CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 novembre 2019
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 1011 F-D
Pourvoi n° Z 18-18.402
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ la société MMA IARD assurances mutuelles,
2°/ la société MMA IARD,
ayant toutes deux leur siège […] , venant toutes deux aux droits de la société Covea Risks,
3°/ la société Forêt matériel service, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] ,
contre l’arrêt rendu le 8 mars 2018 par la cour d’appel de Colmar (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à M. H… Q…, domicilié […] ,
2°/ à la société Groupama Grand Est, dont le siège est […] , venant aux droits de la société Groupama Alsace,
3°/ à la société Logset Oy, dont le siège est […] (Finlande), venant aux droits de la société Oy Logset AB,
défendeurs à la cassation ;
M. Q… et la société Groupama Grand Est ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La société Logset Oy a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l’appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 22 octobre 2019, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Forêt matériel service et des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Logset Oy, de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de M. Q… et de la société Groupama Grand Est, l’avis de M. Chaumont, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 8 mars 2018), que, pour les besoins de son activité d’exploitation forestière, M. Q… (l’acquéreur) a acquis, le 9 août 2007, de la société Forêt matériel service (le vendeur) une abatteuse fabriquée par la société finlandaise Logset Oy (le fabricant) ; que, le 28 août 2010, cette abatteuse a pris feu alors qu’elle était entreposée dans un hangar appartenant à l’acquéreur, l’incendie détruisant la machine et causant des dégâts au bâtiment et aux équipements ; qu’une expertise judiciaire, confirmant une expertise amiable, a conclu que l’incendie était imputable à un vice de conception de la machine ; que l’acquéreur et son assureur, la société Groupama Grand Est, ont assigné le vendeur et son assureur, la société Covea Risks, aux droits de laquelle viennent la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD, aux fins d’indemnisation, sur le fondement de la garantie des vices cachés ; que le vendeur et son assureur ont appelé en garantie le fabricant ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident formé par le fabricant, qui sont identiques, réunis :
Attendu que le vendeur, son assureur et le fabricant font grief à l’arrêt de prononcer la résolution de la vente conclue entre l’acquéreur et le vendeur et de prononcer la condamnation à restituer le prix de vente, à l’encontre du vendeur et de son assureur in solidum, et du fabricant dans la limite de 284 012 euros, alors, selon le moyen, qu’aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ; qu’aux termes de l’article 565 du même code, les demandes ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; qu’il ressort des propres constatations de l’arrêt que l’acquéreur et son assureur avaient seulement, devant le premier juge, demandé la condamnation du revendeur français et du fabricant finlandais, à « réparer les conséquences du sinistre », sans demander la résolution de la vente ; que, pour déclarer une telle demande recevable devant elle, la cour d’appel a relevé que le premier juge avait statué ultra petita, sans que la nullité du jugement ne soit demandée, et a énoncé que l’option offerte à l’acquéreur par l’article 1644 du code civil, en cas de vice caché, de demander ou non la résolution de la vente, peut être exercée tant qu’il n’a pas été statué sur ses prétentions par une décision passée en force de chose jugée ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations d’où il s’évinçait que la demande en résolution de la vente était nouvelle en cause d’appel, et s’est déterminée par des motifs inopérants, tirés de ce que le premier juge a statué ultra petita et de ce que l’acheteur serait admis à exercer l’option de l’article 1644 du code civil en cause d’appel, a violé les dispositions susvisées ;
Mais attendu qu’ayant relevé qu’en première instance, l’acquéreur et son assureur avaient sollicité, au titre de la garantie des vices cachés, la condamnation du vendeur, de son assureur et du fabricant à réparer les conséquences du sinistre, la cour d’appel, qui a fait ressortir que les demandes de résolution de la vente et de restitution du prix de vente étaient la conséquence de l’action en garantie des vices cachés et le complément de la demande d’indemnisation du préjudice, en a exactement déduit que ces demandes étaient recevables en cause d’appel ; que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident formé par l’acquéreur et son assureur, qui sont similaires, réunis :
Attendu que le vendeur et son assureur, et l’acquéreur et son assureur font grief à l’arrêt de limiter la condamnation du fabricant à payer la somme de 284 012 euros au titre de la restitution du prix de vente, alors, selon le moyen :
1°/ que le fabricant n’ayant pas le droit d’ignorer les défauts de la chose qu’il fabrique ne peut se prévaloir envers son revendeur d’une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit ; qu’en décidant cependant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages devait recevoir application, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;
2°/ que le fabricant d’une machine n’a pas la même spécialité que son revendeur ; que, pour décider que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages devait recevoir application, la cour d’appel a énoncé que le fabricant finlandais et le revendeur français sont des professionnels de la même spécialité, la société Logset Oy étant un fabricant de machines destinées aux exploitants forestiers et la société FMS un vendeur spécialisé dans le commerce de ce type de matériel, dont il assure en outre l’entretien ; qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que le fabricant finlandais de l’abatteuse et son revendeur français étaient des professionnels de même spécialité, et donc que la clause de limitation de responsabilité pouvait être opposée par le premier au second, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1643 et 1645 du code civil ;
3°/ que, si le vendeur professionnel peut opposer à l’acheteur, ayant la même spécialité que lui, une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit, c’est à la condition qu’il ait ignoré le vice affectant la chose vendue ; que la cour d’appel a constaté que, selon l’expert judiciaire, l’enchevêtrement de câbles électriques sous tension traversant le bloc moteur pour relier les batteries, situées à l’arrière droit, au coupe-batterie, situé à gauche à proximité de la cabine de conduite, avec des tuyaux inflammables, est constitutif d’un vice de conception, la moindre détérioration de l’isolant du câble électrique devant produire un court-circuit, l’expert ayant encore relevé que l’absence de contact est impossible à obtenir de par la conception même de la machine, et que la vérification de l’usure des flexibles est malaisée dans la zone difficilement accessible où s’est produit le court-circuit, de sorte que l’existence d’un vice caché, consistant en la présence, dans le compartiment moteur, d’un câble électrique en permanence sous tension, « quasi collé », selon l’expert, à un tuyau de gasoil, est établie ; qu’en décidant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages devait recevoir application, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu’au moment de la vente, la société Logset, en sa qualité de fabricant, ne pouvait avoir ignoré le vice caché affectant la conception même de la machine vendue, de sorte qu’elle ne pouvait se prévaloir de la clause limitative de garantie, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;
4°/ que, si le vendeur professionnel peut opposer à l’acheteur, ayant la même spécialité que lui, une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit, c’est à la condition que l’acheteur professionnel puisse raisonnablement déceler ce vice au moment de la vente, ce qui n’est pas le cas s’il lui faut réaliser des investigations approfondies ; que la cour d’appel a constaté que, selon l’expert judiciaire, l’enchevêtrement de câbles électriques sous tension traversant le bloc moteur pour relier les batteries, situées à l’arrière droit, au coupe-batterie, situé à gauche à proximité de la cabine de conduite, avec des tuyaux inflammables, est constitutif d’un vice de conception, la moindre détérioration de l’isolant du câble électrique devant produire un court-circuit, l’expert ayant relevé que le manuel d’instructions préconise de « vérifier l’état des durites de carburant et des flexibles hydrauliques en vous assurant qu’ils ne sont ni en contact avec d’autres éléments, ni usés » alors que l’absence de contact est impossible à obtenir de par la conception même de la machine, et que la vérification de l’usure des flexibles est malaisée dans la zone difficilement accessible où s’est produit le court-circuit ; qu’en décidant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages devait recevoir application, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu’au moment de la vente, le vendeur ne pouvait déceler le vice caché affectant la machine vendue sans procéder à des investigations particulièrement poussées, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;
5°/ que le sous-acquéreur, qui dispose d’une action contractuelle directe à l’encontre du fabricant de la chose vendue, au titre de la garantie des vices cachés, ne peut se voir opposer par le fabricant que les moyens de défense que celui-ci peut opposer à son propre cocontractant ; que le fabricant, qui ne peut ignorer les défauts de la chose qu’il fabrique, ne peut se prévaloir envers son revendeur, ou le sous-acquéreur qui exerce l’action appartenant à ce dernier, d’une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit ; qu’en décidant cependant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages, devait recevoir application, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;
6°/ qu’en, toute hypothèse, le sous-acquéreur, qui dispose d’une action contractuelle directe à l’encontre du fabricant de la chose vendue, au titre de la garantie des vices cachés, ne peut se voir opposer par le fabricant que les moyens de défense que celui-ci peut opposer à son propre cocontractant ; que si la validité des clauses qui limitent la garantie des vices cachés ne peut être admise qu’entre professionnels de même spécialité, tel n’est pas le cas du fabricant d’une machine, qui n’a pas la même spécialité que son revendeur ; que, pour décider que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages, devait recevoir application, la cour d’appel a énoncé que le fabricant finlandais et le revendeur français sont des professionnels de la même spécialité, la société Logset Oy étant un fabricant de machines destinées aux exploitants forestiers et la société FMS un vendeur spécialisé dans le commerce de ce type de matériel, dont il assure en outre l’entretien ; qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que le fabricant finlandais de l’abatteuse et son revendeur français étaient des professionnels de même spécialité, et donc que la clause limitative de responsabilité et de garantie pouvait être opposée par le fabricant à l’acquéreur et à la société Groupama, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1643 et 1645 du code civil ;
7°/ que, si le vendeur professionnel peut opposer à son acheteur professionnel, qui a la même spécialité que lui, et donc au sous-acquéreur qui exerce l’action du vendeur intermédiaire, une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit, c’est à la condition qu’il ait ignoré le vice affectant la chose vendue ; que la cour d’appel a constaté que, selon l’expert judiciaire, l’enchevêtrement de câbles électriques sous tension traversant le bloc moteur pour relier les batteries, situées à l’arrière droit, au coupe-batterie, situé à gauche à proximité de la cabine de conduite, avec des tuyaux inflammables, était constitutif d’un vice de conception, la moindre détérioration de l’isolant du câble électrique devant produire un court-circuit, que l’absence de contact était impossible à obtenir de par la conception même de la machine, et que la vérification de l’usure des flexibles était malaisée dans la zone difficilement accessible où s’était produit le court-circuit, de sorte que l’existence d’un vice caché, consistant en la présence, dans le compartiment moteur, d’un câble électrique en permanence sous tension, « quasi collé », selon l’expert, à un tuyau de gasoil, était établie ; qu’en décidant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages, devait recevoir application, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu’au moment de la vente, la société Logset Oy, en sa qualité de fabricant, n’avait pas pu ignorer le vice caché affectant la conception même de la machine vendue, en sorte qu’elle ne pouvait se prévaloir de la clause limitative de garantie, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;
8°/ que, si le vendeur professionnel peut opposer à son acheteur professionnel, qui a la même spécialité que lui, et donc au sous-acquéreur qui exerce l’action du vendeur intermédiaire, une clause limitant l’étendue de la garantie des vices cachés qu’il lui doit, c’est à la condition que l’acheteur professionnel puisse raisonnablement déceler ce vice au moment de la vente ; que tel n’est pas le cas s’il lui faut réaliser des investigations approfondies ; que la cour d’appel a constaté que, selon l’expert judiciaire, l’enchevêtrement de câbles électriques sous tension traversant le bloc moteur pour relier les batteries, situées à l’arrière droit, au coupe-batterie, situé à gauche à proximité de la cabine de conduite, avec des tuyaux inflammables, était constitutif d’un vice de conception, la moindre détérioration de l’isolant du câble électrique devant produire un court-circuit, que le manuel d’instructions préconisait de « vérifier l’état des durites de carburant et des flexibles hydrauliques en vous assurant qu’ils ne sont ni en contact avec d’autres éléments, ni usés », alors que l’absence de contact était impossible à obtenir de par la conception même de la machine, et que la vérification de l’usure des flexibles était malaisée dans la zone difficilement accessible où s’était produit le court-circuit ; qu’en décidant que la clause limitant la garantie du fabricant à la restitution du prix, à l’exclusion de tous autres dommages, devait recevoir application, cependant qu’il résultait de ses propres constatations qu’au moment de la vente, le vendeur ne pouvait déceler le vice caché affectant la machine vendue sans procéder à des investigations particulièrement poussées, la cour d’appel a violé les articles 1643 et 1645 du code civil ;