RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01769 –
N° Portalis DBVH-V-B7G-IOGI
MPF – NR
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D’AVIGNON
25 avril 2022
RG:21/00665
S.A.S. SBI 84
C/
Association OGEC [4]
Grosse délivrée
le 29/06/2023
à Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ
à Me Perrine CORU
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 29 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’AVIGNON en date du 25 Avril 2022, N°21/00665
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 09 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
S.A.S. SBI 84
[Adresse 1]
[Localité 2] (FRANCE)
Représentée par Me Nolwenn ROBERT de la SELAS PVB AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ de la SELAS PVB AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Association OGEC [4]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Perrine CORU de la SARL PERRINE CORU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d’AVIGNON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère, en l’absence du Président légitimement empêché, le 29 Juin 2023, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
L’association OGEC [4], organisme de gestion de l’enseignement catholique, a conclu avec la SAS SBI 84 trente six contrats de maintenance signés les 1er octobre 2015, le 30 juin 2015 et le 16 décembre 2015.
En application des dispositions du code des marchés publics et de la commande publique entré en vigueur le 1er avril 2019, l’association OGEC a procédé à un appel d’offre.
La SAS SBI 84 n’ayant pas été retenue comme attributaire du marché, elle a procédé à la résiliation de l’ensemble des contrats précités.
Par acte du 4 mars 2021, la SAS SBI 84 a assigné l’association OGEC [4] devant le tribunal judiciaire d’Avignon en règlement des indemnités de résiliation d’un montant total de 60 115 euros.
Par jugement contradictoire du 25 avril 2022, le tribunal judiciaire d’Avignon a :
– débouté la SAS SBI 84 de l’intégralité de ses demandes ;
– débouté l’association OGEC [4] de sa demande reconventionnelle en remboursement des indexations sous astreinte ;
– condamné la SAS SBI 84 à payer à l’association OGEC [4] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS SBI 84 aux dépens ;
– rappelé que la présente décision est revêtue de l’exécution provisoire.
Le tribunal a considéré que les conditions générales dont la société SBI 84 réclame l’application n’ont pas été portées à la connaissance de sa cocontractante et ne lui sont pas opposables. Il a écarté la demande d’annulation des contrats formée à titre reconventionnelle par l’OGEC [4] au motif que les dispositions des articles L.1111-1 et suivants du code de la commande publique n’étaient pas applicables aux contrats conclus.
Par déclaration du 20 mai 2022, la SAS SBI 84 a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 14 décembre 2022, la procédure a été clôturée le 25 avril 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 9 mai 2023.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS :
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 octobre 2022, la SAS SBI 84 demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement et, statuant à nouveau, de :
A titre principal,
– condamner l’association OGEC à lui payer la somme de 64 591,33 euros TTC augmentée des intérêts contractuels égaux à trois fois le taux d’intérêt légal,
A titre subsidiaire,
– condamner l’association OGEC à lui payer la somme de 33 478,60 euros TTC augmentée des intérêts contractuels égaux à trois fois le taux d’intérêt légal,
En tout état de cause,
– condamner l’association OGEC à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et
intérêts pour résistance abusive ;
– rejeter l’ensemble des demandes formées par l’association OGEC.
– condamner l’association OGEC à payer la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société SBI 84 soutient que sa cocontractante ne peut refuser de payer les indemnités de résiliation contractuellement prévues dans les conditions générales de vente, lesquelles sont pleinement opposables à l’association puisque conformes au dispositions de l’article 1119 du code civil. Elle estime par ailleurs que l’intimée ne saurait invoquer la nullité des contrats litigieux en l’absence de texte prévoyant une telle sanction pour la passation des marchés publics par les organismes d’enseignement catholique.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 octobre 2022, l’associaton OGEC, intimée, demande à la cour de :
A titre principal,
– prononcer la nullité des contrats la liant avec la société SBI,
– débouter la société SBI de ses demandes,
A titre subsidiaire,
– juger inopposables les conditions générales des contrats et notamment les clauses relatives à la durée et à la résiliation,
– juger que les contrats souscrits sont à durée indéterminée,
– juger illicites les clauses relatives à la résiliation du contrat,
– débouter la société SBI de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire,
– déboute la société SBI de ses demandes comme étant infondées et injustifiées,
En tout état de cause,
– condamner la société SBI à lui rembourser toutes les indexations réalisées à tort sur l’ensemble des contrats depuis leur signature, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et a minima la somme reconnue de 22 855,48 euros,
– ordonner l’exécution provisoire,
– condamner la société SBI à payer à l’OGEC la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimée considère que les contrats litigieux sont nuls car contraires aux règles de passation des marchés public telles que prévues aux articles L.1111-1 et suivants du code de la commande publique et révèlent par ailleurs un délit de favoritisme au sens de l’article 432-14 du code pénal.
L’appelante ne produisant pas les conditions générales des contrats, elle ne saurait solliciter l’application des clauses relatives à l’indemnité de résiliation et à la durée des contrats qui doivent être réputés conclus pour une durée indéterminée. L’intimée s’estime fondée à soulever à titre subsidiaire le caractère abusif des conditions générales de vente et à titre plus subsidiaire encore à solliciter le rejet de la demande en paiement en l’état de ses incohérences et erreurs de calcul.
MOTIFS :
L’OGEC [4] a conclu avec la société SBI trente contrats de maintenance de photocopieurs les 1er octobre et le 16 décembre 2015. Les conditions générales de vente stipulent : « En cas de résiliation anticipée du contrat, SBI exigera le versement d’une indemnité contractuelle égale à 95 % du montant total des facturations minimales semestrielles hors taxes qui auraient été dues jusqu’à l’expiration de la durée de l’engagement du client ».
L’OGEC [4], estimant que les contrats conclus étaient régis par les règles de passation des marchés publics, a donc organisé un appel d’offres à l’issue duquel la société SBI n’a pas été retenue.
Le 21 septembre 2020, la société SBI a demandé à sa cocontractante de lui payer la somme de 64 591,33 euros représentant la totalité des indemnités de résiliation.
Sur la nullité des contrats :
L’OGEC [4] a soulevé la nullité des contrats conclus avec la société SBI au motif qu’étant un organisme de gestion de l’enseignement catholique, elle participe à l’accomplissement des missions de service public de l’enseignement et qu’elle était dès lors soumise aux règles de passation des marchés publics à la date à laquelle ont été conclus les contrats litigieux.
Elle en déduit que tous les contrats conclus avec la société SBI en infraction aux articles L 1111-1 et suivants du code de la commande publique sont illicites et par voie de conséquence nuls.
Le tribunal a écarté la nullité des contrats litigieux au motif que les OGEC n’ont été qualifiés de pouvoirs adjudicateurs par la chambre commerciale de la cour de cassation que le 7 mars 2018, soit postérieurement à la conclusion des contrats litigieux, et qu’à supposer qu’elle soit qualifiée de pouvoir adjudicateur, l’OGEC [4] n’invoque par ailleurs aucune disposition légale sanctionnant par la nullité les contrats conclus en violation des règles de la commande publique.
La société SBI, appelante, soutient en premier lieu que dans l’hypothèse où l’OGEC [4] serait qualifié de pouvoir adjudicateur, il aurait commis une faute en s’abstenant de respecter ses obligations de publicité et de mise en concurrence préalable avant de conclure les contrats litigieux. Elle estime qu’elle n’a pas à supporter les conséquences de la faute de son cocontractant, se prévaut de l’adage « nemo auditur propriam turpitudinem allegans » ( nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) et soutient qu’il serait inéquitable que l’OGEC puisse invoquer une nullité dont il serait lui-même à l’origine.
Elle fait valoir en second lieu qu’aucune disposition légale ne sanctionne de nullité la passation d’un marché en violation des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable.
L’OGEC [4] rappelle que les juridictions administratives considèrent comme nuls les contrats passés alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté les obligations de publicité et de mise en concurrence préalable et que la conclusion d’un contrat dans de telles conditions caractérise le délit de favoritisme prévu et réprimé par l’article 432-14 du code pénal. L’intimé considère que les contrats litigieux sont illicites pour avoir été conclus sans publicité et mise en concurrence préalable et sont nuls en application de l’article 1128 du code civil.
Quand elles sont qualifiées de pouvoirs adjudicateurs, les associations d’intérêt général sont tenues d’appliquer pour leurs propres marchés les règles de la commande publique, à savoir la publicité et la mise en concurrence préalable.
Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005 applicable au présent litige, sont qualifiés de pouvoirs adjudicateurs :
« 1° Les organismes de droit privé ou les organismes de droit public autres que ceux soumis au code des marchés publics dotés de la personnalité juridique et qui ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont :
a) Soit l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à la présente ordonnance ;
b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à la présente ordonnance ;
c) Soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à la présente ordonnance … ».
Pour être qualifié de pouvoir adjudicateur, l’organisme de droit privé doit remplir deux critères cumulatifs, le premier étant la satisfaction spécifique des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, le second étant le lien de dépendance avec un pouvoir adjudicateur ( Etat ou collectivité locale) au travers soit de son financement, soit du contrôle de sa gestion, soit de la désignation des membres composant son organe d’administration et de direction.
L’OGEC [4] remplit le premier critère requis par la disposition précitée : participant à la réalisation des objectifs et à l’accomplissement des missions de service public de l’enseignement définis par le code de l’éducation, elle a bien été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial et elle y satisfait effectivement ( Cour de cassation, chambre commerciale, 7 mars 2018 n°16-138 ).
Il reste à démontrer que l’OGEC [4] remplit le second critère, celui de la dépendance à un pouvoir adjudicateur, requis par l’article 3 de l’ordonnance du 6 juin 2005. En effet, contrairement à ce qu’affirme l’intimée, l’arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 7 mars 2018 n’a pas énoncé que l’OGEC concerné avait la qualité de pouvoir adjudicateur : il a au contraire cassé l’arrêt de la cour d’appel qui l’avait retenu en affirmant péremptoirement que ses ressources se composaient majoritairement de contributions, subventions et participations versées par l’Etat et les collectivités locales. Si la cour de cassation a suivi l’argumentation de la cour d’appel sur le premier critère ‘ satisfaction spécifique des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial -, elle lui a reproché de ne pas avoir vérifié concrètement si elle remplissait le second critère.
Il y a donc lieu d’ordonner la réouverture des débats et d’inviter l’OGEC [4] à justifier soit qu’elle est financée majoritairement par l’Etat et/ou les collectivités locales, soit que sa gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicateur soit que son organe d’administration, de direction et de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Ils seront réservés compte-tenu de la réouverture des débats.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Par arrêt avant-dire droit,
Ordonne la réouverture des débats à l’audience du mardi 24 octobre 2023 à 08h30.
Invite l’OGEC [4] à justifier soit qu’elle est financée majoritairement par l’Etat et/ou les collectivités locales, soit que sa gestion est soumise au contrôle d’un pouvoir adjudicateur soit que son organe d’administration, de direction et de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par un pouvoir adjudicateur,
Réserve les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme TOULOUSE, Conseillère, par suite d’un empêchement du Président et par Mme RODRIGUES, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,