

Il convient d’ordonner à la société Transvidéo de remettre à M. [R] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés, sans que les circonstances de la cause justifient de prononcer une astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Transvidéo aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement ;

Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [U] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la SA Transvidéo de sa demande reconventionnelle ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [U] [R] ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SA Transvidéo à payer à M. [U] [R] les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 11 103,00 euros

congés payés afférents : 1 110,30 euros

indemnité de licenciement : 9 207,37 euros

Ordonne à la SA Transvidéo de remettre à M. [U] [R] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif dûment rectifiés conformément à la présente décision ;

Dit n’y avoir lieu à astreinte ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la SA Transvidéo à payer à M. [U] [R] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA Transvidéo de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Transvidéo aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La greffièreLa présidente

 


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