COMM.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 mars 2018
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 238 F-D
Pourvoi n° G 16-24.635
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société Compagnie IBM France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
contre l’arrêt rendu le 23 juin 2016 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Antilles glaces, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
2°/ à la société Infor France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] , venant aux droits de la société Infor Pontoise anciennement dénommée Lawson Software Consulting France,
défenderesses à la cassation ;
La société Antilles Glaces, défenderesse au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident et un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse aux pourvois incidents invoque un moyen à l’appui de chacun de ceux-ci également annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 23 janvier 2018, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Compagnie IBM France, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Antilles glaces, l’avis de Mme Henry, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, qu’en vue de la refonte de son système d’information, dans le cadre d’un projet dénommé Pegase, la société Antilles glaces a conclu avec la société IBM France, le 6 août 2003, un « contrat de prestation de services professionnels étendus » afin de définir ses besoins et l’assister dans l’établissement d’un appel d’offres, puis, le 29 juin 2004, un « contrat d’intégration du progiciel ERP Movex et de ses développements spécifiques », dont l’objet était de confier à la société IBM, en qualité de maître d’oeuvre, l’intégralité du projet Pégase et l’assistance à la maîtrise d’ouvrage ; que le 30 juin 2004, la société Antilles glaces et la société Lawson, retenue à l’issue de l’appel d’offres, ont signé un ensemble contractuel comprenant un contrat de licence d’utilisation du progiciel Movex, un contrat de support du progiciel Movex, un contrat de vente de matériels et un contrat de développements et de supports spécifiques ; qu’ils ont par la suite été complétés par deux conventions des 6 et 13 juillet 2005 relatives aux développements spécifiques complémentaires ; que les 9 et 16 juillet 2004, les sociétés IBM et Lawson ont conclu un contrat de prestation de services techniques, la seconde devant fournir à la première les produits et services décrits dans les cahiers des charges ; que ces deux-là ont encore conclu les 3 août et 1er septembre 2004 un « contrat de fourniture de solutions client » ; que deux avenants relatifs aux délais de livraison ont ensuite été signés les 13 mai 2005 et 9 février 2006 entre les sociétés Antilles glaces et Lawson ; que le projet « Pégase », débuté en septembre 2004, a été arrêté en juillet 2007 en raison de trop grandes difficultés ; que les sociétés Antilles glaces et Lawson ont conclu une transaction mettant un terme au litige les opposant, en contrepartie du versement par celle-ci d’une certaine somme ; que la société Antilles glaces a assigné la société IBM aux fins de résolution ou de résiliation judiciaire des contrats conclus avec cette dernière et en réparation du préjudice subi ; que la société IBM a appelé en garantie la société Infor Pontoise, anciennement dénommée Lawson ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société IBM fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Antilles glaces une certaine somme au titre du remboursement des mensualités de mars 2006 à juillet 2007 alors, selon le moyen :
1°/ qu’elle exposait, sur plusieurs pages de conclusions, l’ensemble des prestations effectuées pour le compte de la société Antilles glaces, en rappelant que ces prestations étaient non seulement réelles mais également utiles pour sa cocontractante qu’elle rappelait tout particulièrement que, comme le lui imposait le contrat, elle avait développé en mars 2006 un site pilote destiné à tester les produits développés ou à développer par la société Lawson ; qu’elle rappelait encore avoir effectué des prestations relatives à des développements spécifiques que la société Antilles glaces avait elle-même commandés et réglés ; qu’en condamnant la société IBM à rembourser les sommes perçues en contrepartie de prestations effectuées pour son compte entre le mois de mars 2006 et le mois de juillet 2007 au motif que ces prestations auraient été effectuées en « pure perte », sans faire ressortir l’inutilité ou l’ineffectivité de ces prestations autrement que par cette affirmation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1131 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
2°/ qu’en énonçant que l’expert Y… était « bien fondé à exposer que la société IBM aurait dû conseiller une période de suspension des travaux pendant la période ayant couru de mars 2006 à juillet 2007 alors que les diligences qu’elle a réalisées pendant cette période l’ont été en pure perte pour la société AG », quand l’expert avait simplement relevé qu’à compter de juin 2006 les parties étaient dans l’attente de la livraison du module complémentaire « Vente à la Chine » et qu’à compter de cette date il était « possible », pour IBM, d’alléger sa facturation, la cour d’appel a dénaturé le rapport de l’expertise de M. Y… et violé l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
3°/ que si l’obligation, sans cause ou fondée sur une fausse cause, ne peut avoir aucun effet, la cause ainsi visée s’entend de la contrepartie objective à l’obligation contractée ; qu’ainsi, sauf convention contraire des parties, le versement effectué par une partie en exécution d’un contrat et en paiement d’une prestation qui est réelle et non dérisoire est toujours causée, peu important qu’elle ne présente pas pour son bénéficiaire l’utilité voulue ; que la restitution ne peut être sollicitée par ce dernier qu’à la condition qu’il établisse que les versements effectués étaient indus ; qu’en l’espèce, la société IBM faisait valoir que les prestations effectuées au cours de la période litigieuse étaient celles qui avaient été convenues entre les parties et qu’elles avaient présenté une utilité indéniable pour la société Antilles glaces ; que ces prestations avaient été facturées par IBM sur la base du tarif convenu entre les parties, et qu’elles avaient toutes été acquittées ; qu’en condamnant la société IBM à restituer la totalité des sommes ainsi perçues en contrepartie de ses prestations au motif qu’elles auraient été effectuées en « pure perte », quand la restitution ainsi ordonnée n’eût été juridiquement fondée qu’à la condition que la cour d’appel fasse ressortir en quoi les paiements reçus auraient été indus, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1131 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
4°/ que le trop versé ne peut donner lieu à restitution de l’intégralité de ce qui a été acquitté, mais seulement à sa réduction à la mesure de la fraction qui est due ; qu’en l’espèce, la société IBM rappelait qu’entre le mois de mars 2006 et le mois de juillet 2007, elle avait effectué, pour le compte de la société Antilles glaces, un nombre très important de prestations, dont le développement du site pilote qui devait permettre de tester les produits développés ou à développer par la société Lawson ; qu’elle rappelait qu’à l’époque ces prestations avaient un sens et étaient utiles pour la société Antilles glaces puisque si les parties demeuraient dans l’attente de la livraison d’un développement spécifique, le projet n’avait en aucun cas été abandonné ; qu’elle ajoutait qu’elle avait effectué des prestations sur des développements spécifiques que la société Antilles glaces avait elle-même commandés et réglés ; qu’elle ajoutait encore qu’elle avait assisté la société Antilles glaces dans le cadre de prestations que cette dernière avait elle-même réalisées, l’ensemble de ces prestations s’étant révélées utiles pour la société Antilles glaces ; qu’en se contentant d’énoncer, pour ordonner la restitution par IBM de la totalité des sommes litigieuses, qu’elles correspondaient à des prestations réalisées prétendument « en pure perte », quand il lui appartenait de rechercher en examinant les factures émises et les prestations correspondantes si certaines prestations n’avaient pas présenté une utilité certaine et procéder, au besoin, à une simple réduction de la facturation pratiquée à la mesure des gains procurés à leur bénéficiaire ou des besoins effectifs de celui-ci durant la période d’attente de la livraison du module de la société Lawson, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1131 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
5°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que «la société IBM a continué à facturer à la société AG la somme mensuelle de 100 000 euros pendant la période d’attente de mars 2006 à juillet 2007», ce qui correspond, sur cette période de 17 mois, à une somme totale facturée de 1 700 000 euros ; qu’en condamnant la société IBM à verser à la société Antilles glaces la somme de 1 802 625 euros TTC, laquelle correspondait aux prestations facturées par la société IBM pendant cette même période, dont toutes se seraient révélées inutiles, la cour d’appel s’est contredite et a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir relevé qu’il résulte du rapport d’expertise que l’arrêt technique du projet est dû à la non-livraison du module « vente à la Chine », l’arrêt retient d’abord que la société IBM aurait dû conseiller une période de suspension des travaux pendant cette période d’attente du module, de mars 2006 à juillet 2007, et que les diligences qu’elle a réalisées pendant cette période l’ont été en pure perte pour la société Antilles glaces puisque cette société a dû remettre en place son ancien système d’information ; qu’il retient ensuite que les sommes ainsi versées pendant cette période d’attente étaient dépourvues de cause ; que par ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre l’avis de l’expert judiciaire ni d’effectuer les recherches invoquées par la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que la somme de 1 802 625 euros, à laquelle la société IBM est condamnée à paiement, était réclamée à titre subsidiaire par la société Antilles glaces dans ses conclusions d’appel et correspond au montant global des factures émises et réclamées pour la période considérée, soit 1 661 405,38 euros HT, et, après application du taux de TVA localement en vigueur, 1 802 624,84 euros TTC ; qu’en l’état, la cour d’appel ne s’est pas contredite ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :